Etude de Reliques
Sep. 26th, 2019 12:18 pmEtude de Reliques
Auteur : Eliandre
Beta : Kaleiya Hitsumei
Playlist : Fódlan Winds
Note : Je sais… j’aurais dû bosser sur un autre fandom ou sur mes autres fics. Mais j’ai joué à Fire Emblem : Three Houses et la route des Cerfs d’Or m’a inspiré.
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Ce n’était un secret pour personne que Claude était d’une nature curieuse au sein du monastère de Garreg Mach. Tout ce qui pouvait l’intriguer donnait ensuite lieu à des recherches passionnantes qu’il menait en fouillant les livres de la bibliothèque pendant des heures presque indécentes ou en cherchant discrètement quelques endroits ou passages normalement interdits à un simple étudiant de l’Académie des Officiers. Et pour le moment, ce qui l’intéressait, c’était les Reliques de Héros.
Les légendes et les exploits de ces armes l’intéressaient grandement, à la fois pour le prestige mais surtout pour leur force. Claude avait un rêve qu’il gardait secrètement pour lui mais il avait besoin de puissance pour parvenir à le concrétiser.
Il avait beau être le petit-fils du Duc Riegan, il était conscient qu’Infaillible, la Relique des Riegan, lui était actuellement inaccessible. Son grand-père la conservait sous bonne garde et Claude savait qu’il était inutile de lui écrire une lettre pour lui demander de lui envoyer l’arme pour qu’il puisse l’examiner sous toutes les coutures. Le dirigeant de l’Alliance refuserait sur-le-champ une telle suggestion.
Il avait pu voir Fulgurante et l’Epée du Créateur, les Reliques de Catherine et de son professeur Byleth. Toutes deux étaient d’ailleurs des épées et il aurait bien voulu observer les différences et les points communs entre ces deux armes mais en tant que chevalier saint, Catherine était souvent en mission avec Fulgurante et Byleth refuserait certainement de lui laisser entre ses mains sa puissante mais dangereuse Relique.
Cependant, il y avait des Reliques plus à sa portée. Celles détenues par certains de ces camarades.
Du côté des Cerfs d’Or, il n’avait guère eu de difficulté à obtenir l’autorisation d’Hilda pour examiner Freikugel, la Relique des Goneril. Traditionnellement, les Goneril étaient connus pour le maniement de la hache et Hilda ne faisait que perpétuer les coutumes de sa famille mais elle avait en horreur sa Relique, cela bien que son frère avait insisté qu’elle la conserve avec elle et, avait donc sans aucune hésitation prêté son arme à Claude pour qu'il puisse l’examiner de plus près. Elle lui avait même déclaré qu’il pouvait la garder le temps qu’il lui fallait à condition qu’il la lui rende tout de même. Après tout, cette arme lui avait été confiée par son frère aîné.
Concernant Lorenz, vu l’hostilité que celui-ci lui portait, Claude se doutait bien qu’il se heurterait à un refus catégorique pour étudier Thyrsus, la Relique des Gloucester. Il aurait bien voulu se faufiler discrètement dans la chambre de son camarade pour lui « emprunter » la Relique mais l’héritier des Gloucester mettant un point d’honneur à inspecter ses faits et gestes, l’archer décida que dans un premier temps, il serait plus sage de terminer la surveillance constante dont il était l’objet.
Sachant que Lorenz voulait inviter Ferdinand à déguster un thé d’une rare finesse en provenance de l’Alliance, il profita d’une courte absence du fils du comte Gloucester qui attendait son invité près des écuries pour se glisser dans sa chambre et introduire dans son thé une fine poudre de son invention dont il n’était pas peu fier. D’une couleur sombre, très finement tamisée, elle était quasiment indécelable avec les feuilles de thé de Lorenz et de surcroît, inodore et d’un goût neutre. Ni Lorenz, ni Ferdinand ne détecteraient son subterfuge.
Toutefois, bien qu’il avait agi très rapidement, il faillit se faire surprendre par l’arrivée impromptue de Felix et Sylvain en quittant la pièce. Les deux membres des Lions de Saphir passaient dans le couloir pour regagner leurs chambres tout en discutant – ou pour être plus exact, Sylvain essayait de convaincre Felix de sortir avec lui pour draguer les filles pendant que l’héritier de la maison Fraldarius contenait difficilement son exaspération.
« Allez Felix ! Dis-toi que respecter des périodes de détente fait aussi partie de l’entraînement ! Accompagne-moi en ville. Je pourrai même te présenter des jolies filles qui… »
« Laisse-moi tranquille Sylvain ! » l’interrompit l’épéiste. « J’ai autre chose à faire qu’à t’écouter débiter tes habituelles bêtises. »
« Décidément, quel rabat-joie tu fais ! » soupira l’héritier de la maison Gautier avant de remarquer du coin de l’œil la présence du petit-fils des Riegan. « Oh Claude, que faites-vous là ? Si vous cherchez son Altesse, elle se trouve dans le hall des chevaliers. Je doute qu’elle se trouve chez Lorenz. »
Comme ils étaient en grande conversation, Claude ignorait si Felix et Sylvain l’avaient aperçu en train de quitter la chambre de son camarade des Cerfs d’Or mais heureusement, son esprit vif et retors lui permit de vite trouver une parade à la situation.
« Non, je ne cherchais pas le prince charmant pour cette fois. » répondit-il avec un air décontracté tout en haussant les épaules. « Juste contraint de remplir mon ennuyeux devoir de délégué. Le professeur Byleth m’a chargé de faire signifier à Lorenz qu’il était convoqué. Quelque chose à propos de son comportement apparemment. Je pensais qu’il serait dans sa chambre. »
Felix eut un reniflement de mépris.
« L’insupportable crétin pompeux à la fleur grotesque en boutonnière ? Je l’ai vu passer rapidement vers l’étang. »
L’attitude de l’épéiste s’expliquait par un événement survenu quelques jours plus tôt au réfectoire. En tant qu’héritier de la maison Gloucester qui avait compris l’intérêt de la diplomatie, Lorenz avait voulu nouer des relations avec les autres maisons nobles. Certes, il se concentrait principalement sur celles de l’Alliance et de l’Empire – après tout, les Gloucester étaient pro-impérialistes – mais il aurait été stupide de sa part de négliger la noblesse du Royaume de Faerghus. Et après la maison royale Blaiddyd, la maison Fraldarius était incontestablement l’une des plus puissantes et des plus prestigieuses.
Lors de son repas, Lorenz avait donc abordé Felix, ce qui était déjà la base d’un mauvais départ quand on cherchait à bien se faire voir auprès de lui, l’asocial brun n’appréciant guère qu’on le dérange quand il mangeait. Mais les choses s’étaient sérieusement envenimées quand Lorenz avait évoqué les devoirs chevaleresques de la noblesse, ce à quoi Felix avait répondu avec dédain avec son sarcasme habituel, provoquant ainsi la colère de son interlocuteur. Depuis, l’héritier de la maison Gloucester et celui de la maison Fraldarius ne se tenaient pas en très haute estime.
« Dans ce cas, il est inutile que je traîne davantage dans les parages. » déclara Claude en croisant les mains derrière sa tête. « Je vais voir si j’ai plus de chances à l’extérieur. »
« C’est ça, bon débarras ! » répliqua Felix.
L’archer quitta donc les lieux mais préféra se cacher dans la serre, attendant le retour de Lorenz et de Ferdinand. Après quelques minutes, les deux nobles se dirigeaient vers le dortoir, s’échangeant moult politesses. Faisant semblant de s’intéresser aux plantes, Claude ne put réprimer un sourire en les apercevant. Dans moins d’une demi-heure, son plan allait se déclencher et il allait enfin pouvoir mettre la main sur la Relique de Héros de la famille Gloucester.
Et effectivement, vingt minutes plus tard, Lorenz et Ferdinand quittèrent le dortoir en courant vers l’infirmerie avec une horrible crise d’urticaire qui provoquait des plaques rougeâtres sur leur peau, notamment sur leur visage. Le professeur Manuela les reçut sur son lieu de travail pendant que les deux nobles se grattaient partout sans aucune retenue, à s’en décoiffer, attitude peu digne pour les héritiers des maisons Gloucester et Aegir. Elle testa plusieurs remèdes sur les deux garçons dont l’un réussit à calmer leur calvaire mais pour plus de précaution, elle les obligea à rester une nuit à l’infirmerie pour observation. Après interrogation, Manuela déclara qu’ils avaient probablement fait une allergie à un des éléments de ce nouveau thé qui aurait pu aussi être mal conservé pendant son transport. Dans le même temps, en bon délégué des Cerfs d’Or, Claude rangea la chambre de Lorenz pendant sa nuit de convalescence… et en profita également pour examiner Thyrsus – il fallait avouer que son camarade n’avait pas été original pour la cachette en exposant la Relique près de sa fenêtre.
L’héritier de la maison Riegan était certes satisfait d’avoir pu observer de plus près les Reliques détenues par les membres des Cerfs d’Or mais sa soif insatiable ne pouvait se contenter de ce résultat. Il se tourna donc vers les Reliques possédées par les autres maisons.
Du côté des Aigles de Jais, bien qu’il y avait plusieurs détenteurs d’emblèmes, aucun ne semblait avoir de Reliques de Héros. C’était quelque part décevant pour Claude mais il ressentait quand même un certain soulagement. Edelgard éprouvait une grande méfiance envers lui et il n’avait aucune envie d’avoir affaire à son chien de garde Hubert ainsi qu’au sosie de Lorenz alias Ferdinand.
Cependant, il se heurtait à un autre problème du côté des Lions de Saphir. Cette maison, sans doute la plus unie parmi les trois classes de l’Académie des Officiers, avait bien des membres disposant de Reliques mais… ce n’était pas n’importe lesquels. Il s’agissait de Sylvain Jose Gautier, détenteur de la Lance de Destruction, d’Ingrid Brandl Galatea, propriétaire de Lúin, et de Felix Hugo Fraldarius qui possédait l’Ecu Egide. Le coureur de jupons, l’austère femme-chevalier et l’asocial épéiste au sarcasme tranchant. Tous les trois étaient des amis d’enfance… et surtout, des proches de Dimitri. Contrairement avec Edelgard, Claude n’avait pas de trop mauvais rapports avec le prince de Faerghus mais il doutait fortement que celui-ci l’autorise à voir les Reliques de ses camarades. Il était donc contraint de trouver un autre stratagème.
Il hésitait sur la démarche à suivre. Devait-il agir dans la clandestinité comme avec Lorenz ou jouer franc et leur demander directement ? Il pensait être en mesure de convaincre Sylvain de lui montrer sa Relique quitte à le soudoyer avec de jolies filles mais Ingrid et Felix étaient une autre affaire. Il avait des rapports difficiles avec la jeune héritière de la maison Galatea qui trouvait le délégué des Cerfs d’Or trop désinvolte à son goût et il serait plus facile de demander à Lorenz de boire du jus de chaussette plutôt qu’obtenir l’accord de Felix pour qu’il lui prête sa Relique. Bref, quel dilemme !
Après avoir soupesé longuement le pour et le contre de ses options, Claude décida de jouer cartes sur table et de s’adresser directement à Ingrid. En partie parce qu’elle était une descendante de la maison Daphnel qui appartenait à l’Alliance et donc une parente éloignée de Judith. L’autre raison, c’était qu’il était conscient de l’influence d’Ingrid auprès de Sylvain et de Felix et que s’il parvenait à la convaincre, il serait plus aisé par la suite avec son aide d’avoir l’accord de ses deux amis d’enfance pour approcher leurs Reliques de Héros.
Enfin, c’était plus facile à dire qu’à faire ! Si cela ne fonctionnait pas, il se débrouillerait d’une autre manière mais en cas de réussite, les bénéfices étaient non négligeables et c’était pour cette raison que l’héritier de la maison Riegan voulait d’abord tenter cette approche.
Il la trouva perdue dans ses pensées dans le vestibule, se dirigeant probablement aux écuries.
« Hmm… Ingrid, comment allez-vous ? » demanda Claude en interpellant la jeune femme. « Votre front plissé serait-il le signe de quelques tracas ? Si je peux vous aider à les résoudre… »
« Claude ? » fit Ingrid d’une voix à la fois surprise et méfiante. « Que faites-vous par ici ? En temps normal, je vous vois fureter partout sauf à l’endroit où vous êtes censé être. »
Outch, elle devait être de mauvaise humeur pour avoir balancé un tel coup bas dès le début ! Cela compromettait déjà ses chances de la convaincre mais il n’allait pas reculer à la première difficulté. En fait, cela aurait été tellement plus simple si Lúin avait été entre les mains d’Ashe et non entre celles d’Ingrid. Ce garçon était tellement gentil et serviable qu’il n’aurait pas fait trop de difficultés pour lui prêter la Relique. Mais bon, on ne choisissait pas toujours les personnes avec qui on préférerait avoir affaire.
« Je vous avoue que je vous cherchais car j’aimerais aborder un certain sujet avec vous. » reconnut le délégué des Cerfs d’Or. « Mais si vous être préoccupée par d’autres obligations, je peux reporter cette discussion à plus tard. »
« Non, non, ce n’est pas grand-chose. Une affaire qui peut attendre. » répondit la jeune femme en secouant la tête mais vu son expression, Claude doutait qu’elle disait la vérité. « Qu’est-ce qui vous amène donc ? »
« Eh bien… En tant que futur dirigeant de l’Alliance, on me demande de m’intéresser aux principales maisons nobles de l’Alliance. Gloucester, Goneril, Ordelia, Edmund… et bien qu’elle ait vu son influence diminuée, la maison Daphnel siégeait autrefois aux réunions de l’Alliance. »
« En effet. Il est d’ailleurs fort regrettable que Judith, la grande héroïne de Daphnel, n’ait pas la reconnaissance qu’elle mérite pour ses exploits. »
Judith serait ravie de savoir qu’elle avait une fan mais l’intérêt de l’archer était ailleurs actuellement.
« Je sais également que la maison Galatea est issue d’une scission avec la maison Daphnel. A propos d’une querelle d’héritage, à ce qu’il paraît. Vous voyez Ingrid, pour une fois, j’ai fait mes devoirs. » déclara Claude avec un sourire chaleureux.
« Cela est vrai mais où vous voulez en venir Claude ? » interrogea Ingrid en le dévisageant d’une voix soupçonneuse.
« Je suis certain que dans cette querelle d’héritage, on a dû débattre de la propriété de la Relique de Héros Lúin, appartenant autrefois à Daphnel, l’un des Dix Braves. J’avoue être fasciné par les exploits qui nous ont précédés. Seiros, les Quatre Saints, les Dix Braves… J’ai demandé à Judith de me montrer Lúin mais elle a reconnu que la Relique n’est plus en la possession de sa famille. J’en déduis donc que c’est la maison Galatea qui en a désormais la propriété. J’ai toujours voulu voir une Relique de plus près. Ce sont des objets empreints de légendes et de faits héroïques et ce serait un honneur si vous m’autorisez à regarder Lúin. »
Après ses paroles, Claude examina les réactions d’Ingrid. Vu l’idéal chevaleresque auquel elle aspirait, il savait que de tels arguments feraient mouche. Il espérait juste que ce serait suffisant pour décider l’héritière de la maison Galatea qui paraissait hésiter.
« Eh bien… je peux comprendre votre curiosité mais cette Relique est un précieux héritage familial que mon père m’a confié. Ce n’est pas une faveur anodine que vous me demandez. »
Pendant qu’elle réfléchissait, Ingrid avait une mine si sérieuse avec ses sourcils froncés. En la voyant ainsi, Claude ne put retenir sa langue.
« Allons, allons Ingrid, ne vous-ai déjà pas avertie que vous seriez beaucoup plus abordable si vous pouvez cesser de temps à autre votre austère froideur ? Vous êtes charmante et vous seriez tellement plus attrayante avec plus de chaleur. Je serai d’ailleurs étonné qu’une dame aussi ravissante que vous ne croule pas sous des propositions de mariage. »
Il savait qu’il aurait dû se taire et constata aussitôt les conséquences de son erreur quand les traits de visage de son interlocutrice se durcirent.
« Contrairement à certains dont on ne peut pas se reposer à cause de leur désinvolture permanente, j’ai toujours conscience du devoir que je dois accomplir pour l’honneur de la maison Galatea. » répliqua Ingrid avec ferveur. « Mes ancêtres ont quitté l’Alliance de Leicester et je suis fière d’affirmer mon amitié et ma loyauté à son Altesse ainsi qu’au Saint-Royaume de Faerghus. Par conséquent, je n’ai aucune obligation à me plier à la requête du petit-fils du duc Riegan. »
Elle commença à lui tourner les talons.
« Sur ce, veuillez m’excuser mais comme vous l’avez dit vous-même, j’ai d’autres obligations à résoudre rapidement. »
Puis elle quitta le vestibule. Plus tard, Claude apprendrait que le mariage était un sujet douloureux pour Ingrid, source de discorde entre son père et elle car la jeune femme avait l’impression que se marier mettrait fin à ses rêves et à ses espoirs d’être un chevalier. Et l’héritier de l’Alliance se maudirait de ne pas l’avoir su plus tôt car cela lui aurait tant facilité la tâche au lieu de la lui compliquer en évitant une faute aussi absurde.
Mais pour le moment, malgré le refus de l’héritière de la maison Galatea, il lui fallait trouver un accès à sa Relique. L’archer soupira : il allait devoir passer au plan B c’est-à-dire pénétrer clandestinement dans la chambre d’Ingrid pour mettre la main sur Lúin.
Dans les faits, ce fut un long travail de patience, d’observation et de recoupements d’information –tout en discrétion pour éviter que l’intéressée ne le remarque – mais une fois qu’il avait déterminé les activités habituelles d’Ingrid dans la journée, Claude n’eut aucun mal à crocheter la serrure de sa chambre en profitant d’une de ses absences. La jeune noble menait un quotidien ordonné et discipliné, donc prévisible et l’héritier des Riegan put choisir le meilleur moment pour examiner sa Relique. De plus, la chambre d’Ingrid étant la plus proche des escaliers, il pouvait entendre si un éventuel intrus approchait. Ce fut ensuite un jeu d’enfant de trouver sa Relique de Héros – l’arme était bien enveloppé et ficelé dans de la toile, dissimulée sous le lit – pour ensuite la scruter sous tous les angles avant de tranquillement repartir comme si de rien n’était – et apparemment, personne n’avait remarqué son escapade. Après avoir vu trois Reliques, il commençait à distinguer des points communs… qu’il lui faudrait toutefois vérifier avec la prochaine qu’il aurait entre ses mains.
Vu son échec cuisant avec Ingrid, ni Felix ni Sylvain ne seraient prêts à coopérer surtout si la jeune femme avait raconté leur discussion à ses deux amis d’enfance. Peut-être n’avait-t-elle rien dit non plus mais n’ayant pu obtenir l’aide de l’héritière des Galatea, mieux valait considérer le pire scénario, c’est-à-dire qu’Ingrid ait partagé leur entrevue et que l’épéiste et le coureur de jupons se tiendraient désormais sur leurs gardes avec refus de montrer leurs Reliques de Héros.
Au vu des deux options qui lui restaient, Claude se mit à réfléchir.
Il était très intéressé d’examiner l’Ecu Egide, la seule Relique défensive qu’il avait à sa portée mais avoir affaire à Felix Fraldarius s’il se faisait surprendre à fouiner dans sa chambre n’était pas une des perspectives les plus réjouissantes. L’archer ne put s’empêcher de déglutir avec difficulté si cela devait arriver : ni une ni deux l’épéiste le décapiterait sur-le-champ et avec son talent de bretteur, il avait largement les moyens pour. Quel cauchemar ! Il valait mieux remettre l’Ecu Egide à plus tard et envisager un choix plus abordable.
Claude décida donc de privilégier Sylvain, la Lance de Destruction… et ses chances de survie.
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Contrairement à Ingrid qui menait un quotidien régulier et méthodique au point qu’il était facile de prévoir son emploi du temps habituel, le charmeur notoire des Lions de Saphir avait un train de vie… très aléatoire. Il sautait les entraînements, descendait souvent en ville et ramenait parfois ses conquêtes dans sa chambre – du moins, quand il ne se faisait pas surprendre par Ingrid ou Dimitri – mais déterminer sa routine était plus difficile car le roux était plus imprévisible. Il fallut presque trois semaines à Claude pour déterminer un semblant d’habitudes chez le jeune Gautier. De plus pénétrer dans sa chambre nécessitait quelques précautions supplémentaires car celle-ci était la plus éloignée du corridor. S’il se faisait surprendre, personne ne croirait à une simple erreur.
Il sut bientôt que Dimitri avait convoqué tous les membres des Lions de Saphir pour une séance d’entraînement un après-midi pour préparer une compétition interclasse entre les trois maisons. Cette dernière avait été organisée comme un événement sportif par Hanneman, Manuela et Byleth avec plusieurs catégories d’épreuves afin d’évaluer le niveau de leurs élèves et leurs éventuels progrès. Claude comprit qu’il tenait enfin l’occasion qu’il cherchait pour pénétrer dans la chambre de Sylvain. Vu leurs sens de la compétitivité, tous les camarades du prince de Faerghus – même Felix qui ne cachait pas son ambition de remporter l’épreuve réservée aux bretteurs – seraient au centre d’entraînement pour s’exercer dans l’espoir de gagner contre les deux autres maisons. Ce qui signifiait que ce serait le bon moment d’observer de plus près la Relique de la maison Gautier.
Après s’être assuré que tous les Lions de Saphir avaient quitté le dortoir, Claude força la porte de la chambre de Sylvain. Un premier coup d’œil lui suffit pour constater que contrairement à Lorenz, le coureur de jupons n’avait pas mis sa Relique de Héros à un endroit immédiatement visible. La pièce était un peu plus désordonnée par rapport à celle d’Ingrid. Un set de thé – moins élaboré que celui de Lorenz mais suffisant pour inviter des filles à boire –, des livres mal rangés dont certains traitaient de magie – ce qui étonna le petit-fils du duc Riegan car à sa connaissance, Sylvain n’avait jamais montré un intérêt ou une aptitude pour la magie –, des bouquets de fleurs, plusieurs objets personnels… mais pas de Lance de Destruction. Il lui fallut cinq minutes pour vérifier les cachettes les plus évidentes pour une telle arme mais malgré ses efforts, Claude ne parvenait pas à mettre la main dessus.
Perdu dans ses pensées, il réfléchissait à l’endroit où pouvait se trouver la Relique quand soudain… la porte s’ouvrit pour laisser entrer Sylvain en personne !
L’héritier de la maison Gautier ne semblait nullement surpris par sa présence dans sa chambre. Il affichait même un sourire ouvertement moqueur en lui adressant la parole tout en croisant les mains derrière sa tête.
« Oh Claude, toujours à la recherche de son Altesse ? Elle ne se trouve pas en mon humble demeure comme vous le voyez. »
Pris en flagrant délit avec l’unique sortie bloquée par le coureur de jupons…Ce n’était pas du tout cela que l’archer avait prévu !
« Pourrai-je savoir la raison de votre venue ? » questionna Sylvain avec un air décontracté. « Ce n’est pas que je déteste les visites mais j’avoue que, quitte à ce qu’on pénètre dans ma chambre par effraction, j’aurais préféré qu’il s’agisse d’une ravissante demoiselle et non de vous, vous voyez ? »
Le coureur de jupons parlait d’une voix aimable mais derrière son sourire, Claude décela vite que ce même sourire n’atteignait pas ses yeux et qu’en réalité, il ne devait pas apprécier sa présence dans sa chambre. Sylvain n’était pas Felix – normalement, il ne devrait pas finir débité en tranches à coups d’épée – mais si le délégué des Cerfs d’Or ne fournissait pas prestement un prétexte satisfaisant, nul doute que ça allait mal finir pour lui.
« Avant que je vous réponde, puis-je savoir comment vous êtes revenu ? J’étais pourtant certain que Dimitri avait convié tous les Lions de Saphir à un entraînement. »
« Vous êtes bien informé. Effectivement, je me rendais à l’entraînement quand ma chemise a eu un accroc et s’est déchirée. » répondit l’héritier de la maison Gautier tout en montrant une manche en lambeaux. « J’ai demandé à Annette de prévenir son Altesse que je serai en retard, le temps de changer de vêtements. »
« Drôle de coïncidence ! » répliqua le petit-fils du duc Riegan. « Surtout que vous n’avez guère l’air surpris de me voir ici. »
« Drôle de coïncidence, en effet. Un bien malheureux hasard… enfin, pas si malheureux que ça comme cela m’a permis de surprendre un intrus dans ma chambre. »
Claude doutait que le hasard y était pour quelque chose pour la chemise déchirée. Il devina que Sylvain l’avait délibérément abîmée pour pouvoir le surprendre tout en trouvant un bon prétexte pour que le prince de Faerghus ne s’inquiète pas de son absence.
Toutefois, il n’avait pas très envie de révéler à Sylvain ses recherches sur les Reliques de Héros et son besoin de leurs puissances pour accomplir son ambition.
« Allons, allons, j’avoue tout. » dit l’archer en levant les mains en signe d’apaisement. « J’espérais glisser dans votre thé une concoction de ma fabrication. Elle aurait agi dans deux à trois jours, juste au moment de cette compétition interclasse en vous provoquant des maux de ventre. Avec vous en moins, cela aurait amélioré les chances de victoire des Cerfs d’Or et peut-être permis à Lorenz et à Leonie de gagner la course à cheval. »
« J’ignore si je dois me sentir flatté que vous m’ayez ciblé. Mais Dimitri et Ingrid sont tous aussi bons, voire de meilleurs cavaliers que moi. Et vous négligez les Aigles de Jais. Ils ont de bonnes chances avec Ferdinand. »
« Ferdinand est talentueux à cheval, je vous l’accorde. » répliqua Claude. « Mais contrairement à l’Empire d’Adrestia, le Saint-Royaume de Faerghus est réputé pour sa longue tradition de chevalerie. Les Lions de Saphir ont sans doute les meilleurs cavaliers parmi les trois maisons avec Dimitri, Ingrid et vous. Et je reconnais que je n’aime guère perdre. »
Sylvain l’observa en silence.
« Je ne l’avais pas pris au sérieux quand Dimitri me l’a dit mais il ne plaisantait pas quand il affirmait que vous êtes capable d’empoisonner vos adversaires juste avant une compétition pour l’emporter. » finit-il par dire.
Il marqua ensuite une pause. Claude crut bon en profiter pour filer d’ici.
« Bon puisque j’ai éclairci vos interrogations… et que mon plan a manifestement échoué, puis-je quitter votre chambre ? Comme vous savez tout, vous avez ma parole que je n’essaierai plus de vous empoisonner avant la compétition. »
« Et les autres Lions de Saphir seraient exclus de votre parole ? » répliqua le coureur de jupons en haussant un sourcil.
L’archer pesta intérieurement. Il aurait tellement voulu « tester » certaines de ses inventions sur les Lions – notamment un somnifère sur Ashe pour être certain de gagner l’épreuve d’archerie et un laxatif sur Dedue pour favoriser Raphael pour les concours de hache et de mêlée – mais maintenant que l’héritier de la maison Gautier était au courant, cette tactique était vouée à l’échec.
« J’ai compris, je ne chercherai donc pas non plus à empoisonner les autres Lions avant cette compétition. » répondit Claude en poussant un soupir. « Est-ce que cela vous convient ? »
« Eh bien… je crois que ça pourra aller pour cette fois. Je pense que je peux vous laisser sortir si vous répondez à une dernière question. »
« Laquelle ? »
« Quelle était la véritable raison de votre venue dans ma chambre ? »
Cette fois, Sylvain le regarda droit dans les yeux et il n’y avait nulle trace de sourire sur son visage. A cette soudaine question, Claude se sentit alarmé pendant quelques secondes avant de se forcer à reprendre contenance.
« Entre nous, vu votre personnalité, votre mensonge était tout à fait crédible. » poursuivit le roux d’une voix calme. « Mais conseil d’un menteur à un autre menteur : évitez de passer plus de cinq minutes dans ma chambre quand deux étaient largement suffisantes pour empoisonner mon thé. Je serai donc curieux de connaître la raison pour laquelle vous y avez passé tant de temps. Sinon, je suis sûr que Felix sera ravi de savoir pourquoi vous vous êtes adonné à la surveillance de tous les membres des Lions de Saphir mais plus particulièrement à celles d’Ingrid, lui et moi – à ce propos, je dois vous signaler que je n’ai pas apprécié que vous m’ayez suivi en ville quand j’ai fait la connaissance de cette ravissante fleuriste la semaine dernière. Et ce cher Lorenz sera heureux de savoir que je vous ai vu sortir de sa chambre juste avant que Ferdinand et lui ont eu cette curieuse crise d’urticaire. »
Mis devant les faits, l’héritier de l’Alliance ne put s’empêcher d’être surpris avant de grimacer. Il n’avait aucune envie de faire face à un Felix en fureur et si Lorenz apprenait qu’il avait traîné dans sa chambre, il allait vite comprendre qu’il avait été victime d’une de ses concoctions. Toutefois, Claude devait admettre qu’il avait sous-estimé Sylvain. Hilda lui avait pourtant dit un jour que l’héritier des Gautier pouvait se révéler un excellent observateur quand il le voulait mais jamais il n’aurait imaginé que ce dernier remarque son manège et témoigne d’une telle perspicacité. Dire qu’il croyait que le notoire coureur de jupons des Lions de Saphir ne l’avait pas aperçu en train de quitter la chambre de Lorenz ! Il comprit qu’un nouveau mensonge ne l’aiderait pas dans sa situation : Sylvain semblait suffisamment doué pour deviner s’il tentait de cacher la vérité.
« Ok, ok, cette fois, je vous dis vraiment tout. » capitula Claude en levant une nouvelle fois les mains. « C’est votre Relique de Héros que je cherchais. La Lance de Destruction. Il paraît que c’est grâce à elle que depuis deux cent ans, la maison Gautier a réussi à repousser les invasions des Srengs. J’avoue que j’étais curieux de voir de plus près un tel objet, voir si je pouvais la manier. »
Sylvain le contempla longuement comme s’il le jaugeait du regard.
« Je pense que vous dites la vérité cette fois. Mais laissez-moi vous dire que je trouve votre obsession des Reliques assez malsaine. » déclara-t-il. « Vous ignorez les souffrances qu’elles peuvent engendrer. »
En réalité, Claude avait une bonne idée de qui traversait l’esprit de Sylvain : il devait penser à son frère aîné Miklan et surtout aux circonstances qui l’avaient conduit à sa mort. Et la Lance de Destruction était impliquée dans ces événements.
« Sans compter qu’il faut l’Emblème de Gautier pour exploiter le pouvoir de la lance. Alors j’ai du mal à comprendre votre intérêt. Donnez-moi donc une bonne raison pour laquelle j’accepterai de satisfaire votre requête. »
Sylvain avait parlé d’une voix égale mais Claude avait réussi à percevoir une pointe d’amertume dans son ton. Ce n’était pas la première fois. Les yeux marron du roux semblaient toujours imperceptiblement se durcir dès qu’on parlait d’Emblèmes.
« C’est son potentiel qui m’intéresse. » admit Claude. « L’Epée du Créateur a le pouvoir d’ouvrir une montagne, dit-on. Je me demandais si la Lance de Destruction était capable d’une prouesse similaire. Ouvrir des frontières, des limites pour permettre de progresser, de découvrir de nouvelles perspectives afin de mettre fin à des pratiques obsolètes. »
L’héritier de la maison Gautier le scruta pendant une longue minute. Puis il se mit à rire, d’un rire sans joie.
« C’est donc ça vos idéaux Claude ? Découvrir de nouvelles perspectives ? » rétorqua-t-il avec sarcasme.
Pui il ajouta plus bas, comme pour lui-même.
« Peut-être que si j’avais entendu ça plus tôt, cela m’aurait plu d’y croire… »
L’archer garda le silence. Il sentit que Sylvain méditait ses pensées avant de prendre finalement sa décision.
« Très bien. Reculez de quelques pas. »
Le coureur de jupons souleva le tapis bleu, découvrant le plancher de sa chambre avant d’y glisser ses doigts et de soulever deux lattes de bois. Il plongea ensuite sa main dans le plancher pour y extirper, sous les yeux étonnés de Claude, la Relique de la maison Gautier : la Lance de Destruction.
« J’accepte de fermer les yeux sur votre intrusion si vous distrayez pendant une semaine son Altesse et Ingrid, histoire qu’ils ne mettent pas leur nez dans mes affaires. » dit-il en tendant son arme à l’héritier de l’Alliance.
« Pour éviter qu’ils vous surprennent avec vos conquêtes ? Cela peut se faire. Marché conclu. Je vous promets de vous la rendre au plus vite. »
« Par ailleurs, je peux me montrer conciliant mais si vous cherchez à vous approcher d’autres Reliques de Héros, vous devez trouver un accord avec Ingrid et Felix. » observa Sylvain tout en croisant les mains derrière sa tête d’un air désinvolte. « Et je doute qu’ils soient aussi coopératifs que moi. Surtout Felix. »
Ce n’était pas faux. Felix Fraldarius était réputé pour son caractère asocial et était difficile à approcher, même pour les membres de sa maison. Et parmi eux, seuls ses amis d’enfance Ingrid et Sylvain pouvaient l’aborder avec une certaine aisance – dans une moindre mesure, Dimitri également, mais il semblait que quelque chose avait mis à mal leur amitié vu que l’épéiste traitait son prince de « phacochère » avec un certain mépris.
« Et si vous pensez vous introduire chez lui comme vous l’avez fait avec moi, vous allez vous heurter à un problème. » avertit Sylvain. « Felix garde l’Ecu Egide pour l’entraînement comme il veut être capable de supporter son poids tout en maniant l’épée. »
… C’était une très mauvaise nouvelle. Claude avait escompté profiter d’un des entraînements matinaux de l’héritier de la maison Fraldarius pour examiner sa Relique. Mais s’il l’emmenait avec lui pour ses entraînements, comment allait-il faire ?
Voilà qui était fâcheux…
« Et à ma place, vous qui le connaissez mieux que moi, qu’auriez-vous fait Sylvain ? » interrogea le petit-fils du duc Riegan.
Le roux réfléchit un instant.
« Eh bien… Vous pouvez le défier en duel. Il déteste perdre mais il respecte toujours les gens talentueux et la loi du vainqueur. Si vous gagnez contre lui à l’épée, il ne fera pas trop de difficulté d’accéder à vos requêtes. Je vous conseille par contre d’être assez imaginatif si vous prévoyez l’une de vos manigances habituelles car depuis que Leonie l’a piégé dans un trou, Felix fait plutôt attention aux éventuels coups bas. »
Ce propos n’était pas fait pour rassurer l’héritier de l’Alliance. Certes, il se débrouillait à l’épée mais de là à battre Felix… Ce dernier avait consacré sa vie entière au maniement de cette arme et à part peut-être Petra, personne n’était en mesure de le battre – Claude cherchait d’ailleurs toujours un candidat à envoyer dans la catégorie des épéistes et le seul qui lui semblait un tant soit peu satisfaisant était Ignatz dont le manque d’expérience par rapport à des combattants comme Felix ou Petra risquait de lui porter préjudice.
« Faudrait vous y prendre à un moment où il baissera la garde ou quand il n’aura pas de besoin de la Relique. Enfin, c’est tout ce que je pourrai vous dire. » conclut Sylvain en haussant les épaules. « Felix est mon ami. Le reste, c’est de votre ressort. »
L’archer médita ces paroles. A part aux bains ou pendant son sommeil, Felix baissait très rarement sa garde. La chambre de l’épéiste étant juste à côté de la sienne, il aurait pu se faufiler en douce pendant qu’il dormait mais pour s’assurer qu’il ne se réveillerait pas, il lui faudrait…
Claude réprima un sourire. Finalement, le somnifère qu’il avait initialement prévu pour Ashe allait servir…
-§-
Honnêtement, cela ne lui avait pas plu de perdre la compétition. Certes, en plus de la course en wyvern, il avait remporté haut la main l’épreuve d’archerie en battant Bernadetta et Ashe tandis que Lysithea avait survolé la compétition de magie noire – au grand dam des mages de l’Empire d’Adrestia dont c’était pourtant la spécialité – mais il n’avait ni épéiste confirmé, ni cavalière pégase expérimentée – difficile en même temps de rivaliser avec Felix et son talent de bretteur ou Ingrid dont la maison était réputée pour ses cavalières pégases. Et au final, même si ce fut d’un cheveu, les Lions de Saphir remportèrent le plus d’épreuves. Ils furent donc déclarés vainqueurs de la compétition.
Bon, c’était une défaite pour les Cerfs d’Or… mais si cela lui permettait d’atteindre son objectif… Oh, il avait bien promis à Sylvain de ne pas empoisonner les Lions de Saphir avant la compétition mais pas après… Et ce fut un jeu d’enfant de profiter de leur euphorie pour glisser un somnifère dans leur boisson avant qu’ils ne trinquèrent à leur victoire. Cela permit à Claude de profiter de la nuit pour se glisser dans la chambre d’un Felix bien endormi pour examiner l’Ecu Egide, la Relique de la maison Fraldarius. Toutefois, sachant que les Lions de Saphir allaient découvrir et se demander pourquoi ils avaient été drogués, l’archer était obligé de passer par une chambre supplémentaire pour détourner l’attention de son vrai but.
Le lendemain…
« CLAUDE !!! VENEZ ICI QUE JE VOUS ATTRAPE !!! »
Ce matin-là, la maison des Lions de Saphir fut surprise de découvrir le visage de leur délégué barbouillé d’encre noir, cherchant visiblement à étriper un certain archer qui avait bien sûr prudemment pris la poudre d’escampette…
The Curse of Twilight - Chapitre 6
Mar. 5th, 2018 11:47 pmNote : Je crois qu’on l’attendait depuis un moment… Voilà enfin le chapitre 6 de The Curse of Twilight.
Chapitre 6 : Apprentissage
Pendant que Yuri s’isolait pour la nuit et pour son imminente transformation de loup, Judith tint parole et emmena Estelle et Rita à une chambre.
« Cela ne vous dérange pas de partager une chambre pour cette nuit ? » demanda-t-elle. « On s’arrangera plus tard pour que vous ayez chacune la vôtre si vous préférez mais pour le moment, c’est la seule qui peut vous accueillir. Je reviens pour chercher des vêtements pour Estelle. »
La Krytienne quitta alors la pièce, laissant les deux filles l’examiner de plus près. Ce n’était pas une très grande chambre mais il y avait l’essentiel malgré l’absence de lumière naturelle dans ces lieux troglodytes : une petite alcôve creusée dans la pierre dont Rita vit aussitôt l’utilité en y rangeant ou plutôt en y balançant son sac, deux matelas de paille, deux oreillers blancs en plumes, des couvertures en laine de bonne qualité, un broc d’eau et des gobelets en terre cuite, des petits placards en bois taillés probablement par les rebelles de Brave Vesperia pour des rangements – il y avait même des miroirs de poche accrochés à l’intérieur des portes –, deux tabourets verts un peu défraîchis dont l’un était visiblement bancal, une lanterne à huile pour éclairer la pièce et quelques bougies. C’était acceptable.
Pendant que Rita fouillait dans son sac, visiblement à la recherche de certaines de ses affaires, Estelle s’était posée près d’un lit. Après plusieurs jours, elle s’était petit à petit habituée à être dans un autre monde si différent du sien. Elle pensait à son père décédé, à sa mère, sa vie d’étudiante, son boulot à la librairie et elle en était inquiète. Heureusement, Rita était là pour lui rappeler qu’il lui fallait se préoccuper d’elle d’abord. Les deux jeunes filles avaient commencé à tisser des liens pendant leur voyage dans la forêt de Verdel, surtout durant la nuit quand Yuri était coincé par sa malédiction. Rita avait commencé à lui raconter en vrac des histoires d’Akadia, sur la société ou certaines coutumes et en échange, elle lui avait décrit son monde. Cependant, de son propre aveu l’ancienne mage n’était guère sociable donc elle avait admis que ses connaissances utiles pour la vie au quotidien à Akadia étaient très décousues. Ses récits fascinaient néanmoins l’habitante de l’autre monde qui la questionnait souvent sur plusieurs sujets. Se remémorant Yuri et l’aptitude au mana qu’elle était censé posséder, elle demanda tout en examinant le bracelet qu’elle portait à son poignet :
« Dis-moi Rita, tu m’as expliqué que le mana était la source d’énergie d’Akadia et qu’elle permettait de nombreuses utilisations mais j’avoue que je n’en ai pas vu grand-chose. »
« Bien sûr que si ! » répliqua l’ancienne mage de l’Ordre. « Tu m’as vu jeter des sorts sur les monstres de la forêt non ? C’est mon aptitude à manipuler le mana qui me le permet. J’avais aussi chez moi divers instruments qui fonctionnaient grâce au mana mais je n’ai guère eu l’occasion de te les montrer. Par contre, je reconnais que c’est rudimentaire ici. Pas de lampes à mana… »
« C’est parce que la chambre que vous occupez est en cours d’aménagement. » répondit Judith qui venait d’entrer avec une pile de vêtements pour Estelle. « Ne vous inquiétez pas, il y aura le meilleur confort possible dans vos futures chambres. Et il y aura des lampes à mana. » ajouta-t-elle en se tournant vers Rita. « Néanmoins, comme les cristaux de mana sont assez onéreux, on essaie de les économiser au maximum. »
Judith déposa ensuite les habits qu’elle avait apportés sur le lit d’Estelle.
« Tiens. Avec ça, on ne se doutera pas que tu viens de l’autre côté du Portail. Tu pourras piocher dedans selon tes goûts. »
La jeune fille aux cheveux roses remercia son hôtesse pour sa gentillesse puis se tourna à nouveau vers Rita.
« Alors le mana peut servir à de nombreuses utilisations ? »
« Oui, s’éclairer, se chauffer entre autres. » répondit la mage. « Il y a d’autres utilisations plus complexes mais le plus important est la manipulation du mana. Chez nous, certains humains ont des prédispositions pour la manipulation. J’en fais partie. Mais les Krytiens comme Judith, eux, sont capables de sentir naturellement le mana et le manipulent avec plus de facilités que nous. »
Estelle se tourna vers Judith qui lui confirma les dires de Rita d’un hochement de tête.
« Tu es donc capable de magie comme Rita ? » interrogea-t-elle.
« Pas tout à fait. Les Krytiens ont plus de facilités que les humains mais cela ne veut pas dire que nous sommes tous des mages comme Rita. Raven sait manipuler le mana par exemple mais ce n’est pas quelqu’un que je qualifierai de mage. »
« Après, parmi les manipulateurs de mana, il y a les affinités élémentaires. Elle détermine la facilité à utiliser un élément : eau, feu, vent, etc… » expliqua la jeune mage aux cheveux châtain.
« Si je crois ce qu’a raconté Yuri, je gage que tu as une affinité élémentaire avec le feu. » dit Judith en esquissant un sourire malicieux.
« Pas qu’avec le feu même si je reconnais que j’ai une prédilection. » répliqua Rita d’un ton légèrement hautain. « Je suis une mage avec une affinité multi-élémentaire. Feu, eau, vent, terre et ténèbres. »
Cette fois, la Krytienne ne cacha pas sa surprise.
« Une mage multi-élémentaire avec autant d’affinités ? Et si jeune ? Je ne m’étonne plus que tu sois autrefois un mage de haut rang. »
Rita haussa les épaules d’un air indifférent.
« C’est pour ça que j’ai dit à l’idiot qui se change en loup que je pouvais enseigner à Estelle les bases du mana. De toute façon, si vous voulez accomplir la Prophétie, elle aura forcément besoin d’apprendre. A moins que vous avez quelqu’un d’autre sous la main. »
Judith secoua la tête.
« Eh bien… Il y a bien Raven qui pourrait lui apprendre les bases mais soyons honnêtes : vu sa… faiblesse, je doute qu’Estelle apprenne quoi que ce soit à ses côtés. Et je ne pense pas que Yuri, toi ou même moi soyons d’accord pour lui confier Estelle. »
« Sur ce point, on est d’accord. » grogna Rita. « Ce vieux ne m’a pas l’air d’être un enseignant très fiable. »
« Le mana n’est pas vraiment mon domaine d’expertise et Flynn est actuellement prisonnier de l’Ordre. En résumé, effectivement, pour le moment, nous n’avons que toi Rita. » conclut la rebelle krytienne.
Rita poussa un soupir, passant une main quelque peu exaspérée sur ses cheveux.
« Je suppose que je vous dois bien ça pour le logement, en plus de vous aider à sauver le crétin blond aux yeux bleus. Bon, on peut commencer ce soir si tu n’es pas trop fatiguée. Première étape : apprendre à canaliser le mana. »
Estelle hocha timidement la tête et s’efforça d’écouter les explications de la mage sous le regard attentif de Judith. Au moins, cela lui permettrait de se focaliser sur autre chose.
--§--
Trouver un endroit où escalader les murs avait été une tâche ardue mais une fois qu’il avait trouvé ce petit coin troué qu’on avait pourtant habilement recouvert de lierre pour camoufler les défauts, cela lui avait été très facile de s’introduire dans le domaine de l’Ordre, même s’il n’était qu’un enfant de sept ans. Se faire repérer par les soldats de l’Ordre ne faisait par contre pas parti de ses plans et il aurait préféré s’en passer. A présent, tous les hommes étaient à sa poursuite en train de hurler après lui.
« Au voleur ! »
« On a un intrus ! »
« Où est ce petit fouineur ? »
Fouineur, voleur étaient peut-être de grands mots… Un de ses amis avait contracté une forte fièvre avec de violentes quintes de toux. Le médecin, venu en urgence, avait prescrit un premier remède à base de plante mais il avait été inefficace. Un deuxième remède avait été préconisé mais il y avait un problème : il fallait de l’angélique et de la myrrhe. Or avec l’épidémie actuelle de toux, les prix de l’angélique avaient flambé et la myrrhe était déjà une rareté en temps normal. Il était donc inutile de dire que le coût du remède était hors de la portée de la bourse des parents de son camarade. Ce fut la raison pour laquelle Yuri avait décidé de prendre les choses en main.
C’était surtout la myrrhe qui était l’ingrédient le plus difficile à obtenir. L’angélique, il pouvait en trouver chez n’importe quel apothicaire mais ce n’était le cas de la myrrhe. Le seul lieu où il pensait en trouver, c’était dans les armoires médicinales de l’Ordre. Dans sa tête, l’organisation était si puissante qu’elle ne s’apercevrait pas de son petit « emprunt » qui était pour la bonne cause. Il n’avait besoin que d’un peu de myrrhe et d’angélique. Ce n’était pas grand-chose…
Lorsque les disciples et les acolytes s’étaient mis à sa recherche, il s’était dissimulé dans les jardins derrière un épais buisson de buis en attendant que la tempête passe. Puis il avait repéré les serres avec ses larges baies vitrées et s’y était discrètement glissé, pensant que personne ne le trouverait.
Yuri fut néanmoins stupéfait en y pénétrant, découvrant une flore qui lui était inconnu jusqu’à présent : des fleurs aux formes curieuses et aux couleurs variées, des plantes aux feuilles coriaces ou pointues, grimpantes ou flottantes sur un plan d’eau, des fruits ou des baies aux arômes agréables ou surprenants. Pendant plusieurs minutes, il marchait d’un air émerveillé, à pas lents comme s’il craignait de piétiner un végétal par mégarde, admirant la couleur violette et brillante d’un fruit ou la forme allongée d’une fleur. Il les touchait du bout des doigts pour s’assurer que c’était réel, oubliant presque la raison pour laquelle il était là. Et avec le silence environnant, il avait l’impression d’être seul au monde.
Du moins… jusqu’à ce qu’en soulevant un rideau de feuilles grimpantes, il eut la surprise de se retrouver nez-à-nez avec quelqu’un : un garçon de son âge aux courts cheveux blonds et dont les yeux azur le fixaient avec un air abasourdi tout en le pointant du doigt.
« Mais t’es qui toi ? »
Il portait une tenue simple mais propre. Une veste blanche agrémentée d’un fin motif bleu sur les bordures, un pantalon de toile beige et des souliers un peu usés mais encore solides. Aux yeux de Yuri, ce garçon lui semblait d’une telle élégance qu’il en perdit ses mots.
« Euh… Je… »
« Attends ! » l’interrompit le blond. « Ne me dis pas que tu es le voleur que tous les adultes recherchent ? »
« Voleur, c’est aller un peu vite en besogne ! Je n’ai rien volé ! » riposta le brun avec véhémence.
« Ah oui ? Alors qui es-tu et qu’est-ce que tu fais ici ? » interrogea le garçon aux yeux azur avec une évidente méfiance.
« Je m’appelle Yuri Lowell. » répliqua l’intrus en prenant soin d’éviter de répondre à la seconde question. « Et c’est quoi ton nom à toi ? » demanda-t-il en essayant de changer de noyer le poisson.
Cependant, son interlocuteur ne fut pas dupe de la manœuvre.
« Flynn Scifo. » dit-il en plissant les yeux. « Mais n’essaie pas de détourner la conversation Yuri Lowell ! »
Il était plutôt perspicace pour s’être rendu compte de la manœuvre. Cela, Yuri devait le reconnaître.
« Que fais-tu ici ? » répéta Flynn en fronçant les sourcils.
« Je… Je cherchais de la myrrhe et de l’angélique et on m’a dit qu’on pouvait en trouver ici. » répondit le brun en prenant son courage à deux mains.
« En d’autres termes, tu cherchais à t’infiltrer dans les réserves de l’Ordre pour dérober cela. » devina son interlocuteur d’une voix désapprobatrice en croisant les bras.
« Un de mes amis est malade. Il a une forte fièvre et tousse énormément. J’ai besoin de ces ingrédients. Pas ma faute si le prix de l’angélique a explosé avec l’épidémie et que la myrrhe soit hors de la portée de ma bourse ! »
En entendant cela, les yeux azur de Flynn devinrent graves, sérieux. Yuri crut distinguer une lueur de compréhension dans son regard mais c’était difficile à dire. Il ne connaissait pas ce garçon. Ce dernier voulut prendre la parole mais il fut soudain brutalement interrompu par un éclat de voix en colère :
« Hé, il y a quelqu’un ici ? »
« Oh non ! » paniqua Yuri. « Ils ont fini par me retrou… »
Une main se plaqua contre sa bouche et Flynn lui intima le silence tout en lui faisant signe de le suivre. Ils se déplacèrent jusqu’à un buisson bien touffu dans un coin sombre où Yuri comprit rapidement ce qu’on attendait de lui : il devait s’y cacher.
« Vite ! » pressa le blond.
« Que se passe-t-il ici ? »
Il ne lui fallut que cinq secondes pour se faufiler à l’intérieur du buisson. Les branches étaient plutôt épineuses et lui écorchaient la peau mais avec l’arrivée des adultes qui déboulaient dans la serre, il avait plutôt intérêt à se taire. Flynn vérifia qu’il était bien caché avant de s’agenouiller près d’un autre arbuste, faisant mine de l’observer. Ce fut juste à temps. Un prêtre, des acolytes et des gardes de l’Ordre venaient d’arriver.
« Toi là ! Que fais-tu ici ? »
« Attendez, il porte la tenue des novices. Bonjour mon garçon, que fais-tu ici ? »
« On a commencé à apprendre à reconnaître des plantes lors de nos derniers cours alors je voulais les voir en vrai à la serre et pas à partir d’images d’un livre. J’ai demandé la permission à l’un des jardiniers et il me l’a donné. » répondit Flynn d’une voix calme.
« C’est une démarche des plus honorables. Sinon, dis-moi, n’aurais-tu pas aperçu un jeune voleur ? »
« Un voleur ? Non, je n’ai pas vu de voleur. » dit Flynn d’une manière très naturelle.
« Oh ? Bon, il a dû se réfugier ailleurs. Allons le chercher. Désolé de t’avoir dérangé mon garçon. »
Les intrus partirent aussitôt mais Yuri ne quitta sa cachette que quand il fut certain que le bruit de leurs pas fut bien estompé. Flynn l’aida à s’extirper du buisson.
« Merci. »
« C’était rien. »
« Alors tu as menti pour me couvrir ? » taquina Yuri avec des yeux brillant d’une lueur narquoise.
Son interlocuteur haussa les épaules.
« Bien sûr que non. J’ai dit que je n’avais pas vu de voleur et pour le moment, tu n’as rien volé alors j’ai dit la vérité. »
« Oui mais je n’ai pas l’intention de repartir sans ce que je veux ! » répliqua Yuri « Alors tu ne m’empêcheras pas d’aller aux réserves de l’Ordre pour que je puisse… »
Flynn l’interrompit en poussant un soupir.
« Tu n’as pas besoin de voler. Attends-moi là. Ne bouge surtout pas. Je reviens dans une dizaine de minutes. »
Avant que le garçon aux cheveux bruns puisse émettre une protestation, Flynn s’était dirigé vers une sortie de la serre et avait disparu. Il n’osa pas le suivre sous peine de se retrouver nez-à-nez avec ses poursuivants. Il ne savait que penser de cette situation. Qu’allait bien pouvoir faire Flynn ? Et surtout, allait-il revenir ? C’était étrange : il venait à peine de le rencontrer et malgré sa personnalité très différente de la sienne – Yuri l’aurait qualifié de coincé –, instinctivement, il avait l’impression qu’il pouvait se fier à lui.
Son intuition ne l’avait pas trompé. Au bout d’un quart d’heure, Flynn revint avec une grande enveloppe dans ses mains.
« Tiens, voilà c’est pour toi. Je te le donne. Comme ça, tu n’as pas besoin d’être un voleur. » dit le blond en lui remettant l’enveloppe.
« Mais c’est… » s’exclama Yuri d’une voix surprise.
« Ce que tu es venu chercher : de l’angélique et de la myrrhe. »
Il s’accroupit par terre et commença à ouvrir l’enveloppe pour prouver ses dires. Effectivement, Yuri pouvait constater qu’il y avait de l’angélique séchée et un minuscule petit sac de toile noué avec des lanières en cuir qui devait contenir la myrrhe.
« Elle a peut-être perdu un peu de ses vertus comme elle est séchée. » admit Flynn en observant son échantillon d’angélique. « Mais pour ton ami, cela devrait faire l’affaire pour le guérir. Le sac contient de la myrrhe. »
« Mais comment as-tu pu obtenir cela ? » s’étonna le jeune intrus.
« Le Maître Apothicaire de l’Ordre tente d’apprendre aux novices comment confectionner des remèdes. » répondit Flynn avec un sourire. « Je dois être l’un des rares à m’intéresser à son cours. Les autres trouvent cela ennuyant. Ils préfèrent jouer à la balle ou à cache-cache. Mais comme je m’intéresse à son cours, il m’apprécie plutôt bien. Je suis venu le voir et je lui ai juste dit que j’avais besoin d’angélique et de myrrhe pour confectionner un remède. Il a ri et m’a donné les ingrédients en disant que j’étais trop sérieux et que ce n’était pas la peine de s’entraîner en dehors de ses cours. »
« Tu as l’air d’avoir bonne réputation avec les adultes de l’Ordre. » dit Yuri.
Et c’était certainement en jouant de cette réputation qu’il avait réussi à obtenir l’angélique et la myrrhe, songeait le brun.
Cependant, Flynn haussa des épaules.
« Au moins, cela t’empêchera de voler. »
« Encore une fois, merci. »
Yuri allait repartir de là où il était venu mais soudain, il fit volte-face et demanda avec espoir :
« Dis, tu crois qu’on pourra se revoir ? »
--§--
Sentant qu’on lui mordillait le poignet, Yuri ne fut pas surpris de voir Repede près de lui, s’efforçant de le tirer de son sommeil. Le réveil fut un peu difficile mais il se remémora rapidement que Flynn était prisonnier et que ses complices de Brave Vesperia avaient commencé à élaborer un plan en vue de le sauver. Celui lui remit vite les idées en place.
Il était dans la pièce qui lui servait de chambre dans la cachette troglodyte de l’organisation rebelle. Elle avait l’avantage d’être la plus éloignée des autres salles ce qui empêchait d’entendre les grognements ou les hurlements du loup qu’il devenait. Et puis pour la séparer du couloir qui menait vers les autres pièces, Karol avait réussi à construire et à installer une porte en bois massif, ce qui représentait un véritable tour de force de la part du jeune garçon.
Il jeta un coup d’œil autour de lui. Tables et chaises renversées, un matelas et un oreiller en plumes éventrés, livres ou ouvrages abîmés ou déchirés, des cierges et l’autel de Zehaal en morceaux. Flynn allait le tuer : la plupart des objets détruits étaient à lui. Ils partageaient cette chambre ensemble.
Avant sa malédiction, Yuri avait le réveil difficile. Il avait tendance à se prélasser longtemps dans son lit avant de se lever. Toutefois, avec la malédiction, il savait que chaque précieuse minute lui était comptée avant de se rechanger en loup. Le temps filait toujours trop vite. Et la nuit arrivait toujours trop tôt à son goût.
Il se leva donc en vitesse pour essayer de trouver de quoi manger, espérant croiser en chemin Karol, Judith ou Raven, Repede sur ses talons.
--§--
« Bon alors, c’est quoi le plan pour sauver Flynn ? » interrogea Yuri en prenant place autour de la table de la salle de réunion.
Près de lui, Karol avait une mine sérieuse, Judith était sereine et Raven quelque peu mélancolique. D’un commun accord, ils avaient décidé de laisser Rita et Estelle tranquilles pour le moment. Estelle devait encore se remettre de ses émotions et du décès de son père et ils ne voulaient pas montrer qu’ils accordaient un traitement de faveur à Rita en l’autorisant à venir à cette réunion alors que les autres membres, plus anciens, de Brave Vesperia en étaient exclus. Et puis il fallait rester discret sur son passé en tant que mage de l’Ordre…
« Tu attaques déjà le vif du sujet Yuri. » commenta la Krytienne en réprimant un sourire.
« Je n’ai pas l’intention de laisser Flynn à Alexei. » répliqua le rebelle aux longs cheveux bruns. « Que faisons-nous ? On démolit le quartier général de l’Ordre ? »
« Gamin, tu sais tout comme moi que cette suggestion est impossible. » dit Raven. « Essaie de ne pas perdre la tête à cause du Hiérophante et de Flynn. Je sais que tu supportes très mal cette situation. Mais ce n’est pas en te comportant de façon impulsive que tu sauveras Flynn. »
« Alexei et Garista doivent se rendre à Noridhim pour le festival du Mystère. Il dure une semaine mais on a appris que pendant l’un de ces jours, ils vont assister à un spectacle public puis ils sont invités l’après-midi au palais du haut magistrat Ragou. Celui-ci organise un second spectacle, plus privé, en compagnie des plus importants notables de sa ville. » expliqua Karol.
« J’ai eu beaucoup de mal et j’ai dû tirer certaines ficelles et faire jouer quelques relations mais j’ai réussi à nous faire faire inviter à ce spectacle privé. » révéla le plus âge du groupe. « Ragou a engagé plusieurs artistes pour assurer le divertissement à ses invités. »
« Et nous pouvons te dire avec une immense fierté que la troupe des Dark Wings se produira à Noridhim devant le Hiérophante. » dit Judith.
Yuri fronça les sourcils, l’air un peu dubitatif.
« Attends, tu veux dire qu’on va devoir se faire passer pour des artistes ? Judy, je ne connais pas un tour qui ferait de moi un artiste convainquant ! Sans compter que je risque de me faire reconnaître ! Alexei, je ne suis pas sûr mais je suis certain que Garista, lui, ne me ratera pas ! Et puis d’ailleurs, pourquoi doit-on aller à Noridhim ? Flynn n’est-il pas gardé au quartier général de l’Ordre ? »
« Eh bien… suite à quelques incidents, il semblerait qu’Alexei ne veuille pas se séparer de lui. » déclara Raven.
« Donc il l’emmène à Noridhim ? » questionna Yuri. « Ce n’est pas bon. Cela sent le traquenard. Il nous tend un piège. »
« C’est vrai. On se doute que c’est un piège Yuri mais d’un autre côté, nous n’avons pas le choix. C’est sans doute la seule occasion qu’on aura de sauver Flynn. » dit Karol.
Le brun poussa un soupir.
« Je suppose qu’effectivement, nous n’avons pas le choix. Et comment on fait pour se faire passer pour des artistes ? » demanda-t-il.
« Karol n’est pas un mauvais jongleur et je connais quelques tours de passe-passe qui pourront faire l’affaire. » dit Judith. « Après… je pense que nous ne pourrons compter que sur nous-même pour délivrer Flynn. Je pense que personne ne sera volontaire pour se produire sous le nez du Hiérophante avec un énorme risque de se faire capturer ou tuer. A moins, bien sûr, que Rita et Estelle nous aident… »
« Il faudra leur en parler mais au vu de son passif, j’ai peur que Rita puisse se faire identifier par Garista. » annonça Yuri.
« On a encore pas mal de détails à mettre au point et on n’était même pas sûr de que tu reviendrais avant. » admit Karol. « Maintenant que tu es là avec Estelle et Rita, il faudra sans doute faire quelques arrangements. »
« On part quand pour Noridhim ? »
« Dans deux jours. On doit préparer les chevaux, la nourriture, tout pour la réussite de la mission. Et il nous en faudra trois pour atteindre la ville. »
« Cela nous laisse donc un peu de temps pour mettre ce plan au point. » grogna Yuri. « Il présente trop de failles à mon goût et l’échec nous est interdit. Je n’abandonnerai pas Flynn à l’Ordre. »
« Yuri, on fera tout pour sauver Flynn. »
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« Canaliser son mana est toujours dur la première fois mais une fois qu’on sait le faire, tout devient plus facile. C’est comme apprendre à marcher, cela ne s’oublie pas. » expliqua Rita.
Quelques instants plus tôt, Judith avait apporté à Estelle et Rita dans leur chambre un plateau avec du pain, du beurre, du lait crémeux et de la confiture d’abricot pour qu’elles puissent prendre un petit déjeuner. Elle leur avait conseillé ensuite de se promener un peu dans les souterrains qui servaient de cachette à Brave Vesperia pour se dégourdir les jambes mais l’ancienne mage de l’Ordre semblait plus intéressée par la lecture de certains grimoires qu’elle avait amenés et par l’apprentissage d’Estelle. Tout en farfouillant dans ses notes et dans ses parchemins, la jeune fille aux cheveux châtain vérifiait les progrès de son élève auquel elle lui avait assigné un exercice de base. De sa sacoche, elle avait sorti un petit morceau de papier de forme carrée où une rune évoquant plus ou moins un losange était dessinée avec une encre d’un bleu brillant. Lorsqu’elle l’avait touché, Estelle avait été surprise par la finesse du papier qui lui semblait bien fragile. Cela lui évoquait le papier de soie.
Elle était actuellement assise en tailleur, le papier carré posé en face d’elle. Ses deux mains aux fins doigts entouraient le morceau de feuille, l’une en face de l’autre.
« Tout est histoire de concentration et de volonté. Essaie de ne pas te crisper. » conseilla Rita.
« Je… Je me demande si je vais y arriver. Je n’y arrive pas. » murmura Estelle.
« C’est normal. La majorité commence à avoir un résultat au bout d’une journée. Tu n’as commencé que depuis hier soir et pourtant, tu as commencé à obtenir un résultat. »
« Pourquoi je n’arrive pas à le refaire ? » demanda Estelle d’une voix dépitée.
« C’est dur les premières fois. Ne t’inquiète pas, je pense que tu vas très rapidement reproduire le résultat de la veille. »
Comme Rita le lui avait expliqué, le papier carré et la rune réagissaient en présence de mana. Le premier était du papier-test mana et était conçu à partir de restes de cristaux de mana broyés et la seconde était une rune spécifique – la jeune fille aux cheveux roses était obligée de croire sa guide sur parole car elle n’y connaissait rien. C’était un test qu’on faisait subir à toute personne susceptible de pouvoir utiliser la magie. Elle permettait de savoir si le candidat était capable de canaliser et d’extérioriser le mana. La veille, Estelle avait provoqué une réaction en changeant la couleur de l’encre qui avait pendant une seconde viré au bleu clair. Cependant, depuis aujourd’hui, cela faisait un quart d’heure qu’elle répétait le même exercice et elle ne parvenait pas au précédent résultat.
Pourtant, Rita avait vu juste. Au bout d’une dizaine de minutes supplémentaires, le papier-test mana se mit à frémir puis s’envola comme si une brise légère s’était levée. Après avoir voleté pendant trois secondes, il s’embrasa brutalement avant d’être réduit en cendres sous le regard stupéfait d’Estelle.
Rita qui consultait un passage de l’un de ses grimoires tout en la surveillant du coin de l’œil ne put s’empêcher de trahir sa surprise en fermant brutalement son livre d’un coup sec et en se relevant à demi.
« Bon sang, quelle réaction ! » s’exclama-t-elle. « Je n’ai jamais rien vu de semblable ! »
« Euh… à ce point ? » questionna Estelle.
« Oui, c’est la preuve d’un grand potentiel. La plupart ne se contentent que de faire bouger le papier ou de faire changer l’encre de couleur. Plus rare sont ceux qui réussissent à brûler le papier mais toi, tu l’as carrément fait s’envoler et tu l’as réduit en cendres en une fraction de secondes ! »
Rita dévisagea de ses yeux verts son élève avant de froncer les sourcils.
« Hum… Je me demande si… Enfin, ce n’est qu’une théorie mais… Non, il vaut mieux vérifier avant de trop m’avancer… Ce n’est qu’une légende après tout… » marmonna-t-elle pour elle-même.
« De quoi tu parles, Rita ? » interrogea Estelle.
« De la légende des enfants de Pleine Lune. Parmi leurs principales caractéristiques, il y a leur grand potentiel dans la manipulation du mana et leurs cheveux roses. »
Estelle écarquilla les yeux avec une mine totalement étonnée.
« Tu penses que je suis une enfant de Pleine Lune ? » demanda-t-elle.
« Je ne suis pas sûre… » avoua la mage. « Ce n’était qu’une légende pour moi alors j’ignore si c’est vrai ou non. »
Elle s’empara alors de sa sacoche, fouilla une des poches avant d’en tirer une bourse en cuir aux cordons usés. Arrachant le nœud avec ses dents, elle l’ouvrit pour en tirer une étrange pierre d’un bleu sombre, presque noir. Pour Estelle, cela évoquait du saphir qu’on avait commencé à tailler et à polir mais dont le travail avait été laissé inachevé. Puis Rita tira de nouveaux papiers-tests mana.
« Essaie de nouveau de canaliser ton mana. Une fois que tu sauras le refaire plusieurs fois, on passe à l’étape suivante : contrôler le mana pour mieux le manipuler. Pour ce faire, il faudra savoir faire changer cette pierre caméléon de couleur. »
« Et on fait comment ? »
« Fais exactement la même chose que quand tu canalises le mana mais cette fois, il te faudra doser ton effort. Cette pierre est comme un nuancier de couleurs : plus tu canaliseras ton mana, plus elle prendra des teintes claires mais le but c’est que tu sois capable d’obtenir toutes les couleurs possibles car il faut savoir accumuler peu à beaucoup de mana selon les sorts qu’on utilise. » expliqua Rita.
« Et quand je serai capable de jeter des sorts comme toi Rita ? »
« Tu es prometteuse mais ne brûle pas les étapes. Contrôler le mana est un exercice délicat et fastidieux. Il te faudra bien plusieurs jours avant que tu sois bien capable de contrôler le mana. Le but sera surtout d’obtenir les couleurs intermédiaires qui sont les plus difficiles à obtenir mais si tu y arrives, ce sera la preuve de ton contrôle. »
« Et toi Rita, tu as fait tout ça ? Tu as mis combien de temps ? »
« Moi ? Oh, il ne m’a fallu que cinq minutes pour canaliser mon mana et une heure pour le contrôler. Mais… c’est vrai que mon cas était assez spécial. » s’empressa d’ajouter Rita en observant l’expression interdite d’Estelle. « Prends plutôt pour exemple Flynn qui est considéré par l’Ordre comme un excellent manipulateur de mana. Même lui, il lui a fallu plusieurs jours avant d’arriver à contrôler son mana. Et puis, on pourra demander au vieux pervers combien de temps il a mis si cela peut te donner un ordre d’idées. J’ignore si c’est un bon manipulateur mais vu le personnage… »
Reprenant espoir, Estelle se remit à ses exercices pendant toute la matinée jusqu’à qu’on les appelle à se joindre au déjeuner.
--§--
L’après-midi, pendant qu’Estelle discutait timidement avec les rebelles de Brave Vesperia et que Rita contemplait d’un air maussade les souterrains, bras croisés et adossée contre un mur, Judith arriva soudain d’un pas alerte, ce qui coupa court à la conversation.
« Estelle, Rita ? Pouvez-vous nous rejoindre ? Karol et Yuri aimeraient vous parler. »
Au fil des discussions avec les autres membres de Brave Vesperia, Estelle et Rita avaient fini par comprendre que les meneurs de la bande étaient plus ou moins Yuri, Judith, Raven et Karol. Officiellement, Karol était le chef – Rita avait du mal à l’admettre et elle ne pouvait comprendre comment on avait désigné un gosse plus jeune qu’elle comme chef. Elle se demandait comment il pouvait se faire respecter jusqu’à ce qu’on lui raconte qu’il avait participé à des missions dangereuses où il avait souvent risqué sa vie pour sauver d’autres membres. Plus courageux que bien des adultes apparemment – mais Judith et Yuri, tout comme Raven, en étaient des membres importants – Judith et Yuri pour avoir fondé le groupe rebelle avec Karol, le rôle de Raven étant plus obscur.
Les deux filles hochèrent la tête pour montrer qu’elles avaient entendu et emboitèrent le pas à Judith en direction de la salle de réunion.
--§--
A tour de rôle, Karol, Yuri et Judith s’étaient relayés pour expliquer leur plan pour sauver Flynn, ponctués de temps à autre par des interventions de Raven.
« Au final, on va devoir se faire passer pour une troupe d’artiste devant se produire au palais de Ragou. Et ainsi en profiter pour soutirer Flynn à l’Ordre. Nous n’avons… pas beaucoup de volontaires pour cette mission. Les autres membres de Brave Vesperia peinent à tolérer Flynn à cause de son passé à l’Ordre alors votre participation est la bienvenue. » conclut Karol. « Des questions ? »
« Participation… Dis plutôt qu’Estelle est obligée de vous suivre car seul Flynn peut expliquer que diable doit-elle faire dans cette Prophétie. » râla Rita.
En entendant ces mots, Yuri se sentit coupable. En effet, c’était à cause de lui que la jeune fille de l’autre monde s’était retrouvée mêlée à leurs affaires et il n’avait pas d’autre choix que de l’emmener avec eux dans cette expédition si risquée.
« Cela ne fait rien Rita. » dit Estelle. « J’avoue que je serai plus rassurée si on me permettait de vous suivre plutôt que de rester ici. Les gens de Brave Vesperia sont très gentils mais… je ne les connais pas très bien… Et puis, si je peux aider à sauver votre ami Flynn… »
Rita poussa un soupir et passa une main à ses cheveux.
« Bon, si on passe sur ce détail, j’ai plusieurs questions : comment on va se faire passer pour des artistes ? Il n’y a pas un risque qu’on nous reconnaisse ? Dans mon cas, c’est foutu d’avance. Garista me connaît bien et il n’y a aucune chance qu’il me rate même si cela fait longtemps qu’il ne m’a pas vue. Cela étant dit, si vous avez besoin de quelques effets de couleurs ou d’explosions, je peux vous fournir cela. Cela agrémentera le numéro qu’il va falloir donner au Hiérophante… si on arrive déjà à présenter un numéro convenable. »
« Karol sera un jongleur et moi, je serai une prestidigitatrice. Yuri sera mon assistant et je veillerai personnellement à son déguisement pour qu’on ne puisse pas le reconnaître. J’espère qu’un peu de maquillage ne te fait pas peur… » taquina la Krytienne.
« Fais attention à comment tu vas me peinturlurer Judy ! » grogna Yuri.
« Estelle, as-tu un quelconque talent qui pourrait te faire passer pour une artiste ? » demanda Judith
« Euh… Je sais jouer de la flûte mais j’ignore si… »
« Cela fera l’affaire. » assura le brun.
« Et le vieux, il fait quoi ? » interrogea l’ancienne mage de l’Ordre.
« Raven assurera nos arrières au cas où tout tournerait mal. » déclara Karol.
« Mouais. Faire le sale boulot sans risquer de t’exposer. » marmonna Rita de mauvaise humeur.
Elle n’avait pas complètement tort, songeait Yuri. Certes, Raven avait pris plusieurs risques considérables pour leur organisation et ce, sur plusieurs missions mais... il est vrai qu’il n’était pas tout à fait un membre à part entière de Brave Vesperia…
« Eh bien pourquoi ne pas accompagner le vieux Raven dans le sale boulot puisque tu ne peux pas t’exposer sans que Garista te reconnaisse ? » proposa l’intéressé d’un air moqueur.
Rita manifesta son mécontentement en fronçant les sourcils et en croisant les bras mais elle n’avait aucun argument à opposer.
« Bon, je suppose que je n’ai pas le choix. Je dois bien ça à Flynn même si j’aurais préféré en faire davantage. » reconnut la mage. « Par contre, j’ai encore une question : j’ai cru comprendre qu’Alexei va emmener Flynn avec lui pour le garder sous sa surveillance. Comment va-t-il faire sans que cela n’attire pas l’attention ? »
Yuri, Judith, Karol et Raven se dévisagèrent avec un air embarrassé.
« Ah oui, c’est vrai qu’on avait oublié ce détail capital… » marmonna le jeune chef de Brave Vesperia.
« Hmm… Le Hiérophante… a emmené parmi ses bagages une grande cage en argent… enfermant… un faucon… » dit Raven. « Tout le monde sait qu’il a une passion pour la fauconnerie alors cette excentricité n’est guère étonnante mais… ce faucon… c’est Flynn… »
« Que… QUOI ? » s’exclama Rita, interdite. « Il… Je vois, le Hiérophante. Il a sans doute changé Flynn en faucon pour qu’il soit plus facile à emmener avec lui. Et cela attire moins d’attention que de transporter un prisonnier humain. »
Yuri avait le regard sombre. En réalité, les choses étaient plus compliquées que cela…
« Et on part quand ? » demanda Estelle.
« Dans deux jours, dès l’aube, dès que Yuri aura repris forme humaine. Alors préparez-vous et tenez-vous prêtes. »
Messagerie vocale
Feb. 25th, 2018 04:45 pmTitre : Messagerie vocale
Auteur : Eliandre
Beta : Kaleiya
Note : Les personnages de Tales of Vesperia ne sont pas ma propriété mais ceux de Namco Bandai… Et il y aura du yaoi donc pour ceux qui ne le supportent pas, passez votre chemin.
Résumé : Si les personnages de Brave Vesperia disposaient de téléphones portables et de la messagerie vocale…
Messagerie vocale
Messagerie de Karol Capel :
Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de Karol Kapel, chef de Brave Vesperia. Je suis absent pour le moment mais n’hésitez pas à me laisser un message pour que je puisse vous rappeler dès que je peux.
Message de : Judith
Karol, c’est Judith. Je viens de terminer ma mission pour Brave Vesperia mais ne t’inquiète pas si je ne suis pas de retour tout de suite. J’ai repéré un intéressant bar où on joue au poker…
Message de : Flynn Scifo
Bonjour Karol, c’est Flynn. Je suis au regret de t’annoncer que Yuri a encore fait un esclandre en ville et qu’il séjourne actuellement dans les cachots de Zaphias. Je te préviens pour que tu ne t’inquiètes pas de son retard éventuel. Toutes mes excuses pour les problèmes que Yuri te cause.
Message de : Nan
Karol ? C’est Nan. Je viens de terminer une mission pour ma guilde et j’aimerais savoir quand tu es libre pour qu’on puisse se voir.
Message de : Rita Mordio
Hé le morveux ! Estelle veut qu’on se retrouve tous à Halure pour fêter la publication de son premier livre alors ramène tes fesses avant que je brûle ton postérieur !
Message de : Yuri Lowell
Yo Karol, c’est moi Yuri. J’ai eu un petit souci de diplomatie avec un noble lors de la dernière mission… et cet idiot de Flynn en a profité pour me mettre en prison. Pourrais-tu régler la caution assez rapidement pour que je puisse sortir d’ici ?
Message de : Repede
Wouah ouaf !
Message de : Estellise Sidos Heurassein
Heu… Karol, c’est Estelle… Heu… Pourrais-tu prévenir Yuri pour la réunion ? Je crois qu’il y a un problème avec sa messagerie…
Messagerie de Judith :
Vous êtes bien sur la messagerie de Judith. Je suis probablement en train de chevaucher Ba’ul au moment où vous appelez mais si vous avez le moindre souci, n’hésitez pas à laisser un message à Ba’ul et moi. Nous vous rappellerons dès que possible.
Message de : Patty Fleur
Ho ho ho, c’est moi Patty. J’ai découvert un petit trésor intéressant mais il est bien gardé et il risque d’y avoir un peu de bagarre. On se partagera les bénéfices nanoja. Tu es partante nanoja ?
Message de : Raven
Salut ma Judith chérie, c’est moi Raven. Oh, ta voix est toujours aussi charmante même sur ta messagerie. Serais-tu libre pour que je t’offre un verre un de ces soirs ? Oh et je t’invite à téléphoner à Yuri pour entendre sa messagerie. Cela devrait te plaire.
Message de : Repede
Ouaf ouaf…
Attends prête-moi ça Repede… Hé Judy, c’est Yuri. J’ai eu un problème à Zaphias… et j’ai droit à un confortable séjour dans les cachots. Pourrais-tu passer me prendre ?
Message de : Estellise Sidos Heurassein
Bonjour Judith, c’est Estelle. Mon premier livre vient d’être publié alors j’aimerais qu’on se réunisse tous pour fêter ça. Pourrais-tu venir à Halure ?
Message de : Karol Capel
Judith… peux-tu prévenir Yuri… hum… qu’Estelle veut nous voir… hum… à Halure… C’est tellement embarrassant, je n’ose plus l’appeler…
Messagerie de Repede
Ouaf ouaf ! Wouah ouaf ! Wouah wouah ouaf ! Ouaf ouaf ouaf ouaf !
Vous êtes sur la messagerie de Repede. Je suis indisponible en ce moment. Laissez votre message. Si vous êtes notre estimé Commandant des Chevaliers Impériaux, la mage explosive, la Krytienne à la fausse modestie ou la pirate blonde un peu cinglée, je vous rappellerai dès que possible. Le reste, il y a peu de chances que je prenne la peine de vous rappeler.
Message de : Flynn Scifo
Yuri ! C’est toi qui as enregistré ce message pour Repede ? J’aurai deux mots à te dire dès que je te verrai ! Ahem… Sinon Repede, j’espère que tu vas bien et que tu veilles bien sur Yuri en mon absence. Je suis très souvent inquiet pour lui…
Message de : Estellise Sidos Heurassein
Oh… Même sur son répondeur, il ne veut pas m’aimer…
Message de : Rita Mordio
Comment ce chien a-t-il réussi à avoir une messagerie ?
Message de : Yuri Lowell
Repede, serait-il possible que tu demandes à Flynn s’il peut me laisser sortir ?
Messagerie d’Estellise Sidos Heurassein
Bonjour, vous êtes bien sur la messagerie de la princesse Estellise Sidos Heurassein ou Estelle pour mes amis. Je suis malheureusement indisponible en ce moment mais n’hésitez pas à me laisser un message pour que je puisse vous rappeler dès que possible.
Message de : Ioder Argylos Heurassein
Bonjour Estellise, c’est ton cousin Ioder. Je voulais te téléphoner pour prendre de tes nouvelles. J’espère que tu vas bien et félicitations pour la sortie de ton premier livre. Je vais me débrouiller pour libérer Flynn de ses obligations pour qu’il puisse venir te voir à Halure.
Message de : Flynn Scifo
Bonjour Estellise-sama, c’est Flynn. J’espère que vous allez bien. Félicitations pour votre premier livre. Je l’ai acheté dès sa parution. Par contre, je suis très occupé en ce moment et je ne pense pas être disponible pour votre réunion à Halure. Je vous enverrai cependant Yuri dès qu’il aura fini de purger sa peine. Son comportement est parfois impossible Estellise-sama. Ne le prenez surtout pas en exemple.
Message de : Judith
J’ai eu ton message Estelle. Félicitations pour la publication de ton livre. Je me rendrai à Halure dès que je finis ma soirée poker.
Message de : Patty Fleur
Salut Estelle. Il paraît que tu organises une fête ? Oh, j’espère que Yuri sera présent nanoja. As-tu besoin d’aide pour la cuisine ?
Message de : Karol Capel
Bonjour Estelle, c’est pour te prévenir que je serai libre pour la réunion à Halure. Il y a un problème avec la messagerie de Yuri ? Attends, je vais l’appeler de suite…
Message de : Rita Mordio
Estelle, j’espère qu’il n’est pas trop tard ! N’essaie surtout pas d’appeler Yuri ! Tu m’entends ? SURTOUT PAS !
Messagerie de Patty Fleur
Yo ho, yo ho, a pirate's life for me ! [1] Vous êtes sur le répondeur de Patty, chef de Siren’s Fang nanoja. Si je vous réponds pas, c’est sans doute que je suis à la recherche d’un précieux trésor. Mettez votre message en bouteille et j’essaierai de vous contacter entre deux expéditions, nanoja. Hissons nos couleurs, matelots !
Message de : Raven
Hoi, ma petite Patty, c’est Raven. Cela fait longtemps qu’on ne s’est pas amusé ensemble. Dès que tu as du temps libre, passe à Dahngrest pour qu’on puisse trinquer un verre tous les deux.
Message de : Yuri Lowell
Salut Patty, j’ai bien reçu ton dernier colis. Comme je n’ai pas besoin d’un nouveau sabre, je l’ai revendu pour offrir l’argent à Ted et au vieux Hanks. Il était d’ailleurs un peu extravagant, ce sabre, si tu veux mon avis…
Message de : Repede
Ouah ouaf ! Ouaf ouaf ! Wouah Wouah ouaf !
Message de : Estellise Sidos Heurassein
Oh Patty, c’est Estelle. Pourrais-tu venir à Halure pour fêter la publication de mon premier livre ?
Message de : Judith
Salut, c’est Judith. Hum, une expédition intéressante mais je dois en parler à Karol d’abord. On le fera après notre réunion chez Estelle ? Je pense que tu as été invitée toi aussi.
Messagerie de Raven
Salut, vous êtes bien sur la messagerie du grand et vénérable Raven et non, ce n’est pas le répondeur de Damuron Atomais ou du capitaine Schwann Oltorain, on vous a donné un faux numéro puisqu’ils sont tous les deux décédés. Je dois probablement être en train de me saouler au bar. Si vous êtes une jeune et jolie femme toute mignonne, n’hésitez pas à me laisser votre message et surtout vos coordonnées ! Je m’empresserai de vous rappeler au plus vite pour que nous puissions nous voir, et plus si affinités !
Message de : Yuri Lowell
… Ce vieil homme est désespérant…Et dire que je voulais lui demander s’il connaissait une astuce pour sortir d’ici…
Message de : Flynn Scifo
Raven-san, malgré l’admiration que je vous porte, je dois vous signaler ma désapprobation sur la messagerie de votre répondeur qui laisse sous-entendre des suggestions… très douteuses. Je sais que vous n’êtes officiellement plus au service de l’Empire mais je vous conjure de modifier votre messagerie dans les plus brefs délais.
Messagerie de : Karol Capel
… J’aurais jamais dû l’appeler pour lui demander conseil pour Nan…
Message de : Patty Fleur
Hé vieil homme. Je serai libre la semaine prochaine. Trinquons avec une bonne bouteille de rhum !
Message de : Rita Mordio
… Non mais c’est PAS POSSIBLE ! Espèce de pervers ! Et dire que je voulais te prévenir qu’Estelle t’invitait à Halure pour la publication de son livre ! Non mais attends que je te mette la main dessus pour te montrer de quel bois je me chauffe…
Message de : Judith
Hum… c’est moi Judith. J’ai écouté ton conseil et je dois reconnaître que le répondeur de Yuri était… très intéressant. J’avais des doutes mais… Enfin, on en parlera quand on se retrouvera.
Messagerie de Rita Mordio
Vous êtes sur la messagerie de Rita Mordio, mage impérial de l’Empire. Dépêchez-vous de me laisser votre message car je suis en pleine réflexion pour mes expériences et j’ai d’autres chats à fouetter. On verra après si j’ai le temps de vous rappeler mais n’y comptez pas trop dessus.
Message de : Estellise Sidos Heurassein
Bonjour Rita, je voulais t’inviter pour fêter la publication de mon premier livre. Pourrais-tu m’aider à prévenir les autres ?
Message de : Repede
Ouaf ouaf ! Ouaf ouaf ouaf !
Message de Witcher
Bonjour Rita, c’est Witcher. As-tu bien remis tes rapports scientifiques dans les délais ? Et il faudra qu’on discute de ta dernière théorie qui bien qu’intéressante me paraît quelque peu…
Message de : Karol Capel
C’est bon, je suis libre, pas la peine de t’énerver. Je préviens Estelle. J’arrive à Halure dès que possible.
Message de : Flynn Scifo
Bonjour Rita, c’est Flynn. J’ai reçu des messages très curieux en plus du tien. Qu’il y a-t-il ? Pourquoi as-tu peur de téléphoner à Yuri ? Il y a eu un problème ?
Messagerie de Flynn Scifo
Bonjour, vous êtes sur la messagerie de Flynn Scifo, Commandant des Chevaliers Impériaux. Je suis indisponible mais vous pouvez laisser un message sur mon répondeur et je vous rappellerai dès que j’ai un moment de libre. En cas d’urgence, veuillez prendre contact avec ma seconde Sodia. En revanche, si c’est toi Yuri et que c’est encore une énième demande pour que je paie ta caution, la réponse est NON d’office. Cela t’apprendra à réfléchir sur tes erreurs !
Message de : Estellise Sidos Heurassein
Bonjour Flynn, j’espère que tu te portes bien et que tu ne te surmènes pas trop au travail. Mon premier livre vient de sortir alors j’espère que tu pourras venir à Halure pour fêter cet événement. Je sais que tes fonctions sont très importantes et te prennent énormément de temps mais s’il te plaît, essaie de trouver un moment de libre. Toi aussi, tu as besoin de repos.
Message de : Yuri Lowell
Flynn, fais-moi sortir de cette prison ! Ou je raconterai à Estelle les pires moments embarrassants de ton enfance !
Message de : Sodia
Commandant, je vous appelle pour prévenir que la réunion du Conseil Impérial a été avancée d’une heure. Ne soyez pas en retard.
Message de : Karol Capel
Heu… Flynn, c’est Karol. Je pense que tu es au courant pour la réunion d’Estelle. Pourrais-tu prévenir Yuri ? Je n’ose pas l’appeler depuis que… depuis que… Oh je suis tellement désolé…
Message de : Ioder Argylos Heurassein
Flynn, en tant qu’Empereur, je t’ordonne te prendre tes journées de congés. Pas de protestations, tu me représenteras pour la réunion d’Estelle à Halure. Oh et j’en profite pour te présenter mes félicitations. Raven m’a envoyé la bonne nouvelle. Je commençais un peu à désespérer…
Message de : Judith
Eh bien… Eh bien… Qui aurait cru que notre actuel Commandant était si… vigoureux ? Je savais bien que toi et Yuri vous vous connaissiez depuis longtemps alors je ne suis guère surprise. Félicitations.
Message de : Raven
Tous mes meilleurs vœux de bonheur gamin. Je n’attendais que ça. Félicitations, j’espère que je serai invité quand tu scelleras cet heureux événement.
Message de : Patty Fleur
Je… Je suis heureuse pour toi et Yuri. J’espère que le bonheur vous attendra nanoja.
Message de : Rita Mordio
Euh… Flynn… Peux-tu… téléphoner à Yuri ? Euh… C’est que… C’est que… Oh là là, je veux oublier ça…
Messagerie de Yuri Lowell
Aaaaaaaahhhhh ! C’est si bon ! Ohhh…. Ahhhh ! Tellement bon ! Yuri ! Viens vite !
Hmm, impatient comme toujours Flynn ? Voyons si je peux améliorer ça. Oh attends un peu, je crois que j’ai un souci avec mon téléphone. Ah, l’enregistrement du répondeur ? Tant qu’à faire… Vous êtes sur la messagerie de Yuri Lowell et je suis très occupé en ce moment. Laissez donc votre message et je vous rappellerai. Hum, nous en étions où ?
Qu’est-ce que c’était ?
Rien du tout.
Oh, tu en as sur tes doigts Yuri. Laisse-moi le lécher… Aaaaaaaaaahhhhhh !
Comment te faire encore plus plaisir Flynn ?
Je te veux Yuri ! Je veux ta peau contre la mienne !
Ahhhhhh ! Tes lèvres sont ce qu’il y a de meilleur et quand j’en aurais fini avec toi…
C’est quoi ce grésillement ?
Ah, ce n’est ri…
Message de : Repede
Ouaf ouaf ! Ouaf ouaf ouaf !
Message de : Raven
Oh, j’avoue que je ne m’attendais pas à ça en t’appelant mais félicitations gamin. J’espère être invité pour le mariage !
Message de : Estellise Sidos Heurassein
………………… BAM !
Message de : Karol Capel
Yuri et Flynn sont train de… Yuri et Flynn sont en train de… Yuri et Flynn sont en train de…
Message de : Rita Mordio
… Je crois que je me sens mal… A la réflexion, le message du vieil homme n’était peut-être pas si mauvais…
Message de : Patty Fleur
Oh, le cœur de Yuri est déjà pris ? Mais je suis contente que tu sois avec Flynn nanoja. Tous mes vœux de bonheur !
Message de : Hanks
… J’ai bien fait de ne pas laisser Ted t’appeler, il y avait de quoi le traumatiser… Quand tu auras fini de t’amuser avec Flynn, Yuri, aurais-tu l’amabilité de changer la messagerie de ton répondeur ? Sinon, je te téléphonais à l’origine pour te demander de passer nous voir quand tu peux. Tu manques à Ted et aux autres.
Message de : Judith
… Effectivement, Raven avait raison. Ce fut très instructif. Félicitations pour ta relation avec Flynn, Yuri. Oh, j’ai failli oublier… Karol m’a demandé de te prévenir qu’Estelle t’a invité à Halure pour fêter la publication de son premier livre. Je ne comprends pas sa gêne au téléphone… Bon, je te laisse, je dois appeler Raven…
Message de : Flynn Scifo
… YURI ! EFFACE IMMEDIATEMENT LA MESSAGERIE DE TON REPONDEUR OU JE CONDAMNE DEFINITIVEMENT LA FENETRE DE MA CHAMBRE !!!
[1] Extrait de la chanson de l’attraction Pirates des Caraïbes. Désolée, je n’ai pas pu résister…
Leçon de danse
Oct. 7th, 2017 11:59 pmAuteur : Eliandre
Beta : Kaleiya Hitsumei
Disclaimer : Les personnages de Tales of Vesperia, de Tales of Zestiria ou de Tales of the Abyss ne sont pas ma propriété, ni l’univers de Cinderella Phenomenon et… vous connaissez la suite qui va avec.
Note : Avant toute chose, si vous avez la moindre plainte à adresser au sujet de cette fic, veuillez les adresser à la beta et non à l’auteur. Après tout, c’est entièrement de sa faute si cette fic a vu le jour… Ben oui, si elle ne m’avait pas montré ce jeu… D’ailleurs, je vous le recommande d’autant plus qu’il est gratuit mais évitez de prendre la version Android qui semble souffrir de bugs et préférez la version sur Steam.
Note 2 : Cette fic s’inspire de la route de Rod. Je laisse volontairement des détails dans le vague comme Kal a d’autres projets sur cet univers. Considérez cela comme une mise en bouche.
Playlist : Broken Cinderella – Yoru Sagara
Leçon de danse
Depuis qu’elle avait été touchée par la malédiction de Cendrillon à cause d’une sorcière, Sodia Riella Britton, princesse héritière du trône d’Angielle avait vu sa vie complètement bouleversée.
Du jour au lendemain, elle, la princesse héritière était devenue une roturière vêtue de hardes. Et pire que tout, tout le monde avait oublié son droit de naissance, son droit au trône. Personne ne se souvenait qu’elle était la princesse. Ni ses sujets, ni les habitants du palais royal, ni même son propre père, le roi d’Angielle, qui n’avait pas reconnu sa propre fille. C’est comme si son existence avait été totalement effacée de la mémoire des gens.
Enfin… presque. Dans son malheur, elle avait été néanmoins recueillie au Marchen, un lieu où se regroupaient tous les individus maudits par les sorcières. Dans cet endroit, tous les maudits se souvenaient qu’elle avait été la princesse héritière – plus tard, elle avait appris que seuls les fées, les sorcières et les maudits étaient capables de se rappeler de qui elle était – et on lui avait expliqué que pour briser la malédiction de Cendrillon, elle devait accomplir trois bonnes actions. Au début, Sodia était si sûre d’elle qu’elle pensait lever sa malédiction rapidement mais au bout de plusieurs jours, même si elle refusa de l’avouer devant tous les autres membres du Marchen, elle devait admettre qu’accomplir ne serait-ce qu’une bonne action était plus facile à dire qu’à faire. Les gens de son royaume ne la surnommaient pas sans raison La Princesse de Glace.
Les responsables du Marchen lui avaient donc conseillé de s’associer avec une autre personne. D’avoir un partenaire. Deux têtes valaient mieux qu’une pour réfléchir et cela permettait de s’entraider mutuellement pour briser la malédiction de chacun. Contre toute attente, et en dépit de son bon sens, Sodia avait décidé de quérir l’aide de Mikleo, son demi-frère.
Après le décès de la mère de Sodia, le roi Peony avait pris une seconde épouse – de naissance bien plus modeste que lui car elle était une femme du peuple et non une noble – et avait adopté les deux enfants de celle-ci, Sorey et Mikleo, les faisant tous entrer dans la famille royale. Par ce deuxième mariage, Sorey et Mikleo étaient devenus les demi-frères de Sodia et des princes.
Du temps où elle avait été la princesse héritière, Sodia n’avait jamais pu accepter sa belle-famille. Parce qu’il restait calme et silencieux, elle pouvait encore tolérer la présence de Mikleo mais celle de Sorey lui était tout bonnement insupportable. Il ne cessait de babiller sur l’histoire du Livre Céleste, les ruines, les contes de fées… le tout avec un grand sourire comme si ce qu’il racontait était extraordinaire. Bah, qu’est-ce qu’un roturier devenu prince par les circonstances avait d’intéressant à raconter à part des bêtises idéalistes ?
Cela étant dit, Sodia était forcée de reconnaître qu’à cause de sa malédiction, les rôles étaient inversés. Comme personne au palais ne se souvenait de son existence, Sorey avait été propulsé prince héritier [1] et aux yeux de tous, elle était devenue la roturière. Sauf pour son ancien chevalier personnel Flynn Scifo qui, étrangement, se rappelait bien d’elle comme la princesse héritière et de Mikleo. Au Marchen, où ils se retrouvèrent de façon inattendue, la princesse rousse comprit pourquoi Mikleo était capable de se remémorer son existence : lui aussi avait été touché par une malédiction, – dans son cas, c’était celle de la Petite Sirène – raison pour laquelle il était muet – chose que Sodia savait mais elle ignorait que c’était à cause d’une malédiction. Cela expliquait la présence de la petite peluche qu’il portait en permanence sur son épaule, une petite peluche en forme de petite fille blonde aux cheveux courts, portant une légère robe, une ombrelle, des gants et des bottes en cuir. Apparemment, elle se prénommait Edna et une fée l’avait offerte à Mikleo pour lui permettre de s’exprimer.
Au moins, leurs retrouvailles au Marchen avaient permis de mettre les choses au clair entre eux. En temps normal, Mikleo lui avait toujours témoigné de l’indifférence mais cette fois, il laissa tomber le masque et lui balança toute la vérité : il avait toujours haï Sodia pour la froideur et l’hostilité qu’elle avait montré à sa famille et la seule raison pour laquelle il s’était retenu jusqu’à présent, c’était à cause de Sorey. Il avait même ajouté cruellement que depuis qu’elle était partie du palais, il était bien plus heureux et qu’il n’était pas du tout intéressé de l’aider à briser sa malédiction. Pourtant, Sodia l’avait choisi comme partenaire et constatant le manque d’enthousiasme de Mikleo, les responsables du Marchen firent jouer leurs relations pour introduire Sodia au palais et forcer la main du prince.
Résultat : Sodia était devenue la servante personnelle de Sorey.
Inutile de dire que lorsqu’il découvrit Sodia au palais en tant que servante personnelle de son frère, Mikleo faillit faire une syncope…
Cependant, comme l’existence de Sodia avait été oubliée et que Sorey était devenu prince héritier, il lui incombait désormais tout l’entraînement qui allait avec : leçons d’histoire, de protocole ou de danse entre autres. Si la princesse rousse devait reconnaître que Sorey se débrouillait très bien en histoire – la matière l’avait toujours intéressé après tout –, il était… totalement désolant pour les leçons de protocole ou de danse. Surtout de danse d’ailleurs.
Tout avait commencé à la fin du repas de la famille royale, lorsque Sorey expliquait les difficultés de son entraînement de prince héritier. Peony expliquait gentiment à son fils adoptif qu’il allait lancer un bal à son honneur pour qu’il puisse trouver une femme et la prendre pour épouse, tradition que le roi était obligé de respecter. Bien sûr, en tant que servante personnelle de Sorey, Sodia fut présente à tout l’entretien.
« Mais père, je ne sais pas… Je ne suis pas sûr d’être prêt à trouver quelqu’un pour me marier. Et puis, cela m’est difficile de le reconnaître, mais je danse si maladroitement que… »
« Allons Sorey, je suis sûr qu’avec de l’entraînement, tu seras prêt pour le bal. » l’encouragea sa mère.
« Mais je me sens tellement paralysé devant l’instructeur royal. » se plaignit le jeune homme. « Ce serait tellement mieux si j’étais face à une personne avec qui je suis à l’aise. Oh, je sais ! Mikleo, pourrais-tu m’aider pour mes cours de danse ? »
Mikleo qui était en train de boire un verre d’eau faillit s’étouffer en entendant son frère et en avalant l’eau de travers. Ses joues étaient devenues écarlates.
« Prince Mikleo est un bon danseur ? » ne put s’empêcher de questionner Sodia.
En tant que servante, elle devait assister au repas royal en gardant le silence, mais cette fois, la surprise avait été trop forte. Sorey ne lui en tint cependant aucune rigueur.
« Bien sûr ! Il est tellement doué en tout Sodia ! C’est tellement dommage que tu ne puisses pas l’entendre chanter ! Il avait une si belle voix avant… »
Il s’interrompit brutalement. Pendant son séjour au Marchen, Sodia avait appris qu’à l’exception d’elle-même, la famille royale était au courant de la malédiction de Mikleo mais c’était un secret qu’elle évitait de divulguer à toute autre personne. Pour éviter d’en dire trop, Sorey changea rapidement de sujet.
« De toute façon, Mikleo sait tout faire ! Il sait cuisiner… »
« Prince Mikleo sait cuisiner ? » s’exclama Sodia.
La princesse rousse était incapable de cuisiner, même pas un œuf. Elle avait réussi l’exploit de cramer une salade. Si on exceptait Flynn, il n’y avait pas pire cuisinier qu’elle dans tout Angielle. Autant dire que le fait que son demi-frère sache cuisiner l’impressionnait grandement… même si elle considérait cela comme une tâche indigne de son rang. Une princesse n’avait pas à devoir savoir cuisiner. Elle avait d’autres devoirs à remplir bien plus importants.
« Evidemment ! Lors de mon dernier anniversaire, il m’a préparé une excellente glace vanille-chocolat nappée de crème chantilly. Un délice ! Et il est un danseur exceptionnel ! J’aimerais que tu puisses le voir danser Sodia. Ses mouvements sont si fluides, élégants, gracieux quand il danse ! »
« Sorey ! Tu racontes des détails sans intérêt à une servante ! » s’écria Mikleo d’une voix embarrassée par l’intermédiaire de sa peluche.
Son visage, comme le constatait Sodia, était écarlate, à la limite du cramoisi.
« Allons Mikleo, ne te sens pas si gêné ! Tu sais à quel point j’aime dire que mon petit frère est si talentueux ! »
Visiblement, son cadet ne savait que répondre devant ce flot de compliments…
« Alors, tu veux venir m’aider ? » ajouta Sorey d’une voix anxieuse.
« Je… Bien sûr, Sorey… Si je peux t’aider… Mais l’instructeur royal a peut-être plus d’expérience pour t’enseigner, non ? »
« Non, je préfère que ce soit toi. » répliqua son aîné en lui adressant un sourire éclatant, tel un enfant qui vient d’obtenir le jouet tant désiré pour son anniversaire. « Je me sens bien plus à l’aise avec toi. Merci Mikleo ! »
« Ce n’est rien Sorey. Il est tout à fait normal que je t’apporte mon soutien. » répondit son frère d’une voix quelque peu mal assurée.
« Sodia assistera à l’entraînement aussi. Elle pourra peut-être aider elle aussi. »
« Bien évidemment. » dit la princesse rousse d’un ton professionnel tout en s’inclinant devant son demi-frère. « En tant que votre servante personnelle, il est de mon devoir de m’assurer que vous soyez prêt pour le jour du bal. »
-§-
Le trio s’était rassemblé dans la salle du trône qui était déserte quand le roi n’y était pas, constituant ainsi le lieu idéal pour s’entraîner. La pièce avait un large espace, suffisant pour s’entraîner et avec ses nombreux chandeliers, elle était bien éclairée en ce début de soirée.
Si la pièce d’entraînement était idéale, l’élève à entraîner était en revanche désespérant…
« Aïe » grogna Sorey. « Désolé Mikleo, j’ai encore heurté ta jambe sans le vouloir. »
Cela faisait la onzième fois que le prince héritier aux cheveux châtain ne dépassait pas le cinquième pas de la valse qu’il était censé apprendre, songeait intérieurement Sodia. Les trois premières fois, il avait écrasé involontairement les pieds de Mikleo. La quatrième, il l’avait fait trébucher et la cinquième, il l’avait carrément renversé par terre. Les essais suivants étaient du même acabit… Mikleo avait pourtant expliqué à son frère qu’en tant que cavalier, il devait mener la danse pour que sa future partenaire puisse suivre mais en dépit de ses efforts, Sorey était… désastreux. Même avec deux jambes gauches, il était difficile de faire pire que lui, pensait la princesse rousse.
Mikleo avait tenté d’inverser les rôles pour montrer à Sorey comment mener une danse mais il n’y avait rien à faire. Le prince héritier ne progressait pas d’un pouce et il commençait à se sentir frustré.
« Rah, je n’y arrive pas ! » s’agaça le jeune homme avant de s’efforcer de se calmer.
Ses yeux bleus se tournèrent alors vers sa servante personnelle qui le surveillait calmement.
« Dis-moi Sodia, est-ce que tu sais danser ? » demanda-t-il.
La question prit brièvement la rousse de court mais elle sut réagir promptement.
« Oui, je sais… un peu danser, je suppose. »
« Histoire, protocole, danse… Tu es une servante extraordinaire Sodia ! Tu sais tellement de choses ! »
« Je… J’ai juste lu certains livres qui en parlaient. »
Il valait mieux éviter de dire à Sorey que si elle savait tout cela, c’était parce qu’elle était la princesse héritière d’Angielle et qu’il était normal qu’elle maîtrise tout ce que son devoir lui ordonnait. Sorey ne se souvenait plus d’elle.
« Dans ce cas, peut-être qu’avec un partenaire différent, je me montrerai moins catastrophique. Après tout, c’est une femme qu’il faudra que je mène à la danse, non ? »
Sodia trouvait la logique de Sorey totalement absurde. Ce n’était pas en changeant de partenaire qu’il allait se mettre à progresser. Elle jeta un coup d’œil à Mikleo pour sonder son opinion mais à sa surprise, il lui jeta un regard torve. Bon, en réalité, ce n’était pas si surprenant vu que son demi-frère aux cheveux blancs argentés l’avait toujours détestée mais c’était surtout l’intensité de cette hostilité qui avait étonné la rousse. S’il en avait été capable, ses yeux violets auraient lancé des éclairs pour la foudroyer sur place. Sorey, qui tournait le dos à son frère à ce moment, ne put le remarquer.
« Alors, qu’est-ce que tu en dis Sodia ? »
La princesse héritière aurait voulu refuser mais en tant que servante personnelle de Sorey, elle était obligée d’accepter. Même s’il n’avait pas été formulé comme tel, il s’agissait implicitement d’un ordre. Elle prit donc la main que lui tendait Sorey avec un grand sourire.
« Mademoiselle, me ferez-vous l’honneur de m’accorder cette danse ? » demanda-t-il.
Sodia évita soigneusement de regarder en direction de Mikleo. Elle avait l’impression de sentir un poids brûlant sur ses épaules…
Comme prévu, le changement de partenaire n’améliorait en rien les capacités désastreuses de Sorey en matière de danse. Sodia ne pouvait s’empêcher de grimacer après que son demi-frère lui ait écrasé les pieds six fois d’affilé.
« Non, non et non. » soupira le prince. « Je vois bien que je ne fais aucun progrès de cette manière. Ce serait mieux si je pouvais visualiser la façon de mener la valse. Mikleo, pourrais-tu me faire une démonstration en dansant avec Sodia ? »
« QUOI ?! » s’écrièrent en chœur les deux concernés.
Elle ? Danser avec Mikleo ? Il y avait plus de chances de trouver une poule avec des dents que de danser avec son demi-frère aux cheveux immaculés !
« Oui, ce sera plus facile pour moi d’apprendre la valse, je pense. » dit Sorey sans se rendre compte de ce que son idée avait provoqué dans l’esprit de Mikleo et de Sodia. « Mikleo est un excellent danseur et du peu que j’ai pu apercevoir, tu sembles bien te débrouiller Sodia. Je pense qu’avec vous deux, je progresserai très rapidement. »
Sodia était littéralement atterrée et en jetant un rapide coup d’œil à son demi-frère, elle put constater qu’il avait une réaction similaire à la sienne. Cependant, avant que quiconque puisse intervenir, une nouvelle voix monocorde résonna mais seuls Mikleo et Sodia purent l’entendre.
« Allons Mibo, avoue que tu es curieux de jauger le niveau de danse de la princesse. »
Mikleo se mit alors à pincer fortement les joues de sa peluche pour la faire taire.
Comme l’avait découvert Sodia lors de ses retrouvailles au Marchen avec son demi-frère, Edna, la petite peluche qui permettait à ce dernier de s’exprimer, était dotée de sa propre volonté. Elle partageait les pensées du jeune prince, lui permettant ainsi de communiquer avec les autres, mais elle semblait également prendre un malin plaisir à outrepasser son rôle et n’hésitait pas à faire partager les pensées les plus embarrassantes de Mikleo. Plusieurs fois, Sodia avait vu Mikleo tenter de faire taire Edna. A se demander qui avait l’autorité sur l’autre, la peluche ou l’humain…
« Aïe, aïe, c’est bon, je me tais Mibo. » grogna Edna.
« Encore une fois, tu te permets d’ajouter des détails sans intérêt Edna. » s’exaspéra son propriétaire.
« Ce n’est pas ma faute si tes pensées sont si bruyantes Mibo. Et encore, celle-là est correcte. A moins que tu préfères que je dévoile tes fantasmes cachés à chaque fois que tu aperçois le magnifique sourire de ton précieux… »
Cette fois, les joues de Mikleo devinrent rouges comme le feu et il tenta d’étrangler Edna pour la contraindre au silence.
« Qu’est-ce qui se passe Mikleo ? Quelque chose ne va pas ? » s’inquiéta Sorey.
Son frère sursauta mais il réussit à reprendre rapidement contenance.
« Non, tout va bien Sorey. » répondit-il.
Puis il se tourna vers Sodia en lui tendant le bras.
« Me ferez-vous l’honneur de m’accorder cette valse mademoiselle ? »
Puis il ajouta plus bas :
« Allez, joue le jeu. C’est pour faire plaisir à Sorey. »
Du coup, Sodia accepta son invitation, posant ses mains sur ses épaules.
Elle devait l’admettre : Mikleo était un bon danseur. Il menait sans difficulté la valse et elle comptait sans souci ses pas pour l’accompagner. Pas une fois ils s’accrochèrent. Pas une fois, ils trébuchèrent ou ne se marchèrent sur les pieds. Ils se déplaçaient harmonieusement, en légèreté et en rythme tout en étant gracieux. C’était parfait. Il ne manquait plus que les musiciens et la musique.
Après quelques minutes, ils mirent fin à la danse et se séparèrent, chacun étant quelque peu gêné par cette soudaine proximité. Sorey toutefois, y fut aveugle, se contentant d’applaudir et d’exprimer son admiration.
« Félicitations Mikleo, tu étais super. Comme toujours, tu danses parfaitement. Toi aussi Sodia. Quand vous étiez en train de valser, on aurait dit… qu’il y avait de la magie dans les airs. »
Le visage de Mikleo était entièrement rouge. Sodia aurait juré qu’on aurait pu y faire cuire un œuf.
« Hum, je pense que cette démonstration m’a mieux permis de voir mes erreurs. » continua Sorey sans se douter de rien. « Mikleo, pouvons-nous reprendre ensemble ? Je crois que je vais réussir cette fois. »
Le cadet semblait incapable de réagir. Sodia décida donc de le tirer d’embarras… pour cette fois.
« Si je puis me permettre votre Altesse, l’heure me semble bien avancée et une lourde journée vous attend demain. » commenta-t-elle d’un ton professionnel. « Vous avez besoin de vous reposer. Le prince Mikleo également. »
« Oh, je suis désolé Mikleo. Je n’avais pas vu à quel point tu étais fatigué. »
« Ce… Ce n’est rien Sorey. »
Il fut le premier à quitter la salle du trône en courant, ce qui étonna son frère. Ce dernier échangea un regard d’incompréhension avec Sodia qui haussa les épaules, ne sachant que répondre.
Au moins, cet événement eut un effet bénéfique. Depuis cette fameuse soirée, Sorey commença enfin à s’améliorer en danse. Et Mikleo semblait très concerné par ses progrès…
[1] Je sais que Mikleo est plus âgé que Sorey mais dans cette fic, pour les besoins de l’histoire, on va considérer que Sorey est l’aîné.
Le Virtuose
Oct. 9th, 2016 07:07 pmTitre : Le Virtuose
Auteur : Eliandre
Beta : Kaleiya Hitsumei
Disclaimer : Les personnages de Miraculous Ladybug ne sont pas ma propriété mais celle de Thomas Astruc. Sinon, j’aurais déjà produit des peluches Plagg et Chat Noir…
Note : Cette fic a été écrite avec l’idée « Ecrire une aventure de Ladybug et de Chat Noir ». Donc non, ce n’est pas une fic de romance (du moins, pas plus que dans la série) avec révélation des identités. Si c’est ce que vous cherchez, vous risquez d’être déçus.
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« Oh, j’arrive pas à y croire Alya ! » s’exclama Marinette en contemplant les deux tickets que sa meilleure amie avait en sa possession. « Je vais pouvoir assister à un concert d’Adrien ! Adrien va jouer du piano devant moi ! Je suis sûre qu’il est doué, il est tellement… »
« … tellement parfait ? Oui, on est au courant Marinette. » taquina la jeune journaliste en herbe. « Mais je te rappelle que ce n’est pas un concert exclusivement dédié à Adrien mais un gala de charité. »
Oui, c’était vrai. Il s’agissait d’un gala de charité sponsorisé par la mairie de Paris et par divers organisations dont la maison de couture Agreste et le conservatoire national de Paris. Le gala devait débuter par quelques auditions données par quelques espoirs de la musique et ensuite, c’était soirée dansante avec buffet à volonté pour reprendre des forces entre deux tubes.
Marinette, en plus de voir Adrien jouer du piano, voyait également se profiler une occasion d’inviter Adrien à danser avec elle. Si seulement elle pouvait réussir un slow avec lui sans se prendre les pieds par terre… Peut-être qu’Adrien finirait enfin par la remarquer et par tomber amoureux d’elle ! Et elle pourrait enfin déclarer ses sentiments envers celui qu’elle aimait ! En tout cas, elle avait de l’espoir, Marinette…
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« Mec, merci pour tout ! Trop sympa cette place dans les premiers rangs ! » s’enthousiasma Nino. « J’avoue que la musique classique, c’est pas vraiment mon truc mais on peut obtenir de bons remix quand on sait s’y prendre. Et puis, qu’est-ce que je ne ferai pas pour encourager mon meilleur ami ? »
Adrien et Nino se trouvaient dans l’immense salle aux murs blancs et une bonne hauteur sous le plafond où allait se dérouler les auditions. Ils étaient arrivés un peu plus tôt pour permettre à Adrien de répéter son morceau de piano. Avec l’école, les cours d’escrime, les cours de chinois et les séances photos pour son père – en plus de ses missions en tant que Chat Noir mais cela, il ne pouvait le dire à Nino –, Adrien n’avait pas eu trop le temps de s’entraîner, alors il espérait trouver un piano libre pour pouvoir répéter.
Techniquement, Adrien n’était pas affilié au conservatoire national de Paris et il n’avait donc pas à participer à ces auditions mais son professeur particulier de piano y enseignait et l’avait recommandé au vu de son excellent niveau, sans compter que Gabriel Agreste avait fortement insisté pour que son fils y participe. C’était en effet un excellent moyen de communication pour le prestige et l’image de la maison Agreste et une excellente façon d’y faire distinguer son fils parmi tous les autres enfants mannequins de son âge.
Adrien devait le reconnaître : son père savait exploiter la moindre opportunité qui se présentait à lui. Mais au moins, c’était pour la bonne cause et il avait obtenu la permission de participer à la soirée dansante. Cerise sur le gâteau : il avait réussi à arracher de son père trois billets gratuits pour y inviter ses amis. Evidemment, le premier billet fut pour Nino. Il lui donna également le second billet pour qu’il puisse inviter sa petite amie Alya et le troisième pour que cette dernière invite une amie de son choix. Le blond se demandait avec qui la journaliste du Ladyblog allait venir. Probablement avec sa meilleure amie Marinette…
« Allez Nino, reconnais que tout ce qui t’intéressait à ce gala, c’était d’inviter Alya à danser un slow avec toi. » plaisanta Adrien.
Nino eut la bonne idée de se montrer embarrassé, ce qui le fit rire. On avait déjà installé sur l’estrade surélevée de la salle d’audition un magnifique piano à queue noire mais autour, des gens s’afféraient à installer les derniers éléments de décoration. Adrien se renseigna s’il pouvait s’entraîner sur le piano de la salle d’audition mais l’un des techniciens lui expliqua qu’il avait quelques réglages à faire et qu’il serait préférable de se diriger vers le couloir Est où il avait aperçu quelques élèves du conservatoire s’entraîner. Il y trouverait sans doute un piano libre pour s’exercer. Adrien remercia l’homme et les deux amis suivirent la direction indiquée.
Ils finirent par trouver une minuscule salle avec la place juste suffisante pour un piano droit couleur blanc crème et deux chaises. La pièce était vide et Adrien pensait que ce serait un bon endroit pour s’entraîner. Nino voulant voir un aperçu de son talent au piano, il sortit ses partitions, fit plusieurs exercices d’assouplissement pour échauffer ses doigts et il allait entamer un morceau – en l’occurrence Lettre à Elise de Beethoven – quand un nouveau venu fit irruption.
C’était un jeune garçon de leur âge, aux cheveux auburn bouclés et aux yeux bleu clair. Il avait des taches de rousseur sur les joues et il portait une veste et un pantalon noirs en velours un peu démodés.
« Oh, excusez-moi de vous déranger mais je crois que j’occupais cette salle avant vous. » dit poliment le garçon.
Il disait la vérité. Adrien et Nino venaient tous les deux de remarquer une veste suspendue à un porte-manteau, élément qu’ils avaient négligé lors de leur première inspection.
« Toutes mes excuses. » répondit Adrien gêné en passant une main derrière sa tête. « Je croyais qu’il y avait personne et j’avais besoin de m’entraîner pour ce soir. Oh mais je vois que tu joues du violon… »
Le garçon avait un archet et son violon entre ses mains. Il était plus difficile de tirer une note correcte d’un violon que d’un piano. Mal joué, un violon ressemblait plus à un instrument de torture pour les oreilles qu’à un instrument de musique.
« Ça a l’air cool mec ! » dit Nino. « C’est quoi ton nom ? Tu pourrais nous faire une démonstration ? »
« Je m’appelle Victor et oui, pourquoi pas ? » sourit timidement le violoniste. « Un entraînement en petit comité m’aidera à surmonter mon trac. »
Prenant son archet, il commença à jouer sous l’émerveillement d’Adrien et de Nino. Victor était doué, incroyablement doué même. Sa musique charmait ceux qui l’écoutaient. Il mettait beaucoup de dévotion et de passion dans son violon quand il en jouait. Ses notes s’enchaînaient avec aisance, les mouvements qu’il faisait avec son archet étaient parfaits pour obtenir le son idéal. Pas étonnant que Victor ait été sélectionné pour jouer lors du gala de charité.
Soudain, il y eu comme un dérapage et les notes émises furent nettement moins harmonieuses. Embarrassé devant cette faute, Victor s’arrêta de jouer.
« Ah désolé, le début du deuxième mouvement est difficile et il me donne toujours du mal. » avoua-t-il sur un ton d’excuse. « C’est pour ça que je dois m’entraîner avant le gala. »
« Ce n’est rien, je trouve que tu as été super. » dit Adrien avec sincérité. « Je suis sûr que tu vas finir par y arriver. Dans ce cas, Nino et moi allons te laisser tranquille. »
Les deux amis avaient ramassé leurs affaires et s’apprêtaient à quitter la pièce quand soudain, un éclair jaune ouvrit la porte avec fracas et se jeta littéralement au cou du jeune Agreste.
« Adrichou, je suis tellement heureuse de te revoir ! »
Chloé, évidemment. Elle avait écarté sans ménagement Nino et Victor en courant vers lui. Dans sa précipitation, le violoniste faillit lâcher son instrument et émit donc une juste protestation :
« Eh ! Faites attention ! J’ai failli faire tomber mon violon ! » s’écria Victor.
Mais Chloé fit un geste nonchalant de sa main, comme si elle écartait un insecte importun.
« Cette chose ? Cela ne doit pas valoir grand-chose vu ce que tu portes ! » répliqua-t-elle, dédaigneuse.
« Il s’agit d’un violon Stradivarius offert par mon premier professeur de violon ! »s’exclama Victor d’une voix outragée. « Il a une forte valeur sentimentale pour moi ! Je n’avais pas les moyens de m’acheter un violon alors mon professeur m’a offert son plus précieux violon parce qu’elle croyait en moi ! »
« Peut-être mais ton histoire, j’m’en fiche ! Adrien a besoin de répéter avant sa première alors ouste, du balai ! » ordonna la blonde.
« Adrien ? Comme Adrien Agreste ? » demanda le violoniste d’une voix éberluée.
« Mais d’où tu sors pour ne pas reconnaître une célébrité comme Adrien ? » interrogea la jeune fille d’une voix grinçante.
« Attends Chloé, il était là en premier et... » tenta d’intervenir le jeune mannequin mais ce fut perdu d’avance.
« Voyons Adrichou ! Il faut que tu brilles dans ce gala et comme tu es mon ami, je veux que tu aies les meilleures dispositions pour t’entraîner. »
Voyant encore Victor dans les parages avec un air désemparé, elle jeta ses mots d’une voix vindicative :
« Qu’est-ce que tu fais encore là toi ? Si tu ne dégages pas de là, sache que je suis la fille du maire et que je demanderai ton renvoi du conservatoire si je te trouve encore là dans les cinq minutes ! »
« Ouais, c’est bon, j’ai compris ! » répliqua Victor d’une voix furieuse en jetant des regards mauvais à Chloé et à Adrien. « Il n’y en a donc que pour les fils ou les filles à papa ici ! »
Adrien sentait à quel point le violoniste était en colère. Il voulut dire quelque chose mais il avait déjà quitté les lieux…
-§-
Victor était furieux contre la fille du maire. Non seulement elle avait dénigré ses origines modestes en se moquant de ses vêtements mais elle avait démontré son mépris pour la musique classique et pour son violon, cadeau de son premier et défunt professeur de violon. Cette femme, bien âgée quand elle lui avait enseigné la musique à l’âge de six ans, lui avait offert un violon Stradivarius, trésor de sa famille, à lui qui n’avait pas les moyens d’en acheter un. Elle croyait en son potentiel, lui avait-elle dit. En son talent. Qu’il deviendrait un grand violoniste et qu’ainsi, il pourrait offrir un appartement plus grand à ses parents au lieu de la misérable habitation qu’ils louaient pour un loyer modeste et qu’il partageait avec son petit frère et sa petite sœur.
Il avait eu du mal à se faire accepter au conservatoire national de Paris. Principalement à cause des frais d’inscription élevés. Son père avait sacrifié une partie de ses économies pour lui permettre d’y entrer. Et après, il avait dû se battre pour se faire sa place. Alors que deux gosses de riches comme Chloé Bourgeois ou Adrien Agreste qui pouvaient tout avoir d’un claquement de doigt tandis que lui devait fournir des efforts immenses pour obtenir ce dont il avait besoin… Non, vraiment, cela le mettait en rogne !
Il ne remarqua donc pas dans sa fureur un petit papillon noir se poser sur son archet…
« Bonjour Virtuose, je suis le Papillon et j’aimerais t’aider à régler tes problèmes. Désormais, tous ceux qui t’écouteront jouer du violon auront une telle addiction pour ta musique qu’ils feront n’importe quoi pour en entendre davantage. En échange, je te demanderai juste de me ramener les Miraculous de Ladybug et Chat Noir… »
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« Vraiment Chloé, tu n’as vraiment pas été sympa avec Victor ! » déclara Adrien d’une voix mécontente à son amie. « Il était arrivé avant moi dans cette salle et puis, je trouve qu’il est vraiment doué avec son violon. »
Levant ses yeux verts en l’air, il aperçut la veste du violoniste.
« En plus, il a oublié ses affaires. Viens, Nino. » demanda le jeune mannequin à son meilleur ami. « On va essayer de le rattraper pour les lui rendre. »
« Mais Adrichou, tu devrais plutôt penser à t’entraîner. » gémit Chloé d’une voix plaintive.
« Je reviens dans cinq minutes, Chloé. Tu n’as qu’à rester ici en attendant. »
Du coin de l’œil, il aperçut l’imperceptible soulagement sur le visage de son meilleur ami. Adrien savait que Nino n’aimait guère Chloé et que l’idée de devoir supporter la présence de la fille du maire lui était très difficile. Il ne pouvait pas lui en vouloir pour ça. Même lui était le premier à reconnaître que le comportement rude et mesquin de Chloé dépassait les bornes et lui aliénait presque tout le monde autour d’elle.
Les deux amis quittèrent donc Chloé sans trop de regrets. Adrien était un garçon naturellement généreux et bienveillant mais parfois, il trouvait vraiment son amie d’enfance un peu trop collante…
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A peine Adrien et Nino furent partis que Chloé laissa libre cours à sa mauvaise humeur. Elle avait espéré se retrouver seule avec son cher Adrichou et être la seule à partager ce moment privilégié où il répéterait son morceau au piano mais non seulement, il avait ramené Nino – dont elle se fichait éperdument – mais il fallait qu’un minable de violoniste occupe LA salle qui aurait dû revenir au jeune Agreste pour qu’il puisse s’exercer.
Trop occupée à ruminer sa colère et sa déception, elle n’entendit pas la musique d’un violon s’élever doucement du couloir et qui devenait de plus en plus distincte au fur et à mesure que la mélodie se rapprochait d’elle…
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« Alya, tu filmes la scène ? Mais il y a personne dessus ! » s’étonna Marinette.
« J’essaie juste de trouver le meilleur angle de vue pour le blog du collège. Ainsi, je pourrai également prendre les plus belles photos d’Adrien au piano. » répondit malicieusement sa meilleure amie.
« Alya ! » s’exclama la brune en rougissant.
Cette conversation, très embarrassante pour Marinette, fut heureusement interrompue par l’arrivée soudaine de deux personnes bien connues des deux filles. Leur apparition inattendue prit Alya par surprise.
« Nino ! Adrien ! » s’écria-t-elle. « Je m’attendais pas à vous voir si tôt. Mais peut-être pourrais-je en profiter pour prendre quelques photos de celui qui va représenter notre collège à ce gala de charité pour le blog de l’école. » ajouta-t-elle en brandissant son téléphone portable en direction de son camarade de classe.
« Salut Alya. » répondit le jeune mannequin. « Pourquoi pas, mais est-ce que cela peut attendre ? Je recherche… Oh, salut Marinette. Désolé, je ne savais pas que tu étais avec Alya. » poursuivit-t-il en lui adressant un sourire radieux et un salut de la main.
L’eurasienne était aux anges. Adrien lui avait souri et l’avait saluée…
« Salut Adrien, j’espère que tu vas bien et que tu n’as pas le soir pour le trac… » dit-elle avant de se rendre compte, complètement mortifiée qu’elle avait encore mélangé ses mots. « Je veux dire… que tu n’as pas le trac pour le bien… Non ! Enfin… »
Elle apercevait les signes frénétiques de sa meilleure amie Alya qui lui conseillait de stopper cette conversation avant qu’elle ne s’enfonce davantage devant celui dont elle était amoureuse… Bien qu’Adrien eut une expression interloquée, ne comprenant sans doute pas ce qui s’était déroulé dans la tête de la brune, il lui sourit à nouveau en retour avant de jeter un rapide coup d’œil aux alentours.
« Merci Marinette. Mais dis-moi, tu n’as pas vu un garçon courant avec son violon ? » demanda-t-il.
La brune ouvrit la bouche pour répondre par la négative mais elle fut brutalement interrompue par des cris horrifiés et des appels à l’aide émanant d’un couloir. Alya et Nino qui s’étaient rapprochés l’un de l’autre pour se murmurer quelques secrets, s’arrêtèrent en plein milieu de leur discussion, le DJ amateur tenant les poignets de la journaliste en herbe entre ses mains. Un hurlement enragé retentit distinctement :
« Où se trouve Adrien Agreste ? »
Et le nouvel akumatisé fit irruption.
Il portait une veste en queue-de-pie d’un violet très voyant, assez proche du fuchsia. Le pantalon était assorti à la veste et il avait des chaussettes blanches qui dépassaient de ses souliers vernis verts. Sa peau était blanche avec un masque noir couvrant des yeux d’un bleu électrique et ses cheveux d’un roux flamboyant étaient coiffés avec soin, bien brillants avec une raie nette au milieu de sa tête. Dans ses mains, un archet et un violon bariolé aux couleurs de l’arc-en-ciel. A peine faisait-il son entrée dans la pièce qu’il repéra immédiatement Adrien et le prit à parti.
« Adrien Agreste ! Je t’ai trouvé alors à ton tour d’y passer ! » s’écria-t-il avant de se mettre en position pour commencer à jouer.
Le jeune mannequin était totalement ébahi par l’apparition du nouvel akumatisé, mais ses yeux verts remarquèrent le violon et il ne put s’empêcher de laisser échapper ces paroles :
« Victor ?! » dit-il d’une voix incrédule.
« Je ne suis plus Victor, je suis le Virtuose ! » déclara le musicien d’une voix furieuse.
Du coin de l’œil, Marinette pouvait apercevoir sa meilleure amie qui ne perdait pas une miette de la scène en filmant avec son téléphone portable. A ses côtés, Nino faisait de son mieux pour réprimer un peu la soif journalistique de sa petite amie en limitant son comportement téméraire et en l’obligeant à se cacher derrière une rangée de chaises en plastique.
« J’y crois pas ! Une nouvelle attaque d’akuma en pleine préparation d’un gala de charité ! Ladybug ne va pas tarder à se montrer ! » s’enthousiasma Alya.
Au moment où le Virtuose voulut jouer, Chloé Bourgeois surgit dans la pièce en sanglotant, ce qui stupéfia sa rivale. Chloé et pleurer n’étaient pas une association qui allait spontanément ensemble… Et la suite était encore plus incroyable…
« Oh, je t’en prie, joue-moi encore une mélodie. » supplia-t-elle avec des larmes sur le visage. « Je ferai n’importe quoi, je te donnerai tout ce que tu veux… »
« Wouah ! » murmura Nino qui n’en revenait pas de ce qui se passait devant lui. « J’aurais jamais cru voir Chloé complètement OOC ! Je suis en train de me demander si je ne suis pas en train de rêver là. »
« OOC ? » s’étonna Adrien.
« Out Of Character, mec. » répondit son meilleur ami.
Pendant ce temps, le Virtuose parut agacé par l’irruption de Chloé mais une idée dut lui traverser l’esprit car il ne tarda pas à afficher un large sourire quelque peu effrayant.
« N’importe quoi ? » répéta-t-il. « Je vais prendre tes paroles à la lettre, Chloé Bourgeois. Tu n’as qu’à t’occuper de ton cher ami Adrien le temps que j’accorde mon violon afin de lui jouer une mélodie que je lui ai spécialement dédiée. »
En moins de temps qu’il en fallait pour le dire et malgré les énergiques protestations de l’intéressé, la fille du maire de Paris se rua sur Adrien et lui aurait sauté dessus si celui-ci, au dernier moment et par réflexe, ne s’était pas baissé. Ceci envoya la blonde voltiger dans les airs avant qu’elle atterrisse sans grâce sur des chaises en plastique, les renversant sur elle dans sa chute.
« Chloé, ça va ? » s’inquiéta le jeune Agreste.
« Bon sang, mais quelle incapable ! » déplora le Virtuose avec agacement. « Je suppose qu’on est toujours mieux servi par soi-même. »
« Adrien, fuis ! » hurla Marinette en le poussant en direction de la sortie la plus proche.
Une onde de choc déclenchée par le Virtuose projeta les chaises un peu partout dans la salle, entravant la fuite d’Adrien mais il réussit néanmoins à quitter la pièce en catastrophe en dépit de la fureur du supervilain qui se mit aussitôt à sa poursuite. Une des chaises manqua de peu la tête d’Alya et Nino fut contraint de la plaquer au sol pour la sauver. Tous deux se sentirent gênés sur le coup mais les instincts de la journaliste ne perdaient pas le nord.
« Allez vite ! On doit rattraper le Virtuose pour mon nouveau scoop du Ladyblog ! » dit-elle.
« Il faut plutôt penser à sauver Adrien en premier ! » répliqua Nino.
« Oh… Oui, bon, ça allait de soi. Et toi, Marinette, tu viens nous aider ? »
« Euh… oui ! Je vais avertir toutes les personnes pour qu’on évacue le bâtiment ! » annonça-t-elle gênée.
« Comme tu veux, ma grande ! » répondit Alya en haussant les épaules. « Allez viens Nino ou on va rater l’arrivée de Ladybug ! »
Dès que ses deux amis furent hors de vue, Marinette emprunta la sortie de secours et après s’être assurée d’être bien seule, elle ouvrit son sac. Tikki apparut, volant auprès d’elle.
« Je ne sais pas pourquoi ce Virtuose en a après Adrien mais il est hors de question de le laisser faire ! Il ne touchera pas à un seul cheveu d’Adrien ! Je vais le sauver tout de suite ! » déclara-t-elle en serrant les poings.
« Je vois que tu es totalement motivée aujourd’hui. Tu n’as qu’une phrase à dire ! » répondit la kwami.
« Tikki, transforme-moi ! »
-§-
Courir, le plus vite, le plus loin possible pour se mettre à l’abri, se cacher des regards de tous et se transformer en Chat… Oh non ! Adrien venait de se souvenir qu’il avait laissé Plagg dans sa sacoche, là où il rangeait ses partitions et une boîte de camembert pour faire tenir tranquille son insatiable kwami. Et ladite sacoche se trouvait dans le couloir Est, dans la petite salle avec le piano blanc crème, là où il avait laissé Chloé en lui promettant de revenir au plus vite, c’est-à-dire dans la direction opposée d’où il se trouvait actuellement vu qu’il fuyait dans le couloir Ouest. L’ennui, c’était qu’il était impossible de faire demi-tour pour cause de supervilain à ses trousses…
Le supervilain en question avait visiblement réussi à convertir certains de ses camarades du conservatoire et quelques membres de l’équipe technique en plus de Chloé car il était en train de crier les ordres suivants :
« Retrouvez-moi Adrien Agreste et celui qui me le ramène aura le privilège d’écouter ma musique pendant plus d’une heure ! »
Le jeune mannequin s’était réfugié dans une salle mais les drogués de musique classique fouillaient tout le couloir avec la grâce d’un troupeau d’éléphants, enfonçant tout ce qui pouvait servir de cachette. Mais ils étaient plutôt efficaces et rapides et ils n’allaient pas tarder à arriver jusqu’à lui… d’autant qu’il apercevait le Virtuose frotter de temps à autre les cordes de son instrument avec son archet pour tenter de le débusquer…
Jusqu’à présent, Adrien s’était bouché les oreilles avec ses doigts pour éviter le son du violon mais en essayant de chercher une solution pour se tirer du pétrin où il était fourré, il s’aperçut soudain qu’il se trouvait à l’endroit où les organisateurs du gala de charité avaient stocké des animaux en peluche qu’ils avaient l’intention de vendre pour obtenir des fonds. Ce n’était donc pas des peluches de première qualité mais cela donna une idée au jeune collégien.
En tant que Chat Noir, il n’avait certes pas la créativité de Ladybug mais il lui arrivait parfois d’avoir de bonnes idées qui les aidaient à se sortir de situations bien compliquées. Donc, sans plus attendre, il déchira les peluches et en récupéra la ouate pour se confectionner de quoi se boucher les oreilles. Ainsi, il avait désormais ses mains libres.
Il lui fallait retrouver Plagg au plus vite pour pouvoir se transformer en son alter ego, Chat Noir. En entrebâillant la porte, il repéra un escalier menant au premier étage. Avec un peu de chance, en gagnant ce premier étage, il trouverait un moyen de redescendre au rez-de-chaussée. Le seul inconvénient, c’était qu’il allait devoir piquer un bon sprint s’il voulait éviter d’être la nouvelle future victime du Virtuose.
Il espérait également que sa Lady ne tarderait pas à se montrer, histoire de limiter les dégâts du supervilain…
Malheureusement, au moment où il sortait de sa cachette, un cri retentit et un homme pointa un doigt vers lui :
« Regardez ! C’est Adrien Agreste ! » cria-t-il.
Voyant sa retraite coupée, le jeune garçon tenta alors de fuir ailleurs, courant de toute ses forces. Il s’engagea dans un couloir à gauche mais sa course stoppa net quand il heurta de plein fouet… la grande silhouette de son meilleur ami Nino !
« Nino ? » s’écria Adrien.
A ses côtés, souriante, se tenait Alya avec son téléphone portable en mode caméra. A cause de ses bouchons d’oreilles improvisés, Adrien devina plus qu’il n’entendit les paroles du DJ amateur.
« Mon pote, je suis vraiment content de t’avoir retrouvé ! »
Le blond allait répondre qu’il était rassuré de voir que tout allait bien pour son meilleur ami quand soudain, il sentit une poigne ferme se refermer sur son bras tandis qu’on arrachait la ouate qu’il s’était fourré dans les oreilles.
« Nino ? » s’exclama Adrien d’une voix surprise.
« Désolé Adrien mais Alya et moi, on veut vraiment ce concert privé de violon. » répondit Nino. « Alya, aide-moi ! Il faut qu’on l’emmène au Virtuose ! »
Adrien savait parfaitement que s’il avait été dans son état normal, jamais Nino ne se serait comporté ainsi, ni ne l’aurait trahi de cette manière. Il émit donc l’hypothèse qu’en voulant protéger Alya – qui avait sans doute cherché à s’approcher au maximum du supervilain pour son Ladyblog –, ils s’étaient tous les deux mis à la portée de la mélodie du Virtuose et sans s’en rendre compte, ils étaient devenus complètement accros au son de son violon.
Parce qu’il avait eu des cours de karaté, Adrien aurait pu se débarrasser de Nino et d’Alya mais cela lui répugnait d’en venir à une telle extrémité. Surtout qu’avec l’arrivée des renforts ennemis, il n’eut pas vraiment le temps de mettre en pratique quoi que ce soit…
D’ailleurs, attiré par l’attroupement dans le couloir, l’individu le plus intéressé dans cette histoire ne tarda pas à faire son apparition. Il affichait un sourire satisfait tout en dévisageant son prisonnier qui le toisait d’un regard fermé.
« Eh bien, qui voilà ? Le célèbre Adrien Agreste en personne ! J’ai composé ce petit morceau spécialement en ton honneur alors j’espère que tu as une meilleure oreille musicale que ton amie Chloé Bourgeois pour en apprécier la composition. » ironisa-t-il en pointant son archet vers Adrien.
Au moment où il allait commencer à jouer de son instrument, le fil d’un yoyo rouge et noir s’enroula autour de son bras et Ladybug apparut, à la fois resplendissante et pleine d’assurance.
« Navrée d’avoir interrompu l’artiste mais j’ai l’impression qu’il n’y aura pas d’accord entre nous ! » dit-elle, narquoise. « Adrien Agreste, est-ce que tout va bien ? »
« Oui, je… Attention ! » s’interrompit-t-il brutalement.
En effet, passé l’effet de surprise, le Virtuose avait réagi promptement :
« Saisissez-vous d’elle et emparez-vous de ses boucles d’oreille ! » ordonna-t-il à sa bande de suiveurs.
S’emparant de cette occasion, Adrien en profita pour écraser les pieds de Nino, se libérant de sa prise et se jurant de s’excuser plus tard quand tout serait redevenu normal entre eux. Il écarta également Alya de son passage et cette fois, pendant que sa Lady combattait à coups de yoyo magique, il put gagner sans heurt le premier étage et se précipiter vers l’aile Est. Comme il l’avait espéré, il y avait bien un deuxième escalier lui permettant de rejoindre le rez-de-chaussée et il n’eut aucun mal à retrouver la petite salle au piano blanc, sa sacoche et surtout Plagg, son kwami… roupillant tranquillement à l’intérieur…
« Et bien, même dans un gala de charité, il faut que tu tombes sur un akumatisé. » commenta le petit être magique tout en savourant son camembert. « Et moi qui croyais que la musique adoucissait les mœurs… »
« Pas de temps à perdre, Plagg : Ladybug a besoin de nous ! Plagg, transforme-moi ! »
-§-
Au même moment, Ladybug affrontait le Virtuose. Le couloir, lieu de l’affrontement, lui offrait à la fois un avantage et un inconvénient. Avantage car l’exiguïté de l’endroit faisait que ses adversaires ne pouvaient aller à plus de trois de front contre elle, et de plus, elle empêchait le Virtuose de déployer ses talents de violoniste. Inconvénient car elle ne pouvait pas manifester tout le potentiel de son yoyo magique et surtout, elle commençait malgré elle à se faire encercler par ses ennemis.
Il fallait pourtant se débarrasser des drogués du violon avant de pouvoir s’attaquer au Virtuose. Où était donc ce fichu chat de gouttière quand on avait besoin de lui ?
« Besoin d’un coup de patte, ma Lady ? »
Quand on parlait du chat…
« Ce ne serait pas de refus mais j’aurais plutôt besoin d’un coup de griffe. » répondit-elle en désignant la foule qu’elle contenait difficilement avec son yoyo.
Contrairement à son yoyo magique, le bâton extensible de Chat Noir était une arme parfaite pour un endroit exigu comme ce couloir. Avec le talent naturel de son partenaire avec son arme et ses incroyables acrobaties, cela formait une combinaison redoutable pour se défaire de leurs adversaires. Dans les faits, cela prit moins de deux minutes au partenaire de Ladybug pour se débarrasser de cette meute ensorcelée par le Virtuose. Certains, comme Nino et Alya, avaient eu de la chance de s’en sortir sans trop de heurts – Chat Noir s’était contenté de les enfermer dans une pièce en bloquant la poignée pour empêcher leur fuite – mais d’autres furent moins heureux comme certains techniciens ou Chloé qui furent plus ou moins assommés sans sommation – dans le feu de l’action, on ne pouvait malheureusement pas toujours employer la manière douce…
Bientôt, le duo de héros ne tarda pas se trouver seul face au Virtuose qui ne put masquer son dépit de voir sa troupe aussi vite vaincue.
« Rah ! Mais ce n’est pas possible ! » maugréa l’akumatisé d’une voix rageuse.
« Chat Noir, il est vraiment temps d’accorder nos violons ! » s’écria Ladybug.
« Avec plaisir, ma Lady ! »
Les deux héros lancèrent une attaque simultanée mais le supervilain réussit à s’éclipser en évitant le coup à la dernière seconde et il prit aussitôt la fuite. Le duo se mit aussitôt à sa poursuite.
« Il a plutôt un caractère terrible ce Virtuose ! Et moi qui croyais que la musique adoucissait les mœurs… » commenta Ladybug.
« Pour toi ma Lady, je serai prêt à jouer des sérénades à ta gloire ! » fanfaronna Chat Noir.
L’héroïne à la tenue rouge à points noirs retint un grognement exaspéré et préféra se concentrer sur sa mission en s’engouffrant avec son partenaire dans une porte à double battant. La pièce où ils se trouvaient ressemblait à la salle d’audition mais était beaucoup plus petite et le sol et les murs étaient plus sombres. De plus, cette pièce devait aussi servir à entreposer des objets car elle comptait deux pianos à queue, deux colonnes de chaises empilées et cinq bancs en bois entreposés dans un coin obscur de la salle.
Le Virtuose était, quant à lui, au centre de la pièce. Cette fois cependant, l’air qu’il jouait avait changé et les ondes sonores qu’il projetait étaient destructives, assez similaire à celles de Jagged Stone quand il était en Guitar Vilain.
Dès qu’il aperçut les deux héros, il passa immédiatement à l’attaque, forçant le duo à esquiver ses coups par diverses cabrioles.
« Il faut absolument capturer son akuma ! A ton avis, il se trouve où ? Dans son violon ? » demanda Ladybug.
« Je miserai plutôt sur son archet. A la manière dont il le tient, il y semble plutôt attaché. Et un violon n’est rien sans son archet. » répliqua son complice.
Pendant cette courte conversation, le Virtuose tentait de provoquer ses ennemis.
« C’est donc tout ce que vous êtes capables de faire, Ladybug et Chat Noir ? » ironisa leur adversaire.
« Cela ne fait que commencer Virtuose ! Lucky Charm ! » rétorqua l’héroïne en lançant son yoyo en l’air.
Quelques secondes plus tard, un objet atterrit entre ses mains pendant qu’elle l’examinait avec des yeux ronds.
« Quoi, un métronome ? Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire avec ça ? »
« Génial, tu vas pouvoir battre la cadence ! » plaisanta son partenaire.
Le Virtuose se mit à jouer une nouvelle mélodie et cette fois, Chat Noir marqua un temps d’arrêt : c’était le même air que Victor avait joué devant Nino et lui tout à l’heure. Sa musique était toujours aussi belle et harmonieuse, bien que le violoniste ait commis…
Soudain, un éclair de génie frappa le jeune superhéros. Sous les yeux éberlués de Ladybug, il lui arracha le métronome des mains et commença à le régler.
« Voyons, je crois que ce morceau se joue à cent battements par minute… » marmonna-t-il pour lui-même.
« Mais qu’est-ce que tu fabriques Chat Noir ? » s’étonna sa partenaire.
« T’inquiète ! A la fin du premier mouvement, il y aura une courte pause. Ensuite, quand ce métronome frappera sept coups, attrape son archet et capture son akuma. Je me charge de son violon. »
« Mais… » voulut protester sa Lady.
« Je connais le morceau qu’il est en train de jouer et le début du deuxième mouvement est difficile. Il y a une bonne chance qu’il commette une erreur et tu auras une opportunité pour attraper son akuma. »
Victor était certes un excellent violoniste mais il n’était pas une machine. Adrien se souvenait du moment où il avait joué cette mélodie : il ne maîtrisait pas encore le début du deuxième mouvement…
Comme il l’avait espéré, dès le début du deuxième mouvement, les notes, comme tout à l’heure, furent moins harmonieuses et le Virtuose perdit sa concentration. Chat Noir vit alors son occasion en or pour l’attaquer.
« Cataclysme ! » s’écria-t-il.
Avec son incroyable agilité, le superhéros bondit en fendant l’air avant de poser sa paume sur le violon qui se désintégra aussitôt. Privé de son instrument, le Virtuose ne pouvait plus attaquer et Ladybug intervint aussitôt en attrapant son archet à l’aide de son yoyo et de le briser, laissant échapper le maléfique akuma.
Après avoir purifié l’akuma et avoir tout remis en ordre, les deux héros tentèrent de rassurer le musicien mais celui-ci était en train de paniquer : avec tout ce qui s’était passé, il n’avait plus le temps de s’entraîner pour le gala de charité mais Adrien avait une petite idée derrière la tête…
Après avoir quitté sa Lady, il reprit son identité civile et accourut vers un Victor abattu et désemparé.
« Ah, ça va être une catastrophe ! » gémit le violoniste. « Avec tous ces événements, je n’ai plus le temps de m’entraîner. Je vais rater le deuxième mouvement de mon morceau. »
« Hum, tu sais, moi non plus je ne suis pas prêt avec tout ce qui s’est passé. Mais j’ai peut-être une solution. Que dirais-tu de… »
Victor écouta avec surprise les paroles du jeune Agreste avant de lui sourire avec gratitude. Il l’avait vraiment mal jugé…
-§-
« Mesdames, mesdemoiselles et messieurs, pour notre dernier morceau, il y aura un léger changement. Le jeune et talentueux violoniste Victor Belgrand nous jouera certes un morceau mais pour cette soirée spéciale, il sera accompagné au piano par Adrien Agreste ! »
Comme ni Victor, ni Adrien n’avaient eu le temps de répéter correctement, ils avaient décidé de s’entraîner mutuellement en prenant un morceau plus simple pour un duo violon-piano que ceux qu’ils devaient jouer à l’origine mais après tout, parfois, les choses les plus simples étaient les meilleures. Et musicalement, ils s’entendaient très bien car il ne leur avait fallu que deux heures pour se mettre au point.
Marinette, quant à elle, contenait difficilement son excitation croissante : enfin, elle allait voir Adrien jouer du piano. Et ce qu’elle entendait l’envoyait planer au paradis dans un état d’extase. Il était difficile de dire si elle avait écouté la musique ou si elle avait passé son temps à admirer l’impeccable profil de celui dont elle était amoureuse…
Après un tonnerre d’applaudissements, les deux musiciens saluèrent la foule et la soirée dansante commença. Nino ayant invité Alya pour la première danse, Marinette se retrouva seule. Elle tentait de rassembler tout son courage pour inviter Adrien à danser avec elle mais hélas, elle s’aperçut rapidement que Chloé avait eu la même idée et l’avait devancée.
« Adrichou, ça te plairait de danser avec moi ? » demanda-t-elle en minaudant.
« Eh bien, je… » dit-il d’un air gêné.
Heureusement pour lui, l’un des organisateurs du gala de charité le tira d’embarras juste à temps.
« Ah, monsieur Agreste ! S’il vous plaît, pourriez-vous nous aider à distribuer une partie des peluches aux enfants malades ? On manque de bras et nous devons aller en récupérer un surplus dans la réserve. Mademoiselle Bourgeois pourrait-elle aussi nous venir en aide ? »
« Moi ? Sans façon ! » répliqua la blonde. « Cela risque d’abîmer mon nouveau vernis ! Je pense que je vais plutôt aller danser ! »
Pendant qu’elle s’éloignait, l’organisateur fouilla autour de lui pour chercher quelqu’un qui ne dansait pas et qui serait donc disponible pour l’aider. Il trouva ainsi Marinette qui le dévisageait de ses grands yeux bleus.
« Et vous mademoiselle, seriez-vous disponible ? Cela ne prendra pas plus de cinq minutes. »
Alléchée par la perspective de passer du temps avec Adrien, Marinette accepta en bégayant pendant que son camarade lui adressait un sourire radieux.
A peine avaient-ils commencé à donner quelques peluches aux enfants malades qu’ils furent interrompus par des flashs d’appareils photos. Des journalistes firent alors irruption.
« Le jeune Adrien Agreste contribuant à l’effort de ce gala de charité ! » s’écria Nadia Chamack d’un air ravi. « Oh, tu es là Marinette. Que diriez-vous d’une petite photo pour m’aider à illustrer mon reportage ? »
Le lendemain matin, certes, Marinette n’avait pas réussi à danser un slow avec Adrien mais elle avait mieux : une photo d’Adrien et elle ensemble dans tous les journaux et les magazines qu’elle prit soin de découper et d’encadrer. Ce jour-là, elle avait eu du mal à se concentrer à ses cours tant elle était sur son petit nuage sans remarquer la rage et la frustration de Chloé…
The Curse of Twilight - Chapitre 5
Oct. 2nd, 2016 04:13 pmChapitre 5 : Prémices de plans
« Yuri. Yuri, réveille-toi. » chuchota doucement une voix à son oreille.
Il grommela un peu en s’agitant avant que ses paupières s’ouvrent lentement pour laisser voir deux orbes bleu azur qui le contemplaient calmement, penchées sur son visage avec un air joyeux. Ah ! Il aurait donné n’importe quoi pour voir ces yeux illuminés de bonheur comme c’était le cas en ce moment.
« Est-ce… un rêve ? » murmura-t-il pour lui-même.
Il eut sa réponse quand il entendit un rire résonner et sentit soudain des lèvres prendre avidement possession des siennes pour l’embrasser, savourant chaque instant de leur baiser avant de lui demander d’un ton taquin :
« Est-ce que tu préfères cela dans un rêve ou dans la réalité Yuri ? »
Il était dans un coin reculé des jardins de l’Ordre. Le soleil brillait, le ciel parfaitement bleu et dégagé et la brise légère qu’il ressentait donnait un temps agréable. Il était allongé paresseusement sur de l’herbe verte et tendre, se reposant en compagnie de la personne qu’il aimait. Personne aux alentours, tous les deux seuls, comme si le reste du monde avait cessé d’exister, comme si ce moment s’était figé retenant son souffle pour leur offrir un instant inoubliable.
« Je crois que je préfère apprécier ta présence dans la réalité Flynn. » répondit-il avec un sourire des plus sincères.
Son amant se mit de nouveau à rire. Il était agenouillé près du brun, penché vers lui mais Yuri trouva l’occasion trop bonne pour ne pas profiter davantage de lui. Saisissant son bras, en deux temps trois mouvements, il renversa le blond qui chuta et se trouva brutalement allongé sur l’herbe. Ce dernier voulut se relever mais Yuri ne lui en laissa pas l’occasion en le forçant à garder sa position.
« Yuri, je vais salir ma tunique ! On va me poser des questions après. » protesta Flynn.
« Tu n’auras qu’à te changer avant d’aller à cette cérémonie barbante ! Tu devrais aussi cesser de porter des vêtements blancs. Il y a rien de plus salissant que le blanc ! En même temps, cette couleur te va plutôt bien… » répliqua Yuri.
« Ce qui signifie que je vais devoir te quitter plus tôt pour avoir le temps de me changer. Et je préfère passer mon temps libre avec toi plutôt que de le garder pour changer des vêtements sales. » riposta le blond avec aigreur.
« Hmm, ça m’ennuie mais ton argument tient la route. » admit le brun. « La prochaine fois, je ferai plus attention. »
Son amant s’était saisi de sa main qu’il serrait à l’intérieur de la sienne avant de s’allonger près de lui. Yuri se tourna vers lui pour écarter quelques mèches dorées. Le temps était vraiment calme et agréable.
« En attendant, je peux bien profiter de ta présence, non ? Surtout qu’aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on respire un moment unique pour nous deux. »
Ils ne dirent plus rien par la suite. Ils se contentèrent de contempler le ciel bleu en goûtant à l’instant présent et leurs mains serrées l’une contre l’autre, heureux et comblés comme jamais ils ne l’avaient été auparavant.
--§--
« Flynn ! » s’écria Yuri en se réveillant brusquement.
Des brindilles et des débris de feuilles mortes étaient parsemés sur ses longs cheveux noirs. Il se releva en vitesse pour découvrir qu’il avait dû dormir sous sa forme de loup sous un chêne centenaire. A quelques mètres, derrière une rangée d’arbres, il discernait la cabane de Rita.
Un rêve… Ou pour être plus exact, un souvenir qu’il avait revu en rêve… Un souvenir d’un temps qui lui semblait presque lointain désormais, quand Flynn et lui étaient ensemble avant qu’ils ne deviennent des fugitifs, avant que la malédiction ne le touche…
Yuri secoua la tête pour s’éclaircir l’esprit. Pas le temps pour les regrets, de se sentir nostalgique du bon vieux temps. Le soleil s’était levé et les heures lui étaient comptées avant que l’astre se couche à nouveau. Il lui fallait retrouver Estelle et Repede et regagner au plus vite le QG secret de Brave Vesperia.
--§--
« Alors Raven, ramènes-nous tu de bonnes nouvelles ? »
« Eh bien… pas vraiment… Je veux dire que quelques nuits plus tôt cela aurait pu être de bonnes nouvelles mais à présent… »
« Que veux-tu dire ? »
« Eh bien, j’avais étudié la disposition des lieux, les rondes, bref tout ce qui aurait pu nous servir à préparer l’évasion de Flynn et hier, les conditions étaient optimales : soldats relâchés, personnel trop occupé… Plutôt compréhensible avec l’invité de marque qu’ils avaient et le festival qu’ils doivent préparer. »
« Eh bien ? Peut-être que les mêmes conditions ne se représenteront pas mais avec tes observations, il nous sera quand même possible d’organiser la fuite de Flynn non ? »
« Le souci est que Flynn avait aussi remarqué que les conditions étaient optimales pour s’évader et qu’il a aussitôt tenté sa chance… ce qui aurait pu réussir si on ne l’avait aperçu pas au dernier instant… En fait, si on avait coordonné une action commune avec le gamin cette nuit, il serait probablement parmi nous en ce moment. Mais… »
« Mais ? »
« Avec ce qu’il a tenté la veille, le Hiérophante ne veut plus prendre le risque qu’il s’évade à nouveau. Il a décidé de le garder personnellement nuit et jour. En clair, il a Flynn en permanence non loin de lui. Je ne sais pas mais on parle du chef suprême de l’Ordre gardé par une armée de chevaliers et de mages à son service, sans compter les prêtres et une multitude d’autres gens prêts à mourir pour lui, alors comment on va bien pouvoir s’introduire dans l’endroit le mieux gardé au monde pour aider à la fuite de Flynn qui se trouve auprès de la personne la mieux gardée au monde ? »
Il y eut un lourd silence dans la petite pièce. Dans une pièce sombre, seulement éclairée par une lampe à huile, un rai de lumière laissait entrevoir le visage renfermé d’un jeune garçon aux cheveux châtain, celui de Karol Capel, l’un des chefs de Brave Vesperia.
« Il n’y a donc aucune possibilité de sauver Flynn ? » demanda le garçon.
A côté de lui, Judith la Krytienne se tourna alors vers le troisième individu présent dans la pièce : un homme dans la trentaine ayant pour caractéristiques des cheveux bruns négligemment coiffés, des yeux bleus délavés et une barbe de trois jours.
« Raven ? » interrogea-t-elle.
L’homme poussa un soupir désolé.
« Même en mettant toutes nos ressources dans cette affaire, je doute que nous parvenions à le faire libérer. Je suis navré mais j’estime qu’ils nous auront tous pris ou tués avant même qu’on réussisse à atteindre Flynn. » répondit-il.
« Mais avec plus d’hommes ? Une alliance avec un autre groupe ? » questionna le plus jeune du trio avec un air désespéré. « Peut-être que ça améliorerait nos chances ! Peut-être… »
« Karol, même si moi aussi je souhaite libérer Flynn tout autant que toi, je te rappelle que contrairement à Altosk, Brave Vesperia n’est qu’un petit groupe de rebelles, pas une immense organisation répartie sur tout Akadia. De plus, nos propres membres ont déjà du mal à accepter Flynn dans nos rangs à cause de son passif alors avec d’autres rebelles… Nous avons toujours basé nos missions sur le volontariat mais je doute que le sauvetage de Flynn dans l’endroit le plus dangereux pour des rebelles suscite un énorme enthousiasme chez nous. » commenta la jeune femme aux cheveux bleutés.
« Je crois que tu as déjà dit que Flynn avait eu du mal à trouver des personnes prêtes à aider pour ouvrir le Portail vers cet autre monde. » dit Raven.
« Il a eu déjà du mal à nous convaincre. » se remémora Karol avec une grimace. « Et quand il y est parvenu, nous n’avons pas eu beaucoup de volontaires, surtout que Brennan, qui a beaucoup d’influence sur nos membres, était hostile et dubitatif à son plan. Heureusement que Yuri est intervenu parce que sinon, je crois que cela n’aurait jamais pu se faire. Et peut-être qu’on aurait évité la capture de Flynn… »
« Karol, Flynn était conscient des risques. » fit Judith d’une voix apaisante. « Tu ne dois pas t’en vouloir pour ça. »
« Mais en attendant, si on ne récupère pas Flynn dans les jours qui viennent, Yuri va être fou de rage à son retour. Je préfère encore affronter seul la forêt de Verdel et sa sinistre réputation de meurtres sanglants et de disparitions inexpliquées plutôt que de lui annoncer que Flynn a été fait prisonnier par l’Ordre. » se plaignit le jeune garçon.
Les deux adultes échangèrent un regard. Ils ne l’auraient avoué pour rien au monde mais ils n’étaient pas loin de penser comme Karol. Un Yuri de méchante humeur et en colère ne constituait franchement pas le camarade idéal pour une discussion pacifique et constructive… Pendant que Judith se mordait les lèvres, recherchant une réponse appropriée à donner à son cadet, Raven était perdu dans ses pensées, une main posée sur sa tempe comme pour se concentrer.
Après plusieurs longues minutes de réflexion, le trentenaire leva la tête mais son visage trahissait de l’incertitude.
« Il y a peut-être une solution… » prononça-t-il lentement comme s’il hésitait à poursuivre.
Les deux autres le regardèrent alors avec espoir mais restèrent muets pour encourager leur compagnon à continuer.
« Le Hiérophante doit se rendre à la ville de Noridhim pour honorer le festival du Mystère [1]. » annonça Raven. « S’il veut vraiment avoir Flynn sous ses yeux, il sera forcément obligé de l’emmener avec lui. »
« Il ne prendra pas ce risque ! » s’exclama Karol. « Pourquoi trimballer son prisonnier pour un festival ? De toute façon, Flynn sera mieux gardé dans le quartier général de l’Ordre plutôt qu’à Noridhim. »
« Je suis plutôt d’accord avec Karol. Ce serait un risque inconsidéré pour lui d’emmener Flynn à Noridhim juste pour un festival. Il laisserait des chances non négligeables à Flynn de s’évader à nouveau. Pourquoi le prendrait-il ? » argumenta la Krytienne.
« L’une des raisons, je pense, est qu’il n’aime pas se séparer de son captif, même si ce n’est juste que pour quelques jours. Il s’est donné beaucoup de mal pour mettre la main sur Flynn et nous savons tous les trois les rapports qu’ils entretenaient auparavant. » répliqua Raven. « L’autre raison… est qu’il se doute que Yuri, et par extension nous et Brave Vesperia, allons tenter l’impossible pour le récupérer. »
« En d’autres termes, cela pourrait être un piège. » conclut Judith. « Comment être sûr néanmoins qu’il prendra Flynn avec lui ? »
« Pour Alexei, nous sommes sans doute une épine dans le pied dont il veut se débarrasser au plus vite. Je ne pense pas qu’il ratera une telle occasion pour éliminer définitivement Brave Vesperia, d’autant plus que Garista fait également partie du voyage. »
« Et tu sais comment il va transporter Flynn sans attirer l’attention ? » questionna Karol. « Je veux dire, pour le public, ça ferait bizarre qu’on déplace un prisonnier sans raison particulière. »
« Oh, crois-moi, Alexei et Garista ont tout prévu. Je doute par contre que cela soit au goût de Flynn… »
« C’est un festival où les déguisements et costumes sont de rigueur. Nous pourrons donc utiliser cela à notre avantage. » remarqua Judith. « Mais cela ne me débarrasse pas de cette impression que nous nous dirigeons tout droit vers un traquenard… »
« Tu préfères annoncer la mauvaise nouvelle à Yuri au sujet de Flynn ? » demanda le garçon aux cheveux châtain.
Il y eut un long silence, lourds de sous-entendus.
« Je pense qu’il vaudrait mieux commencer à élaborer notre plan pour Noridhim en prenant le plus grand nombre de précautions. » déclara Judith d’un ton dégagé. « Voyons comment nous pouvons… »
--§--
Quand Yuri arriva devant la maison de Rita, il s’apprêtait à signaler sa présence en frappant à la porte mais il devina que Repede l’avait devancé car ce dernier lança un aboiement et gratta devant la porte avec un bruit distinct comme s’il s’efforçait de l’ouvrir. Il reconnut ensuite la voix agacée de Rita et une série de sons lui laissant comprendre qu’elle s’était levée et qu’elle se dirigeait vers la porte avant de l’ouvrir.
« Entre vite. On doit discuter. » grogna-t-elle.
Le brun ne se fit pas trop prier. Il sentit qu’il était temps de fournir des explications et d’avoir une conversation sérieuse avec la jeune mage. Dès qu’il pénétra dans sa cabane, elle lui désigna en silence un tabouret, loin d’Estelle qui dormait encore dans le hamac. Elle avait sorti un peu de pain pour le petit-déjeuner et de la viande séchée pour Repede.
A peine Yuri eut-il le temps de s’asseoir que déjà, Rita le bombardait de questions :
« Toi, tu es sous l’emprise d’un sort, n’est-ce pas ? Ou d’une malédiction ? Elle te change en loup toutes les nuits, c’est ça ? »
La faible lueur dans la cabane lui laissait entrevoir des yeux verts curieux et inquisiteurs. Son regard gris se détourna un instant vers la jeune Estelle endormie avant qu’il ne réponde d’une voix basse tout en s’efforçant de recoiffer ses longs cheveux de jais :
« Humpf ! Tu n’es pas n’importe qui pour l’avoir vu en un simple coup d’œil ! Je suppose que tu n’étais pas n’importe qui pour être entrée dans l’Ordre à ton âge. »
« Peuh ! Ne me confonds pas avec n’importe quel mage de bas étage ! » répliqua Rita d’un ton mordant. « Je n’en ai pas l’air mais avant mon renvoi, j’étais loin d’être une incapable et je m’occupais de recherches majeures. Mais passons ! Ta malédiction, elle m’a l’air bien puissante et je ne vois donc que quelques personnes dans l’Ordre qui soient capables de la jeter. C’est cet abruti de Garista qui en est le responsable ? »
Elle avait une expression si féroce quand elle prononçait le nom de Garista que Yuri devina rapidement que la mage avait un antagonisme marqué avec le Cardinal.
« Je me trompe peut-être mais j’ai la forte impression que toi et le Cardinal Garista n’êtes pas les meilleurs potes au monde. » commenta le brun.
« Evidemment ! Il a tout fait pour discréditer mon travail mais cela ne l’a pas empêché d’exploiter mes résultats pour ses propres besoins personnels ! » grommela Rita. « Je n’ai pas apprécié la manière dont il a détourné mes recherches pour des rituels ou des sorts tous plus ou moins barbares et le pire, c’est avec le fruit de mes propres recherches qu’il est monté en grade. Alors cette malédiction, c’est tout à fait le genre de truc qu’il a pu mettre au point. Si c’est lui, je devrais être capable de mettre au point un contre-sort pour te libérer. »
Yuri avait la forte impression que ce n’était pas par altruisme que Rita cherchait à lever sa malédiction mais plus pour damner le pion à Garista qui semblait être sa Némésis personnelle.
« Malheureusement, ce n’est pas lui. Celui qui a jeté ma malédiction, c’est le Hiérophante. »
« Quoi, le Hiérophante en personne ? » ne put s’empêcher de s’exclamer l’irascible mage.
Elle marqua un silence avant de passer une main dans ses cheveux châtain, visiblement en pleine réflexion.
« Si c’est le Hiérophante lui-même, alors cela risque d’être plus difficile. Il a accès à des arcanes secrets dont je peux à peine me faire une idée. Mais laisse-moi te dire que tu t’es fait un ennemi puissant et pas n’importe lequel, qui plus est. Le dirigeant de l’organisation la plus puissante d’Akadia, rien que ça ! »
« Je le sais bien ! Crois-moi, cela fait plus de deux ans que j’essaie de trouver un moyen de me débarrasser de cette malédiction et j’ai difficilement trouvé quelque chose ! Si tu crois que ça m’amuse de devenir un loup toutes les nuits !»
Rita ne répondit pas et garda le silence. Il y avait un petit air de commisération dans ses yeux verts pendant quelques secondes avant que son regard dérive vers la jeune fille endormie aux cheveux roses.
« Et cette fille ? Elle vient de l’autre monde, n’est-ce pas ? »
« Tu es donc bien au courant de l’autre monde et des Portails. C’est pourtant une information confidentielle détenue que par ceux de hauts rangs dans l’Ordre. » commenta le rebelle de Brave Vesperia.
« Comme je te l’ai dit, j’étais plutôt bien placée à l’époque. Je suis plutôt surprise que toi, un rebelle, qui ne devrait avoir aucun lien avec l’Ordre soit au courant de l’existence de l’autre monde et ait été capable de s’y rendre pour ramener cette fille. Qui t’en a parlé ? » interrogea la mage.
« Quelqu’un. » répondit Yuri d’une voix évasive.
« Quelqu’un de l’Ordre qui devait être bien placé dans ce cas et qui devait savoir comment ouvrir un Portail pour que tu réussisses cet exploit. » répliqua son interlocutrice.
Elle dévisagea à nouveau Estelle avant de reprendre la conversation :
« Il y a des légendes qui parlent d’êtres aux cheveux roses. On les nomme les enfants de Pleine Lune et on dit qu’ils ont un potentiel magique extraordinaire. J’ignorais qu’il en existait dans cet autre monde. Je les croyais totalement éteints. Selon certains mythes, les membres de l’ancienne lignée impériale comprendraient parmi leurs ancêtres des enfants de Pleine Lune mais il sera difficile de le vérifier vu que la lignée en question est totalement éteinte. »
Elle marqua une nouvelle pause en se mordant les lèvres. Elle avait une expression intriguée quand elle contemplait Estelle.
« Elle a peut-être un immense potentiel magique inexploité. Mais il lui faudra forcément lui apprendre les bases. Telle qu’elle est, ce n’est qu’un diamant à l’état brut donc sans le moindre intérêt. »
« Ne parle pas d’elle ainsi, comme si elle représentait un intéressant sujet de recherche ! » s’agaça Yuri.
« Pourtant, elle attise mon intérêt. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre une potentielle enfant de Pleine Lune. Et contrairement à toi, je connais les bases en mana. Je peux donc l’aider pour lui enseigner les premiers pas. A moins que tu connais quelqu’un d’autre pour faire ce boulot à ma place. Je devrais bien sûr vérifier son affinité élémentaire mais… »
« Je connais déjà quelqu’un qui pourra tout lui apprendre sans manifester une curiosité que je trouve, excuse-moi du terme, malsaine ! »
Ils s’affrontèrent du regard mais rapidement, celui de Rita s’abaissa vers le sol poussiéreux de sa cabane.
« Désolée. Je tends à laisser ma curiosité scientifique à prendre le dessus, sans tenir compte des considérations des autres. On me l’a souvent reproché. » admit l’ancienne mage de l’Ordre.
Comme pour s’excuser de son comportement, elle balança un morceau de pain en direction de Yuri et lui servit à la hâte de l’eau dans un gobelet de terre cuite.
« Mais ceux de l’Ordre le disaient avec une telle hypocrisie qu’ils n’en étaient absolument pas sincères. Le seul qui était vraiment honnête quand il prononçait ce genre de reproches était le seul type décent avec qui j’arrivais à m’entendre… enfin, si on pouvait dire s’entendre… »
« Ah ! Je serai curieux de savoir le nom de ce type en question ! »
« A l’époque, c’était le chevalier-prêtre le plus en vue parmi ses pairs. Il était l’un des disciples les plus doués du Hiérophante. Il s’appelait Flynn et… »
« Quoi ? Flynn ? Comme Flynn Scifo ? » ne put s’empêcher de s’écrier Yuri.
A cette exclamation, ce fut au tour de Rita de montrer sa stupéfaction et sous la surprise, la pile de livres où elle avait posé l’un de ses coudes s’effondra par terre dans un bruit sourd. Heureusement, Estelle semblait avoir un sommeil lourd.
« Tu connais Flynn ? Mais c’est impossible ! Il n’y a pas plus dévoué que lui aux idéaux de l’Ordre ! » murmura la mage d’un air incrédule avant de prendre un air songeur. « Mais cela expliquerait comment tu sais pour l’autre monde et pour tout le reste. Il avait également les connaissances pour ouvrir un Portail. Je peine cependant à croire que Flynn ait tourné le dos à l’Ordre. »
« Si tu parles d’un crétin blond aux yeux azur, tête de mule et toujours prêt à se fourrer dans les ennuis pour aider les autres, alors oui, c’est bien de lui dont je parle. » répliqua Yuri.
Rita l’observa longuement, comme si elle prenait réellement conscience de la présence du rebelle dans sa cabane. Ses doigts tripotaient nerveusement son menton et elle mordait ses lèvres d’un air désemparé. Sa voix était inhabituellement douce et triste quand elle reprit la parole :
« Yuri, je vais te demander une faveur. Pourquoi Flynn a-t-il quitté l’Ordre et qu’est-il devenu depuis ? »
Le brun fut surpris par le changement de caractère et de comportement de la mage. Manifestement, malgré les durs termes qu’elle avait utilisés, elle se souciait du sort de Flynn. Ce fut pour cette raison qu’il lui répondit en toute honnêteté.
« L’Ordre l’a trahi et il s’est enfui. Et depuis plus de deux ans, il est devenu un fugitif traqué par l’Ordre. » répondit Yuri avec hargne.
« Je vois. » se contenta de dire Rita tout en hochant la tête.
« Je n’ai pas fini : ce bâtard de Garista a réussi à le capturer pendant que j’étais dans l’autre univers. »
Cette fois, ce fut une pile d’alambics et de fioles en verre qui se fracassèrent au sol, réveillant définitivement Estelle qui émit un cri de surprise. Le regard vert de Rita devint tranchant comme une lame et cette vision frappa Yuri. Elle marmonnait mille imprécations dans sa barbe tout en jetant des livres au sol et marchait à petits pas précipités tout en tournoyant sur place.
« Non mais c’est pas vrai ! Quel abruti ! Je le croyais pourtant assez intelligent pour éviter de se retrouver dans ce genre de situation ! » râla la mage.
Sans se soucier du boucan qu’elle faisait, elle commença à ouvrir divers placards et armoires, les fouillant et jetant par terre plusieurs papiers jusqu’à ce qu’elle sorte un long morceau de toile cirée qu’elle déroula sur une table en écartant sans ménagement son bazar. Yuri y jeta rapidement un coup d’œil pendant qu’Estelle s’éveillait difficilement : apparemment, c’était une carte plutôt bien détaillé de la région.
« C’est où que tu penses aller ? » demanda Rita tout en sortant une sacoche de cuir et un sac de toile en y fourrant de nombreuses feuilles et grimoires.
« Ici, près du village de Thielke. » indiqua Yuri.
Thielke était un petit lieu ordinaire où peu de gens osaient y vivre à cause de la proximité avec la forêt de Verdel. Il était également le village le plus proche de la base secrète des rebelles de Brave Vesperia.
« Thielke ? On peut y être en moins de deux jours mais il faudra passer une nuit en forêt. »
« Attends ! "On" maintenant ? » rétorqua Yuri.
« Oui parce que je viens avec toi ! » répondit la mage d’un ton sec qui ne souffrait d’aucune contestation possible. « Je commence à en avoir plus qu’assez de l’Ordre et des manigances de Garista. Il est temps que je règle mes comptes avec lui ! Et en plus, il s’en est pris au seul abruti décent ! »
Yuri ne chercha même pas à protester. Il avait trop bien vu le changement dans les yeux et le comportement de Rita. Sa détermination, alimentée principalement par un fort désir de revanche contre Garista, était trop grande pour qu’il cherche à la dissuader. Il devina également que pour une raison ou une autre, Flynn jouait dans sa décision de quitter sa cachette en plaquant toutes ses recherches – ces deux-là devaient se connaître. Et puis il y avait son intérêt pour le potentiel magique d’Estelle… Il se contenta donc de hausser les épaules.
« Bah, fais comme tu veux ! Ça m’est égal ce que tu fiches mais je ne suis pas contre une alliée pour libérer Flynn. » dit-il nonchalamment.
« D’accord pour libérer le crétin blond mais cela ne veut pas dire que je rejoins ta bande de rebelles ! Considère que je suis à mon compte ! » répliqua la mage.
Pendant ce temps, Estelle marmonnait des excuses pour son réveil tardif mais ni Yuri, ni Rita ne semblaient s’en soucier. Repede se contenta d’ignorer la jeune fille en s’écartant de son chemin sans aller chercher de caresses et la mage déposa le plus gros en nourriture qui lui restait mais elle avait clairement d’autres chats à fouetter, sortant quasiment tous les contenus de ses armoires et placards dans l’idée de faire ses valises apparemment. Elle s’approcha timidement de Yuri qui l’observait en silence sans rien dire et demanda :
« Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »
« Pour le moment, tu prends un bon petit-déjeuner pendant que miss Pyromane prépare ses affaires. Peut-être qu’elle pourra aussi te prêter quelques habits, car franchement, tu ne risques pas de passer inaperçue vu comment tu es fringuée. Ensuite, on continue notre route vers les quartiers de Brave Vesperia. D’après miss Pyromane, il nous faudra deux jours pour sortir de la forêt. »
« On risque de rencontrer quelques bêtes ou des monstres mais ça, j’en fais mon affaire. » dit Rita. « Et je suppose que ton sabre n’est pas un bout de métal inutile, même si cela ne servira pas à grand-chose pour cette nuit. »
« Repede peut aussi aider. » fit remarquer le brun avant de se relever avec fracas.
« Je suis pas sûre d’avoir sa taille. » ajouta Rita en désignant celle qui venait d’un autre monde. « Tout ce que j’ai risque d’être trop petit pour Estelle. »
« Trouve juste quelque chose le temps qu’on rejoigne le repaire de Brave Vesperia. On doit avoir de quoi l’habiller là-bas. »
Il voulait un peu s’étirer les muscles avant de partir. Et puis, il ne pouvait s’empêcher de penser à ce que pouvait subir Flynn en ce moment…
« Bon, où est mon balluchon ? Je vous préviens que je refuse de partir si je ne l’ai pas à notre départ ! » avertit-il avant de fermer la porte de la cabane derrière lui.
Repede l’ayant suivi, les deux filles se retrouvèrent seules. La mage fronça les sourcils.
« Il a quoi son balluchon pour qu’il y tienne ainsi ? » demanda-t-elle.
« Il y avait un bracelet mais je le porte en ce moment. » répondit celle qui venait d’un autre monde en désignant son poignet. « Oh, il y avait aussi un vieux gant en cuir. »
« Quoi ? Et il fait toute une histoire pour un vieux gant en cuir ? »
-§-
Deux jours plus tard, après un voyage sans incident notable – sauf si on exceptait quelques attaques de monstres vite réglées par Yuri, Rita et Repede ou la énième transformation en loup de Yuri qui avait obligé Rita et Estelle à dormir dans un arbre –, le petit groupe atteignit enfin la lisière de la forêt en fin d’après-midi. Si la mage au caractère explosif avait servi de guide pendant le premier jour et une grande partie de cette deuxième journée, c’était désormais Yuri précédé de Repede, qui les menait vers la cachette de Brave Vesperia.
A l’horizon, on devinait au loin les fumées de cheminées du village de Thielke mais ce n’était pas là que Yuri les emmenait. Il était plutôt en train de longer la lisière de la forêt jusqu’à atteindre une petite vallée désertique. Le sol y était aride, rocailleux même et on devinait l’ancien lit d’un ruisseau qui avait dû s’assécher. Il restait quelques amas d’herbes éparpillées, des arbustes et de rares plantes vivaces. Estelle devinait à quelques couinements perçus que des animaux, probablement des rongeurs et des reptiles, y rôdaient discrètement.
Vers un versant de la vallée, Yuri et Repede s’arrêtèrent devant un gros arbuste épineux au bois robuste adossé à un énorme rocher. L’épéiste jeta un coup d’œil à Rita et Estelle et leur indiqua de les suivre.
Ils contournèrent l’arbuste et le rocher et les filles furent surprises de constater qu’ils dissimulaient habilement une sorte d’entrée qui pouvait évoquer l’entrée d’une grotte ou celle d’un terrier.
« Faites attention, c’est sombre et ça peut glisser sous les pieds. » expliqua Yuri pendant que son compagnon canin se faufilait déjà à l’intérieur. « Il y aura une sentinelle mais laissez-moi m’en occuper, ok ? »
Sans attendre leur réponse, il se glissa à son tour dans le trou. Avec appréhension, Estelle et Rita lui emboîtèrent le pas.
Si l’espèce de trou où elles avaient pénétré ne pouvait laisser passer qu’une personne à la fois et était glissant comme un toboggan, l’intérieur était plus grand et permettait de tenir debout. C’était sombre, comme l’avait annoncé Yuri et les deux filles eurent du mal à se repérer mais Rita émit une petite flamme rouge au bout de ses doigts, ce qui rassura Estelle qui la remercia chaleureusement. Un peu plus loin, Yuri patientait en tapant du pied avec impatience. Repede, quant à lui, avait déjà disparu.
L’intérieur évoquait une grotte de chauve-souris. Il y en avait d’ailleurs de ces bestioles, suspendues au plafond et qui commençaient à étirer leurs ailes à l’approche de la fin de journée, ce qui rendit Yuri un peu anxieux et il accéléra sa marche.
Durant les premiers mètres, absolument rien n’évoquait une cachette secrète de rebelles. Avec ses rochers humides, l’obscurité et ces chauves-souris, cela ressemblait à une banale grotte d’animaux nocturnes volants. Mais bientôt, ils s’approchèrent d’une anfractuosité et avant qu’Estelle comprenne, Yuri la poussa brutalement sur le côté pour éviter… un poignard qui la rata de peu…
« Hé du calme, c’est moi, Yuri ! » s’écria-t-il. « Les deux autres sont avec moi ! »
« Yuri ? » dit une nouvelle voix pendant que Repede aboyait pour signaler sa présence. « Oh, bon sang, on ne t’attendait pas de sitôt ! Eh Brennan, envoie quelqu’un avertir Judith que Yuri est de retour ! »
« Et dis-lui de faire vite sinon, je m’en vais pioncer dans ma chambre ! » cria le brun.
Puis il ajouta à voix basse, de façon à ce qu’Estelle et Rita soient les seules à pouvoir l’entendre :
« Sauf indication contraire, pas un mot sur ma condition nocturne, compris ? »
Quelques instants plus tard, le garde pivota une grosse pierre, ce qui enclencha un mécanisme qui fit glisser une paroi rocheuse pour laisser place à une ouverture et à la véritable entrée de la cachette de Brave Vesperia.
« Bienvenue chez moi et faites comme chez vous. » dit Yuri avec une mine ironique.
Estelle était un peu intimidée, Rita quelque peu de mauvais poil mais ils franchirent l’entrée que la sentinelle referma immédiatement après eux.
C’était impressionnant. Cachés à l’intérieur d’une vallée rocheuse et aride, les rebelles de Brave Vesperia avaient ménagé dans ces cavernes une véritable habitation troglodyte. Pour l’éclairage, il y avait des torches et des lanternes suspendues au plafond ou accrochées aux murs. La température était plutôt agréable même si cela devait être plus frais lors des hivers. Des trous avaient été discrètement creusés, ici et là, et devaient servir pour l’aération. A l’écho qu’on percevait, on devinait une rivière souterraine qui constituait une précieuse source d’eau potable. Brave Vesperia était réellement un groupe plutôt qu’une organisation de rebelles si on devait comparer à Altosk qui était considéré officiellement comme la menace la plus dangereuse pour l’Ordre. La bande ne devait pas dépasser quinze personnes, estimait Rita et cela se reflétait dans leur cachette. Dans la caverne, il y avait une sorte de couloir qui menait vers diverses cavités et chaque membre y avait visiblement aménagé sa chambre de fortune mais il en restait certaines qui étaient laissées à l’abandon. Pourtant, on ne se privait pas de confort dans cet endroit. Il y avait de nombreux ustensiles, des meubles, des tapis, des matelas de paille et même des oreillers à plume d’oie. Sur les parois, certains s’étaient amusé à décorer la caverne en gravant des dessins au couteau ou en enduisant les pierres de colorants obtenus en broyant des minéraux. Le lieu aurait paru presque plaisant et agréable à vivre – Estelle voyait trois hommes jouer aux dés – si on pouvait mettre de côté l’absence de soleil et le fait qu’il s’agissait d’une cachette pour se dissimuler aux yeux de l’Ordre.
Sous les yeux étonnés de celle aux cheveux roses, une jeune femme aux cheveux bleutés et aux oreilles pointues s’avança. Sa silhouette sensuelle, sa tenue dénudée et surtout… sa poitrine bien mise en valeur firent forte sensation sur Estelle qui jeta discrètement un regard attristé vers sa propre poitrine. La comparaison était difficile…
« Bon retour parmi nous Yuri. Je dois t’avouer que je ne m’attendais pas à te revoir aussi… tôt. » dit la nouvelle venue.
« Où sont Karol et le vieux, Judy ? » questionna l’épéiste sans préambule.
« Dans la salle de réunion. Est-ce que tu veux… »
« Oui, je veux les voir tout de suite ! » répliqua Yuri avec empressement. « On n’a pas beaucoup de temps ! »
« Tu pouvais au moins me présenter tes deux nouvelles amies. » déclara la dénommé Judy avec une moue faussement ennuyée.
« Pas la peine ! Je les présenterai en même temps au vieux et à Karol ! » rétorqua le brun.
La jeune femme poussa alors un léger soupir, ses doigts effleurant sa joue pendant qu’elle levait des yeux songeurs. Yuri ne tint cependant pas compte de ses états d’âme en s’enfonçant avec impatience dans l’un des couloirs, forçant ainsi les filles à le suivre.
« J’ai comme l’impression que les retrouvailles vont être houleuses… » murmura la Krytienne pour elle-même.
Puis elle se tourna vers ses deux visiteuses. Elle jeta brièvement un regard intrigué vers Rita mais elle observa Estelle et ses yeux turquoise avec un examen des plus approfondis, s’attardant sur ses habits.
« Ils m’ont l’air un peu petit pour toi. Je te donnerai quelque chose de plus confortable. » promit-elle. « Venez, suivez-moi ! Comme l’a dit Yuri, je crains que le temps nous soit compté. »
-§-
La salle de réunion était très simple. Une simple table en bois, des chaises et des tabourets avec en son centre, une lampe à huile. Dès que les filles rejoignirent les hommes dans la pièce, Yuri fit rapidement les présentations.
« Estelle, Rita voici Judith, Karol et Raven. » annonça-t-il en montrant de sa main gauche les personnes concernées au fur et à mesure qu’il les présentait. « Faites attention au vieux, il a tendance à courir après tout ce qui a un vagin. »
« Hé ! » protesta Raven mais Yuri fit mine d’ignorer son intervention.
« Judy, Karol et le vieux, je vous présente Rita, une mage maniaque en pyromanie et Estelle qui vient de l’autre monde. »
« Humph, en voilà une façon de présenter les choses ! » commenta Rita d’un air énervé.
« Elle ? Une mage ? » interrogea Karol d’une voix dubitative.
« Bien sûr que je le suis, morveux ! J’étais même une mage de haut rang quand j’étais dans l’Ordre ! »
« Un ancien mage de l’Ordre, Yuri ? » commenta Judith en échangeant un regard avec lui.
« Oui. Ne t’inquiète pas, elle a des motivations personnelles pour vouloir nous aider. Et j’ai vu de quoi elle était capable. »
« Hmm, j’ai confiance en ton jugement mais je crois qu’il vaudrait mieux garder ce détail entre nous. Inutile d’ébruiter son passé. »
« Et la charmante demoiselle vient donc de l’autre côté du Portail ? » demanda Raven en s’approchant d’Estelle avec un air appréciateur. « Je dois reconnaître que tu as plutôt bon goût, gamin, mais pourquoi avoir misé sur elle ? »
« Ton fichu bracelet a réagi en sa présence. » maugréa Yuri. « Et ce crétin de Zagi m’a forcé à quitter l’autre monde en catastrophe. Je n’avais donc pas l’embarras du choix. »
Il se laissa tomber sur une chaise, contempla les alentours avant de jeter un regard mauvais en direction de Judith, Karol et Raven.
« En parlant de Zagi, il m’a appris quelque chose d’intéressant sur Flynn… Maintenant, la question est : comment avez-vous pu laisser Flynn dans les sales pattes de l’Ordre ? »
Les trois membres de Brave Vesperia déglutirent avec difficulté. Yuri contenait difficilement sa rage, ce qui était la réaction qu’ils avaient voulu absolument éviter. Ils savaient tous parfaitement que Yuri était très, voire trop, protecteur envers Flynn même s’il avait ses raisons… Le blond était si précieux pour lui…
Et ils l’avaient laissé aux mains de ses pires ennemis…
« Yuri… » tenta Karol en guise de défense.
« Yuri, crois-moi, Karol et moi avons tout fait pour le protéger comme tu nous l’as demandé mais tu connais Flynn… Il n’a pas supporté cela. Une fois que tu es parti dans le Portail, l’Ordre nous a repérés au moment de notre fuite et… je pense que tu devines la suite… » dit Judith.
« Il s’est sacrifié pour vous couvrir, n’est-ce pas ? »
Karol et Judith opinèrent de la tête. Yuri les contempla un moment avant de pousser un grognement exaspéré.
« Je me doutais bien que pour se faire attraper, il devait avoir commis une action stupide de ce genre. » grommela-t-il. « Et Alexei doit être ravi de l’avoir entre ses griffes. »
« Ce qui est problématique, c’est qu’il était le seul à pouvoir nous renseigner sur cette fameuse Prophétie. Alors certes, nous avons une personne de l’autre monde mais sans Flynn, on n’arrivera à rien. » dit Raven.
« La Prophétie ? » intervint Rita. « Attendez, vous voulez dire que vous tentez de la réaliser ? »
« Tu connais la Prophétie, Rita ? » demanda la Krytienne.
« Pas sa teneur exacte mais oui, j’en ai vaguement entendu parler. Il y en a plusieurs certes mais impossible de rater celle-là : elle prédisait qu’une personne de l’autre monde bouleverserait le destin d’Akadia. Je n’en sais pas davantage cependant. »
« Flynn en sait peut-être plus. » remarqua Karol.
« Cela ne m’étonnerait pas. » dit Rita en haussant les épaules. « Quand on sait qui lui servait de figure parentale à l’époque… »
« On revient donc au fait que nous devons récupérer Flynn. » constata calmement Judith. « On a commencé à mettre quelque chose au point Yuri mais les explications seraient longues et il vaudrait mieux… que tu te reposes en premier, Yuri, avant… »
« Inutile de prendre des pincettes, Judy, elles sont au courant. »
« Oh ? Elles savent ? Tant mieux, cela m’évitera la peine de devoir justifier ta disparition pour cette nuit et les nuits à venir. »
« Occupe-toi d’elles en mon absence, Judy. »
« Je n’y manquerais pas. »
-§-
« Je sais que vous voulez le garder sous votre constante surveillance, votre Excellence. » dit Garista. « Mais je ne peux m’empêcher de penser que c’est un risque inconsidéré. C’est comme brandir un morceau de viande à ce chien de Yuri Lowell et sa bande. »
« Je comprends tes légitimes inquiétudes, Garista. C’est pourquoi, nous allons prendre certaines précautions. Que font Cumore et les autres ? »
« En train de préparer vos affaires et votre escorte pour votre voyage de demain, votre Excellence. »
« Très bien. Amène-le dans ma chambre. » ordonna Alexei.
Deux gardes soulevaient par les épaules un corps inerte aux courts cheveux blonds comme le blé au soleil, la tête retombant lourdement par devant. Flynn Scifo…
« Tu l’as drogué ? » demanda le Hiérophante.
« Oui. Je craignais un esclandre de sa part. Il est très méfiant envers tout ce qu’on lui donne mais même lui ne peut résister à l’instinct de boire. Cependant, compte tenu des circonstances, j’ai peur d’avoir sous-dosé la quantité à lui administrer. » expliqua le Cardinal. « Il doit être encore à demi-conscient. »
« Cela fera l’affaire. L’essentiel est qu’il ne perturbe pas le sort. Allongez-le par terre et sortez ensuite d’ici ! » commanda Alexei aux soldats.
Dès que les deux hommes avaient quitté la chambre, Alexei ouvrit un petit placard de son autel, sortant une somptueuse coupe en or sertie d’une belle topaze taillée. La coupe était déjà remplie au tiers d’un liquide rougeâtre d’une consistance similaire au vin…
« Déshabille-le et tu jetteras ses vêtements au feu après. Je ne serai pas surpris d’apprendre que ce serait un cadeau de Yuri Lowell. Tu lui donneras ensuite autre chose. »
« Très bien. » dit Garista en inclinant.
Le Cardinal souleva la tête de Flynn. Au même moment, celui-ci ouvrit un œil vitreux mais la drogue faisait son effet : il n’était pas totalement conscient de ce qui lui arrivait.
Avant qu’il ne puisse comprendre, il sentit quelque chose de dur sous ses lèvres et un liquide s’écouler dans sa bouche. Il eut le réflexe de cracher mais dans son état de faiblesse, Garista n’eut aucun mal à maintenir ses mâchoires fermées et à exercer une pression sur sa gorge pour le forcer à boire. Ce n’était pourtant pas désagréable quoiqu’il avait l’impression qu’il y avait un arrière-goût métallique…
« Parfait. Et maintenant, bâillonne-le. Je ne veux prendre aucun risque. » ordonna Alexei.
Pendant que le Cardinal exécutait la sale besogne, Flynn commençait lentement à reprendre conscience. Il voulait se relever mais il se rendit compte avec effroi que le simple fait d’agiter ses doigts lui demandait un effort considérable. Et ses bras et ses jambes lui paraissaient si lourds, sa vision si floue et tout ce qu’il entendait semblait résonner dans le lointain… La voix d’Alexei semblait… suivre un rythme… Une prière, un chant ?
Tout à coup, son champ de vision fut entièrement occupé par le Hiérophante qui le regardait dans les yeux.
« Cela aurait été beaucoup plus simple si tu étais resté dans l’Ordre Flynn. Mais tu ne me laisses pas beaucoup de choix… »
Il sentit soudain la main de son ancien mentor se poser au centre de son torse nu.
Et il ressentit aussitôt une fulgurante douleur. Comme une brûlure intense. Comme si on le marquait au fer rouge. C’était sans doute ce qui se rapprochait le plus de ce qu’il ressentait. S’il n’avait pas été bâillonné, nul doute qu’il en aurait hurlé au point de s’arracher les poumons.
La douleur était telle qu’il ne tarda pas à sombrer dans l’inconscience…
« Excellent. » commenta Alexei tout en contemplant son ancien élève. « C’est un sort qui se manifeste plutôt sur le long terme mais au moins, la première étape de notre plan est en route. Ramène-le dans sa cage Garista. Il nous faut nous préparer pour le festival de Noridhim. »
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[1] Le mystère est à prendre ici dans son sens au Moyen-Âge, à savoir un genre théâtral mettant souvent en scène des sujets religieux.
Confession
May. 1st, 2016 12:45 pmTitre : Confession
Auteur : Eliandre
Beta : Kaleiya Hitsumei
May 1 – 2 Rose bud : Confession of love
Note : Crossover avec le film Le Masque de Zorro.
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Parfois, Yuri maudissait sa poisse légendaire. Après la mort de sa demie-sœur Judith et de leur ami Raven, il n’avait pensé qu’à sa vengeance : tuer le capitaine Alexander Cumore, leur meurtrier, ce lâche qui avait décapité la tête de Judy pour s’attribuer le mérite de sa mort. Pris en charge par Finath Scifo alias Zorro, l’ancien héros du peuple, qui le reconnut comme l’un des enfants l’ayant sauvé des soldats d’Alexei Dinoia lors de sa dernière mission, celui-ci avait fait subir un entraînement pire que la mort pour que Yuri devienne un escrimeur exceptionnel. Le jeune homme aux longs cheveux bruns se demandait si Zorro prenait un quelconque plaisir à malmener son élève pour le pousser à développer son potentiel mais il devait le reconnaître : l’entraînement portait ses fruits.
Bien qu’il n’avait pas encore atteint les objectifs que Finath souhaitait pour lui, il était désormais assez sûr de son talent de bretteur pour tenter un coup à la fois dangereux et audacieux : libérer son fidèle compagnon canin Repede de la caserne en prenant l’identité de Zorro. Seulement, comme cette opération se faisait sans l’accord de Finath, l’ancien Zorro, il avait dû donc confectionner un costume avec les moyens du bord. Prenant un grand foulard noir qu’il perça de deux trous pour le masque et un grand morceau de tissu sombre quelque peu déteint pour la cape, il s’était fabriqué un déguisement de fortune. Pas aussi classe que Finath dans ses heures de gloire, il devait le reconnaître. Il donnait plus l’impression d’être dans le Zorro du pauvre ou pire un bandit.
Et cela ne l’aida pas quand il passa devant l’église : croyant les rues désertes, voilà que le galop d’un cheval résonne et qu’un nouveau venu le surprenne pile au moment où il devait justement ne pas se faire surprendre. Il avait posé sa main sur la garde de son épée prêt à se défendre mais il fut étonné de se retrouver nez-à-nez avec un jeune homme au physique plutôt séduisant.
Il avait de beaux habits fins et soignés : veste de velours bleue, chemise blanche et pantalon beige, signifiant qu’il appartenait à la noblesse espagnole contrairement aux autochtones mexicains dont était originaire Yuri. Il était bien proportionné avec un teint de pêche, des traits réguliers et surtout, il avait de courts cheveux blonds dorés comme le blé au soleil, couleur si rare au Nouveau Mexique. De magnifiques yeux céruléens étaient d’ailleurs en train de le toiser d’abord avec surprise puis avec méfiance. Ce type n’était pas de ceux qui laissaient les autres indifférents. Surtout pas Yuri qui devait reconnaître que ce nouveau venu était plutôt… très attrayant…
Cependant, pour l’instant, même s’il avait très envie de faire plus ample connaissance avec ce bel inconnu, il devait hélas remettre cela à plus tard : Repede attendait. Le blond n’avait pas l’air armé, ou du moins, il n’avait pas d’épée mais il pouvait tout aussi bien porter une dague ou un poignard sous ses vêtements. Et son regard était plutôt suspicieux…
« Vous vous promenez bien tard, jeune Señor. On dit que les rues ne sont pas sûres à cette heure. » commença Yuri.
Les yeux azur du blond le contemplèrent longuement, comme si le jeune cavalier réfléchissait à sa prochaine décision avant qu’il ne prenne la parole.
« Je pourrai en dire autant de vous. » répliqua-t-il d’une voix posée.
« Mais au moins, j’ai de quoi me défendre. » rétorqua le brun en montrant son arme.
« Seul, avec une épée et masqué qui plus est. Il y a de quoi élever légitiment des doutes à votre sujet. » contra l’inconnu.
Oh, plutôt bien répondu ! Il avait du caractère, ce qui augmenta davantage l’intérêt de Yuri pour ce séduisant blond.
« Pour le moment, je n’ai commis aucun acte qui ne soit répréhensible, n’est-ce pas ? » interrogea-t-il en levant ses yeux gris vers le nouveau venu.
Bon, c’était un ancien voleur de chevaux avec Judith et Raven mais il venait de choisir opportunément une nouvelle orientation de carrière : justicier masqué.
L’inconnu le dévisagea d’un regard pénétrant, comme s’il cherchait à percer les traits de son visage derrière son masque puis il tira la bride de sa monture.
« Je suppose qu’effectivement, vous ne faites rien de mal pour le moment. » admit-il mais Yuri put jurer qu’il avait pu apercevoir sur le visage du bel inconnu l’ombre d’un sourire et il ne put s’empêcher à son tour de lui sourire en retour.
Bon enfin, il ne fallait plus s’attarder ou il allait rater l’occasion de délivrer Repede. Après un rapide salut, il grimpa des marches, jeta un dernier regard vers le mystérieux blond avant de disparaître d’un mouvement de cape.
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Cela n’allait pas fort… Certes, Yuri avait réussi à libérer Repede mais il avait commis une erreur lors de sa retraite lorsque que sa cape s’accrocha à la fenêtre en bois qu’il avait essayé d’emprunter pour s’enfuir. Résultat : il avait alerté toute la garnison et tous les soldats de Cumore étaient à ses trousses. Enfin, il avait réussi à se réfugier à l’église où le prêtre ne fut qu’heureux de lui offrir l’asile et une cachette en souvenir du « bon vieux temps » – Yuri devina que l’homme d’église le confondait avec l’ancien Zorro alias Finath Scifo.
La cachette n’était rien d’autre que le confessionnal du prêtre, constituant un endroit sûr. Toutefois, pendant que le Zorro improvisé entendait tout le remue-ménage à l’extérieur qu’il avait lui-même provoqué et qu’il attendait le meilleur moment pour s’enfuir et retrouver Finath, une voix s’éleva à côté de lui :
« Est-ce vous mon Père ? Quel est ce bruit ? On dirait qu’on se bat dehors… »
Mince, il y avait quelqu’un dans le compartiment voisin, attendant visiblement le prêtre pour se confesser, un homme apparemment au son de sa voix… sauf que c’était Yuri et non le saint homme qui était en train de l’entendre ! Mais il s’empressa vite de répondre pour ne pas que son voisin soupçonne la supercherie.
« Ne craignez rien ! Vous êtes dans la maison de Dieu. » répondit-il en prenant son ton le plus calme et le plus assuré.
« Je le sais mon Père. Est-ce que vous allez bien ? J’ai l’impression que quelque chose vous dérange… »
Bon sang ! Yuri était quelque peu sous tension et agacé d’être coincé dans le confessionnal du prêtre avec des soldats à ses trousses, en train de remplir un rôle qui n’était pas le sien et voilà qu’il devait gérer un jeune dévot qui risquait de tout faire rater. Sans compter qu’à chaque seconde qu’il perdait, Finath risquait de finir par s’apercevoir de ses « exploits » du soir…
« Non, je veux juste entendre ce que vous avez à me dire. » dit le brun.
« Mon Père, je ne me suis pas confessé depuis trois jours et… »
« Seulement trois jours ? Vous n’avez pas pu commettre beaucoup de péchés en cette période. Revenez quand vous en aurez commis un peu plus ! » grogna Yuri.
« Que dites-vous mon Père ? » s’offusqua son voisin avec un hoquet dans la voix.
Enervé, Yuri s’apprêtait à sortir une réplique cinglante tout en regardant à travers les grilles du confessionnal pour voir qui était l’importun qui le dérangeait mais sa voix mourut aussitôt dans sa gorge quand il aperçut le visage de la personne qui confessait. Car de l’autre côté de la grille, se trouvait le bel inconnu blond aux yeux céruléens qu’il avait croisé quelques heures plus tôt ! Du coup, l’agacement du brun s’évanouit immédiatement et il s’empressa tout de suite de tirer parti de la situation pour en apprendre un peu plus sur ce séduisant jeune homme.
« Je vous écoute, mon enfant. »
« Mon Père, j’ai désobéi au Quatrième Commandement. » avoua son interlocuteur.
« Vous avez tué quelqu’un ? » s’étonna Yuri.
« Ce n’est pas le Quatrième Commandement mon Père ! » s’écria le blond.
« Non, bien sûr que non. » répondit Yuri en tentant de rattraper son erreur. « En quoi avez-vous désobéi au plus sacré des Commandements ? »
« J’ai déshonoré mon père. » admit d’une voix triste son voisin.
« Il l’avait peut-être mérité ! » ne put s’empêcher de dire le nouveau justicier masqué.
« Que dites-vous mon Père ? »
« Je voulais dire : dites m’en un peu plus. »
Il entendit le beau blond reprendre son souffle avant d’entamer son récit.
« Je sais que mon père m’a donné la meilleure éducation possible, qu’il a tout fait pour je donne une image irréprochable à mon entourage. Mais parfois… mon cœur est si sauvage au point que j’en oublie d’écouter ma raison. Il semble que mon cœur ressente des émotions si fortes, si intenses qu’elles en sont incontrôlables ! »
« Avez-vous un exemple à me raconter ? »
« J’ai croisé un homme aujourd’hui… et je n’ai pu m’empêcher d’être attiré par cet homme. Il avait une voix qui m’a curieusement mis à l’aise bien que je distinguais du sarcasme au vu du ton qu’il employait. » ajouta-t-il avec une légère désapprobation.
Tiens donc… Il fallait creuser un peu plus…
« Et qui était cet homme ? »
« Je l’ignore. Peut-être était un bandit ou un brigand. Il portait un masque noir. »
Non ! Etait-ce possible que l’homme qui avait attisé l’intérêt de ce bel inconnu n’était autre que…
« Mais il avait des yeux qui m’ont captivé. » continua le blond. « Et quand nos regards se sont croisés, j’ai senti mon cœur palpiter et s’agiter d’émotions intenses et violentes qui m’étaient inconnues jusqu’à cet instant. J’étais au fond de moi si fiévreux, si… »
« Voluptueux ? »
« Oui, voluptueux. » acquiesça son voisin. « Oui, c’est sans doute le mot exact. Et il y a toujours en moi cet étrange sentiment que je ne peux m’empêcher de ressentir quand je pense à cet homme… »
Dans le confessionnal côté prêtre, Yuri ne put s’empêcher de serrer le poing victorieusement tout en savourant l’idée qu’il avait laissé à ce séduisant blond une impression indélébile. S’il savait !
« Mon enfant, je ne pense pas que vous ayez commis un péché. Le véritable péché aurait été de ne point écouter les sentiments de votre cœur. Je suis persuadé que cet homme que vous avez croisé n’est pas resté non plus insensible à votre rencontre. Les cœurs et les âmes des hommes peuvent communiquer silencieusement leurs sentiments sans les exprimer verbalement. Mon enfant, je vous pardonne. »
Oh oui, ce blond était tout pardonné pour avoir eu un faible pour lui !
« Allez en paix à présent. »
Enfin… en paix jusqu’à ce qu’il découvre le nom, prénom et lieu d’habitation de ce mystérieux blond car Yuri n’allait pas le lâcher de sitôt ! Dès qu’il aurait toutes les informations nécessaires, il se mettrait en quête des sentiments de ce séduisant jeune noble…
Mais d’abord, il lui faudrait peut-être se tirer du pétrin où il trouvait avec les soldats de Cumore à sa recherche…
Brocéliande
Feb. 14th, 2016 12:03 pmAuteur : Eliandre
Beta : Kaleiya Hitsumei
Disclaimer : Les personnages de Tales of Vesperia ne sont toujours ma propriété car sinon, j’aurais commencé à écrire le scénario de Tales of Vesperia 2 mais ils sont par contre la propriété de Namco Bandai. Et présence de Yaoi donc homophobes, s’abstenir.
Note : Ceci est inspiré des légendes Arthuriennes, plus précisément des amours de Viviane et Merlin.
Brocéliande
La forêt de Brocéliande. Cœur des légendes et des mythes où régnaient la magie et le mystère, domaine des fées et des enchanteurs, là où l’herbe était d’un vert étincelant et où les feuilles donnaient l’impression de n’avoir jamais connu les rigueurs de l’hiver. Sous la voûte des immenses arbres – chênes, aulnes, noisetiers, bouleaux parmi tant d’autres –, colonnes vivantes d’un monde sauvage et resplendissant, où les eaux des sources et des ruisseaux murmuraient de doux secrets et où la faune et la flore pouvaient se révéler tour à tour inoffensives ou dangereuses, se trouvait donc le lieu où habitaient les énigmatiques êtres féériques dont la compréhension et la beauté dépassaient l’entendement humain. Rare étaient ceux qui avaient osé s’y aventurer et jamais on n’y ressortait indemne… quand on réussissait à en revenir… On disait souvent que les êtres féériques aimaient attirer ceux ou celles qui leur plaisaient dans leurs filets avant de les emprisonner à jamais dans leur merveilleux royaume enchantée. Les très rares voyageurs qui y étaient revenu décrivaient le cœur de Brocéliande comme un endroit surpassant en splendeur et en majesté tout ce qu’ils avaient pu voir auparavant mais étaient incapables de le décrire avec précision tant l’émerveillement les avaient saisis. Quant aux êtres féériques, tous étaient unanimes : d’une beauté irréelle, éthérée qui dépassait l’imagination humaine, créatures à la fois charmantes, séductrices ou dangereuses…
Pourtant, en cette aube, ce moment particulier où l’herbe verte était encore perlée d’humidité, l’air frais et vivifiant et où les chasseurs nocturnes prenaient leur repos pendant que s’éveillaient les animaux diurnes, un jeune homme aux longs cheveux noirs marchait d’un pas énergique vers le centre de la forêt de Brocéliande. Yuri Lowell, celui que la postérité allait plus tard désigner comme le plus grand magicien et le plus grand druide de tous les temps, que la rumeur affirmait être fils d’un démon et d’une humaine. Il avait prophétisé les succès d’Uter Pendragon, aidé celui-ci à obtenir la main d’Ygraine – bien qu’il avait su que cette femme serait à la fois source de bien et de mal [1] –avant d’aider son fils, Arthur Pendragon à obtenir la puissante Excalibur, l’épée des fées qui ne pouvait être maniée que par un vrai chevalier, pour qu’il puisse être érigé roi des Bretons. Pour obtenir le soutien important de Léodagan de Carmélide, il assista un peu contre son gré Arthur pour qu’il puisse épouser la belle Guenièvre dont il était tombé amoureux – vivement que le jeune roi profite bien de son temps avec elle avant que Lancelot se pointe ! [2] – puis conseilla Arthur de faire venir et de recruter les meilleurs chevaliers dont la loyauté et la bravoure seraient irréprochables afin de défendre Camelot car l’autorité fragile du jeune et nouveau roi des Bretons pouvait encore être contesté. Puis il quitta le roi en promettant qu’à son retour, il lui dévoilerait une partie de l’extraordinaire destinée qui l’attendait.
Pour l’heure, c’était lui qui allait au-devant de la sienne. Yuri pouvait prendre toutes sortes d’apparence, animale ou humaine, enfant ou vieillard, mais cette fois, il se présentait sous la forme d’un jeune homme svelte aux longs cheveux de jais et aux yeux gris, portant une longue tunique à capuche grise. Le druide, savant par les arbres [3], se laisser mener par son don de clairvoyance pour voyager à travers la forêt sacrée de la magie, sans se laisser perturber par ses enchantements ou par de petits rires joyeux étouffés qu’il percevait, cherchant l’être dont la rencontre le changerait pour toujours.
Ce fut en débouchant dans une clairière, lorsque le soleil brillait au zénith, qu’il le vit enfin, sous l’ombre d’un immense chêne centenaire. Il était habillé plutôt simplement, comme un jeune page mais il avait une belle épée ouvragée posée à ses côtés. Le vent soufflait sur ses courts cheveux ébouriffés, d’une couleur dorée comme le blé en été. Ses magnifiques yeux azur se concentraient sur la lecture de son livre. Comme tous les habitants de Brocéliande, il était d’une splendeur irréelle, éthérée, si renversante qu’on en avait littéralement le souffle coupé quand on le contemplait. Il n’existait tout simplement pas de mots pour décrire la perfection de ses traits harmonieux. Il n’aurait jamais existé aucune œuvre capable de rendre justice à sa beauté surpassant le plus bel humain de Bretagne.
Son nom était Flynn Scifo. L’être dont Yuri savait qu’il finirait par lui offrir son cœur et qui l’aimerait en retour.
Le jeune être féérique était si concentré par sa lecture qu’il ne perçut l’intrus que lorsque celui-ci ne fut qu’à deux mètres de lui. Surpris, il ferma son livre d’un coup sec avant de lever ses remarquables yeux azur emplis d’étonnement pendant un bref instant vers le nouveau venu avant de lui adresser un silencieux sourire à la fois énigmatique et amusé. Visiblement, il attendait que le brun prenne l’initiative. Yuri ne put s’empêcher de lui rendre son sourire mais son sourire était à la fois sarcastique et quelque peu arrogant.
« Je ne croyais pas jusqu’à ce jour qu’on pouvait surprendre les êtres féériques. Il me semblait que c’était plutôt eux qui s’amusaient à surprendre les humains perdus dans leur domaine. » commença-t-il d’un ton légèrement moqueur.
« Auquel cas, si certains de mes camarades s’amusent à ce genre de jeu, toi, tu m’as l’air ni perdu, ni tout à fait humain. » répliqua calmement l’être féérique. « Je serai donc curieux d’écouter les raisons qui t’ont mené au cœur de Brocéliande. »
« J’avais envie de faire ta connaissance, Flynn Scifo. » répliqua le druide en posant son poing contre la hanche avec arrogance.
Cette fois, le blond ne put dissimuler sa surprise.
« Comment connais-tu mon nom ? » demanda-t-il d’un air étonné. « Qui es-tu ? »
« Je m’appelle Yuri, Yuri Lowell. » répondit le brun.
Flynn prit alors une attitude pensive, prenant le temps de la réflexion. Ce nom lui était familier, il l’avait déjà entendu quelque part… Puis, il se souvint…
« J’ai vaguement entendu parler de toi. Le magicien attitré du roi Arthur, n’est-ce pas ? La rumeur prétend que tu es capable de grands prodiges mais j’ignore si les exploits que l’on veut bien t’accorder sont vrais ou faux. »
« Que dirais-tu de les vérifier par toi-même Flynn ? » lança Yuri d’un ton de défi.
A cet instant, le jeune magicien savait qu’il allait devoir impressionner Flynn pour attiser son attention et son intérêt. Cependant, cela allait être difficile : Flynn était un être féérique et avait vécu à Brocéliande, le cœur même où résidait la magie. Un simple petit tour ne serait pas suffisant, il avait certainement vu bien des choses dans cette forêt. Non, il lui fallait absolument quelque chose de plus extraordinaire. Dans ses visions, il avait entraperçu la personnalité du blond : rigoureux, loyal et très pointilleux sur la justice et les règles et, s’il voulait être honnête, il se demandait comment il allait s’éprendre d’un individu qui allait sans doute lui prendre la tête. En revanche, il devait reconnaître qu’aucune de ses visions n’avait pu faire honneur à la beauté inhumaine de l’être féérique. Et parce qu’en lui coulait le sang d’un mortel, Yuri Lowell n’y était pas totalement insensible.
Alors il s’éloigna de l’être féérique et lui fit signe de le suivre.
« Viens avec moi. Tu te feras ta propre opinion sur les prodiges que les bardes chantent à la cour du roi Arthur. » lança le druide.
Intrigué quoique quelque peu sceptique, le blond hocha la tête et accepta de le suivre mais il prit son temps pour ranger son livre et ceindre son épée à sa taille.
Leur marche fut de courte durée. Ils étaient arrivés devant un lac situé au pied d’une haute falaise avec une cascade qui s’y élançait au sommet. L’eau du lac était belle, le soleil faisant miroiter sa surface et elle était si pure et limpide comme du cristal !
C’était devant ce lac que Yuri choisit de s’arrêter. Il se baissa, tendit sa paume ouverte vers le lac avant de murmurer une incantation. Flynn l’observait calmement sans manifester le moindre signe d’impatience jusqu’à ce que le druide se relève et se tourne vers lui.
« C’est notre première rencontre alors je me suis dit qu’un petit lieu pour faire la fête et mieux faire connaissance ne serait pas mal. » dit-il à la fois fier et narquois.
« Une fête ? A deux ? Ici ? » interrogea Flynn d’une voix méfiante et emplie de doutes.
« Oui. Penche-toi vers le lac et regarde. »
Toujours sceptique, l’être féérique fit ce qui lui était demandé. Dans un premier temps, il ne vit rien dans les eaux du lac mais en examinant de plus près, il aperçut avec une grande stupeur un immense palais de cristal finement décoré. A l’extérieur, de nombreuses personnes bien habillées, hommes et femmes, dansaient, chantaient, mangeaient, buvaient, discutaient, bref, ils faisaient la fête. Et ils avaient l’air de bien s’amuser.
« Ce château et ces terres sont désormais à toi et tu en seras le maître absolu. » déclara Yuri. « Les habitants et les habitantes que tu aperçois seront à tes ordres. Personne, aucun intrus ne pourra y pénétrer dans ce domaine inviolable sans ton accord ou le mien. »
Bien qu’il fut impressionné dans un premier temps, l’être féérique reprit rapidement contenance et sembla quelque peu déçu du résultat de celui que les humains prétendaient être le plus grand magicien de tous les temps.
« Ce n’est qu’une très belle illusion Yuri. Très réussie et très réaliste certes mais une illusion. » commenta-t-il calmement.
« Oh, tu ne me crois donc pas ? Je pense qu’il vaudrait mieux qu’on y fasse un petit tour pour profiter de la fête et prendre un bon verre de vin. »
Avant que Flynn puisse réagir, le malicieux druide le poussa dans le dos et pris par surprise et en traître, le blond tomba dans le lac, la tête la première. Quand il remonta à la surface, cheveux trempés et crachant de l’eau, il s’apprêtait à laisser échapper mille imprécations et malédictions sur le brun quand une voix résonna derrière lui :
« Bienvenue en votre domaine seigneur Flynn. Nous sommes heureux de pouvoir enfin vous rencontrer. Venez, profitez de notre fête mon seigneur. Elle est en votre honneur. »
Eberlué, l’être féérique mit quelques instants pour se rendre compte qu’il n’était plus tout à fait dans la forêt de Brocéliande. Il se trouvait devant plusieurs personnes et en les scrutant attentivement, il reconnut avec stupéfaction certains visages. Il les avait aperçus plus tôt sur la surface du lac, en train de danser et chanter devant le palais en cristal grâce à la magie de Yuri. Et comme pour confirmer son impression, il vit alors l’immense édifice se dresser avec orgueil sous l’éclat du soleil.
Etait-ce vraiment le druide qui avait créé ce petit monde rien que pour lui ?
Au moment où cette question lui vint à l’esprit, le brun apparut et émergea du lac à ses côtés. Mais il fut habile en utilisant une technique de magie pour ne pas avoir de cheveux ou vêtements mouillés. Flynn ne put s’empêcher de s’en sentir mortifié et l’expression dut se lire sur son visage car Yuri éclata de rire.
« Dès que tu sors du lac, j’utiliserai ma magie pour te sécher et pour que tu sois… plus présentable. Ce sera mieux pour la fête. »
Lorsqu’ils quittèrent tous les deux les eaux du lac, le magicien tint parole et jeta un sort qui sécha immédiatement l’être féerique aux yeux céruléens. Il entraîna ensuite le blond dans la fête, ce qui permit à ce dernier de faire connaissance des habitants du lac, d’apprécier le vin et la nourriture et surtout les étranges coutumes humaines qu’il regardait à la fois avec émerveillement et curiosité.
« Ces habits sont étranges. » dit-il en désignant un homme en armure. « Ils sont durs, rigides et mal commodes. C’est à peine s’il peut se mouvoir. Certains de mes camarades de la forêt aiment s’approcher de ce genre d’individus mais je n’ai jamais pu en observer un de près. »
Une nouvelle fois, Yuri se mit à rire.
« Il semble, mon cher Flynn, que tu n’as jamais vu de près un chevalier. » répondit-il d’un ton amusé tout en avalant une gorgée de son vin.
« Mais à quoi ça sert un chevalier ? Et pourquoi un tel accoutrement ? » interrogea l’être féerique.
« Ce sont des hommes armés qui ont le devoir de défendre le peuple. Ils portent donc une armure pour se défendre. »
Le druide désigna alors un espace dégagé. Juchés sur leurs chevaux harnachés et caparaçonnés, deux cavaliers se faisaient face, portant chacun une longue et lourde lance.
« Pour s’entraîner ou pour régler des différends, les chevaliers peuvent par exemple participer à un tournoi. Ce genre d’événement a ses règles, inspirées de celles de la chevalerie. Les humains aiment assister à ce genre de choses. On peut ainsi voir des exploits guerriers. » expliqua le druide aux cheveux de jais.
« Les humains aiment donc ce genre de violence ? » questionna Flynn avec une moue dubitative pendant que les deux cavaliers fonçaient l’un vers l’autre tout en redressant leur lance.
« Pour eux, c’est une façon de montrer ou de prouver leur courage ainsi que leur bravoure et de suivre les règles de la chevalerie. »
Un bruyant fracas retentit quand une lance se brisa net au moment du puissant impact et l’un des chevaliers chut brutalement à terre pendant que sa monture affolée, continua sa course folle sans se soucier de son maître. Son adversaire, voyant sa lance devenue inutile et son concurrent au sol, descendit à son tour de cheval avant de jeter le reste de sa lance et de se saisir de son épée.
« Comme tu le vois, le duel peut se poursuivre sur le sol. » continua Yuri. « L’épée est considérée comme l’arme la plus noble d’un chevalier. C’est normal que cet homme veuille finir ce duel ainsi. »
« Que cela m’a l’air compliqué… » murmura Flynn en secouant la tête pendant que le duel se terminait et que l’un des combattants s’avouait vaincu. « Et pourtant, c’est intriguant de voir que les humains évoluent selon des lois différentes que nous autres, ceux de Brocéliande. Leur société, leurs us et coutumes sont si différentes des autres… »
Le blond examina le ciel, dévisagea les habitants du lac qui soutinrent son regard en souriant puis il se tourna vers le druide qui le contemplait avec une expression amusée.
« Il semble, en tout cas, que les humains n’ont pas tort quand ils affirment que tu es un grand magicien. Je n’ai jamais vu un tel prodige. » admit Flynn tout en balayant de ses yeux azur les alentours.
« Tu devrais voir l’intérieur du palais. » répliqua Yuri. « Je suis persuadé qu’il sera à ton goût. »
En effet, lorsqu’ils voulurent entrer dans le palais de cristal, la décoration et l’ameublement aux couleurs dominantes blanches étaient plutôt sobres mais élégants et bien aménagés, ce qui était du goût de Flynn bien que Yuri semblait avoir gardé une aile pour la personnaliser selon ses préférences.
« Je dois reconnaître que tu t’es surpassé. » annonça l’être féérique pendant qu’ils examinaient ensemble la chambre qui était destinée au blond.
« Mais tu te demandes pourquoi je prends la peine de faire tout ça ? » demanda le druide pendant que Flynn ouvrait une armoire remplie de beaux vêtements blancs et bleus.
« Sans doute… » reconnut Flynn.
« J’ai eu une vision de toi et j’ai simplement voulu te rencontrer. Le palais de cristal était juste en option. » répondit Yuri en haussant les épaules.
A sa surprise, l’être féérique esquissa un sourire taquin, ce qui pouvait se révéler dangereux pour le druide. Ceux qui vivaient à Brocéliande étaient toujours que plus dangereux que lorsqu’ils semblaient aimables.
« Vraiment, est-ce bien la vérité ? » interrogea Flynn. « J’avouerai que tu m’offres un cadeau que peu de mes pairs pourraient se vanter de donner ou d’avoir obtenu. Mais je suis bien plus intéressé par ce que tu me racontes au sujet des humains. Toi qui as vécu à la cour du roi Arthur, raconte-moi ce que sont les chevaliers et la chevalerie, ce qui est considéré comme exploit aux yeux des hommes. Raconte-moi comment vivent les êtres humains. Sont-ils de cœurs nobles comme je le pense ou cachent-ils une âme noire comme le croient certains de mes camarades ? »
« Dans ce cas, pourquoi ne pas faire un marché ? » répliqua le brun. « Tu sais sans doute manier la magie en tant qu’habitant de la forêt de Brocéliande mais si tu veux connaître tous les secrets du palais que je t’ai créé, il t’en faudra bien plus et je souhaite vraiment que tu sois le véritable propriétaire de ce lac et de ses habitants et que tu en aies la maîtrise absolu. Je te raconterai volontiers tout ce que je sais sur les humains ainsi que les tours que j’ai réalisés et qui m’ont valu leur reconnaissance. Cependant, en échange, je t’apprendrai ce que je sais… et je veux que tu m’autorises à te voir comme bon me semble. »
Les lèvres de l’être féérique dessinèrent alors un sourire mutin.
« Cela me va. Marché conclu. »
Ainsi, dès le lendemain, après une nuit de sommeil réparateur dans le palais de cristal, Yuri et Flynn passèrent toute leur journée ensemble. Pendant que le brun commençait le récit de ses débuts et de sa rencontre avec Uter Pendragon, Flynn s’efforçait non sans mal de maîtriser les secrets que lui enseignait le druide. Il se révéla très vite un apprenti sérieux, doué et désireux d’apprendre avec un excellent potentiel, tout ce qu’un maître pouvait souhaiter pour un élève. Pourtant, ce fut au tour de Yuri de se sentir quelque peu mortifié. Etait-ce parce qu’il était un être féerique mais toujours était-il que tout ce que le brun lui enseignait, Flynn l’apprenait et l’assimilait avec une facilité déconcertante là où le druide avait parfois mis des années avant de pouvoir correctement le maîtriser. Et après plusieurs jours, Flynn osa même lui jouer une petite farce en manipulant l’eau du lac et en éclaboussant Yuri avec, tout cela avec une telle aisance qu’il en émanait une certaine grâce, la grâce des créatures magiques de Brocéliande. Yuri fut fort mécontent d’être pris à son propre jeu mais il fut surpris lorsque Flynn le serra entre ses bras avant de l’entraîner dans ses rires. Sa joie était si contagieuse à ce moment…
Cependant, Yuri sentait qu’il devait bientôt mettre fin à son séjour dans la forêt enchantée. Il n’avait pas fini sa mission auprès d’Arthur et après deux semaines paradisiaques auprès de Flynn, il fut contraint de demander congé à ce dernier.
« Mais tu n’as pas encore fini de me raconter comment Arthur est monté sur le trône de Bretagne ! » protesta Flynn avec une moue dépitée. « Et tu devais m’expliquer les règles des tournois de chevalerie ! »
« Sois tranquille, je n’oublie pas ma promesse. Je reviendrai te voir au plus vite. Tu devrais plutôt t’entraîner aux nouveaux arcanes que je t’ai appris car tu ne m’éclabousseras pas aussi facilement que la dernière fois. »
Sur ces dernières paroles, le magicien enfourcha un cheval et quitta la forêt de Brocéliande sous le regard un peu attristé de son nouvel ami.
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« Retrouver une table en bois que tu as autrefois offert à mon père ? » s’étonna le roi.
« Avez-vous recruté les chevaliers pour assurer la défense de Camelot comme je vous l’avais demandé ? Je vous demande de tester leur bravoure, leur courage et leur intégrité pour une première mission Et la table que je demande n’est pas une simple table : de forme circulaire, en bois de chêne, elle est immense, d’apparence banale tout en sortant de l’ordinaire. Vous le saurez quand vous la verrez. Elle vous sera essentielle pour votre destinée : retrouver le calice sacré, le Graal. »
Le jeune roi Arthur ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux devant une telle annonce de la part du druide.
« M… moi ? Retrouver le Graal ? Est-ce réellement ma destinée ? » interrogea le roi.
« Peut-être mais elle ne se fera pas sans heurts, douleurs ou sacrifices. » prévint le druide. « Vos chances de trouver cette table se trouvent dans les terres de Carmélide. Ce sera votre seul indice car je ne compte pas vous mâcher le travail cette fois et sachez qu’il faudra à présent moins compter sur moi : votre gloire s’en retrouverait diminuée. Une fois la table retrouvée, amenez-là à Camelot et réunissez vos meilleurs chevaliers, les plus loyaux, les plus braves et les plus irréprochables. Je vous reverrai à ce moment. »
Arthur hocha la tête pour signifier qu’il avait compris mais ce fut le cœur bien lourd qu’il laissa partir Yuri après cinq jours de séjour au château de Camelot. Un guide, un fidèle conseiller avisé. Parfois un peu trop impulsif et impatient mais le roi le considérait comme un bon ami. Sans son aide, il ne serait sans doute jamais devenu roi de Bretagne…
--§--
Lorsque Yuri revint à Brocéliande, Flynn dut cette fois percevoir son arrivée car il attendait le druide dans la même clairière où ils s’étaient rencontrés la première fois mais au lieu de lire, il était debout avec un doux et sincère sourire qui dansait sur ses lèvres. Au vu des légères empreintes sur le sol boueux de la forêt, le magicien en déduisit que l’être féerique avait été avec certains de ses semblables mais qu’il leur avait ordonné de partir dès qu’il avait senti sa présence.
Il se rendit compte que les magnifiques yeux céruléens du blond étaient devenus plus graves, moins candides comme s’ils étaient imprégnés d’une certaine sagesse. Il n’avait jamais été indifférent à la beauté irréelle et éthérée de celui qui vivait à Brocéliande mais en aucun cas il n’avait songé que Flynn aurait pu être plus attrayant que lors de leur dernière rencontre. Il avait visiblement pioché dans la garde-robe du palais de cristal car au lieu des vêtements de page, il avait pris cette fois une courte tunique blanche au col et aux rebords de manche brodés de motifs lapis-lazuli, complété par un pantalon immaculé et une longue cape surmontée d’une capuche aux tons beiges. Une tenue qui était digne d’un riche noble de haute naissance malgré la sobriété apparente de l’ensemble.
Yuri devait le reconnaître : Flynn était plus resplendissant que jamais.
« Tu as tenu parole. Tu es revenu Yuri. » murmura l’être féerique d’une voix soulagée.
« Bien sûr. Tu en doutais ? » se moqua le brun.
Pour toute réponse, Flynn se saisit de la main gauche du druide et l’entraîna près des berges de leur lac mais sans y pénétrer cette fois. Ils se contentèrent de s’asseoir et de contempler l’écoulement de la cascade qui alimentait le lac.
« Tes récits de la chevalerie m’ont donné matière à réflexion. » avoua le blond. « Se battre au nom de la justice, de la veuve et de l’orphelin… J’ai alors essayé de découvrir le monde extérieur en utilisant ce que tu m’as appris, en projetant mon esprit. Et j’ai vu… tant de choses ! »
« Vraiment ? » demanda Yuri avec une expression surprise.
« Oui, j’ai vu des maisons aux toits de chaume, d’énormes édifices en pierre, des combats et des guerres. Et surtout, j’ai vu ce jeune garçon plutôt jeune. Il est fils d’un roi et son front était auréolé de lumière. Je crois qu’une grande destinée l’attend. Son père semblait d’ailleurs s’entretenir avec le roi Arthur en très bons termes. Arthur est tel que tu me l’as décrit mais je ne l’imaginais pas aussi jeune. » raconta l’être féerique.
Pas possible ! Pendant son absence, Flynn avait développé le don de clairvoyance ? Les progrès de l’habitant de Brocéliande avaient toujours été rapides mais là, ils devenaient exponentiels ! A cette vitesse, le blond ne tarderait plus à connaître tous les secrets de la magie et donc à l’égaler, lui, Yuri, celui que les bardes clamaient être le plus puissant des magiciens. Surtout que d’après son récit, il avait certainement eu une vision de Ban de Bénoïc, roi de la Petite Bretagne et surtout de son fils, Lancelot que le druide savait être destiné à une glorieuse renommée. Il ne manquait plus que Flynn ait des visions de Lionel ou plus particulièrement de Bohort pour compléter le tableau ! [4]
« Je suis en tout cas curieux de la destinée du jeune garçon. Il y a quelque chose en lui qui m’attire. » continua l’être féerique.
Evidemment. Quand le temps viendrait, c’était Flynn qui allait se charger de l’éducation de Lancelot et de ses cousins Lionel et Bohort, un tragique événement empêchant leurs pères respectifs de les élever. Lancelot aurait même pu être celui qui aurait trouvé le Graal s’il n’avait pas eu la bêtise de tomber amoureux de la reine Guenièvre. Cela, Yuri le savait.
Mais ce qui commençait à l’inquiéter, c’était les prouesses de Flynn en matière de magie. Pourtant comment croire que celui-ci pouvait se révéler dangereux pour lui quand celui-ci était en train de lui sourire en toute innocence ?
« A part cela, vas-tu continuer à me raconter tes histoires ? » demanda-t-il.
Ce fut ainsi qu’ils reprirent leurs habitudes : Yuri enseignait et racontait tandis que Flynn apprenait. Un jour toutefois, il y eut une violente dispute entre eux…
« Puis-je savoir pourquoi tu as touché aux affaires de ma chambre ? » cria le druide en colère.
« Tes affaires étaient dans un chaos indescriptible Yuri. Un chat n’y aurait même pas retrouvé ses petits. » rétorqua l’être féérique en croisant les bras. « Je n’ai fait qu’utiliser un sort pour y mettre un peu d’ordre. Tu es peut-être le plus grand magicien mais il y a des progrès à faire dans l’organisation et le rangement. »
« Ma chambre relève du domaine privé Flynn. » gronda le brun.
« C’est possible mais cela reste chez moi. » répliqua le blond. « N’as-tu pas dit que ce lieu m’appartenait et que j’en serai le propriétaire absolu ? Je ne peux pas supporter un tel fouillis dans ma demeure, c’est au-dessus de mes forces. Tu ne laisses en plus personne pour ranger ton bazar ! Estime-toi heureux que je n’en aie pas profité pour refaire la décoration de ta chambre. C’est si lugubre tout ce noir ! »
« Tss, tu m’énerves à vouloir toujours avoir raison ! »
Ainsi, chacun des deux amis boudèrent dans leur coin en refusant absolument de croiser le regard de l’autre pendant un bon moment jusqu’à ce que la faim eut raison de l’estomac de Yuri. Quelque peu agacé, il décida de descendre dans les cuisines en évitant soigneusement de rencontrer les regards des habitants du palais. Flynn s’était sans doute réfugié dans sa chambre, il ne risquait donc pas de le voir.
Cependant, à sa grande surprise, au moment où il ouvrit les portes des cuisines, le druide aperçut Flynn assis sur un banc en bois en train de se concentrer devant une assiette vide, sa main tournoyant au-dessus de l’objet. Il psalmodia une incantation et un magnifique gâteau de miel doré apparut sur l’assiette. L’arôme que ce dernier dégageait était si alléchant que Yuri ne put s’empêcher de s’exclamer :
« Il a l’air bien appétissant, ce gâteau ! »
Etonné au son de sa voix, Flynn leva la tête et les prunelles bleues croisèrent deux orbes gris. L’expression de candeur surprise que le blond affichait émut le brun. Comment lui en vouloir encore quand il semblait si adorable en cet instant ? L’être féerique baissa ensuite son regard avant d’avouer à voix basse :
« Je l’ai préparé pour toi… pour m’excuser de mon comportement… »
Tout ça pour lui ? Yuri ne put s’empêcher de sourire et rejoignit Flynn sur le banc, s’asseyant à côté.
« Je serai honoré d’y goûter. » dit-il.
Il prit donc un couteau pour découper une tranche. Vraiment, le gâteau du blond était superbe visuellement, lui-même n’aurait jamais pu faire mieux. Il s’attendait donc à une explosion de saveurs dans la bouche…
Mais dès que la sucrerie entra en contact avec son palais, il comprit qu’il y avait un problème… Le goût était tout simplement… un désastre, une calamité… En résumé : infect et encore, le mot était bien faible pour qualifier cette catastrophe…
« Alors, comment tu le trouves ? »interrogea l’être féerique avec un air inquiet.
Mieux valait mentir pour ne pas blesser ses sentiments. Après tout, Flynn avait préparé ce gâteau pour se faire pardonner et il ne voulait pas risquer une nouvelle dispute. Pas après qu’il se soit donner tant de mal pour faire apparaître un gâteau au miel. La matérialisation de la nourriture était très difficile et peu de magiciens y parvenaient.
« C’est absolument délicieux ! » répondit Yuri en s’efforçant de paraître enthousiaste tout en luttant contre la nausée et l’évanouissement. « Je suis prêt à en remanger quand tu voudras. »
« Vraiment ? » s’écria Flynn dont les yeux brillaient de joie. « J’en suis content. Je n’étais pas tout à fait sûr des goûts et je pensais qu’il me faudrait une autre tentative mais apparemment, j’ai réussi. Il faudra donc que j’en refasse une autre fois. »
Aïe… Il fallait vite détourner Flynn de ses idées ou une catastrophe culinaire allait se produire…
« Néanmoins, je crois que je l’apprécierai mieux avec un petit ingrédient secret. » ajouta Yuri.
Puis, avant que l’habitant de Brocéliande se remette de sa stupéfaction, le druide s’empara de ses lèvres et l’embrassa. Quand il s’aperçut que le blond ne lui résistait pas et que ses bras s’étaient resserré sur lui, alors le brun osa : il approfondit son baiser tout en commençant à glisser une main sous les vêtements blancs de Flynn pour les retirer un à un...
Ainsi naquit l’amour de Yuri et Flynn. Heureusement, aucun des serviteurs n’eut l’idée incongrue de pénétrer dans les cuisines…
Plus tard toutefois, le druide passa un mot aux cuisiniers du palais : toujours préparer des plats pour Flynn et ses invités… Il ne voulait pas que Lancelot et ses cousins meurent d’intoxication ou de faim avant d’avoir accompli leur destinée… Déjà que Lancelot allait crouler sous des vêtements blancs… Si on l’avait laissé faire, il lui aurait donné des habits plus classes en noir. [5]
--§--
Après cet événement, l’amitié de Flynn pour Yuri se transforma en affection et en amour et ses progrès en magie furent fulgurants. Auparavant, Yuri avait toujours pénétré et lut dans l’esprit de l’être féérique, voyant leur avenir avec son don de clairvoyance mais désormais Flynn était capable d’en faire de même. Il lisait dans les pensées de son amant et parfois, percevait plus que ce que le druide souhaitait.
Il désirait que Yuri reste auprès de lui. Il ne trouvait de joie et de bonheur que lorsqu’il était auprès de son amant. Il savait que celui-ci s’était toujours reproché sa naissance, lui, le fils d’un démon, et peut-être était-ce pour cette raison qu’il se sentait le devoir d’aider l’humanité. Mais il avait tant fait, il fallait mettre fin à ses peines, à son labeur. Flynn réfléchit et prit donc une décision qu’il savait lourde de conséquences…
Une nuit, pendant qu’ils se promenaient ensemble à l’extérieur du palais de cristal, Yuri était en train d’achever le récit de l’ascension d’Arthur au trône et la montée en puissance de son influence en Bretagne quand Flynn lui demanda ceci :
« Tu m’as montré beaucoup de tours et de secrets Yuri mais je suis sûr que tu n’es pas capable de m’apprendre comment enfermer un homme dans un endroit clos où il ne pourrait se défaire et qu’il ne pourrait quitter malgré toutes ses ressources sans que je le veuille, un endroit où moi seul pourrait le voir. »
A cet instant, le visage du druide devint grave. Il dévisagea son amant avant de détourner la tête. Flynn avait un sourire taquin et ses yeux étaient malicieux.
« Tss ! Et je suppose que c’est pour moi que tu réserves tout cela, n’est-ce pas ? Et tu profites du fait que je sois incapable de résister à un défi que tu me lances, ou même de te résister tout court quand tu as ces yeux qui m’implorent intérieurement. » grogna le brun. « Tu as de la chance d’être mon amant ou je t’aurais bien jeté un sort pour avoir osé me faire une demande pareille. »
« Mais Yuri, j’éprouve toujours une telle joie quand tu es auprès de moi… même si nous nous disputons très souvent d’ailleurs. » répondit le blond.
« Tu es impossible Flynn, impossible et tu sais très bien qu’avec ton regard actuel, je suis incapable de te refuser quoi que ce soit. » répliqua Yuri. « Soit. Tout en sachant que cela va me coûter, j’accepte de t’apprendre un tel sort. Mais avant, laisse-moi accomplir une dernière mission pour Arthur. »
Flynn accepta et dès le lendemain matin, Yuri le quitta pour rejoindre Camelot.
--§--
Après avoir assemblé pour la première fois le roi et ses compagnons autour de la Table Ronde, Yuri avait expliqué leur quête du Graal – Gauvain, neveu du roi, fut parmi les premiers à jurer sur la quête et de toujours se lancer sur une quête de cent et un jours si jamais l’un des membres de la Table Ronde venait à être porté disparu, serment qui fut repris par tous ses pairs – ainsi que la symbolique de la forme circulaire de la table et la vacuité du siège à la droite du roi, alias le siège périlleux – il y eut quelques abrutis pour tenter de s’y asseoir [6]. Il annonça ensuite aux chevaliers que ce serait sans doute la dernière fois qu’il les verrait car sa mission auprès d’Arthur touchait à sa fin. Avant que le roi des Bretons put réagir, il se métamorphosa en faucon et quitta Camelot à tire d’aile pour rejoindre Brocéliande et Flynn.
Sentant ce que l’être féerique allait lui demander, la première action du druide fut de lui apprendre le fameux sort d’enfermement, tout en sachant qu’il signait sa propre perte de liberté. Puis, bercé par la voix de Flynn, il s’endormit sur ses genoux.
Evidemment, dès que le druide avait fermé ses paupières, Flynn s’empressa aussitôt de mettre en pratique le sort qu’il venait juste d’apprendre. Ce ne fut que lorsque Yuri s’éveilla qu’il comprit que son cher amant était décidément très déterminé à le garder auprès de lui et il ne put s’empêcher de sourire, acceptant sa défaite, pendant que Flynn le dévisageait d’un air taquin et quelque peu narquois.
Il paraîtrait d’ailleurs que le druide, bien que privé de sa liberté, était loin d’être malheureux de son sort et que Flynn lui rendait fréquemment visite pour s’adonner aux joies de la passion et de l’amour. Et certains affirment même qu’il en était toujours ainsi jusqu’à nos jours…
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[1] Ygraine est la mère d’Arthur mais également de Morgane et de Morgause. Si le personnage de Morgane est sujet à controverse car décrite dans un premier temps comme un personnage éminemment positif avant que des textes plus récents en font un personnage antagoniste, Morgause est plutôt un personnage négatif, certaines légendes lui donnant même la maternité de Mordred, celui qui finira par tuer Arthur. D’après moi, des auteurs ont confondu les deux femmes en un seul personnage.
[2] Lancelot, déchiré entre sa loyauté à son roi et l’amour qu’il porte à Guenièvre dont il est amoureux, entretiendra une relation adultère avec celle-ci.
[3] Druide ou dru wid dont l’étymologie incertaine peut se traduire par « savant par les chênes » ou plus globalement « savant par les arbres »
[4] Ban de Bénoïc est le père de Lancelot. Son frère est Bohort de Gaunes, père de Lionel et Bohort le Jeune et ensemble, ils règnent sur le royaume de Petite Bretagne. Ayant aidé Arthur à réprimer une rébellion de onze rois de Bretagne qui contestaient la souveraineté d’Arthur, ce dernier leur promet son aide contre Claudas, roi de la Terre Déserte, ennemi des deux frères. Malheureusement, les secours tardent et Claudas réussit à tuer Ban puis Bohort. Lancelot, Lionel et Bohort sont par la suite sauvés par la Dame du Lac qui les élève dans son palais de cristal. A noter que Bohort le Jeune est l’un des trois chevaliers qui réussira la quête du Graal aux côtés de Galaad et de Perceval.
[5] Lancelot est parfois appelé le « blanc damoiseau » ou le « chevalier blanc » car la Dame du Lac insistait toujours pour que son protégé porte des vêtements blancs.
[6] Le siège périlleux est le siège à la droite du roi Arthur à la Table Ronde. Seul le meilleur chevalier, le plus pur, celui qui trouvera et mettra fin à la quête du Graal peut s’y asseoir, les autres étant immédiatement engloutis par la terre. Ce sera Galaad, le fils de Lancelot qui y siègera.
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Omake :
Flynn : Comment ai-je pu participer à une telle histoire ?! Et surtout comment as-tu réussi l’exploit de convaincre Yuri de te soutenir ?
Eliandre : Facile. Je l’ai acheté avec deux choses. La première, c’était avec des bonbons. Comme je n’aime pas les sucreries, je lui ai tout donné.
Flynn : Je vois. Et la seconde chose ?
Eliandre : Très simple. Je lui ai promis de lui remettre une photo de toi nu en caleçon s’il coopérait. S’il refusait, il savait que j’avais déjà des acheteuses potentielles très intéressées par ce cliché. Autant dire qu’il n’a pas hésité et qu’il a été très motivé pour cette histoire.
Flynn (abasourdi) : Mais comment as-tu pu obtenir une telle photo ?!
Eliandre : Oh, tu as un peu abusé d’alcool en ces jours de fête et… bref, tu devines la suite… C’était ensuite un jeu d’enfant que de te prendre en photo… Après, j’ignore si Yuri était plus motivé par l’obtention du cliché ou si c’était plus pour empêcher quiconque d’y mettre la main dessus…
L'arrivée de Flynn : le pari
Nov. 15th, 2015 09:09 pmNote : Les aventures de Flynn continuent…
Note de dernière minute : Publication plus tôt que prévu car j’avais besoin de me changer les idées et si ça peut aider d’autres à en changer…
L’arrivée de Flynn : le pari
Après les événements mouvementés qu’il avait vécu la veille, Flynn Scifo, second fils de Lord Finath Scifo, n’aurait pas été contre pour rester plus longtemps dans son confortable lit à baldaquins. Mais une journée chargée pour lui se profilait à l’horizon : rassurer Ruth, rendre visite à ses parents le comte et la comtesse Kettering, vérifier qu’il n’avait pas de nouvelles affaires à traiter pour son travail d’avocat et enfin réunion familiale dont il se serait bien passé mais obligatoire vu qu’on débattrait de certains sujets dont très certainement son futur mariage.
Trois petits coups furent frappés à la porte de sa chambre avant que celle-ci s’ouvre pour faire entrer George, le majordome. Comme d’habitude, le domestique lui souhaita le bonjour avant de s’incliner et de se diriger vers la grande fenêtre afin de repousser les rideaux et l’entrouvrit pour laisser pénétrer l’air frais. Puis il aida son jeune maître à s’habiller.
Le domaine d’Ebony Alder, propriété de Neirein Scifo par son père Lord Crownwell disposait d’un magnifique manoir et d’un grand parc. Il était également bien situé, à vingt minutes de Londres en calèche mais assez éloigné de l’agitation de la capitale pour pouvoir profiter d’un lieu où régnaient la sérénité et la tranquillité. La demeure était peut-être d’une taille plus modeste que les autres habitations du même genre et sa décoration plus épurée au lieu d’exhiber une surenchère d’effets luxueux mais elle convenait parfaitement à Flynn qui en avait fait sa résidence principale dès qu’il fut en âge de quitter le reste de la famille Scifo. Autre élément qui distinguait Ebony Alder des autres domaines était le nombre réduit de domestiques employés. Au lieu d’en avoir une ribambelle, chose qu’il ne supportait plus depuis son enfance difficile au manoir Scifo à cause de ces multiples regards qui l’épiaient sans arrêt, Flynn n’avait que George qui lui servait à la fois de majordome, jardinier et chauffeur, Anna, la bonne et Suzu, le cuisinier. Parce que ses domestiques avaient autrefois travaillé pour ses parents lorsqu’ils étaient vivants – à l’exception d’Anna qui était la fille de l’ancienne femme de chambre de sa mère –, le jeune aristocrate avait plus tendance à les considérer comme ses amis que comme ses subordonnés, comportement qui scandalisait le clan Scifo mais il n’en avait cure. Il avait justement choisi de s’éloigner des membres de sa famille pour ne plus subir leurs jugements sur son mode de vie.
« Monsieur, je dois vous annoncer une nouvelle et je m’excuse de vous en aviser si tard. » dit George en aidant Flynn à arranger le col de sa chemise.
« Qu’il y a-t-il ? » demanda le jeune homme en fronçant les sourcils.
« Un serviteur de votre frère est venu et a laissé un message à votre intention hier soir pendant votre sortie avec Lady Kettering mais vous êtes rentré si bouleversé et fatigué que j’ai préféré que vous vous reposiez en priorité. Vous devez néanmoins savoir que votre frère Lord Elliot Scifo vous rend visite ce matin à neuf heures. »
Le ton du majordome était resté très professionnel, égal à lui-même mais parce que Flynn l’avait côtoyé depuis son enfance, il remarqua l’imperceptible changement de l’expression de George qui lui indiquait que la visite un peu impromptue de son frère aîné n’était pas de son goût.
« Elliot arrive ? Quelle heure est-il ? » s’inquiéta le jeune noble.
« Il n’est que sept heures et demie, jeune maître Flynn. » répondit le majordome avec un léger sourire. « Ne vous tracassez pas. Votre petit-déjeuner est prêt et Anna vous l’apportera à table dès que vous serez installé à votre place habituelle. »
« Merci beaucoup George ! » dit le jeune homme en lui rendant son sourire pendant que son domestique. « Je me demande ce que je ferai sans vous. »
« Oh, je suppose que vous aurez su vous débrouiller à votre manière maître Flynn. Vous auriez simplement mis un peu plus de temps. »
Le propriétaire des lieux hocha la tête avant de se diriger vers la porte mais dès qu’il posa la main sur la poignée…
« George, prévenez Suzu de préparer une collation pour mon frère. Et surtout, il faut qu’il y ait un thé à l’anglaise avec du lait, de la crème, de la confiture et des scones. Vous savez à quel point il attache de l’importance au moment du thé. »
« Bien monsieur. Je lui passerai le message. » répondit le majordome en s’inclinant.
--§--
Il était bientôt neuf heures et Flynn espérait que tout était prêt. Il savait que son demi-frère était exigeant et il se devait d’accueillir le chef de la famille Scifo dans les meilleures conditions. Il ne couperait sans doute pas aux critiques sur la décoration et l’ameublement qui paraitraient toujours trop pauvres aux yeux de son aîné mais il espérait néanmoins que la visite se passerait bien. Il regarda d’un air nerveux les bouquets de fleurs disposés dans des vases que George et Anna venaient d’installer et jetait sans arrêt un coup d’œil vers la cuisine : Suzu devait être en train de donner le meilleur de lui pour offrir une collation digne du chef de clan Scifo. Lui-même portait un habit simple mais élégant avec une chemise blanche et une veste de velours couleur daim avec un pantalon assorti à la veste mais d’une nuance plus claire pour faire bon accueil.
A neuf heures moins cinq, il entendit les chevaux et la calèche de son frère remonter la grande allée qui menait au manoir. Quelques instants plus tard, on annonça l’arrivée de Lord Elliot Scifo qui désirait rendre visite à son jeune frère.
Elliot Scifo, premier fils de Lord Finath Scifo et de sa première épouse Lady Abigail. C’était un jeune homme que la nature avait gâté avec des yeux mordorés et des cheveux d’un blond cuivré, aux traits anguleux et raffinés. Il était fier, sûr de lui et chacun de ses gestes exhibait l’assurance des vainqueurs qui lui conférait du charisme et de l’autorité, deux dons dignes du chef actuel du clan Scifo. De l’avis général, il était talentueux, doué, plus intelligent que la plupart de ses pairs et il était l’un des meilleurs bretteurs de sa génération.
Seulement… derrière le dos, certains murmuraient tout bas des rumeurs, que le cadet, le fils de la seconde épouse, se révélait sur tous les points encore plus brillant que son aîné… et cela Flynn en avait connaissance. Il savait que sans le vouloir, sans en avoir eu l’intention, il faisait ombrage à son demi-frère et que celui-ci le tolérait très mal, ce qui était accentué par leur apparence physique, très dissemblables pour deux frères. Elliot avait plus hérité du physique de sa mère tandis que tout le monde admettait que Flynn était comme l’image vivante de leur père en plus jeune. Finath lui-même était considéré comme exceptionnel et instinctivement, les gens accordaient à l’enfant qui lui ressemblait le plus les mêmes qualités qu’au père alors qu’à l’inverse, ils paraissaient douter de celles du fils qui lui était si différent physiquement. Il avait toutefois semblé à Flynn que depuis que le titre de chef du clan était officiellement revenu à Elliot, ce dernier était d’humeur un peu plus agréable car cela lui avait permis d’asseoir définitivement son existence.
« Bienvenue en ma demeure Elliot. J’espère que tu te sentiras comme chez toi. » dit Flynn en accueillant son aîné avec un sourire de circonstance.
« Bien le bonjour à toi, mon cher frère. » répondit son demi-frère d’un ton jovial. « Cela fait quelques temps qu’on ne s’est pas vu, n’est-ce pas ? Comment vas-tu ? »
« Très bien, je te remercie. Veux-tu peut-être te reposer ? Manger quelque chose ? Tu as dû faire une longue route non ? »
« Quarante-cinq minutes de route. Je profite de ton invitation pour te quémander du thé si tu le permets. »
« Bien sûr. Assieds-toi. » invita Flynn en lui désignant le plus confortable des fauteuils dont il disposait. « Anna, pouvez-vous ramenez du thé à mon frère, je vous prie ? »
Après que chacun ait pris place autour d’une petite table sous la véranda qui donnait une jolie vue sur le jardin commençant à offrir ses premières floraisons, Anna, jeune fille rousse de dix-neuf ans aux joues parsemées de taches de rousseur, apporta un plateau d’argent avec deux tasses, une théière fumante, du lait, du sucre, de la crème et des scones. Flynn la remercia chaleureusement avec un sourire avant de rapidement la congédier. Il se tourna alors nerveusement vers Georges qui s’avança alors pour remplir la tasse du frère de son maître.
« Thé de la Compagnie des Indes. Ton préféré, si je me souviens bien. » commenta le cadet des Scifo. « N’hésite pas à prendre des scones tant qu’ils sont encore chauds. »
« Hum… tu as une bonne mémoire Flynn. » dit Elliot en humant délicatement l’arôme de sa tasse, paupières fermés. « Ce thé me semble plutôt bien préparé… »
Aux propos de son aîné, le jeune avocat aperçut alors la mâchoire de son majordome se contracter légèrement mais son expression demeura impénétrable.
« Les scones m’ont l’air assez réussi et je dois admettre que tu as fait un effort dans la décoration. Ta… demeure fait moins vide depuis la dernière fois que je suis venu. » poursuivit Elliot en promenant son regard aux alentours. « Enfin, mettons cela de côté. Je ne suis pas venu critiquer tes goûts en matière de décoration. George, quittez cette pièce. J’ai à parler à mon cher frère. »
« Avec tout le respect que je vous dois monsieur, je suis au service de votre jeune frère et non du vôtre. » répliqua le domestique d’un ton froid et poli comme s’il constatait une évidence. « Par conséquent, je ne peux obéir qu’aux ordres de monsieur votre frère. »
Elliot dévisagea un instant le majordome de son demi-frère avant de laisser échapper un éclat de rire.
« Habile réponse que vous me faites, George. » félicita-t-il. « Vous avez toujours eu de l’esprit, je vous reconnais ce talent. C’est pourquoi je m’arrêterai là pour aujourd’hui. Faites néanmoins attention : une prochaine fois, je pourrai être moins… conciliant. »
Flynn vit son majordome se raidir et resserrer ses lèvres sous cette menace voilée. Voulant éviter une scène pénible pour tous, il décida d’intervenir :
« George, pouvez-vous sortir pour préparer les chevaux et la calèche ? Que ce soit prêt au plus vite. »
« Bien monsieur. » s’inclina le majordome.
Dès que le domestique fut sorti, Elliot se tourna vers son frère.
« Tu sors aujourd’hui ? A cette heure ? Où donc ? » interrogea-t-il.
« Je voulais rendre visite à Ruth et à ses parents aujourd’hui. » répondit Flynn d’une voix sourde.
« Ah c’est vrai, tu es sorti hier soir au cirque avec Ruth. Comment va-t-elle ? »
« Elle est en forme. Elle est très enthousiaste à l’idée du… mariage. »
Flynn s’était efforcé de prononcer ses derniers mots avec le ton le plus neutre qui soit mais il ne put s’empêcher de grimacer intérieurement. Il ne se sentait pas prêt pour ce mariage décidé contre sa volonté. Il avait quitté le manoir familial pour se libérer de la férule du clan Scifo mais au final, même ici, même à Ebony Alder, sa maison, son domaine, terre de sa mère et des Crownwell et non celle des Scifo, il avait l’impression d’être encore enchaîné au clan, d’être encore une marionnette contraint d’obéir, privé de la liberté tant désirée. Et s’il voulait être honnête avec lui-même, il détestait cordialement cette situation. Mais que pouvait-il y faire ? S’il avait émis la moindre protestation, le moindre signe d’une véritable rébellion contre les règles tacites de la haute aristocratie, nul doute que cette dernière lui aurait fait payer chèrement cette révolte et en aurait profité pour sévèrement médire sur son ascendance maternelle. Il ne pouvait pas laisser la noblesse anglaise salir la réputation de sa mère et de sa grand-mère, ce qui le forçait à suivre les règles et à maintenir l’apparence des choses.
« Je vois. Cela m’a l’air de bien se passer. Tant mieux alors. » dit Elliot en fixant son demi-frère de ses yeux mordorés. « Bien. Comme tu es pressé, j’irai à l’essentiel. Tu es intelligent Flynn et tu dois bien te douter que je ne suis pas venu ici pour une visite de courtoisie. Je voulais vérifier que tout allait bien entre Ruth et toi. J’espère que tu es bien conscient que ce mariage sera le ciment de l’alliance du clan Scifo avec celui des Kettering. »
Flynn hocha la tête d’un air amer, ses yeux se concentrant sur son thé fumant pour dissimuler à la fois ses pensées et son expression. Elliot et lui se connaissaient depuis leur enfance et son aîné était doué pour percevoir et deviner les sentiments de ses interlocuteurs, un talent qui l’avait toujours bien servi lors des négociations avec le comte Kettering. Il aurait été dangereux pour lui de laisser Elliot en savoir trop sur ce qu’il ressentait devant cette situation.
« Je le sais bien. J’ai constamment toi ou le reste de notre famille pour me le rappeler. » répliqua-t-il d’un ton morne.
« J’apprécie le fait que tu sois bien conscient des enjeux. Ce qui m’amène à l’autre raison de ma visite. »
Le blond leva alors un regard interrogateur vers son frère. Ce dernier le contemplait avec le plus aimable et le plus agréable des sourires, un scone tartiné d’un peu de crème à la main, mais il y avait dans ses yeux mordorés une sorte de joie à la fois amusée et cruelle, la même lueur qu’il voyait autrefois quand il subissait une punition durant son enfance dans le manoir Scifo. Flynn ne put s’empêcher de frissonner : il savait, par expérience, qu’Elliot n’était que plus dangereux que lorsqu’il abordait son plus charmant sourire à ses lèvres.
« Tu sais Flynn, tu es mon précieux petit frère. Nous savons tous les deux que notre enfance commune au manoir ne s’est pas faite sous les meilleurs auspices mais nous sommes tous les deux des adultes désormais et il est temps qu’on se comporte comme tels. En tant que mon frère, j’attends de ta part un comportement irréprochable, ma réputation est en jeu après tout, tout comme celle de notre clan. Certes, je peux tolérer tes quelques écarts de conduite, cela permet ainsi à quelques crédules à ne pas confondre le chef de la famille Scifo avec son jeune frère mais je te conseillerai, en toute amitié bien sûr, de ne pas abuser de la liberté que je t’ai généreusement accordée en te laissant partir du manoir. »
« J’ai quitté le manoir de mon propre gré ! » protesta Flynn en fronçant les sourcils.
« Bien évidemment. Légalement, rien ne te l’empêchait. » répondit Elliot. « Mais crois-tu réellement que tu aurais aisément quitté le manoir si je n’avais pas donné mon accord sur la question ? Bon nombre des membres de la famille, notamment ma mère, refusaient de te laisser partir aussi facilement mais j’ai tranché en ta faveur. Après tout, je sais les raisons pour lesquelles tu désirais si ardemment quitter le manoir familial. Tu voulais nous fuir, n’est-ce pas mon cher frère ? Tu voulais que nous cessions de contrôler ta vie comme nous l’avions toujours fait depuis la mort de notre père et de ta mère et enfin prendre ton destin en main. »
Cette fois, Flynn ne chercha pas à dissimuler son aversion. Il jeta brièvement un regard noir à son frère dont le sourire ne fit que s’accentuer, son ton demeurant badin et égal comme s’il parlait de choses triviales.
« Oh, ne me regarde pas ainsi Flynn, c’était évident et tout le monde s’en doutait dans la famille. Je te connais trop bien ! Et je comprends tout à fait cette sorte de réaction naturelle, c’est pourquoi je l’ai autorisée. Trop te restreindre aurait été dangereux : tu aurais fini par exploser. Mais ne te crois pas libre de tout, ce serait une erreur ! »
Il se pencha en avant pour mieux se rapprocher de son cadet.
« Que tu le veuilles ou non, je suis le chef de famille et par conséquent, rien ne se passe chez les Scifo sans que je l’y autorise. Je t’ai laissé partir et vivre ici. J’ai décidé de ton mariage avec Ruth Kettering. Je t’ai même laissé jouer à l’avocat si ça te chante bien que je trouve cela ridicule pour quelqu’un qui peut vivre avec les rentes de la fortune des Crownwell. Tout ce que tu crois avoir gagné depuis ton départ du manoir Flynn, je l’ai autorisé. Rien n’a changé. Tu restes sous le contrôle de notre famille. Rien de plus, rien de moins. »
Finalement, après prononcé ces mots, Elliot se leva de son fauteuil en déposant sa tasse sur sa table.
« Le thé et les scones étaient excellents. Toutes mes félicitations les plus sincères à ton cuisinier et à ton majordome. »
Il se tourna ensuite vers son demi-frère.
« Simple petit avertissement. Tu es intelligent alors je sais que tu en tiendras compte à l’avenir avant d’envisager certaines actions… inconsidérées… Sur ce, bonne journée mon cher frère. Je te retrouve ce soir à notre réunion familiale, n’est-ce pas ? »
Sans attendre de réponse à cette question rhétorique, il ajusta son chapeau et s’apprêtait à partir quand son cadet l’interpella :
« Elliot ! »
Le chef de famille des Scifo marqua un temps d’arrêt, ce qui permit au propriétaire d’Ebony Alder de poursuivre :
« Elliot, je sais que tu ne m’apprécies pas à cause de tout ce qui s’est passé avec notre père et nos mères respectives. Je sais aussi à quel point tu apprécies Ruth. Tu la connais depuis bien plus longtemps que moi. Alors pourquoi n’as-tu pas demandé la main de Ruth pour toi ? »
Elliot resta silencieux un moment comme s’il réfléchissait à la réponse à donner.
« C’était bien mon intention au départ. » finit-il par dire. « Ruth est le plus beau parti de la région, belle, élégante et intelligente, et son père était prêt à m’accorder sa main. Seulement, Ruth avait son mot à dire et contre toute attente, elle a préféré devenir ta femme. Comme elle est la fille unique du comte Kettering, son père tend à lui donner tout ce qu’elle souhaite et c’est ce qui s’est passé. Après d’âpres discussions, il a cédé et j’ai donc été contraint de céder à mon tour. L’alliance entre nos deux familles primait avant mes envies personnelles. »
« Je… je suis désolé… » fit son interlocuteur en baissant la tête. « J’aurais préféré que les choses soient différentes… Elliot, il n’est pas trop tard pour prendre un nouveau départ. J’aimerais vraiment qu’on laisse nos différends du passé derrière nous et que nos rapports… ne soient pas si compliqués… »
Son visiteur aux cheveux cuivrés le toisa avec circonspection.
« Tu sais Flynn, j’avoue avoir mieux appris à t’apprécier depuis que tu t’es éloigné du manoir. »
Si le blond avait eu de l’espoir, celui-ci fut vite anéanti lorsque son demi-frère enchaîna sur ses paroles :
« Oui, j’avoue que j’ai beaucoup de plaisir à être plus ou moins celui qui contrôle ton avenir. Et je trouve que tu t’es calmé depuis que tu habites ici. Tu es devenu plus… docile, je dirais, et plus enclin à rentrer dans le rang comme si tu t’étais résigné. J’ai même l’impression que tu en es devenu quelque peu apathique, que tu en as perdu ton mordant. Je dois l’admettre, j’ai hâte de voir ce que le futur nous réserve. »
Cela fut suffisant pour démoraliser Flynn. Il comprit alors que son frère se vengeait de l’humiliation de sa mère Abigail lors du divorce avec leur père, de l’humiliation et de la souffrance qu’il avait lui-même subi en étant un enfant sans père présent à son foyer tandis qu’il baignait dans le bonheur avec ses parents et que toute tentative de véritable réconciliation était inutile. Elliot ne se satisferait que d’une relation de dominant-dominé, en résumé une situation où il exerçait son pouvoir sur les autres et surtout sur lui. Cela ne faisait qu’assurer sa soif de puissance et d’influence, son désir de dominer et de contrôler les gens. Elliot aimait le pouvoir. C’était l’une des raisons pour laquelle il avait recherché une alliance avec les Kettering et à obtenir la main de Ruth.
« Je pense avoir suffisamment abusé de ton hospitalité. Je te souhaite une bonne journée Flynn. Et à ce soir. »
Dès qu’Elliot quitta le perron et que le trot des chevaux résonna de l’extérieur, George accourut immédiatement auprès de son jeune maître.
« Oh monsieur ! Je le lis sur votre visage : votre entrevue avec votre frère s’est mal passée. » s’exclama-t-il.
« Quoi que je fasse, je n’arriverai jamais à le satisfaire pour qu’il me pardonne. » murmura le blond. « Je ne peux pas lui en vouloir de me détester ainsi. C’est à cause de moi que notre père n’était pas avec… »
« Monsieur, je vous interdis de dire de cela ! » intervint le majordome avec sévérité. « Certes, monsieur votre père n’est pas resté avec Lady Abigail Winchester mais il a respecté jusqu’au bout ses responsabilités envers son fils aîné et il l’aimait, quoi que celui-ci peut penser. Elliot Scifo peut se montrer rancunier et vous en vouloir mais n’importe qui avec une âme plus compatissante que la sienne aurait fini avec le temps par comprendre et par pardonner pour une faute dans laquelle vous n’y êtes pour rien. Il aurait dû s’apercevoir de votre générosité, de votre bonté et de votre noblesse d’âme. Etes-vous en train, monsieur, de vous reprocher votre naissance et faire injure au fruit de l’amour de vos parents ? »
Flynn contempla son ami pendant quelques secondes puis un pâle sourire passa sur ses lèvres.
« Heureusement que vous êtes toujours à mes côtés pour me soutenir George. Sans vous, je me demande ce que je deviendrai. »
« Certainement en train de broyer du noir monsieur. Cela étant dit, j’aimerais changer de sujet et vous avertir que votre calèche est prête. »
Flynn déposa alors sa tasse sur la table.
« Parfait. Dites à Anna de débarrasser la table puis que Suzu et elle prennent leur journée s’ils le désirent vu que je rentrerai tard aujourd’hui. »
« Bien monsieur, à vos ordres. »
--§--
La visite chez les Kettering fut une rapide formalité. Il put rassurer Ruth bien que le comte se montra assez courroucé qu’il n’ait pas raccompagné sa fille adorée jusque chez elle. Heureusement, sa fiancée avait pu inventer un mensonge assez crédible pour excuser son absence : il avait soutenu et aidé une spectatrice qui avait fait un malaise à cause de la chaleur ambiante. Cela lui permit de recevoir rapidement le pardon du comte et le reste de la visite se déroula sans heurts.
Après avoir prévenu les Kettering de la réunion familiale des Scifo où ils étaient invités, Flynn prit son congé et partit pour Londres.
C’était dans un quartier assez populaire que Flynn tenait son cabinet d’avocat. Oh, à vrai dire, c’était un minuscule bureau coincé parmi d’autres locaux plus spacieux. Le blond avait les moyens de s’offrir un bureau plus vaste dans un quartier plus attractif et plus riche mais il aimait ce petit coin tranquille, ce petit immeuble en briques rouges se trouvant à l’intersection des quartiers ouvriers et ceux de la classe moyenne. En temps normal, il gérait surtout de l’administratif ou des gens venaient pour lui demander des conseils juridiques, moyennant une modique somme.
Cependant, aujourd’hui était un jour qui sortait de l’ordinaire quand un homme habillé comme un ouvrier se présenta à son bureau. Il portait un béret, une chemise blanche déchirée par endroits, un pantalon noir et des chaussures usées. Son visage, comme tous ses semblables, était usé avant l’âge. Cela devait être un trentenaire mais il donnait l’impression d’approcher de la cinquantaine.
« Vous êtes monsieur Scifo ? » demanda-t-il.
« En personne. Que puis-je pour vous ? »
« Je m’appelle John, John Penn monsieur. J’ai entendu parler de vous. On m’a dit que vous acceptez des faibles paiements. »
« Pour être exact monsieur, j’adapte mes tarifs en fonction des moyens de mes clients. J’estime que tout le monde devrait pouvoir s’offrir les services d’un avocat. Pas que les plus favorisés. »
« C’est ce que je voulais dire. » s’empressa de dire le dénommé John Penn. « Voilà, j’ai une affaire assez compliquée et je ne sais pas si vous pourriez m’aider. »
« Et si vous me la présentez monsieur Penn ? » dit Flynn en souriant avec bienveillance.
L’homme sembla hésiter quelques minutes, faisant tournoyer son béret entre ses mains tout en fixant le jeune aristocrate avec espoir et doute à la fois. Il parut finalement se décider :
« Voilà, mon paternel est mort il y a un mois et j’ai hérité de lui un p’tit bout de terrain. Oh rien de faramineux mais il est toujours bon d’avoir son p’tit lopin de terre pour soi. V’là que la semaine dernière, je voulais m’y rendre pour voir à quoi ce bout de terrain pouvait ressembler. Et je me retrouve nez à nez avec le châtelain du coin Lord McCoy qui prétend que ça lui appartient et il ne veut pas en démordre. »
« Avez-vous une preuve que le terrain vous appartient monsieur Penn ? » interrogea Flynn.
« Oui, j’ai le testament de mon vieux père. » répondit John en sortant de sa poche un morceau de papier froissé à l’origine douteuse. « Mais McCoy a refusé d’en reconnaître l’authenticité. Il a une autre feuille, dit-il, qui prouverait que ce terrain a toujours appartenu à ses aïeux et m’a ri au nez en disant que je n’avais pas assez de cran pour porter l’affaire aux tribunaux. Je veux récupérer mon p’tit bout de terre monsieur Scifo. Mais voilà, un avocat coûte cher, très cher, sans compter que McCoy a certainement les moyens de s’offrir les meilleurs avocats pour défendre ses intérêts. C’est une tâche difficile monsieur Scifo mais je vous le demanderai franchement : accepterez-vous d’être mon avocat ? »
Le jeune aristocrate contempla longuement son client comme pour mieux le jauger.
« J’ai, dans ce cas, une question à vous poser avant de pouvoir répondre à la vôtre monsieur Penn : jusqu’où êtes-vous prêt à aller ? »
L’ouvrier se gratta la tête avec une expression presque comique mais ses yeux paraissaient déterminés.
« Jusqu’au procès monsieur Scifo. Comme je l’ai dit ce p’tit lopin n’est pas grand-chose mais il me vient de mon paternel. Il n’a peut-être pas une grande valeur mais je tiens à le récupérer. Seulement, les frais pour un procès sont énormes et… »
« N’en dites pas plus, monsieur Penn. » intervint Flynn. « Je suis convaincu et j’accepte de vous aider et de vous représenter dans cette affaire, même devant un juge s’il le faut. Pour l’argent, ne vous inquiétez pas, j’en fais mon affaire. »
« Mais pour vous payer monsieur Scifo, comment… » demanda son client d’une voix hésitante avant qu’il l’interrompe de nouveau.
« Nous verrons quand nous réussirons à récupérer votre terrain monsieur Penn. Pour le moment, je vous interdis de vous préoccuper de questions financières sur mes services. Je vais bien sûr faire tout mon possible pour que Lord McCoy vous rende votre terrain mais je ne peux pas vous en garantir le succès. Vous comprenez ? »
« Pour sûr monsieur Scifo. Je vous fais confiance. »
« Bien. Ce testament est précieux mais cela ne suffira pas pour prouver votre bonne foi devant les tribunaux. » expliqua l’avocat. « Pourriez-vous me le confier ? Il me faudrait aussi l’adresse du notaire qui a dressé le testament de votre père. Savez-vous comment ce terrain est devenu possession de votre famille. »
« Euh… Je crois qu’il appartient à la famille depuis cinq générations voire plus. » répondit John Penn.
« Je ferai donc des recherches. J’aimerais connaître vos disponibilités pour que nous puissions fixer des rendez-vous afin de faire le point sur l’évolution de l’affaire et vous communiquer le résultat de mes recherches. Nous allons d’abord tenter une conciliation à l’amiable mais si jamais Lord McCoy ne peut vous donner satisfaction, il faudra se préparer à aller au procès. »
Après quelques échanges d’informations et de coordonnées, John Penn salua amicalement le jeune avocat et prit rapidement congé. Suite à son départ, Flynn poussa un léger soupir. Il était anxieux quant au déroulement de l’affaire, il n’avait jamais plaidé devant un tribunal. La journée était néanmoins passée vite et il n’avait pas vu le temps défiler. Il était temps pour lui de se rendre à la réunion familiale des Scifo.
Il avait déjà hâte que la soirée se termine…
--§--
« Flynn, je vous remercie de m’avoir invitée au manoir de votre famille. » dit Ruth d’un air joyeux. « Mes parents en sont très satisfaits. »
« Il faudrait plutôt remercier mon frère Ruth car il a énormément insisté pour que vous soyez présente. Je n’ai fait que transmettre l’invitation. » répondit son fiancé.
Le manoir des Scifo était une belle et immense demeure où les mots "élégance" et "luxe" prenaient tous leurs sens. Comme il s’agissait de la demeure principale d’Elliot, ce dernier l’avait décorée selon ses goûts dans le pur style de l’époque : riche, harmonieux et certainement pas minimaliste. Le salon était somptueux avec son parquet bien ciré et son tapis aux motifs orientaux, le mobilier ornementé comme le magnifique canapé blanc crème aux bords dorés, les lustres étincelants ou les bas-reliefs représentant des portraits en profil de Lady Abigail Winchester, mère d’Elliot. Cheminée blanche bien entretenue, paravents aux décorations exotiques… c’était au final, une belle pièce qui reflétait assez bien la magnificence du manoir des Scifo. Peut-être un peu trop surchargée au goût de Flynn, mais ce n’était pas sa maison.
Il se sentait mal à l’aise d’ailleurs. Il détestait cet endroit et avait tout fait pour le quitter. Il y avait passé le reste de son enfance après l’accident de son père et le suicide de sa mère. Il avait toujours l’impression d’être un étranger, que la demeure lui était ouvertement hostile. Sans George et les autres, sans doute il aurait fini par craquer avant d’atteindre l’âge suffisant pour pouvoir la quitter mais même encore, il ne portait pas le manoir et ses habitants dans son cœur.
Contrairement à lui, Ruth était heureuse et elle brillait de joie. Ce n’était pas la première fois qu’elle se rendait au manoir mais c’était sans doute la première fois qu’elle rencontrait toute la famille réunie. Elle aimait les ambiances festives, les soirées de galas, les bals… Ruth était une fille aimable, respirant la joie de vivre, parfaite aux yeux de beaucoup mais elle aimait admirer les choses et surtout qu’on lui accorde un peu d’attention. C’était tout à fait normal : ce n’était pas vraiment par égocentrisme ou par caprice mais étant fille unique, sans doute avait-elle toujours craint de ne pas exister dans une société dominée par les hommes.
« Je dois donc le remercier. » dit-elle. « Cela fait d’ailleurs longtemps que je n’ai pas vu… Oh, quand on parle du loup… Par ici Elliot, je suis contente de vous voir ! »
« Ma chère Ruth, heureuse rencontre ! La dernière commençait à dater, n’est-ce pas ? » dit Elliot en embrassant galamment la main de la belle femme. « Ah Flynn, je suis content de te voir ! Cela faisait longtemps que tu n’étais pas venu ici. J’espère que tu profites bien de ton séjour. »
« Je te remercie de me faire un si bon accueil, Elliot. » fit Flynn en affichant un sourire de circonstance.
« C’est une belle réception Elliot. Je vous remercie pour votre invitation. Mes parents en sont ravis. » ajouta Ruth.
« Bien, tant mieux alors car cette réception est à votre honneur Ruth. A vous et à mon cher frère ! » dit-il en se saisissant d’un verre de vin rouge qu’il leva en l’honneur des deux fiancés. « J’ai d’ailleurs hâte que le mariage ait lieu. Je pense qu’il serait temps d’annoncer une date, non ? »
« Quelle excellente idée ! » s’exclama Ruth. « Cela fait maintenant un certain temps que nous sommes fiancés Flynn. Peut-être serait-il vraiment temps de préparer sérieusement le mariage. Mon ami, quel bonheur ce sera quand nous unirons enfin nos vies pour le reste de nos jours. »
« Je… Je dois d’abord en parler à votre père Ruth. Serait-il d’accord pour vous autoriser à vivre enfin sous mon toit ? La dernière fois, il semblait assez récalcitrant sur un mariage un peu trop précipité à son goût. » répondit Flynn qui dissimulait ce qu’il ressentait vraiment.
La vérité, c’était que le comte Kettering aimait tellement sa fille unique qu’il avait du mal à se faire à l’idée que sa Ruth adorée allait quitter le foyer familial pour vivre avec un homme, raison pour laquelle il montrait une certaine réticence à marier son enfant si tôt. Cette situation arrangeait plutôt bien Flynn. Il avait espéré qu’avec le temps, il finirait par éprouver des sentiments amoureux pour Ruth mais tel n’avait pas été le cas. Il se demandait d’ailleurs s’il n’avait pas encore besoin d’un peu de temps pour vaincre définitivement ses répugnances au sujet de cette union décidée contre sa volonté.
« Ruth, Flynn, rassurez-vous, je viens juste de parler au comte. » déclara Elliot avec un sourire aux lèvres. « Il pense comme moi que le moment est venu et qu’il serait préférable de commencer les préparatifs du mariage. Il faudra bien sûr qu’on se mette d’accord sur la date du mariage mais pour le reste, je pense que ce ne sera qu’une simple formalité, longs préparatifs exceptés bien évidemment. »
« Quelle bonne nouvelle ! » dit Ruth en joignant les mains, ses yeux cobalt étincelants de joie. « Nous allons enfin pouvoir vivre ensemble Flynn. »
« C’est… un honneur que d’accepter votre main, Ruth. » répondit Flynn d’une voix sourde.
« Oh, Flynn. Ma mère voudrait te féliciter pour ton mariage. Le bruit la fatiguant, elle est en train de se reposer dans le boudoir. Pourrais-tu la voir ? » demanda Elliot.
Le cadet comprit l’ordre implicite de son demi-frère. Il ne broncha donc pas et garda un visage impassible et quelque peu morose.
« Bien sûr. Puis-je te laisser avec Ruth ? »
« Je serai ravi d’accorder un peu de mon temps à ma future belle-sœur. »
« A bientôt, Flynn. N’oubliez pas de venir ensuite prendre un verre avec moi. » rappela sa fiancée.
« Je n’y manquerai pas. » répondit Flynn en inclinant la tête.
Connaissant les lieux, le blond fila vers le boudoir mais en son for intérieur, il espérait que quelque chose ou quelqu’un l’en empêche pour une quelconque raison. Rien de notable ne se déroula toutefois et il arriva sans heurts devant le boudoir dont la porte était close.
Poussant un soupir, Flynn toqua doucement à la porte, attendit quelques secondes puis une voix féminine lui signifia d’entrer. Ce qu’il fit.
Le boudoir était une jolie pièce avec son papier peint fleuri et son mobilier en bois exotique. Un petit piano droit blanc y avait été installé et servait essentiellement à l’entraînement des musiciens de la maisonnée. Un petit placard contenait d’ailleurs de nombreuses partitions dont les bords légèrement jaunis montraient qu’elles avaient longuement été utilisées. Au centre, une table basse et un large fauteuil occupé en ce moment par Lady Abigail Winchester, mère d’Elliot Scifo.
« Bonsoir Flynn. » dit-elle d’une voix grave. « Je vois avec plaisir que vous me semblez bien portant. Veuillez prendre place, je vous prie. » ajouta-t-elle en lui désignant un autre fauteuil.
Le jeune homme obéit avant de contempler son interlocutrice. Même si elle n’était plus de la première jeunesse, Lady Winchester demeurait belle malgré son âge. Jadis, elle avait été d’une beauté éblouissante et, si Flynn voulait être objectif, bien plus belle que sa mère Neirein Crownwell. Une longue chevelure bouclée aux tons cuivrés qui fut l’objet d’admiration de tant de ses prétendants et des yeux noisette dorés qui lui conféraient un regard remarquable, perçant et inquisiteur, deux caractéristiques dont Elliot avait héritées. Sa robe aux couleurs sobres et sombres, ses gants en dentelle noire à la française évoquaient plutôt une veuve comme si elle portait à jamais le deuil de son mari… sauf qu’ils avaient divorcé bien avant sa mort… Après l’accident qui avait coûté la vie à Lord Finath Scifo, Abigail et Neirein avaient toutes deux porté le deuil. Cela Flynn pouvait le concevoir puisque chacune avait perdu le père de leur enfant. Cependant, au fil du temps et surtout après le suicide de sa mère, il put constater qu’Abigail s’acharnait à garder des vêtements sombres. Il comprit plus tard que c’était une façon pour cette femme d’affirmer qu’elle était la seule épouse légitime de Finath, bafouant ainsi complètement les droits de Neirein. Elle n’avait jamais accepté son divorce avec Finath. Bien qu’elle avait repris son nom de jeune fille pour rappeler à quel point elle était issue d’une lignée irréprochable, elle avait ordonné à ses propres domestiques de l’appeler Lady Scifo comme pour toujours remémorer son mariage avec Finath.
« Un brandy peut-être ? » demanda-t-elle en désignant la bouteille.
« J’en serais honoré madame. » répondit Flynn en hochant la tête.
Le glouglou d’une bouteille, quelques tintements de verre puis Abigail posa ses yeux inquisiteurs vers son beau-fils avant de lui dire :
« Elliot m’a appris que la date de ton mariage avec Ruth Kettering sera bientôt avancée. Toutes mes félicitations et mes vœux de bonheur. »
« Je vous remercie madame. » répondit Flynn d’un ton neutre.
« J’aurais préféré qu’Elliot se marie le premier mais cette demoiselle a porté son choix sur vous. J’espère que vous saurez néanmoins faire honneur à votre future épouse et que vous saurez être digne d’elle. N’oubliez pas que ce mariage revêt une importance capitale pour l’alliance entre les Scifo et les Kettering. » déclara Abigail d’une voix acerbe. « Sachez la combler, veillez sur elle. Elle attend un homme qui la couve de soins. »
« Je saurais me montrer un époux attentionné et je promets de veiller à ce qu’elle ne manque de rien. » annonça le jeune homme avec une expression apathique.
Abigail émit alors un bref éclat de rire quelque peu moqueur et insultant à la fois.
« Ah, un époux attentionné ! Cela, je veux bien le croire ! C’est exactement ce que ton père m’a dit avant notre mariage… et avant qu’il me délaisse pour cette roturière japonaise ! »
Neirein Crownwell était la fille de Lord Crownwell et n’était qu’à moitié japonaise. Lady Abigail le savait parfaitement mais elle faisait mine de l’ignorer. Depuis son enfance au manoir, Flynn savait qu’il était inutile de convaincre ses habitants que sa mère avait des origines nobles par son père. Pour eux, sa mère n’était qu’une parvenue.
« Oui, je dois l’admettre, il a respecté tous ses devoirs d’époux avant qu’il me jette pour ta mère, cette femme qui n’est même pas une pure Anglaise ! »
Puis après cet accès de colère, Abigail prit une profonde inspiration pour se calmer avant de faire brutalement volte-face tel un fauve sauvage et de se saisir de la tête de Flynn comme le ferait un tigre, sous les yeux médusés de son beau-fils qui la laissa faire sans oser réagir de peur de provoquer un nouveau conflit. Il sentait néanmoins sous les gants en dentelle noires les ongles de sa belle-mère tels des griffes acérées.
« C’est fou à quel point tu lui ressembles. J’aurais tant aimé qu’Elliot ait hérité physiquement de certains des traits de son père mais toi, tu es vraiment son portrait craché quand il avait ton âge. Oui, tu es vraiment l’image vivante de Finath. » murmura-t-elle d’une voix dangereusement veloutée tout en enfonçant ses ongles dans le visage de Flynn. « Mais… ce que je ne supporte absolument pas, c’est qu’avec ce visage si semblable à l’homme que j’ai aimé, tu tiens les mêmes propos que cette femme que je hais. »
Un sourire à la fois dédaigneux et victorieux apparut alors sur ses lèvres.
« Bah… Après tout, peu importe ! Au final, cette maudite femme a perdu. Toutes les possessions de Finath sont revenues à mon Elliot. J’avoue que cela a été un grand moment de la voir contrainte de plier bagage quand elle a quitté la demeure de ton père. Elle a ensuite mis fin à ses jours en abandonnant son propre fils. A croire qu’elle ne t’aimait pas assez mon pauvre Flynn ! »
A l’époque, il n’avait pas vu venir le suicide de sa mère. Personne ne l’avait vu venir dans son entourage, ni lui, ni les domestiques. Pourtant, quand il fouillait dans ses souvenirs, Flynn se disait qu’il aurait dû voir venir le geste et il en ressentait de la culpabilité. Avec la pression qu’elle subissait de la part de la haute société anglaise, sans le soutien de son mari ou de son père tous deux décédés, elle était devenue de plus en plus agitée, plus névrosée, plus hystérique au point de se sentir persécutée, bien qu’elle le dissimulait devant son fils, jusqu’au jour elle commit le geste irréparable. La seule chose que lui avait laissé Neirein après sa mort était une touchante lettre d’adieu où elle lui disait combien elle l’aimait et elle lui suppliait de lui pardonner son acte désespéré.
Flynn garda son sang-froid devant les médisances d’Abigail et ses yeux azur auraient jeté des éclairs s’il n’avait pas su garder contenance. Sa mère l’avait aimé et certains des meilleurs moments de sa vie furent ceux partagés avec elle. De cela, il en était sûr. Peu importe ce que lui disait Abigail, elle ne pourrait jamais lui faire changer d’avis.
« Quant à son fils, on peut dire qu’il est devenu ma propriété, n’est-ce pas ? » continua Lady Winchester tout en plongeant une de ses mains sous la chemise de Flynn. « Il est contraint de faire tout ce que je demande et ne peut pas élever la moindre protestation sous peine d’être accusé de me manquer de respect et que l’origine de son incivilité soit soupçonnée de provenir de sa sang-mêlée de mère, cette femme issue de ce pays barbare qu’est le Japon ! »
« S’il vous plait madame, je vous demanderai de ne pas insulter la mémoire de ma mère. » dit Flynn d’une voix devenue soudainement dure.
« Sa mémoire ? » se moqua Abigail. « On ne peut dire qu’il y ait beaucoup de gens à qui elle ait manqué si on excepte toi. »
Faux, elle avait manqué à tous les domestiques de son père mais il aurait été mal avisé de le dire devant sa belle-mère. Ce n’était pas vraiment de véritables personnes pour elle.
Puis soudain, aussi brutalement qu’elle avait commencé, Abigail retira sa main et relâcha la tête de son beau-fils.
« Ce fut une bonne conversation. Je suis heureuse que tu saches te tenir à ta place et que tu sois conscient des enjeux. Je pense que nous devrons revenir au salon et profiter de la fête Flynn. Une absence trop longue risquerait d’inquiéter inutilement nos invités, surtout ta fiancée. Pourrais-tu m’ouvrir la porte ? »
« Bien évidemment madame. »
A peine Flynn revint au salon que le père de Ruth, le comte Kettering se dirigea aussitôt vers lui pour l’aborder. C’était plutôt un grand homme d’allure distinguée qui portait un monocle à son œil gauche.
« Ah Flynn, vous voilà ! J’ai besoin de vous pour un petit service. »
« Lequel monsieur ? » interrogea poliment Flynn.
« Vous et votre frère Elliot êtes considérés comme les meilleurs bretteurs de votre génération. Un de mes vieux amis a parié que vous étiez le numéro un devant votre frère. J’ai soutenu le contraire car pour avoir vu Elliot à l’œuvre quand il était plus jeune, je doute que vous puissiez le battre. Pas que je doute de votre talent Flynn. Vous êtes après tout mon futur gendre et l’époux que prendra ma Ruth adorée se doit de posséder des qualités exceptionnelles mais j’ai du mal à imaginer comment vous pourriez battre Elliot. »
« J’ai pris la liberté d’accepter en nos deux noms Flynn. » ajouta son demi-frère. « J’espère que tu ne m’en voudras pas pour ça. Cela fait d’ailleurs longtemps que nous ne nous sommes pas mesurés l’un à l’autre.
« J’avoue que je ne vous ai jamais vu combattre. Ce sera donc pour moi l’occasion de voir ce que vous valez avec épée à la main. Ruth, une préférence pour le vainqueur ? »
« Oh… Elliot est un ami très cher mais Flynn sera bientôt mon époux… » murmura-t-elle assez embarrassée. « En tant que fiancée de Flynn, je dois le soutenir mais j’aurais aimé rester neutre. »
« Rassurez-vous Ruth, je vous comprends. » commenta Elliot. « Après tout, mon cher frère aura bien besoin de vos encouragements s’il espère gagner. »
« Allons, dirigeons-nous vers un endroit plus propice pour ce petit exercice. » déclara Lady Abigail tout en faisant signe à son majordome. « Thomas, veuillez apporter des épées pour mon fils et son frère. »
« Bien madame. »
« Lady Winchester, cela ne vous gêne pas si je me propose de jouer les arbitres entre ces deux garçons ? » questionna le comte Kettering.
« Bien volontiers comte, bien volontiers. Je n’y vois pas d’inconvénients. » répondit-elle.
Ils se dirigèrent tous vers la salle de bal qui offrait un espace suffisant pour un duel. Thomas, le majordome d’Elliot apporta à chacun des combattants une épée. Pendant que l’aîné commençait à s’échauffer, le cadet examina avec minutie sa lame, la faisant tournoyer dans l’air pour soupeser son poids et vérifier sa maniabilité avant de s’échauffer à son tour. Lorsque les deux jeunes hommes eurent terminé leurs préparatifs, le comte Kettering s’avança.
« On arrête le combat au premier sang versé, le gagnant étant bien sûr celui qui aura touché son adversaire. » annonça-t-il. « Messieurs, faites preuve de fair-play. Que le meilleur l’emporte ! »
Chacun salua le public et son adversaire avant d’entamer le duel. Elliot avait ses yeux fixés sur son frère mais ce dernier avait l’esprit ailleurs, avec une expression proche de l’apathie. Il n’était pas en état de combattre après sa dernière entrevue avec sa belle-mère qui avait été assez houleuse. Heureusement que le blond possédait d’excellents réflexes car il fut presque surpris quand son aîné débuta son attaque par un rapide assaut, lame en avant. Il put néanmoins parer le coup in extremis mais Elliot continua ses attaques fulgurantes, obligeant Flynn à rester sur la défensive et à reculer. Pendant quelques instants ce fut ainsi jusqu’à ce que, profitant d’un dégagement trop long de son demi-frère, il put enfin placer une prompte contre-attaque qu’Elliot évita d’extrême justesse.
« Eh bien, j’ai bien failli croire que je m’ennuierai. Content de voir que tu t’es enfin réveillé. » commenta Elliot.
A son tour, il subit les assauts de son cadet car même s’il essayait de l’attaquer, ses coups étaient bloqués par l’extraordinaire technique de Flynn. Le talent de celui-ci avait toujours été naturellement incroyable et en s’entraînant et en acquérant de l’expérience au fil des combats, il avait poli ses remarquables prédispositions.
Le combat tourna à l’avantage de Flynn et Elliot semblait éprouver des difficultés. Pourtant, jamais le fils de Neirein n’avait semblé si… désintéressé par le duel. Il réussit néanmoins une nouvelle fois à contrer le coup d’Elliot et là, il aperçut la faille dans sa garde. Un mouvement vers le cou d’Elliot et la victoire serait à lui.
« Cette roturière japonaise… Cette femme qui n’est même pas une pure Anglaise…Elle ne t’aimait pas assez pour t’avoir abandonné… Avec un visage si semblable à l’homme que j’ai tant aimé, tu tiens les mêmes propos que cette femme que je hais… que je hais… »
Perdu dans ses pensées, il attendit une seconde de trop et cela fut suffisant pour rater l’occasion. Elliot profita de sa distraction pour attaquer puis il sentit soudain une légère douleur à la joue.
« Fin du duel messieurs. » conclut le comte Kettering. « Toutes mes félicitations pour ce magnifique duel Elliot. Vous êtes toujours aussi talentueux décidément. Flynn, je dois admettre que vous m’avez surpris. Vous êtes bon mais c’est le meilleur qui l’emporte, n’est-ce pas ? »
« C’est dommage Flynn. Cela s’est joué à pas grand-chose. » dit Ruth d’une voix navrée.
« J’espère que vous avez parié gros sur ma victoire, comte Kettering. Votre ami va regretter d’avoir parié sur mon frère. » ajouta Elliot d’une voix narquoise.
Flynn toucha alors sa joue : son aîné avait réussi à atteindre sa joue. Une petite égratignure de rien du tout, il n’en garderait pas de cicatrice. Compatissante, Ruth appliqua avec amour son mouchoir sur sa blessure. Il la remercia pendant que les autres convives analysaient le duel. Toute la famille évoquait les brillants talents d’escrime d’Elliot et sa victoire en les termes les plus élogieux, à quel point il était incomparable par rapport à son demi-frère. Il se sentait dépité. Ce n’était pas qu’il était jaloux, mauvais joueur ou qu’il se cherchait des excuses mais il savait qu’il aurait pu facilement l’emporter. Et surtout, s’il avait gagné, on ne l’aurait jamais aussi chaudement félicité comme les autres membres de la famille le faisaient actuellement avec Elliot : on aurait trouvé une explication pour excuser la défaite d’Elliot et on aurait trouvé une critique sur son jeu d’épée. Le fait qu’Elliot était le chef de la famille y était aussi pour quelque chose : tout le monde voulait être dans ses petits papiers.
Dès le début, il avait voulu que cette soirée se finisse au plus vite. Cette fois, il en eu réellement plus qu’assez de cette mascarade.
Heureusement, la soirée touchait à sa fin pour certains. Ceux qui avaient des activités le lendemain émirent le désir de se retirer, montant soit dans des chambres prévues à cet effet, soit en demandant leur voiture. Profitant de cette occasion, il demanda sa calèche.
« Déjà Flynn ? Tu nous quittes si tôt ? » demanda Elliot.
« J’ai des affaires à régler pour demain. Une personne m’a demandé des conseils. » répondit sèchement le blond. « Ruth, je suis désolé de vous quitter de si bonne heure mais mon travail m’appelle. » ajouta-t-il en embrassant la main de sa fiancée.
« N’oubliez pas de passer chez moi dans les prochains jours. » intervint le comte Kettering. « Il faut que nous commençons les préparatifs du mariage. »
« Je n’y manquerai pas. Au revoir à vous tous. »
Il voulait fuir cette habitation, fuir tout le clan et rentrer chez lui dans un lieu où ni Elliot, ni Abigail avaient de l’influence. Chez lui ? Non ! Même ici il était sous l’influence de son demi-frère puisqu’il l’avait laissé vivre à Ebony Alder. Londres où se situait son cabinet d’avocat ? Même chose. Il réfléchit à la hâte à un endroit où aucune aristocratie du monde ne pourrait l’atteindre. Ni Elliot, ni Abigail, Ni les Scifo, ni les Kettering, ni personne de la haute société. Et il n’en vit qu’un seul… aussi dangereux soit-il… mais de toute façon, qu’avait-il à perdre à part cette vie qui lui paraissait chaque jour de plus en plus insupportable ?
Sa décision était prise…
« George, détachez un cheval et équipez-le de rênes. Maintenant. » ordonna-t-il.
« Monsieur ? » fit son majordome avec un air effaré et surpris. « Permettez-moi de vous demander où allez-vous à une heure si avancée ? »
« Là où je n’aurai plus à supporter l’influence d’Elliot ou de sa mère. » répliqua Flynn.
Pendant cette conversation, George avait obéi à son ordre en détachant l’un des chevaux de son maître. Il voulut sortir une selle du coffre de la calèche mais Flynn se saisit des rênes avec impatience.
« Cela ira comme ça. » dit-il en grimpant sur le cheval. « Je peux monter à cru pour une fois. »
« Jeune maître ! » protesta George, inquiet. « Je vous en prie. Ne commettez pas de folie ! Je sais vous avez besoin de vous sentir libre mais je ne peux m’empêcher de craindre pour vous. »
« Rentre à la maison George. Tu peux encore conduire la calèche avec un cheval. » dit Flynn d’une voix douce à son ami. « Ne t’angoisse pas à mon sujet. »
Sur ce, il partit au galop vers le seul endroit qui était libre du pouvoir d’Elliot ou de sa mère.
Au cirque de Brave Vesperia…
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La représentation devait être finie depuis un bon moment car lorsque Flynn arriva, le silence régnait à part quelques hurlements à glacer le sang qui s’élevaient sporadiquement. Pendant une brève seconde, il se demanda pourquoi il s’était enfui vers cet endroit étrange, sordide d’où émanait une ambiance sombre et malveillante car il fallait être fou ou désespéré pour venir dans un endroit où la mort, le sang et la souffrance étaient présentes. Sa monture ne s’y trompa pas en tout cas car à peine posa-t-elle un sabot dans le domaine du cirque qu’elle commença à trembler et à s’agiter. Flynn réussit néanmoins à la calmer et à l’attacher près d’une barrière.
Dans le même temps, à l’image du dompteur, les gens de ce cirque étaient… étranges et particuliers. Pas le genre d’individus qu’Elliot ou sa mère contrôlaient… Alors s’il y avait un lieu libre de leurs influences, qui n’avait obéi ou subi le pouvoir et la domination de sa famille, c’était bien celui-ci…
Cela étant dit, Flynn éprouvait cependant une certaine appréhension pour être venu dans le domaine des saltimbanques. Il n’avait aucun droit d’être ici comme la représentation était terminée et il n’était pas un invité. Alors, que faisait-il ici ?
Pourquoi était-il donc venu au cirque, se répétait-il mentalement.
Il fut alors surpris quand un aboiement se fit entendre et, surgissant des ombres, un chien apparut devant lui. A son pelage blanc et bleu, son œil borgne et sa posture altière et fière, Flynn reconnut Repede, le chien savant et mascotte du cirque. Ce dernier avait la queue et les oreilles dressées, le contemplant avec une évidente méfiance.
« Tu es Repede, je crois non ? Moi, je m’appelle Flynn, Flynn Scifo. » murmura le blond pendant que l’animal tournoyait autour de lui comme pour le humer.
Pendant une fraction de seconde, il crut que le manège du chien n’allait jamais se terminer mais soudain, il s’arrêta et il lui sauta à la figure, renversant le jeune Anglais par terre, pour lui lécher amicalement le visage. Comprenant que le canidé ne lui ferait plus aucun mal, Flynn se mit à le caresser.
« Eh bien, c’est la première fois que je vois Repede accorder ses faveurs aussi rapidement à un étranger du cirque. Tu es vraiment quelqu’un, Flynn Scifo. » dit brusquement une voix d’un ton sarcastique.
Flynn se releva immédiatement. Il identifia aisément le propriétaire de cette voix teintée d’ironie.
« Toi ! » reconnut-il quand il aperçut le dompteur Yuri Lowell, dos nonchalamment adossé à une des roulottes du cirque.
« Content de te revoir Flynn. Je dois avouer que j’attendais ta prochaine visite avec impatience. »
« Comment… Tu savais que j’allais revenir ? » s’écria le blond.
« J’ai plutôt bonne intuition en général. » répondit le dompteur. « Cela étant dit, je suis surpris que tu aies gagné aussi facilement les faveurs de Repede. Il ne se laisse pas toucher par n’importe qui. Tu devrais te sentir flatté. Il n’a sans doute jamais porté un tel intérêt à quelqu’un depuis… bien longtemps. Il a toujours eu un excellent jugement sur les personnes. Quelque chose en toi a dû attiser son intérêt. »
Il s’approcha alors de Flynn pour le contempler, s’attardant particulièrement sur les yeux céruléens du jeune aristocrate. Comme lors de leur dernière rencontre, il ne se gêna pas pour se saisir de son menton et le forcer à le regarder.
« Que s’est-il donc passé pour que cette étincelle que j’avais vu hier se meurt aussi rapidement ? Quelque chose avec les contraintes que te font subir les soi-disant membres de ta famille ? » demanda-t-il.
« Cela ne vous regarde pas ! » répliqua Flynn.
Yuri l’observa un instant en silence de ses prunelles grises.
« Peut-être que oui, peut-être que non. » rétorqua-t-il. « Pourtant, si tu es revenu de ton plein gré dans ce lieu en sachant que l’ombre et les ténèbres y règnent, que la mort et la souffrance sont présentes, c’est que tu as abandonné l’idée même de vivre Flynn. Depuis combien de temps trompes-tu ton monde avec ces yeux si emplis d’apathie ? »
« C’est faux ! » cria Flynn.
Sa voix mourut dans sa gorge quand, sans qu’il s’en rende compte, le dompteur s’était approché au point de le toucher avant qu’il referme ses bras sur lui et plaque sa tête contre sa poitrine. Surpris, le blond voulut se débattre mais Yuri était beaucoup plus fort que lui.
« Tes yeux semblent s’être ranimés un peu sous la colère. » commenta le brun. « Peut-être qu’il y a un peu d’espoir pour toi. Peut-être es-tu venu pour rechercher quelque chose ? »
« Lâchez-moi ! Je ne permets pas ce genre de familiarités ! »
« Bien dommage car j’avais autre chose en tête. Voyons voir… comment tu réagis… à ça ! »
Avant que Flynn se remette de sa stupéfaction, joignant le geste à la parole, Yuri avait approché son visage de Flynn et… avait apposé ses lèvres contre les siennes pour l’embrasser.
« Ta fiancée rate quelque chose. » conclut le brun en s’écartant après le baiser. « Pour un ignorant de la vie, tu embrasses fabuleusement bien Flynn et je suis persuadé que c’était ton premier. »
Les joues de Flynn avaient rougi d’embarras, de honte et de fureur.
« Allons, ne réagis pas ainsi. Tu as apprécié, n’est-ce pas ? »
« Certainement pas ! Mais qu’est-ce qui vous prend de vous comporter comme… un sauvage et de faire… ce geste inapproprié ? » invectiva Flynn d’un air rageur. « Vous infligez des châtiments à des criminels qui devraient être remis à la police, vous leur infligez je-ne-sais quelles nouvelles horreurs sous cette tente noire et vous vous comportez comme un… goujat ! Je ne sais pas qui vous êtes mais ce n’est pas ainsi que vous rendrez le monde plus juste et plus équitable ! Vous ne devez… Vous ne devez… pas… être humain… pour… penser… ainsi… » acheva-t-il dans un murmure.
Ce fut à cet instant précis que la révélation le frappa de plein fouet, qu’il prit conscience du caractère effroyable de cette vérité qu’il allait proférer et il eut l’impression de sentir ses pieds se dérober sous le sol : l’homme qu’il avait devant lui n’était pas humain… Mais alors qu’était-il donc ?
« Oh, tu es vraiment perspicace Flynn. Félicitations bien que j’avoue n’avoir guère fait l’effort pour le cacher. Décidément, je pense que… je vais te garder dans le cirque ! De telles compétences et un tel talent… Ce serait un gâchis de ne pas les utiliser ! »
« Quoi ? » s’exclama Flynn avec une mine stupéfaite.
« D’un autre côté, je n’aime pas ce que tu penses de nos méthodes… » réfléchit Yuri. « Tu affirmes toujours que tu as détesté ce moment…intime entre nous ? »
Le regard noir que lui jeta Flynn fut une réponse plus qu’éloquente pour le dompteur.
« Très bien, alors faisons un pari. » proposa le brun. « Je sais que tu es devenu l’avocat de John Penn… »
« Mais comment… » s’étonna le blond avant que les yeux gris du dompteur l’obligent au silence.
« Je sais également qu’il est en lutte pour récupérer son terrain contre plus puissant que lui. Dans ce genre d’affaires, le puissant l’emporte toujours contre le faible. Prouve-moi que tu peux changer cela. Prouve-moi que tu peux inverser le sort de cet homme et je t’offrirai un pouvoir si grand qu’il pourra te mener à ce que tu as toujours aspiré : une société plus juste et plus équitable pour tous. »
« Où est le piège dans tout cela ? » se méfia le blond, sceptique. « Je ne crois pas à ce genre de choses. Le pouvoir finit toujours par corrompre, j’aurais trop peur de finir par devenir comme mon demi-frère. »
« Oh, tu recules à la moindre difficulté ? » railla Yuri.
« Non ! » répliqua Flynn, furieux contre lui-même et son interlocuteur.
« Bien, je n’en attendais pas moins de toi. »
« Que m’arrivera-t-il si j’échouais ? »
« Tu te contenteras de reprendre ta vie normale. » répondit Yuri.
« C’est tout ? » demanda Flynn avec stupéfaction.
« Non. Tu peux aussi venir autant de fois que tu le voudras dans le cirque et rencontrer tous les autres membres. Je les tiendrai au courant de cette histoire. Tu devras aussi me raconter comment se déroule l’affaire. Je saurai ainsi si tu es honnête ou non avec moi. »
« Cela me paraît correct. » dit Flynn.
« Tu prétends ne pas m’apprécier alors voilà l’autre enjeu : si tu admets une fois, une seule fois que tu m’apprécies d’une manière ou d’une autre, ta vie m’appartient tout comme tout ce qui fait ta personne. Sache que je profiterais de chacune de tes visites pour te le faire reconnaître. J’avoue que cela offrira du piquant à mon quotidien. Voilà bien longtemps que la routine m’ennuyait un peu… »
Il darda ses orbes gris sur Flynn, souriant d’un air félin.
« Recules-tu devant le défi, Flynn Scifo ? Acceptes-tu ce pari ? »
Jetant un regard courroucé vers le dompteur, agacé par son attitude qui avait exacerbé son sens de la compétition, Flynn suivit imprudemment son impulsion et répondit un peu hâtivement :
« J’accepte ! »
« Alors bonne nuit Flynn Scifo. Et que le meilleur gagne ! »
L'arrivée de Flynn : la rencontre
Oct. 26th, 2015 10:57 pmVoilà enfin le récit relatant les origines de Flynn et sa rencontre avec Yuri ! N’oubliez cependant pas qu’il est arrivé à Brave Vesperia avant Estelle donc cette dernière sera absente de ce récit.
Rating : M à cause de la fin du récit
L’arrivée de Flynn : la rencontre
« Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, notre représentation est désormais terminée. La troupe de Brave Vesperia espère cependant que vous avez passé un agréable moment en notre compagnie et souhaite vous revoir au plus vite pour de nouveaux numéros. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, ainsi s’achève notre soirée. Nous vous prions de regagner la sortie dans le calme et la bonne humeur et… »
Dix-neuvième siècle, époque Victorienne. Installé dans une des tribunes réservées à la haute société anglaise, un jeune homme aux courts cheveux blond d’or qui devait avoir dans la vingtaine, applaudissait poliment pendant que les artistes défilaient une dernière fois sur la piste. Une magicienne, une lanceuse de couteaux, un dompteur… Cela avait été un prodigieux et remarquable spectacle, un de ceux qui restait mémorable. Cependant, était-ce à cause de ses dons d’observation mêlés d’un excellent sens de perspicacité ou de ses yeux si longuement désabusés des illusions du monde mais toujours était-il qu’il éprouvait une étrange impression sur ce cirque, presque comme un malaise ou un arrière-goût désagréable…
Son regard céruléen croisa alors fugacement deux prunelles grises avant qu’elles se détournent vers d’autres spectateurs…
« Mon cher Flynn, ne serait-il pas temps d’y aller au lieu de nous attarder dans cet endroit ? » demanda une voix féminine aux tonalités riches et bien timbrées.
Ruth Kettering, fille unique du puissant comte Kettering. Elle était sa fiancée et tout le monde reconnaissait qu’elle était une jeune femme d’une extraordinaire beauté. De longs cheveux d’un blond vénitien encadrant des yeux bleu cobalt et un visage aux traits nobles et d’une rare finesse. Des lèvres bien dessinées, rouges et pulpeuses, une voix envoûtante et mélodieuse, des manières parfaites pour une femme de sa condition, sans compter sa riche dot… Elle avait été le plus beau parti à marier. Et désormais, elle lui avait accordé sa main et tous les garçons de la haute aristocratie enviaient Flynn et sa famille d’avoir contracté de si heureuses fiançailles. Flynn savait qu’il aurait dû se sentir chanceux, béni par la fortune d’avoir une belle et riche femme que tout homme aurait désiré. De plus, Ruth ne semblait pas d’un caractère difficile à vivre, toujours aimable et polie avec lui. Il aurait dû se sentir comblé…
Le problème, c’était qu’il avait beau faire tous les efforts inimaginables, s’efforcer d’en appeler à toute sa volonté et se dire qu’avec le temps, il apprendrait à l’aimer, il n’éprouvait pas le moindre sentiment amoureux pour Ruth Kettering bien qu’il la traitât avec tous les égards. Et il se morigénait intérieurement contre lui, se traitant d’infâme et d’ingrat, car Ruth était irréprochable et n’avait, aux yeux des autres et des siens, aucun défaut qu’on aurait pu lui reprocher. Et pourtant, il ne parvenait pas à l’aimer…
Peut-être était-ce parce que ce futur mariage était une union arrangée entre les familles Kettering et Scifo… Il avait toujours détesté l’attitude de la famille Scifo envers lui et leur manière de régenter sa vie… Pour être exact, il détestait d’une manière générale le comportement de la haute aristocratie, raison pour laquelle il n’aimait guère être contraint d’évoluer dans les hautes sphères. Même si en ce moment, celle-ci le félicitait de bruyantes louanges pour le brillant mariage qu’il préparait avec Ruth bien qu’il percevait quelques notes dissonantes à son égard, au sujet des origines du "bâtard"…
« Vous avez raison Ruth, la nuit est bien avancée et il est inutile de nous attarder ici. » sourit Flynn en lui tendant galamment la main pour aider sa fiancée à se relever. « Allons dehors retrouver George et je vous raccompagnerai chez vos parents. »
George était son majordome. De cinq ans son aîné, il était l’une des rares personnes en qui Flynn avait confiance. Il le connaissait depuis l’enfance, depuis qu’il servait ses parents lorsqu’ils étaient encore en vie. L’un des rares domestiques à lui être fidèle, presque un confident. Flynn avait plus tendance à le considérer en ami plutôt qu’en serviteur. Pour cette soirée, il servait de cocher et de conducteur pour sa calèche.
Le jeune aristocrate aida sa compagne à revêtir son manteau car les nuits restaient fraîches en dépit de l’arrivée du printemps. Tous deux se dirigeaient sans encombre vers la sortie malgré l’immense foule, l’homme tenant le bras de la femme.
« Flynn, je vous remercie de m’avoir accompagnée pour cette représentation. Je craignais qu’avec votre travail d’avocat, vous ne trouveriez pas le temps. » dit sa fiancée en inclinant légèrement la tête.
« J’espère que le spectacle vous a plu Ruth. » répondit son compagnon. « Je ne m’y connais guère en ce domaine mais je dois vous avouer que je l’ai trouvé… fascinant… Leurs numéros sortent vraiment de l’ordinaire. »
« Vous savez toujours trouver le bon mot, mon ami. » sourit aimablement Ruth. « Fascinant est le juste mot. J’ai vu des choses vraiment… magiques ! Et cette pluie colorée de sucreries ! Je n’ai pu m’empêcher d’en avaler quelques-unes. Leur goût est exquis. En avez-vous goûté, mon ami ? »
« Habituellement, je n’aime guère ce qui est sucré mais vu leurs formes et leurs couleurs originales, j’en ai croqué une. A ma grande surprise, j’ai apprécié le goût. »
« C’est signe que ce cirque est exceptionnel. Je me demande combien de temps il restera ici. »
Flynn s’approchait de la sortie lorsque soudain, un visage singulier parmi les spectateurs attira ses yeux saphir. Il était encore assis dans les gradins, plutôt isolé dans l’ombre comme s’il cherchait à se dissimuler. Cette figure usée avant l’âge qui paraissait être taillée au couteau, large front, pommettes saillantes, menton en pointe avec les mâchoires en avant, ces yeux de fouine rusés, cette large balafre sur la joue droite… Aucun doute, il s’agissait de Joe Hitch, recherché pour une série de vols et meurtres depuis plusieurs mois dans la région. Flynn avait plusieurs fois contemplé des reproductions réussies de son portrait, produites à partir des témoignages des rares victimes qui avaient réussi à survivre à sa rencontre alors il n’avait aucun doute sur l’identité de l’homme qu’il observait. Ce dernier avait longtemps été introuvable malgré les efforts de Scotland Yard. Et voilà maintenant que le jeune avocat le retrouvait brusquement dans un lieu des plus incongrues pour un fugitif !
Une flamme sembla s’allumer dans les yeux saphir de Flynn, ordinairement si désabusés des illusions de la vie, faible et ténue mais qui paraissait avoir ranimé une étincelle longtemps perdue. Ruth et lui venaient de quitter le chapiteau quand il prit sa décision.
« Ruth, je voudrais que vous rentrez seule avec George. Je ne vous raccompagnerai pas. » déclara-t-il.
« Flynn ! Que vont penser mes parents ? » protesta sa fiancée inquiète. « Pourquoi ? Expliquez-moi au moins ! »
Le cirque de Brave Vesperia s’était installé dans une vaste prairie dont une large partie était bordée par un bois qui l’isolait des villes et villages environnants. Il existait deux moyens pour accéder au cirque. Soit on pouvait y aller par la grande route à condition de disposer de chevaux ou d’une calèche, soit on traversait le bois d’Oakhill pendant environ quinze à vingt minutes pour gagner le petit village de Little Huntington. Flynn repéra rapidement sa calèche et son majordome George sur la grande route. C’était un homme aux courts cheveux châtain coupés au niveau de l’oreille et aux yeux marron. Celui-ci, qui avait guetté l’arrivée de son maître, fouetta ses chevaux pour les amener près de ses passagers tout en évitant habilement les autres calèches qui en faisaient de même pour raccompagner leurs nobles respectifs.
« Ruth, je pense… non, je suis certain d’avoir reconnu un criminel parmi les spectateurs du cirque. » dit l’avocat d’une voix dissimulant avec succès son manque d’assurance. « Vous souvenez-vous de l’affaire Joe Hitch ? »
« Ce criminel qui a ravagé la région avec une série de vols et d’horribles meurtres ? »
« Précisément. Je suis certain de l’avoir vu. Il n’est pas encore sorti de sous le chapiteau mais je dois m’assurer que… »
« Oh Flynn, pourquoi ne pas plutôt prévenir la police ? » interrogea Ruth d’une mine angoissée. « C’est totalement imprudent d’agir de cette façon ! Si jamais il vous arrivait quelque chose ? S’il s’agit bien de Joe Hitch, cet homme n’est plus à un meurtre près. Il pourrait vous arriver malheur… »
C’était un conseil plein bon sens, ce que la prudence lui aurait recommandé, Flynn devait l’admettre. Le jeune aristocrate hésita un instant avant de finalement prendre son parti et d’embrasser la main de la jeune femme.
« Non. Je l’ai vu brièvement, je suis presque certain qu’il s’agissait de lui mais… je dois être sûr de mon fait. Je ne veux pas déranger la police pour rien. Rentrez chez vous Ruth, je me sentirai moins inquiet si vous êtes dans un lieu où vous serez en sécurité. Je vous rendrai visite dès demain matin pour vous rassurer. George, raccompagnez Lady Kettering chez ses parents. » ajouta-t-il à l’adresse de son domestique. « Puis revenez tout de suite ici me chercher. »
Si le majordome fut surpris par de tels ordres, il n’en laissa rien paraître sur son visage.
« Bien monsieur. » dit-il.
Après s’être assuré que la calèche emportait sa fiancée chez ses parents dans un nuage de poussière, Flynn Scifo regagna discrètement la direction du chapiteau de Brave Vesperia. Personne ne remarqua sa manœuvre, trop occupés qu’ils étaient chacun à embarquer sur leurs moyens de locomotion et de regagner leur domaine.
Lorsqu’il se retrouva devant le chapiteau, l’entrée était déserte, vide de la foule présente quelques instants plus tôt, et les pans de la tente géante avaient été tirés. Tous les spectateurs avaient déjà quitté le cirque ? Joe Hitch s’était enfui ? D’un air résolu tout en remettant sa veste, son chapeau et ses gants blancs, Flynn entreprit de faire le tour du chapiteau pour vérifier s’il n’y avait pas une autre issue. Accessoirement, il espérait rencontrer un membre de la troupe pour lui demander s’il n’avait pas aperçu le criminel.
Toutefois, il n’avait pas parcouru la moitié du périmètre du chapiteau que soudain, il entendit plusieurs cris d’effroi s’élever, cris qui semblaient provenir du chapiteau !
Pendant une fraction de seconde, le blond resta sans réaction. Puis, il se mit à courir prestement, faisant tomber son chapeau, évitant les caisses, les cordes tendues, les divers obstacles, à la recherche d’un moyen pour pénétrer dans le chapiteau. Il songeait aux coulisses, l’entrée des artistes pendant que de nouveaux hurlements résonnaient lugubrement dans cette sinistre nuit.
Enfin, il atteignit l’entrée des coulisses. Sa première impulsion fut de se précipiter à l’intérieur mais ce qu’il vit le figea sur place.
De là où il était, caché par des caisses en bois et des tonneaux, il apercevait progressivement les artistes du cirque sortir et traîner des gens vers l’intérieur d’une immense tente noire. Il contemplait avec stupéfaction et incrédulité la funambule-trapéziste armée d’une lance, monsieur Loyal d’un arc ou le jeune jongleur d’une lourde masse, poussant, tirant leurs prisonniers ligotés ou non, homme ou femme, pleurant ou criant avec des traits tordus par la douleur et la souffrance. Certains étaient blessés, du sang coulait sur leur bras, leur jambe ou leur poitrine, d’autres émettaient de vigoureuses protestations et tentaient de se débattre mais leurs opposants paraissaient doués d’une force herculéenne, même la magicienne, la lanceuse de couteaux et le jongleur qui étaient pourtant des enfants. Et en tendant l’oreille, Flynn avait l’impression que les hurlements redoublaient d’intensité quand les captifs pénétraient à l’intérieur de la tente noire…
Le blond se demandait qui étaient ces individus prisonniers –probablement des spectateurs ayant assisté à la même représentation que lui, devina-t-il – quand la mascotte du cirque, un chien au pelage blanc et bleu tirait sur une lourde corde entraînant un corps vociférant mille injures. La cicatrice caractéristique de l’homme permit à Flynn de facilement l’identifier comme étant Joe Hitch, le criminel recherché par la police. Un meurtrier tellement dangereux qu’il aurait fallu une dizaine d’hommes pour le maîtriser et pourtant saucissonné, rendu impuissant par des saltimbanques d’un cirque des plus étranges… Mais que se passait-il ici ?
Et soudain, le jeune aristocrate anglais s’aperçut qu’il avait commis une grave erreur. Il avait distingué la funambule-trapéziste, la magicienne, la lanceuse de couteaux, monsieur Loyal, le jongleur et même le chien savant mener leurs prisonniers vers cette espèce de grande tente noire mais il manquait un membre ! Il n’avait vu nulle part le dompteur…
Il eut toutefois la réponse à sa muette interrogation lorsqu’il entendit une voix emplie de sarcasmes résonner derrière son dos :
« Tiens donc… un visiteur qui s’attarde au cirque ! Comme c’est charmant… A moins qu’il s’agisse d’un intrus qui espionne nos petits secrets de fabrication ! »
Flynn s’efforça de conserver son sang-froid mais il ne put s’empêcher de sursauter sur place quand le nouveau venu se manifesta. Il se retourna néanmoins pour faire face à ce mystérieux inconnu.
Heureusement que la lumière argentée de la lune et l’éclairage du chapiteau permettait au jeune aristocrate anglais de discerner celui qui l’avait surpris car ses yeux avaient du mal à le voir dans la nuit. De longs cheveux d’un noir ténébreux que perçaient deux orbes gris qui semblaient luire dans l’obscurité, laissant entrevoir un visage aux traits attrayants et fins où se dessinaient une expression narquoise et des lèvres moqueuses, tête penchée en avant. Le dompteur portait toujours son beau costume sombre qui dévoilait une partie de son torse, son pantalon moulant, ses bottes en cuir et son fouet mais le blond fut surpris de scruter un sabre à sa main gauche dont la lame était couverte de sang…
« Eh bien, voyez-vous ça… De tous les visiteurs qui auraient pu nous faire grâce de leur présence, il a fallu qu’on tombe sur toi… » commenta l’homme aux longs cheveux noirs d’un ton amusé.
Il avait lâché son fouet et planté son arme dans le sol, s’avançant avec grâce vers Flynn sans aucune hésitation, comme s’il n’éprouvait pas la moindre peur, avec cet éternel sourire sarcastique qui dansait sur ses lèvres. Le blond, quant à lui, l’examinait avec méfiance et hostilité sans cesser de jeter un coup d’œil à cette lame couverte de sang.
« Tu ne manques pas d’audace pour t’être attardé en ces lieux à une heure où règnent les ténèbres et l’obscurité, Flynn Scifo ! »
Les yeux céruléens du jeune avocat s’écarquillèrent de stupéfaction. Sa bouche s’entrouvrit légèrement tandis que son visage se contracta sous l’agacement et la colère.
« Comment connaissez-vous mon nom ? Et que se passe-t-il ici ? » questionna-t-il avec force.
Il en avait plus qu’assez de ne rien comprendre. Ces cris, ces prisonniers blessés, le criminel Joe Hitch ligoté, cette tente noire où s’échappaient des hurlements sinistres et lugubres… Flynn pressentait quelque chose de sombre et d’atroce mais n’osa pas le formuler à haute voix.
« Pourquoi répondrai-je à tes questions ? Rien ne m’y oblige mais peut-être que je répondrai à quelques-unes de tes interrogations… si l’envie m’y prend. » se moqua le dompteur.
Il pouffa de rire mais fut brutalement interrompu quand Flynn s’empara habilement de son propre sabre et plaqua la lame contre son cou afin de le menacer. Le blond remarqua néanmoins que le brun n’éprouvait pas la moindre crainte, ni même de la nervosité. Pire, le brun se contentait de sourire narquoisement pendant que lui, visiteur égaré dans le monde du cirque, s’efforçait de reprendre contenance.
« On dirait que tu sais jouer avec ça. » constata le dompteur en désignant du menton le sabre. « Et je dirais même que tu excelles à ce jeu au vu de tes mouvements. Mais tu sais, pour moi, tu es aussi inoffensif qu’un chat crachant d’impuissance sa rage. »
La comparaison ne fut absolument pas du goût de Flynn. Il s’apprêtait à répliquer vertement mais son interlocuteur continua de parler.
« Cela n’enlève toutefois en rien ton indéniable talent de bretteur et tes autres excellentes prédispositions. Oh, et pour répondre à ta question sur ce qui se passe ici, je crois que tu te doutes déjà de la réponse, Flynn Scifo. » ajouta-t-il en voyant le blond ouvrir la bouche pour le questionner.
Ce dernier fronça légèrement les sourcils, cherchant à comprendre le sens des paroles du membre de Brave Vesperia. Puis fouillant dans ses souvenirs, il se mit soudain à blêmir. La représentation, les numéros du cirque, les tours des différents artistes… Cette sensation de malaise qu’il avait ressentie, bien qu’il fut étonné de constater qu’il avait du mal à se remémorer la cause ou les origines, lui revenait à l’esprit, au prix d’un effort surhumain, dantesque… Le jeune avocat fut brutalement assailli par de brefs fragments de la représentation : le couteau de la lanceuse de couteau dégoulinant de sang, l’immolation d’une personne par la magicienne, les fauves du dompteur dévorant deux victimes en ne laissant que…
« Des exécutions… » murmura-t-il d’une voix tremblante. « Sous l’apparence d’une représentation de cirque, vous avez… »
« Ce n’était que des criminels, mon cher Flynn et leurs disparitions rendront ce monde meilleur. Même les lois de ton pays les auraient condamnés à mort. Surtout ce Joe Hitch qui est spectaculaire dans son genre et qui mériterait un châtiment plus approprié qu’une simple exécution. Je dois reconnaître néanmoins que je suis impressionné que tu aies réussi à te remémorer ce genre de détails désagréables même si cet effort semble t’avoir beaucoup coûté. »
En effet, de la sueur perlait aux tempes du jeune noble anglais et il haletait comme s’il souffrait d’un profond épuisement. Il éprouvait d’ailleurs des difficultés à maintenir son arme en main. Cependant, il s’efforça de conserver son sang-froid devant son interlocuteur.
« Ce n’est pas en exécutant froidement les criminels que vous contribuerez à rendre ce monde meilleur ! » protesta-t-il avec véhémence. « La place de Joe Hitch était dans les geôles de Scotland Yard, pas sous une espèce de tente noire où on commet je-ne-sais quelle nouvelle atrocité ! »
« Crois-tu vraiment à tes propres paroles, toi dont les yeux semblent si jeunes et pourtant désabusés de la vie, Flynn Scifo ? »
Le blond marqua un silence dans leur conversation et son interlocuteur en profita pour enchaîner :
« Flynn Scifo. Fils unique de Lord Finath Scifo, chef du clan Scifo et de sa seconde épouse Lady Neirein Crownwell, elle-même fille unique de Lord Crownwell et de sa femme japonaise Yuki Toko, connue pour être une remarquable danseuse. Deux mariages désapprouvés par la bonne société anglaise qui n’aime ni les étrangères, ni les femmes qui mêlent du sang étranger. Le divorce de Lord Scifo prononcé à peine un an après son mariage avec Lady Abigail Winchester a provoqué un énorme scandale, amplifié par son rapide remariage avec Lady Crownwell. »
Le dompteur s’interrompit brièvement pour observer la réaction de Flynn puis reprit le fil de son histoire.
« Tu as eu une enfance heureuse jusqu’au jour où une calèche a renversé ton père, provoquant sa mort. Les autres membres de la famille Scifo ainsi que la haute aristocratie anglaise ont ensuite mis une pression énorme sur ta mère, au point que celle-ci en est devenue névrosée et hystérique. Ne pouvant supporter une société qui était incapable d’accepter son existence, Neirein Scifo a mis fin à ses jours en se jetant de sa fenêtre. A la mort de tes parents, on aurait pu penser que le titre de Lord et celui de chef de famille te serait revenu mais tel n’a pas été le cas. »
Si Flynn n’avait pas été si épuisé, sans doute serait-il intervenu plus tôt. Mais pour une raison incompréhensible, il ne pouvait s’empêcher d’écouter ce mystérieux inconnu aux longs cheveux noirs débiter le récit de sa propre histoire. Certes, il détestait cela, le toisant d’un œil noir, ne pouvant supporter qu’il déballe aussi facilement ses problèmes, ses secrets, son passé, se demandant comment il avait fait pour tout découvrir mais il était incapable de l’arrêter.
« Malheureusement, bien que Finath Scifo avait souhaité que le fils de la femme qu’il aime hérite du titre et de sa fortune pour le mettre à l’abri du besoin, c’est finalement le fils qu’il a eu avec sa première femme qui a hérité de tout : ton demi-frère, Elliot Scifo, l’actuel chef de famille des Scifo, d’un an ton aîné, si je ne me trompe pas. Et après la disparition de feue Lady Neirein, je pense que toute la famille Scifo, plus particulièrement ta belle-mère Lady Abigail, aurait été ravie de se débarrasser de toi si tu n’avais pas été l’unique héritier de la fortune des Crownwell. C’est sans doute ce qui t’a à la fois sauvé et perdu. »
Le dompteur marqua une nouvelle pause pour observer le ciel nocturne puis poursuivit son récit.
« Tu as donc grandi sous l’indifférence des Scifo et avec le mépris à peine dissimulé de Lady Winchester et de ton demi-frère. Puis voilà que les Kettering et les Scifo veulent une alliance. Marier la fille unique du comte avec le chef actuel des Scifo aurait été l’accord normalement conclu en ce genre de circonstances. Mais Ruth Kettering semblait bien plus intéressée par la perspective d’être ta femme que celle d’Elliot Scifo. J’imagine bien ton demi-frère grincer des dents mais les enjeux étaient trop importants et il a dû consentir au fait que ce serait son cher petit frère et non lui qui épouserait Ruth Kettering. A sa grande déception… »
« Assez ! » asséna soudain Flynn.
Il avait serré sa main sur le garde du sabre, prêt à attaquer mais le dompteur réagit le premier. D’un mouvement tellement rapide que ses yeux eurent peine à le suivre, l’artiste du cirque bloqua la lame entre son index et son majeur avant de sourire et de donner une pichenette sur le front du blond. Pendant une fraction de seconde, ce dernier perdit sa concentration mais ce fut suffisant pour que le brun pousse son adversaire pour ensuite le désarmer et le plaquer contre le chapiteau. Flynn voulut se débattre mais une main posée contre sa poitrine et ses orbes gris le fixant comme s’ils essayaient de lire en lui, l’incitèrent à garder son calme et à obtempérer… pour le moment.
« Bien bien bien, qu’est-ce que Brave Vesperia va bien pouvoir faire de toi à présent Flynn Scifo ? » dit le dompteur en soupirant d’un air faussement agacé. « Tu es devenu un problème à nos yeux, le comprends-tu ? Tu en sais désormais un peu trop pour qu’on te laisse filer facilement. »
« Qui que vous êtes, lâchez-moi ! Vous ne pouvez pas me retenir contre mon gré ! »
« Bien au contraire, nous le pourrions. » fit son interlocuteur en se penchant un peu plus en avant. « Mais… tu es beaucoup trop intéressant pour être enfermé dans une cage contre ta volonté. »
Puis il se saisit du menton du blond pour l’obliger à le regarder dans les yeux.
« Ces yeux si mornes qui avaient perdu goût à la vie il y a encore une heure… les voilà qu’ils semblent s’être illuminés un peu. Je me demande ce qui va en résulter… » s’interrogea le dompteur avec une mine songeuse.
« Lâchez-moi ! » répéta l’aristocrate. « De toute façon, la police sera prévenue de vos faits et gestes ! »
Cette fois, l’homme aux longs cheveux de jais éclata de rire.
« La police ! » articula-t-il en essayant de reprendre son souffle. « Tu crois vraiment que cela nous arrêtera ? Qu’on te croira ? Le temps que tu réussisses à convaincre ne serait-ce qu’un membre des forces de l’ordre d’écouter ton récit, Brave Vesperia aura réuni une cinquantaine de témoins qui seront prêts à jurer que le cirque n’est qu’un simple lieu d’amusement. »
Il marqua une courte pause avant d’annoncer :
« N’essaie pas de raconter ce qui se passe au sein du cirque, mon cher Flynn. Personne ne te croira. »
Le blond le crut. Cet inconnu semblait tellement sûr de lui qu’il ne douta pas de la véracité de ses dires. Pendant de longues minutes, il se contenta de dévisager le dompteur avant que celui-ci approche ses lèvres de son oreille pour murmurer :
« Yuri Lowell. »
« Quoi ? » répliqua l’avocat avec surprise.
« C’est le nom qu’on me donne. Je ne crois pas m’être présenté jusqu’à maintenant. Enchanté de faire ta connaissance, Flynn Scifo. »
Le dénommé Yuri avait encore ce sourire ironique sur son visage, ce qui exaspéra son visiteur.
Soudain, le bruit d’une calèche se fit entendre dans le lointain. A cet instant, le dompteur libéra Flynn qui le toisait d’un regard furibond. Il ne savait pas qui était vraiment cet homme à la longue chevelure brune et aux yeux gris mais il était sûr d’une chose : il le détestait cordialement ! Il ne pouvait absolument pas le supporter ! Comment osait-il... se montrer aussi familier avec lui et…
« On dirait que ton carrosse est avancé. » commenta Yuri. « Tu peux partir. Fais vite avant que quelqu’un d’autre te voit. Ou pire le Maître du cirque… Tu pourrais ne plus jamais quitter notre domaine… »
Flynn lui jeta un dernier regard empli de nombreuses interrogations. Il ne comprenait pas les paroles du dompteur mais il sentait une menace… Il ne se le fit donc pas répéter une deuxième fois : il tourna le dos au brun et courut, cherchant à fuir le cirque et à rejoindre George…
--§--
Yuri Lowell regardait le jeune Scifo quitter son domaine. Ce fut une intéressante rencontre, il devait le reconnaître. Il ne s’était jamais douté que le second fils de feu Lord Finath Scifo pouvait être aussi digne d’intérêt à sa manière… D’habitude, il ne portait guère d’attention à ce genre de personne mais pour une fois, il était en train de faire une exception…
Quelqu’un arriva derrière son dos. Le dompteur devina sans peine le pas de Raven qui émit une sorte de sifflement amusé.
« C’était qui ? » demanda-t-il.
« Le jeune Scifo. Pas l’aîné mais le demi-frère. Le cadet. Une rencontre intéressante. Je peine à croire que ces deux-là partagent le même sang dans leurs veines. » répondit Yuri.
« Et tu le laisses partir ? » s’étonna son compagnon. « Il en sait trop. Il pourrait menacer notre secret et notre existence. »
« Ne t’inquiète pas vieil homme. » répondit Yuri avec un sourire. « J’ai l’intuition que ce cher Flynn Scifo reviendra plus tôt qu’il ne le pense dans notre domaine… »
L'observatrice des cieux
Oct. 6th, 2015 12:46 pmRating : T pour ce récit.
Note : Petite découverte de quelques moments de la vie au cirque sous les yeux de Judith.
L’observatrice des cieux
« Tu voudrais changer ton numéro de funambule et de trapéziste par un numéro de tissu aérien ? » interrogea Yuri tout en se dirigeant vers la Galerie des Monstres en compagnie de Repede et de l’artiste aérienne.
« Ce n’est juste qu’une suggestion mais j’aimerais que tu y prêtes attention. » répondit Judith tout en maniant une lance dont elle prit soin de vérifier la pointe. « C’est une discipline récente des cirques humains et je dois admettre qu’elle m’intéresse. Je pense pouvoir créer un nouveau spectacle qui pourrait intéresser nos invités : une alliance de grâce, de beauté aérienne et… de sang humain… »
Un aboiement du Cerbère de Brave Vesperia les avertit qu’ils venaient de pénétrer dans la Galerie mais le trio ne ralentit même pas son allure, entrant sous cette immense tente noire comme les ténèbres comme s’ils étaient chez eux.
Lors des visites de spectateurs, les membres du cirque lui donnaient un aspect plus accueillant avec de petites lampes à huile ou électriques. Ils prenaient également soin de nettoyer les lourdes barres des cages ou les vitres qui exposaient leurs monstres, ces humains coupables de crimes, prisonniers enchaînés implorant de l’aide ou ayant perdu tout espoir. Non, ici, point de nains ou de femme à barbe ! Ils installaient également des panneaux ou des affiches, le plus souvent rédigés par Flynn ou Judith qui avaient de belles écritures, indiquant leurs identités et leurs méfaits : « Monsieur John Tuker. A trompé son associé monsieur Fitzgall pour lui voler ses parts de leur boutique d’antiquité. Il a fait fortune pendant que son ex-associé a plongé dans la misère la plus noire, contraint à la mendicité. », « Mademoiselle Eloïse Olsen. A empoisonné à l’arsenic ses deux frères aînés le 23 mars 1756 dans l’espoir de s’accaparer l’héritage familial. », « Monsieur François Ringaud. A commis une série de meurtres de femmes âgées et vulnérables en les battant à mort pour leur voler leurs économies entre 1982 et 1985. ». Toutefois, le plus souvent, c’était Raven, Yuri ou Patty qui jouaient les guides avec tout le boniment dont ils étaient capables, avec une telle joie et un tel sourire aux lèvres qu’ils formaient un contraste inquiétant avec l’état atroce et dément des captifs. Mais les enfants riaient, riaient pendant que l’Auguste, le dompteur ou la lanceuse de couteaux distribuaient des friandises et tandis que les adultes contemplaient avec appréhension et curiosité les "monstres" de la Galerie. Et tous en ressortaient contents, aussi satisfaits et heureux que seule l’ambiance unique de ce mystérieux cirque pouvait offrir à ses visiteurs.
Cependant, lorsque leurs invités étaient absents, la Galerie prenait un tout autre aspect. Plus sombre, plus glauque, plus sinistre, une sorte de dédale où il ne faisait pas bon de s’y égarer… Il n’y avait quasiment pas de lumière, les murs en béton, les pans de tente et les sols suintaient le sang, tantôt encore frais mais le plus souvent noirci qu’on était obligé de nettoyer régulièrement. Des murmures angoissants résonnaient, des ombres fantomatiques semblaient être prêtes à attaquer dans le moindre recoin obscur. Les prisonniers piaillaient fréquemment, un hurlement terrifié retentissait de temps à autre, les cliquetis des chaînes donnaient une curieuse mélodie des plus macabres. Parfois, sur le sol, étaient répandus des ossements humains qu’on ramassait méthodiquement avant de les faire disparaître on ne savait où…
Même la pire des prisons humaines sur Terre n’était rien comparée à la Galerie des Monstres des Huldres… Pouvait-elle être comparée à l’Enfer de la Bible ? Personne ne connaissait la réponse, même les Huldres l’ignoraient, surtout eux d’ailleurs car, à l’exception de l’écuyère éventuellement, ils ne croyaient pas en Dieu.
Tout en ramassant un seau entier d’insectes carnivores, mille-pattes, scarabées et leurs multiples cousins, Judith continua sa conversation avec le dompteur et Maître du cirque comme si elle exerçait une activité des plus banales avant d’ouvrir une cage enfermant une femme aux yeux exorbités et recroquevillée sur elle-même.
« Qu’en penses-tu Yuri ? Toi qui voulais renouveler mon numéro, cette suggestion pourrait t’offrir une nouvelle opportunité. »
« Très bien, j’en parlerai à Flynn pour voir comment organiser cela. De ton côté, il faudra que tu en discutes avec Rita pour qu’elle commence à réfléchir sur la confection du tissu. »
Les lèvres de la funambule-trapéziste dessinèrent un sourire taquin et elle s’apprêtait à reprendre la conversation quand la prisonnière, en les voyant, commença à manifester des signes de vie.
« Pitié, laissez-moi sortir ! Cela fait plusieurs mois que je suis ici. » supplia-t-elle d’une voix brisée et haletante. « Pitié, je veux sortir, je ne veux pas mourir ! J’ai ma famille qui attend mon retour, je… Non, pas les insectes ! » hurla-t-elle quand Judith versa tout le contenu du seau dans sa cage. « Non, au secours ! Je vous en prie ! Haaaa ! »
Sa voix ne fut plus qu’un murmure inaudible quand Judith, première exécutrice de Brave Vesperia referma la cage d’un claquement sonore, reprenant le fil de sa discussion comme si de rien n’était :
« Hum, je termine d’abord mon travail à la Galerie avant qu’on mette les détails au point ? » interrogea-t-elle.
« D’accord, finis ton travail. J’ai deux ou trois monstres à voir avant de jeter un coup d’œil aux fauves. Allons-y Repede ! »
Contemplant le dompteur en train de s’éloigner, la funambule-trapéziste embrassait du regard la Galerie. Elle aimait être considérée comme l’observatrice privilégiée de Brave Vesperia. Sans aucun doute le plus ancien membre après le Maître du cirque et Repede, une des fondateurs de la troupe originelle, elle avait vu la création du chapiteau et celle de la Galerie, constatant son développement au fur et à mesure que la collection de "monstres" s’agrandissait, les époques et les mœurs de divers et d’innombrables cultures humaines ainsi que le recrutement de tous les autres membres après elle. Judith avait longtemps entretenu seule la Galerie des Monstres avant l’arrivée de Raven et elle pouvait considérer, d’une certaine manière, qu’il s’agissait de son domaine. Un domaine où elle était un témoin privilégié pour contempler la véritable nature du cirque…
--§--
« Rita, sortons ensemble en ville ! Je dois coller les affiches pour la prochaine représentation. » s’exclama l’écuyère en joignant les mains avec un visage empli d’espoir.
La magicienne, l’air embarrassée, se tordait les poignets, visiblement hésitante entre deux envies : accompagner Estelle pour lui faire plaisir ou poursuivre son expérience pour satisfaire sa curiosité. Ah, cette chère Rita ! Irascible et un niveau social catastrophique. Elle était talentueuse dans bien des domaines mais certainement pas dans la diplomatie. Ses têtes de Turcs étaient incontestablement Karol et Raven sur qui elle passait sa mauvaise humeur. Il n’y avait vraiment que l’innocente et bienveillante écuyère pour aisément en faire ce qu’elle voulait, étant incapable de résister à ses yeux verts candides. Chaque fois que Judith les regardait ensemble, le cérémonial demeurait le même : l’écuyère proposait quelque chose puis la magicienne traînait un peu des pieds avant de finalement accepter. Et cette fois encore, Rita ne dérogea pas à la règle.
« Bon d’accord. Mais tu te couvres avant de quitter le cirque. Il fait un peu frisquet ici. » grommela-t-elle.
« Oh, j’avais oublié ! J’ai tricoté des écharpes. Une pour toi et une pour moi. J’espère qu’elle te plaira. »
L’écuyère aux cheveux roses et aux vêtements immaculés. La plus gentille personne du cirque Brave Vesperia, sans aucun doute. Elle représentait la bonté et la compassion, l’innocence et la candeur. Oh, elle donnait certes l’impression d’avoir une modeste influence au sein de la troupe au vu de son rôle et de ses fonctions mais sa présence régulait en quelque sorte les relations entre les autres membres. Sans elle, les calvaires de Raven et Karol avec Rita auraient été plus douloureux et si nombreuses qu’étaient les disputes entre Yuri et Flynn, au moins ils étaient toujours d’accord sur le bien-être d’Estelle. Elle avait toujours été comme la petite sœur qu’on devait protéger.
Oui, songeait Judith qui observait la scène sur le toit d’une roulotte, jambes négligemment croisées, l’existence de l’écuyère était primordiale même si elle s’occupait très peu des activités secrètes du cirque. Sa douce personnalité, sa bonté, son innocence apportaient de la fraîcheur et un peu de lumière à Brave Vesperia. Etant la dernière arrivée, elle s’efforçait toujours de minimiser humblement son rôle mais parfois, parce qu’elle avait fait preuve de clémence, un coupable pouvait se repentir devant une telle gentillesse, à un tel point qu’il en ressentait une immense et indélébile honte, se promettant de ne plus jamais recommencer. Et ce petit rien, cette minuscule goutte de remords dans un océan de crime, pouvait suffire à éviter l’enfermement sous le chapiteau une fois la représentation terminée, lorsque monsieur Loyal scellait définitivement la sortie pour empêcher les "monstres" de fuir…
« Je te trouve super avec cette écharpe Rita ! Elle te va bien ! » dit Estelle d’un ton joyeux.
« Je… euh… oui. C’est très gentil de me l’avoir faite… » marmonna la magicienne. « Je te promets d’en prendre soin. »
« Je voulais aussi t’offrir un bonnet assorti à cette écharpe mais je ne l’ai pas encore terminé. Je vais essayer de le finir au plus vite pour que tu puisses l’avoir. Viens, allons-y maintenant. Une fois que nous aurons fini de coller les affiches, nous pourrons faire autre chose ensemble.»
La funambule-trapéziste vit ainsi l’écuyère entraîner sa compagne vers la ville. Cette dernière ne semblait guère enthousiaste mais Judith remarqua bien que Rita faisait des efforts louables pour ne pas décevoir la bonne humeur d’Estelle. Par contre, elle ne pouvait plus aborder avec la magicienne l’élaboration du tissu pour le nouveau numéro qu’elle prévoyait. Quoique Karol était plutôt doué pour le travail manuel… Peut-être que cela méritait une petite visite avant qu’elle retourne voir Yuri…
--§--
« Alors qui commence ? » claironna Patty tout en examinant discrètement le contenu de son gobelet renversé.
« Je me lance » déclara le clown blanc. « Je parie sur trois trois. »
Assis autour d’une table ronde sur de petits tabourets, Raven, Patty et Karol étaient visiblement en train de se détendre en jouant au Dudo [1]. Allongée au-dessus de la roulotte de l’Auguste, La funambule-trapéziste contemplait la partie sans laisser deviner sa présence.
« Trois quatre. » lança Raven.
« Quatre cinq. » enchérit la lanceuse de couteau.
Il fallait deviner la probabilité d’apparitions d’une des faces du dé pour l’emporter, se remémora Judith, tout en allant dans la surenchère et en s’aidant du contenu de son gobelet pour faire une estimation. Par exemple, Patty venait de parier qu’il y avait au moins quatre dés affichant la face cinq sur la table. Karol devait soit dire qu’elle mentait, soit surenchérir – il n’avait pas le droit de descendre de toute façon.
« Cinq cinq. » répliqua le clown blanc.
Raven marqua un temps d’arrêt, sentant qu’il s’approchait de la zone dangereuse où il était évident que les probabilités devenaient erronées.
« Six cinq. » annonça-t-il finalement.
« Menteur ! » s’écria aussitôt Patty avec une expression réjouie.
Tous les joueurs soulevèrent leurs gobelets et ils purent constater que l’enchère de l’Auguste était fausse car il n’y avait que cinq cinq sur leur table de jeu. Il avait donc perdu. Du coup, Patty et Karol poussèrent des exclamations de joie. Judith en comprit la cause quand le clown blanc prit la parole :
« Génial, c’est donc Raven qui va exécuter le gage. Tu as une idée Patty ? »
« Oh que oui ! Attends, je vais te la dire nanoja. »
Celle qui avait l’apparence d’une petite fille aux cheveux blonds se pencha vers le garçon aux cheveux châtain et murmura quelque chose à son oreille. Cela dut plaire à Karol car il affichait un large sourire goguenard quand il dévisagea son camarade clown.
« Eh bien, effectivement… » commenta-t-il.
« Raven, ton gage sera… de dérober quelques-unes des précieuses sucreries de notre cher dompteur, celles qu’il conserve dans son stock personnel nanoja. » décréta la lanceuse de couteux.
« Quoi ?! » protesta l’Auguste. « Tu es folle Patty-chan ! Si jamais Yuri découvre cela, il aura ma tête ! »
« Ce ne serait pas un gage sinon. » répliqua-t-elle en haussant les épaules. « Tu as jusqu’à la tombée du jour. Bon courage vieil homme. »
Apercevant Raven avec une mine abattue tandis que Patty et Karol profitaient de leur triomphe, Judith décida de ne pas interrompre leurs réjouissances. L’Auguste risquait de lui demander d’intercéder en sa faveur – ce qui aurait été inutile – mais si jamais Yuri découvrait le pot aux roses, elle ne pourrait plus feindre d’avoir ignoré les intentions de Raven de voler les sucreries favorites du brun. Ce qui pouvait la mettre dans une position compromettante si jamais le Maître du cirque décidait de sévir pour ce crime.
Mieux valait attendre avant de demander quoi que ce soit à Karol et plutôt aller voir Yuri pour mettre au point les détails de son nouveau numéro…
--§--
« Yuri ! Je t’ordonne de me libérer immédiatement avant que je démolisse la porte de ta roulotte ! » résonna la voix furieuse de Flynn.
« Pas question ! Ou alors, tu m’expliques d’abord en quoi cette ridicule feuille de paperasse administrative trouvée sur mon chevet est plus attrayante que moi, dévêtu dans mon lit et prêt à te faire passer d’agréables moments en ma compagnie ! A moins justement que ma compagnie ne te soit plus agréable ! » grogna Yuri d’un ton boudeur.
Dissimulée derrière une bannière qui voletait dans les airs, la funambule-trapéziste assistait donc à l’habituelle dispute entre le Maître du cirque et son second. Elle ne pouvait observer ce dernier qui était à l’intérieur de la roulotte. En revanche, elle pouvait apercevoir le brun, dos collé à la porte de son habitation, genoux plaqués contre sa poitrine, avec une chemise grise complètement déboutonnée et des pieds nus sans ses bottes en cuir habituelles. Judith devina qu’après avoir tenté d’attirer son amant dans son lit, il s’était rhabillé à la hâte avant d’enfermer son favori à l’intérieur. Oui, cela n’en avait pas l’air ainsi mais Flynn était le favori du Maître. Tout le monde le savait au sein de Brave Vesperia. D’ailleurs en dépit de leurs innombrables disputes, ces deux-là restaient toujours ensemble. Les espionner constituait toujours une distraction de choix pour la funambule-trapéziste même si elle savait qu’elle devait demeurer discrète : monsieur Loyal n’était pas un exhibitionniste contrairement au dompteur.
« Je t’ai déjà dit que j’étais occupé ! » répliqua Flynn d’une voix exaspérée. « Et cette situation ne serait pas arrivée si tu n’avais pas emporté ce papier important à mon insu ! »
« Alors ce bout de feuille est plus important que moi ? » fulmina le brun.
« N’affirme pas ce que je n’ai pas dit Yuri ! »
« Cinq jours Flynn. Cela fait cinq jours entiers que tu es enfermé dans ton maudit bureau à remplir ces formalités administratives sans qu’on ait fait quelque chose ensemble. Je me sens délaissé, délaissé Flynn ! Alors quand je veux préparer une journée pour que mon favori puisse enfin se détendre après cette période de durs labeurs, celui-ci m’envoie rouler sur les roses au profit d’un stupide bout de papier. Humph ! A croire que tu préfères ta précieuse paperasse à moi ! » conclut le dompteur d’un ton vexé.
Il y eu un temps d’arrêt avant que la voix de Flynn s’élève à nouveau mais cette fois, elle s’était radoucie.
« Oh Yuri, je suis désolé. J’ignorais que tu le ressentais de cette façon. »
Apparemment, la colère de monsieur Loyal s’était calmée.
« Il était temps que tu t’en aperçoives… » grommela son amant quelque peu rancunier.
« Voyons Yuri, tu sais pourtant à quel point tu m’es plus précieux que tout. C’est vrai, tu as raison : peut-être ai-je trop accordé d’attention à mon travail au point que je t’ai délaissé. Je… Tu sais que j’ai tendance à oublier le temps qui passe quand je travaille. » fit le blond d’une voix contrite.
Un petit sourire apparut sur le visage du brun. Il semblait conscient qu’il ne tarderait pas à obtenir ce qu’il voulait depuis le début. De toute manière, Flynn était incapable de résister à Yuri et jamais leurs colères respectives ne duraient très longtemps contre l’autre.
« Pour être juste, j’admettrai que je suis en partie responsable des difficultés de ton travail. Si je ne t’avais pas piqué le papier dont tu avais tant besoin, tu aurais fini depuis longtemps. »
« Ne dis pas ça. » se morigéna le captif. « Je… J’aurais dû faire plus attention à toi, à tes sentiments. Comment me faire pardonner de mon attitude ? N’est-il pas trop tard pour qu’on passe un petit moment ensemble ? »
Cette fois, le triomphe se lisait sur le visage du dompteur. Sa main se rapprochait de la serrure de la porte de la roulotte.
« Laisse-moi entrer et oublie un peu le boulot. Tu as tout le temps pour ça. » répondit Yuri. « A la place, je te cuisinerai rien que pour toi un bon steak aux oignons dont tu m’en diras des nouvelles. Ensuite, j’ai certaines activités en tête et je suis certain que tu en apprécieras la saveur. » ajouta-t-il d’une voix plus sensuelle.
« Eh bien, j’ai hâte de voir ce que tu proposes. » répliqua Flynn d’un air taquin.
Un déclic retentit et le Maître du cirque rejoignit son favori à l’intérieur de la roulotte puis referma soigneusement la porte. Il y eut un long silence, comme si les deux amants s’embrassaient avec passion avant que le sol racla sous leurs pieds quand ils bougèrent. Judith aurait bien voulu en savoir plus mais hélas, même ses talents d’observatrice étaient impuissants contre un volet rabattu et surtout le pouvoir du chef de Brave Vesperia. Les deux amants étaient hors de portée de sa vision. Quel dommage ! Elle aurait tant voulu en savoir plus surtout quand le moment devenait intéressait !
Tant pis donc pour la mise au point de son numéro de tissu aérien. Rita était avec Estelle, Karol occupé à comploter avec Patty et Yuri profitait de la compagnie de Flynn. Bah, elle avait le temps ! C’était une chose que l’on avait aisément quand on jouissait d’une très longue vie… Elle aurait bien d’autres occasions pour aborder le sujet. Et puis elle avait pu se distraire en étant témoin de quelques moments qui avaient su susciter son intérêt…
Hum… Peut-être allait-elle rejoindre Repede… Malgré son caractère hautain et stoïque, il aimait parfois évoquer Yuri et Flynn en les termes les plus élogieux, enfin à sa manière, bien sûr… Avec un peu de chance, elle en tirerait de quoi satisfaire sa curiosité…
[1] Jeu de dés auquel joue Will Turner dans Pirates des Caraïbes : le Secret du coffre maudit.
NDLA : Le prochain épisode est consacré à l'arrivée de Flynn dans le cirque de Brave Vesperia...
L'île du Plaisir
Aug. 30th, 2015 10:57 pmTitre : L’île du Plaisir
Auteur ou cerveau dérangé ayant besoin de vacances : Eliandre
Beta ou personne désespérée devant le cas à traiter : Kaleiya
Disclaimer : Les personnages de Tales of Vesperia ne sont pas ma propriété mais celle de Namco Bandai. Inspiré du film d’animation Les douze Travaux d’Astérix que je recommande, surtout pour la « maison qui rend fou » qui est toujours hurlante d’actualité.
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« Empereur Ioder, notre agent est revenu de sa mission secrète et demande à vous voir de toute urgence. » annonça un garde.
Entouré de ses conseillers, le jeune empereur Ioder qui était penché au-dessus d’une immense carte qu’il étudiait avec attention, leva la tête et adressa un sourire à son soldat.
« Faites-le tout de suite rentrer ! » commanda-t-il.
Le garde s’inclina, retourna à l’entrée et l’agent employé pour les missions secrètes pénétra dans la salle du Conseil.
« Votre Altesse, j’apporte des nouvelles alarmantes. » annonça rapidement l’homme après avoir salué l’empereur avec déférence. « J’ai appris que deux espions ennemis ont pénétré dans nos terres, espérant atteindre la capitale. Leurs objectifs exacts demeurent inconnus mais ils ne cherchent à vous nuire Sire, c’est évident. »
« Je vois. » dit l’empereur après un moment de réflexion. « Les a-t-on identifiés ? »
« J’ignore leurs noms mais j’ai un signalement : une espèce d’individu roublard dans la trentaine et un jeune blond plutôt beau gosse. »
« Plutôt beau gosse ? » répéta Ioder en haussant un sourcil d’un air amusé.
« Le euh… signalement a été fait… à partir de témoins qui... euh… étaient tous de sexe féminin… » avoua l’agent d’une voix penaude.
« Et sinon, sait-on où ils se trouvent en ce moment ? » interrogea le jeune empereur.
« Nous pensons qu’ils cherchent à attendre Zaphias en passant par la forêt de Quoi. »
« Comment ?! » tonna l’un des conseillers présents. « Ils ont pénétré si loin dans notre Empire ? Comment se fait-il que deux hommes aient réussi à parcourir plusieurs centaines de kilomètres sans que personne ne soit au courant ou ne soit parvenu à les intercepter ? »
« Nos hommes n’étaient pas sûrs des faits et… »
« Et deux espions en ont profité. » acheva le conseiller. « C’est intolérable ! Nos frontières devraient être plus sécurisées et ont visiblement besoin d’être renforcées au plus vite ! »
« Calmez-vous Alexei. » intervint Ioder. « Examinons plutôt les possibilités pour les arrêter. Veuillez étaler une carte de la forêt de Quoi, je vous prie. »
« Nous pouvons mettre nos soldats sur la piste. Convoquer une troupe pour qu’elle ratisse cette forêt de fond en comble. » dit l’un des conseillers pendant que deux serviteurs déroulaient la carte de ses environs.
« Vu l’immensité de la forêt de Quoi, je doute qu’on mette la main sur ces espions. Il y a plus de probabilités qu’ils glissent entre nos doigts. Par contre, rien ne nous empêche de bloquer les accès les plus évidents par précaution comme envoyer des renforts aux garnisons d’Halure et de Capua Torim.» commenta Alexei. « Toutefois, à leur place, si j’essayais de gagner la capitale, j’éviterai ces deux villes à cause des soldats. » ajouta-t-il en examinant la carte. « Le moyen le plus sûr et le plus rapide serait de traverser le lac de Sharess. On peut poster nos hommes au bord du… »
« Le lac de Sharess ? » interrompit Ioder. « Non, ne placez pas nos hommes ici Alexei. Nos deux espions seraient sur leurs gardes. Faites plutôt en sorte de les pousser habilement et discrètement à traverser le lac. Je compte sur votre ingéniosité pour exécuter cet ordre. »
« Mais votre Altesse… » commença le conseiller avec confusion. « Etes-vous sûr que… »
« Mon cher Alexei, sachez que parfois, pour traiter avec des ennemis, il n’est pas nécessaire d’utiliser le fer. Le poison peut être une arme tout aussi efficace, surtout s’il est d’une innocente subtilité. » déclara Ioder avec un petit sourire à ses lèvres. « Ah… Et apportez-moi un parchemin et une plume ainsi que le plus rapide de nos oiseaux messagers. J’ai une missive à envoyer immédiatement. »
Ne comprenant pas la réaction de son empereur, Alexei réexamina la carte comme pour chercher une explication jusqu’à ce qu’il aperçoive un petit point noir au centre de l’étendue d’eau qu’il avait négligé lors de sa première lecture… Mais bien sûr ! Il était impossible de traverser le lac de Sharess…
A cause de l’île du Plaisir…
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Pendant qu’elle offrait ses dévotions au cœur même du sanctuaire, une jeune femme à la chevelure bleutée et aux formes voluptueuses fut surprise d’être dérangée dans son rituel quotidien par l’arrivée d’un faucon portant une missive attachée sur l’une de ses serres. Après avoir confié l’animal à une de ses suivantes pour qu’il puisse se restaurer et se reposer, la mystérieuse femme s’isola pour lire tranquillement son message.
A l’attention de Judith, Grande Prêtresse de l’île du Plaisir,
J’ai l’honneur de vous informer que deux espions, l’un dans la trentaine et un autre blond autour de vingt ans, risquent d’aborder très prochainement votre domaine. Accueillez-les comme vous savez si bien le faire et faites en sorte que leur séjour se prolonge indéfiniment. Amusez-vous bien et souhaitez-leur la bienvenue de ma part. L’hospitalité envers les étrangers est toujours un devoir qu’il me plaît de respecter.
Votre dévoué serviteur et empereur Ioder.
Un sourire amusé apparut sur les lèvres de la jeune femme quand elle acheva sa lecture. Effectivement, il semblait qu’elle allait s’amuser. Tant mieux car cela faisait un certain temps qu’elle n’avait pas accueilli d’invités sur son île. Judith brûla la missive à l’aide d’un brasero puis rejoignit ses compagnes en frappant des mains pour réclamer leur attention.
« Les filles, préparez-vous ! Nous allons avoir de la compagnie ! »
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Le lac de Sharess était calme, peut-être même trop calme aux yeux de Flynn. Certes, Raven et lui avaient réussi à se procurer une barque et l’eau était aussi paisible que possible mais avec l’épaisse brume présente, le jeune espion estimait les conditions de navigation pas vraiment optimales. Pourtant, il savait que son compagnon et lui n’avaient guère le choix mais il ne put s’empêcher de faire partager son appréhension à son aîné.
« Raven, je ne suis pas sûr que cela soit une bonne idée de traverser le lac avec les conditions actuelles. »
« Au contraire, ce sont les conditions parfaites. » répliqua son aîné. « La brume empêchera nos ennemis de nous remarquer ou de nous surveiller s’ils se trouvent sur les berges. Tu es peut-être le plus courageux de nos guerriers Flynn-chan, mais t’es encore un bleu en matière d’espionnage... »
Le blond ne répondit pas car les arguments de Raven étaient valables. Pourtant quand ils embarquèrent dans la barque, rames en main, il ne put éviter de grimacer devant une visibilité aussi réduite. La brume était vraiment à couper au couteau tellement elle lui semblait dense.
Le lac de Sharess était immense et les deux espions prévoyaient une journée entière pour le traverser. Ils avaient donc amené des vivres et de l’eau ainsi que d’épaisses couvertures pour lutter contre le froid et l’humidité ambiante. Cela faisait deux heures, peut-être trois, qu’ils naviguaient en silence sans rien dire si on exceptait quelques paroles échangées sur la direction à prendre et le clapotis des rames quand… un chant mélodieux de voix envoûtantes accompagné d’une belle musique lyrique se firent entendre…
Si Flynn se montra étonné et totalement stupéfait d’entendre des voix humaines dans un endroit qu’il croyait inhabité, marquant un temps d’arrêt sur le pilotage de la barque, la réaction de Raven fut quasi instantanée. Imperceptiblement, il se mit à ramer de plus en plus vite jusqu’à ce que son étrange attitude alarme son cadet.
« Raven ! Tu vas nous faire chavirer si tu continues à ramer à cette vitesse ! » s’écria-t-il.
Effectivement, le fragile esquif commençait à pencher un peu trop vers l’avant, là se trouvait justement le plus âgé des espions.
« Allons, ne t’inquiète pas gamin ! Crois-moi, je sais ce que je fais. »
Flynn en doutait fortement. L’embarcation ne cessait de tanguer dangereusement et l’eau commençait à remplir l’intérieur de la barque. Le blond tenta au moins de préserver les vivres mais cela se révéla une tâche ardue à cause du comportement de Raven qui semblait comme possédé depuis qu’il avait entendu le chant. Il avait même une drôle de lueur dans son regard.
Malgré les efforts du plus jeune des espions, la barque continuait à se remplir s’eau à cause de l’attitude insensée de Raven. Flynn aurait bien tenté de neutraliser son compagnon jusqu’à ce qu’il reprenne ses esprits mais par chance, par hasard ou par une curieuse coïncidence, Raven s’était levé et tendit l’index.
« Regarde Flynn-chan, on dirait une île ! » s’exclama-t-il.
Il avait raison. Malgré l’épaisse brume, le blond remarqua une immense masse noirâtre qui grossissait au fur et à mesure qu’il se rapprochait. Dans le même temps, le chant cessait d’augmenter en intensité et devenait de plus en plus distinct. L’île était donc habitée, apparemment par des femmes vu les tons sopranos qu’il pouvait entendre.
« On va se diriger vers cette île et en profiter pour vider l’eau de la barque. » dit Raven.
Flynn le soupçonnait également de vouloir en profiter pour jeter un coup d’œil aux chanteuses, connaissant le point faible de son aîné au sujet des femmes mais retint sa langue. Vu son état actuel, l’expérimenté espion n’était pas en mesure d’écouter ses arguments. Et puis de toute façon, il n’avait pas le choix : le poids de la barque avait augmenté à cause de l’eau, la rendant difficile à manœuvrer et leurs couvertures étaient complètement mouillées. Ils étaient donc contraints de stopper leur avancée.
A cause d’un grand coup de rame donné avec beaucoup trop d’enthousiasme par Raven, l’arrivée sur le rivage de l’île fut un peu brutal et Flynn perdit l’équilibre avant d’être renversé et de tomber sur la plage de sable humide. Maugréant sa mauvaise humeur, il s’apprêtait à se relever quand il fut surpris d’apercevoir une silhouette noyée dans la brume, s’y détachant de plus en plus quand elle s’avançait vers eux. Il put progressivement apercevoir ses traits : une jeune femme à la longue chevelure bleutée dont les séduisantes formes étaient remarquablement mises en valeur par sa toge qui dévoilait plus qu’elle ne dissimulait son corps au teint uni. Pour résumé, elle était si peu vêtue que Flynn ne savait plus où poser le regard sans paraître déplacé. Cela étant dit, elle ne paraissait pas gênée le moins du monde.
« Soyez les bienvenu sur l’île du Plaisir. Venez, nous vous attendions. Cela faisait tellement longtemps que nous n’avions pas eu d’invités. » dit la nouvelle venue avec un sourire accueillant.
En écoutant ses paroles, le jeune espion la regarda à la fois avec un air éberlué et suspicieux, hésitant sur la conduite à tenir mais Raven fut plus rapide que lui. L’écartant brutalement d’un coup de coude qui fit à nouveau choir son compagnon sur le sable, il s’inclina profondément devant la divine sirène aux cheveux bleus – Flynn aurait pu jurer qu’il en avait profité pour observer sans vergogne son décolleté – avant de saisir délicatement son poignet pour lui déposer un baisemain.
« Mes hommages, chère demoiselle. Mon nom est Raven et je vous prie d’excuser le comportement complètement désolant de mon pitoyable compagnon – il se nomme Flynn mais vous pouvez tout de suite oublier son nom. Il ignore tout de la manière et de l’attitude normale que tout homme devrait avoir devant une si charmante et gracieuse créature telle que vous. Me feriez-vous l’exquis plaisir de me faire partager votre doux nom ? »
« Je suis Judith, la Grande Prêtresse de l’île du Plaisir. J’espère que vous apprécierez votre séjour dans mon domaine. Venez, je vais vous le montrer. »
Pendant que Raven fut plus que ravi de lui tenir compagnie, espérant sans doute faire plus ample connaissance avec la belle Grande Prêtresse, Flynn serra les dents et suivit en silence après s’être débarrassé du sable collé à ses cheveux et à ses vêtements. En dépit de son actuel agacement devant la situation, il ne put s’empêcher d’être admiratif devant la beauté de la faune et de la flore de l’île – son aîné n’étant absolument pas en état de s’en apercevoir. Les plages qu’ils avaient quitté étaient constituées du plus doux des sables fins et au fur et à mesure qu’ils avançaient, la brume disparaissait lui permettant de mieux apprécier les détails. Des arbres fruitiers aux feuilles d’un vert éclatant et aux troncs luisants se dressaient devant sa route, chargés de pommes, de pêches ou d’abricots à l’apparence séduisante et au goût prometteur. Il aperçut des oiseaux chanteurs aux plumages colorés et d’autres qui lui semblaient plus exotiques avec leurs couleurs chatoyantes. Des écureuils moqueurs, des lapins sauvages côtoyaient des tortues aux carapaces brillantes. Le chant que Flynn avait entendu tout à l’heure lui parut plus mélodieux que jamais et il fut assez stupéfait de déboucher sur une vaste clairière où l’herbe lui paraissait plus tendre que jamais et où un somptueux banquet était préparé en leur honneur – Judith ne mentait pas quand elle affirmait qu’elle les attendait. Toutefois, en bon soldat qu’il était, ceci fut suffisant pour élever la suspicion chez le blond. A ses côtés, Raven avait l’air plus intéressé par les charmantes chanteuses qu’il lorgnait sans retenue et par les suivantes de la Grande Prêtresse qui étaient en train de le servir en vin dans une belle coupe en or ouvragée par le meilleur des orfèvres.
Il s’apprêtait à demander à Judith à quoi rimait toute cette mascarade mais cette dernière le devança en se tournant vers lui, quittant brièvement Raven. Ce dernier faisait plutôt connaissance avec les autres demoiselles…
« Quel est ton nom, cher invité ? » demanda l’une d’elle d’une voix cristalline.
« Raven, le grand Raven ! » répondit-il.
« Oh, es-tu un grand guerrier ? Nous allons apporter de quoi boire et manger ensemble. Un grand guerrier comme toi mérite amplement de s’abandonner au plaisir. »
« C’est un conseil que je vais mettre tout de suite en pratique, charmantes demoiselles. »
Flynn aurait ouvertement montré sa désapprobation devant un spectacle qu’il jugeait lamentable de la part de son aîné mais Judith était devant lui, attendant qu’il lui accorde son attention.
« J’aimerais te présenter quelqu’un. Peux-tu venir ? » appela-t-elle en se retournant.
Emergeant d’un rideau d’arbres, une jeune fille aux cheveux roses et aux yeux turquoise se présenta devant eux, regardant Flynn avec une expression candide. Sa tunique blanche était moins provoquante que la tenue de la Grande Prêtresse mais tout de même, on voyait très bien ses bras nus, ses épaules, une large partie de son dos ainsi que son décolleté… ce qui permit au blond de remarquer la différence flagrante du… euh… tour de poitrine entre les deux jeunes femmes…
« Je m’appelle Estellise mais s’il te plaît, appelle-moi Estelle. Quel est ton nom, noble guerrier ? »
Flynn sentit malgré lui ses joues s’empourprer et bafouilla un moment avant de réussir à se présenter.
« Mon nom est Flynn. » dit-il en essayant en vain de cacher qu’il était mal à l’aise devant l’innocence d’Estelle.
« Oh, quel magnifique prénom ! Il sonne comme celui des grands héros d’antan, ceux des épopées glorieuses et héroïques ! » s’exclama-t-elle en joignant les mains.
« Tu sembles t’y connaître…. » dit son interlocuteur quelque peu impressionné.
« J’aime beaucoup lire mais si tu veux, on peut en parler pendant que tu apprécieras ton repas… avec volupté et plaisir… »
Flynn haussa les épaules mais suivit sa nouvelle amie. Après tout, malgré sa méfiance, il avait du mal à imaginer cette jeune femme préparer un coup fourré avec la nourriture. Certes, il restait sur ses gardes avec cet accueil chaleureux, ce festin en leur honneur comme si Raven et lui étaient attendus –comment ces femmes pouvaient-elle savoir que des hommes aborderaient leur île si elles n’avaient pas été prévenues par avance ? – mais il avait besoin de manger, ses vivres étaient en grande partie immangeable à cause du précédent exercice nautique avec Raven et vu la personnalité d’Estelle, il ne pensait pas qu’elle était du genre à empoisonner de la nourriture alors pourquoi pas goûter un peu à ce banquet pour reprendre des forces ?
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Judith était plus que satisfaite. Les deux espions mangeaient leurs succulents mets et buvaient l’eau la plus fraîche ou le vin le plus délicat selon leurs préférences, ses suivantes chantaient, dansaient et divertissaient leurs invités, les charmaient, éveillant dans leurs yeux la passion et la luxure et bientôt, ils s’abandonneraient totalement au plaisir, oubliant le monde à l’extérieur de l’île et leur mission en ne voulant que demeurer dans son domaine jusqu’à la fin de leurs jours. Ainsi, l’empereur Ioder se débarrassait en douceur de quelques ennemis gênants, elle avait des distractions de choix et ce, pour longtemps et tout le monde était content.
Malheureusement, l’instant où elle savoura son succès fut de courte durée quand Estelle revint vers elle avec une mine attristée.
« Mais pourquoi ne s’abandonne-t-il pas au plaisir ? Pourquoi ? Où est donc mon erreur ? Est-ce parce que je n’ai pas une poitrine aussi développée que la tienne Judith ? » se plaignit-elle.
« Allons, allons ma chère Estelle, raconte-moi plutôt ce qui s’est passé avec Flynn. » demanda la Grande Prêtresse tout en tapotant sur l’épaule de sa comparse pour la consoler.
« Tout avait pourtant si bien commencé. » dit-elle en prenant une inspiration. « Il mangeait, buvait, souriait et nous parlions de nombreux récits littéraires. Je pensais avoir réussi à l’impressionner mais au moment où je l’ai invité à venir s’allonger sur les coussins avec son compagnon, il s’est soudain redressé d’un bond et s’est rappelé qu’il devait se rendre à Zaphias avec lui. »
« Que fait-il en ce moment ? »
« Il est en train de houspiller son compagnon à se lever et à quitter l’île. »
En effet, Judith entendait des éclats de voix, probablement ceux de Flynn qui s’efforçait de ramener Raven à la raison et de lui ordonner d’arrêter de draguer toutes les belles femmes de l’île. En se rapprochant davantage, elle put voir derrière un buisson de buis le blond en train de secouer son aîné comme un prunier puis le traîner derrière lui avec une force décuplée par l’exaspération bien que Raven faisait de son mieux pour lui donner les pires difficultés en tentant notamment d’entraver sa progression ou en se tortillant dans tous les sens pour se défaire de la prise de son cadet.
Effectivement… Plutôt mignon dans son genre mais dissimulant une grande force de caractère, dans le genre têtu, obstiné, déterminé et un peu trop loyal à sa mission… Si Raven avait facilement succombé à ses charmes, Flynn avait une si forte volonté et une si forte conviction qu’il résistait à la tentation. Peut-être qu’elle pourrait s’en mêler afin de faire changer d’avis le jeune homme.
A moins que… Ça allait lui plaire !
« Ma chère Estelle, tes charmes ne sont en rien en cause. Je crois juste que ce jeune homme est trop coincé pour toi. Il s’agit d’un cas très spécial méritant toute l’attention de notre arme secrète. » dit-elle avec un sourire espiègle. « Empêche-le de quitter l’île pendant que je vais la chercher. »
Si ce Flynn résistait à son arme secrète, c’est qu’il n’était pas humain. Il était absolument impossible qu’il résiste à son arme secrète et ultime !
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Ce fut sur la terrasse, en train de profiter paresseusement du soleil près du rebord d’une fenêtre, que la Grande Prêtresse put mettre la main sur son "arme secrète".
« Yuri, j’ai du travail pour toi ! » appela-t-elle.
Une tête aux longs cheveux noirs se pencha alors en avant de la fenêtre. C’était une figure aux yeux onyx avec des traits fins et une peau pâle. Une silhouette quelque peu efféminée… sauf qu’il s’agissait d’un jeune homme comme le démontrait sa voix grave quand celle-ci s’éleva, avec un ton assez agacé :
« Encore ? J’ai pourtant préparé un repas complet pour une dizaine de personnes ! Judy, ne me dis pas que nos visiteurs se sont empiffrés comme des porcs et qu’ils veulent un nouveau service ! C’est peut-être l’île du Plaisir mais ils attendront un moment avant que… »
« Rien de tout ceci, mon cher Yuri. Ce ne sont pas tes talents culinaires dont j’ai besoin. » interrompit Judith. « C’est plutôt ton habile expertise sur un sujet hautement récalcitrant qu’il me faudrait. »
Heureusement que Judith était la demi-sœur de Yuri. Elle avait eu des années de pratique pour savoir la façon de manœuvrer le brun. Il lui suffisait juste d’attiser son intérêt, le mettre au défi pour éveiller son sens du challenge et le tour était joué. Elle était certaine d’avoir réussi la première étape quand elle vit Yuri hausser un sourcil curieux.
« Un sujet hautement récalcitrant ? C’est l’un de nos actuels invités ? » questionna-t-il.
« En effet. Plutôt têtu, obstiné et fort caractère. Très dévoué à son objectif principal apparemment. Une détermination inébranlable. Il n’a pas succombé aux charmes d’Estelle. »
« Tiens donc… Il a résisté aux manières ingénues d’Estelle ? Mais il doit être de la vieille époque ou extrêmement coincé dans son genre ! A moins que ce qui est entre ses deux jambes soit complètement frigide. Je ne vois que ça comme explications… » commenta son interlocuteur visiblement de plus en plus intéressé tout en hochant la tête.
« Il y a peut-être un peu de tout cela. » admit la Grande Prêtresse. « C’est pourquoi je fais appel à toi pour t’occuper de son cas. Il faut que notre invité se laisse enfin envahir par le plaisir. »
Et puis la réputation du domaine était en jeu ! Personne ne résiste aux plaisirs de son île, non personne !
« Et il est comment ? » demanda son demi-frère. « C’est quoi ? Un vieux soldat blanchi sous le harnais ? »
« Tout le contraire. » répondit Judith. « Son nom est Flynn. Un jeune guerrier blond aux yeux bleus comme l’azur. Il doit avoir à peine dépassé vingt-ans. J’admettrai même que je le trouve charmant et je suis certaine qu’il est tout à fait ton genre. »
« Quoi ?! Un jeune bleu ? Et il a résisté à Estelle ? » s’écria presque Yuri. « Voilà une personne intéressante… C’est entendu, je me charge de lui. »
« Je savais que je pouvais compter sur toi. » dit la Grande Prêtresse avec une expression ravie et enthousiaste. « Cela dit, je te conseille vite d’aborder ta future proie car il est en train d’essayer de quitter notre île. »
Et voilà. Arme secrète parée et prête à l’emploi…
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Flynn était énervé. TRES énervé. Raven, son compagnon, son aîné, celui qui devait se montrer le plus raisonnable avait eu un comportement absolument impossible en ne cessant de gesticuler dans tous les sens et en débitant haut et fort des âneries dont la signification se résumait très facilement à un refus catégorique de quitter l’île. Ce qui avait contraint Flynn de l’attacher à un arbre à l’aide d’une corde pour éviter qu’il s’échappe le temps qu’il retrouve leur barque et de le bâillonner pour que ses cris n’attirent pas la Grande Prêtresse ou ses suivantes. Comment en était-on arrivé à une situation pareille ? Il avait admiré et respecté Raven, reconnaissant son expérience, il avait été placé sous ses ordres pour cette mission et depuis qu’il était sur cette île, il était devenu méconnaissable. Enfin pas tant que ça car il avait toujours su son point faible au sujet du sexe féminin mais en mission, il gardait son sérieux. Cette île devait être ensorcelée. C’était la seule explication qu’il trouvait et il devait se hâter de quitter cet endroit avant qu’il devienne aussi fou que Raven. Il espérait qu’une fois hors de l’île et hors de portée des chants précédemment entendues, son aîné reprenne ses esprits.
Il finit par déboucher sur la plage. La brume, tenace, enveloppait toujours l’île ainsi que le lac de Sharess et ce fut la raison pour laquelle le blond mit de longues minutes pour retrouver son embarcation… ou plutôt ce qu’il en restait car au moment où il se réjouissait de retrouver les rames dans le sable, il put constater avec effroi que la barque, son unique moyen de fuite, avait été brisée, rendue complètement inutilisable et irréparable. Certains débris gisaient sur la plage tandis que d’autres étaient en train de flotter sur le lac, dérivant au gré des courants.
« Désolé d’avoir détruit ton bateau mais je devais arrêter ta tentative d’évasion et c’était la façon la plus efficace. » dit soudain une voix sarcastique derrière lui.
Flynn se retourna, surpris. N’ayant vu que des femmes, il avait pensé que l’île n’avait aucun habitant mâle. Alors il fut surpris de dévisager un jeune homme d’environ son âge aux longs cheveux bruns et aux yeux noirs le regardant d’un air moqueur – ce que le blond n’apprécia guère sur l’instant. Sa tenue était une toge obscure comme la nuit qui mettait en valeur des pans entiers de sa peau blanche et luisante – sans doute à cause d’huiles parfumées, ce que l’odorat de l’espion confirma – lui conférant une apparence aussi indécente, si ce n’est que plus, que celle de la Grande Prêtresse. A sa vue, Flynn détourna brièvement le regard avant que la colère reprenne le dessus quand il aperçut de nouveau les restes de sa barque. Il fit donc face au nouveau venu et exprima sa fureur grandissante :
« Pourquoi avoir détruit la barque ? » cria-t-il.
« Je te l’ai dit : pour t’empêcher de partir. » répliqua nonchalamment son interlocuteur tout en le détaillant attentivement. « Hum, maintenant que je te vois de plus près, je pense que j’ai bien agi en faisant cela. Judy a raison. Tu es tout à fait mon genre, mon cher Flynn et il aurait été dommage de te laisser quitter l’île aussi facilement. »
« Tu connais mon nom ? » interrogea le blond en sursautant de stupéfaction.
« Bien sûr. Judy a été assez aimable pour me le dire. A propos, je ne crois pas m’être présenté. Yuri, le frère de la Grande Prêtresse de l’île du Plaisir. » dit l’inconnu en s’inclinant de façon si ironique qu’elle en devenait totalement irrespectueuse. « Bienvenue dans notre domaine et heureux de faire ta connaissance Flynn. En espérant que ton séjour parmi nous soit agréable. »
« Je ne crois pas qu’il sera agréable. » riposta aussitôt l’espion en le toisant d’un œil noir. « Cette tentative de sabotage prouve que les habitants et habitantes de cette île veulent nous garder prisonniers. Qu’est-ce que toi et les autres cherchez à faire ? »
« Notre seul but est d’offrir du plaisir à nos visiteurs mais cela n’a pas l’air ton cas. » dit Yuri en fronçant des sourcils. « Une erreur à laquelle je compte remédier au plus vite. »
« J’aimerais bien voir cela. » rétorqua Flynn avec sarcasme. « Quel plaisir de rester prisonnier sur une île après avoir remarqué la destruction de ma barque. Vraiment, je me noie dans le bonheur ! »
Yuri l’observa un instant, avec une certaine surprise mêlée de curiosité avant que ses lèvres se fendirent en un sourire goguenard.
« Très fort caractère effectivement. Je croyais que ma sœur exagérait mais elle n’avait pas tort. Tant mieux, la difficulté rend le défi plus intéressant. Cela aurait été ennuyant si les choses se déroulaient trop facilement. »
Avant que Flynn puisse l’interroger sur le sens de paroles qu’il ne comprenait pas, le brun fit quelques pas vers la forêt, se baissa pour ramasser quelque chose avant de revenir vers lui avec un plateau en argent sur lequel était posée une coupe dorée contenant un liquide d’aspect des plus séduisants. L’arôme qu’il s’en dégageait était extrêmement tentant et alléchant. Le blond lui-même avait du mal à s’arracher à cette contemplation et le désir de ne boire ne serait-ce qu’une gorgée lui était venu à l’esprit pendant une fraction de seconde avant qu’il se reprenne.
« Du nectar. » annonça Yuri. « La boisson des dieux. Peu de mortels ont eu la chance d’y goûter. »
« Mais comment… » commença Flynn en murmurant avant que son compagnon ne l’interrompe.
« Cette île est béni des dieux. Si tu le souhaites, je te laisse y goûter. » déclara le brun en lui tendant la coupe.
Dans un premier temps, l’espion esquissa un geste pour prendre la coupe dorée, ses yeux fixés sur le nectar comme s’il était dans un état de transe mais brusquement, il s’arrêta net avant de reculer brutalement.
« Non, je… Je n’en veux pas ! » cria-t-il soudain. « Un piège… c’était un piège ! » réalisa-t-il quand il aperçut le sourire de Yuri qui s’élargissait. « Qu’est-ce qu’il y avait ? Du poison ? »
« Oh ? Tu as vraiment résisté ? Tu es encore plus intéressant que je ne le pensais. Avant toi, personne n’avait résisté au désir de goûter au nectar. L’effet de curiosité ajouté à son apparence séduisante et appétissante, tu vois… Et pour info, je n’avais pas mis de poison. J’espérais juste qu’avec la délicieuse sensation de plaisir que procure le nectar quand on le boit, tu ne remarquerais pas le sédatif que j’ai rajouté. »
« Le quoi ?! » s’exclama Flynn d’un ton révolté.
« Tu te serais endormi en douceur dans les bras de Morphée en plongeant enfin dans l’extase du plaisir. » continua Yuri sans tenir compte de l’intervention du jeune espion. « Tu es vraiment obstiné. » soupira-t-il. « Le cas le plus difficile qu’on ait eu sur cette île. Mais, soit. S’il faut un traitement de choc pour te décoincer… Aux grands maux, les grands remèdes, je suppose. Je vais pourtant presque regretter de devoir faire ça… »
Avant que Flynn ne réagisse, Yuri projeta le contenu de la coupe sur son visage, aveuglant momentanément l’espion pris par surprise. Pendant que le blond essuyait à la hâte ses yeux, il sentit soudain une présence derrière lui et la voix du frère de la Grande Prêtresse lui souffla à l’oreille d’un ton insidieux et séducteur :
« Fais de beaux rêves mon cher Flynn… »
Ce fut la dernière chose qu’il entendit. Puis un violent coup lui fut administré à la nuque et il sombra dans l’inconscience…
--§--
Judy avait beau l’avoir prévenu mais il devait le reconnaître en toute humilité : il avait sous-estimé la force de caractère de Flynn. Ce qui l’avait contraint à utiliser la manière forte et à l’assommer. Il fallait l’empêcher de quitter l’île. Cela aurait été beaucoup plus facile s’il s’était contenté de boire le nectar mais tout ne s’était pas déroulé comme prévu.
Yuri regarda le jeune homme blond, profitant qu’il était inconscient. Flynn paraissait dormir avec une expression paisible. Pendant qu’il enlevait les grains de sable de son visage, il put vérifier par lui-même pourquoi même sa demi-sœur avait montré de l’intérêt pour lui. Des traits réguliers où s’attardaient une sorte de candeur, ce menton volontaire, ses cheveux blonds comme l’or ou ses yeux azur… Il devait le reconnaître : Flynn avait un physique attrayant. Cependant, ce qui intéressait plus le brun était sa personnalité qui l’avait à la fois surpris et intrigué. Tête de mule et déterminé certes mais sa volonté de vouloir s’échapper de l’île du Plaisir témoignait d’une immense loyauté à ses chefs, le genre à faire don de sa personne pour ses convictions ou de se sacrifier soi-même si son devoir l’ordonnait. En d’autres termes, le type d’individu prêt à renoncer à son propre bonheur pour celui d’autres personnes. Avec de telles caractéristiques, pas étonnant que Flynn n’ait pas cédé à la tentation du plaisir sur l’île. Mais il allait y remédier personnellement quitte à employer les grands moyens…
D’habitude, une fois que ses invités succombaient au plaisir, Yuri tendait à se désintéresser d’eux et laissait ensuite Judith et ses suivantes prendre le relais mais Flynn était vraiment un cas spécial. Un cas qu’il voulait pour une fois garder exclusivement pour lui…
Il avait de grands projets pour ce cher Flynn…
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Lorsque l’espion reprit connaissance, le premier réflexe qu’il eut fut de vouloir se frotter le front à cause d’un vilain mal de tête – conséquence du coup de Yuri contre sa nuque – mais en voulant esquisser le geste, il se rendit compte qu’il était allongé sur un lit, mains attachées à la tête de lit et surtout, profitant de sa perte de conscience, il se rendit compte que quelqu’un – et Flynn n’eut pas trop de peine pour deviner le coupable – en avait profité pour le délester de ses vêtements, de TOUS ses vêtements à l’exception d’une bande de tissu qu’on lui avait laissé pour cacher son intimité. Toutefois, le blond n’apprécia pas d’être presque aussi nu qu’un ver, laissant échapper un juron quand il comprit sa situation actuelle. Il était sur le point de tester la solidité de ses liens, vérifiant s’il y avait un moyen de se libérer quand il entendit des pas s’approcher de lui.
« Tu es enfin éveillé. » dit Yuri avec un sourire narquois le visage.
« Comment cela se fait-il que tu m’aies retiré mes habits et que je retrouve quasiment nu ? » hurla le blond en colère.
« Oh, ne sois pas vexé pour ça, voyons. En plus, tu es plutôt bien foutu, je dois dire. Dame Nature t’a bien gâté côté physique. »
Flynn ne savait comment réagir devant de tels propos, hésitant entre l’embarras et la fureur.
« De plus, ne t’inquiète pas pour ta pudeur. Tu es dans ma chambre et ni Judy, ni ses suivantes ne mettent un pied à l’intérieur tant que je ne leur donne pas l’autorisation. »
De belles phrases mais cela ne rassurait en rien l’espion. Il espérait au moins qu’une personne charitable ait détaché Raven de son arbre pendant qu’il était en train de croupir dans la chambre de Yuri.
D’ailleurs, à propos de la chambre du brun, il devait reconnaître qu’il occupait un vaste espace avec une ambiance plutôt simple mais décorée avec finesse, reflétant sa position sur l’île. Par contre, il y régnait un tel bazar avec une pile d’objets entassés un peu partout que Flynn ne put s’empêcher de se sentir désolé devant ce chaos indescriptible.
Mais ce détail était le cadet de ses soucis. Yuri le contemplait avec un sourire carnassier, tel le chat essayant de fasciner l’oiseau qu’il allait dévorer.
« Bien, maintenant que tu es là, il est temps que tu commences vraiment à apprécier ton séjour sur l’île et à y prendre du plaisir. »
« Je me demande bien comment tu vas t’y prendre ! » répliqua Flynn sarcastique, qui n’aimait pas être captif de cet homme.
« Eh bien… que dirais-tu d’un petit massage pour te détendre ? »
« Je… Je te demande pardon ? » dit le blond, n’étant pas sûr d’avoir bien entendu.
« Oui, c’est ce qu’il convient le mieux pour commencer. » poursuivit Yuri sans tenir compte de son intervention avec une légère arrogance dans sa voix. « Et j’espère que tu finiras vraiment par décoincer l’appareil qui se trouve entre tes deux jambes parce vraiment, c’est pas possible d’être aussi vieux jeu ! »
Contre sa volonté, Flynn se retrouva allongé sur le ventre avant de sentir le contact des paumes de son geôlier. A l’odorat et au toucher, il devina que le brun avait enduit ses mains d’huile parfumée… et il devait admettre, à contrecœur, qu’il se débrouillait plus que bien. Si sa première réaction avait été de protester et de s’agiter du mieux qu’il pouvait devant un tel traitement, sa voix mourut dans la gorge quand il poussa involontairement un soupir de satisfaction. Après coup, il grogna contre lui-même tandis que Yuri éclatait de rire mais l’espion ne pouvait plus par la suite affirmer qu’il avait détesté.
« On dirait que tu as… énormément de tension à évacuer… Regarde comme tu es crispé Flynn. » remarqua le brun, taquin. « Voyons si je peux améliorer cela… »
Cette fois, il sentit les lèvres de Yuri au bas de son dos, explorant et humant sa peau tout en remontant imperceptiblement jusqu’à sa nuque. Flynn avait commencé à paniquer mais dans le même temps, à cause du massage, il éprouvait une sensation d’engourdissement de tout son corps qui était assez agréable à ses sens exacerbés. Quand il eut terminé sa manœuvre, le frère de la Grande Prêtresse retourna à nouveau son prisonnier dont les joues rouges trahissaient sa confusion.
« Tu es vraiment mignon. » s’amusa Yuri. « Ne me dis pas que tu es encore puceau ! Ce qui expliquerait pourquoi tu es si coincé. Tu as jamais eu d’aventures avec une fille ou quoi ? Contrairement à toi, ton collègue semble être un expert de ce genre d’affaires. »
« Je ne m’intéresse pas à ce genre de choses ! » protesta le blond en rougissant de gêne.
« Bien. Ce qui signifie donc que je serai le premier. »
Avant que Flynn puisse comprendre ce qui était en train de se passer, Yuri s’était penché vers lui… et l’embrassait fougueusement ! Son cerveau, incapable d’analyser la situation, se bloqua temporairement et son partenaire profita pour approfondir son baiser. Il se sentait… fiévreux, oui, fiévreux était le mot juste et quand il retrouva un peu ses esprits, il ne put s’empêcher d’apprécier les lèvres de Yuri, de humer sa peau et d’en vouloir toujours un peu plus. Il n’eut ensuite qu’un très vague souvenir des événements mais petit à petit, le plaisir et la passion le consumaient entièrement. Il se sentait fou et insatiable. Il remuait sur le lit mais cette fois, il ne songeait absolument pas à s’échapper.
Quand il remarqua son état, Yuri sourit. Il ramena alors un plateau où Flynn reconnut du nectar dans une coupe, ainsi qu’une substance dorée semblable à la gelée par sa consistance et au miel par sa couleur.
« C’est de l’ambroisie, la nourriture des dieux. » présenta le brun en voyant son regard. « Attends, je vais te détacher pour que tu y goûtes. Tu as bien mérité cette collation. »
Yuri coupa ses liens. Il aurait pu en profiter pour lui fausser compagnie, fuir et tenter de quitter l’île mais curieusement, il n’en ressentait presque plus l’envie. Une minuscule voix dans la tête lui murmurait pourtant d’accomplir son devoir et de gagner Zaphias mais il l’entendit à peine. Tout lui paraissait si lointain…
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Après s’être restauré avec Flynn, Yuri embrassa une dernière fois le blond avant de lui conseiller de s’endormir pour qu’il puisse se reposer, lui promettant encore plus de plaisirs à son réveil. Une fois que son invité plongea dans le plus profond des sommeils, le brun eut tout le loisir de le contempler en silence.
Parfait. Il avait bien fait de passer en force même s’il ne s’était pas aventuré trop loin. Il était conscient qu’une partie de Flynn lui résistait encore, qu’il lui restait suffisamment de force et de volonté pour changer d’avis et quitter l’île mais celles-ci s’étaient bien amoindries désormais. Il ne s’en était pas rendu compte mais il était en train de s’abandonner à l’extase du plaisir, exactement comme son compagnon… Et bientôt, il en oublierait même sa mission et le désir même de s’échapper du domaine, ce lieu béni des dieux…
Oui… après quelques jours sur l’île en sa compagnie, Flynn goûterait enfin au bonheur suprême… et serait entièrement à lui jusqu’à la fin de ses jours…
Après tout, tout le monde s’abandonne au plaisir sur l’île du Plaisir et nul n’y était jamais revenu…
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Eliandre : Après avoir exposé mon idée sur cette bêtise, ma chère collègue a décrété que j’avais besoin de vacances. Après tout, avec cette fic, je crois lui avoir prouvé que mon cerveau était gravement atteint… L’insolation sans doute…
The Curse of Twilight - Chapitre 4
Jun. 25th, 2015 10:49 pmChapitre 4 : La cabane de la sorcière
Cette forêt dense et touffue à la silencieuse atmosphère étouffante, ces arbres… Cela devait être la forêt de Verdel qui n’était guère éloignée du quartier secret de Brave Vesperia, devina Yuri, mais la plupart des membres de l’organisation rebelle n’aimaient guère s’y enfoncer. La forêt de Verdel avait mauvaise réputation : elle grouillait de monstres et des rumeurs disaient qu’il arrivait toujours des accidents quand on s’enfonçait à l’intérieur ou racontait une sombre histoire de meurtres et de disparitions entre autres. Cependant, les rebelles de Brave Vesperia avaient érigé leur quartier général près de cette forêt en profitant justement de cette sinistre renommée. Ainsi, aucun chevalier de l’Ordre n’avait osé pointer le bout de leur nez dans ce coin et la localisation de la cachette de Brave Vesperia était demeurée inconnu de leurs ennemis jusqu’à présent.
En revanche, la forêt de Verdel était très étendue. On l’estimait à plusieurs centaines d’hectares et de cela, Yuri en était conscient. Il ne savait quelle direction le rapprocherait le plus du quartier général de Brave Vesperia mais heureusement, il avait Repede. Le seul souci, c’était la présence d’Estelle et le soleil qui ne tarderait pas à se coucher dans deux heures. Autant la présence de Repede n’était guère gênante – son fidèle compagnon canin avait l’habitude de ses transformations et dans le pire des cas, si le loup qu’il devenait se montrait agressif, il savait se défendre avec sa dague –, autant celle d’Estelle était problématique. Elle se trouvait dans un monde qui lui était inconnu, n’avait aucune expérience au combat et elle était encore sous le coup de l’émotion suite au décès de son père adoptif. Nul doute qu’elle risquerait de se blesser ou pire si elle faisait face à Yuri sous sa forme de loup. Néanmoins, ils avaient pour l’instant la chance de n’avoir rencontré aucun monstre ou animal sauvage et dangereux… quoique cela risquait de ne pas tarder avec la nuit… Heureusement, ils avaient Repede pour les guider. Grâce à son flair développé, il leur assurait une route sûre pour rejoindre Karol, Judith et le vieil homme mais combien de mètres ou de kilomètres les séparaient du quartier général de Brave Vesperia ? Cela, Yuri l’ignorait.
Il jeta un coup d’œil à Estelle qui suivait en silence, le visage sombre et fatigué. Le brun, par respect, lui avait accordé du silence pour qu’elle puisse faire son deuil mais il la surveillait discrètement. Elle aurait besoin tôt ou tard de réconfort pour surmonter cette épreuve. Et ils auraient, par la suite, nombre de détails à discuter, notamment comment s’adapter aux règles d’Akadia et surtout de la Prophétie où la jeune fille semblait avoir un grand rôle à jouer. L’ennui, c’était que seul Flynn en connaissait la teneur exacte et vu qu’il était entre les mains de l’Ordre actuellement, Yuri estima que l’explication pouvait attendre. Sa priorité était de délivrer cet idiot de blond qui avait eu la bêtise de se faire capturer. Toutefois, il devait d’abord s’occuper de la jeune Estelle, l’aider comme elle l’avait fait avec lui. Dans le même temps, en songeant à ses parents, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver une pointe de culpabilité. S’il n’avait pas fait irruption chez Estelle, peut-être que monsieur Swan serait encore en vie…
Ils marchaient pendant une demi-heure quand tout à coup, Yuri remarqua que le pas d’Estelle avait ralenti.
« Fatiguée ? » demanda-t-il. « On peut marcher moins vite si tu préfères. »
Estelle s’efforçait de sourire mais c’était un sourire triste et il voyait bien qu’elle portait encore son chagrin au fond de son cœur.
« Oui, s’il te plaît. »
Ils reprirent plus calmement leur déplacement pendant quelques instants jusqu’à ce l’étudiante rompe le silence.
« Où allons-nous ? » interrogea-t-elle de sa voix douce.
Depuis son retour sur Akadia, Yuri ne s’était pas embarrassé d’évoquer les détails pratiques, ayant l’esprit trop préoccupé par divers problèmes. Il s’en voulut de cette négligence et voulut la réparer tout de suite.
« On va rejoindre le quartier général de Brave Vesperia dans un premier temps. Ensuite, il va falloir que je trouve un moyen de sauver un abruti qui a réussi à se fourrer dans les pires ennuis avec l’Ordre et son maudit chef ! » dit-il avec une pointe de haine sur ses trois derniers mots.
Il n’avait que des raisons de détester le Hiérophante mais il était inutile de les étaler devant la jeune femme aux cheveux roses.
« Tu parles de ton ami Flynn ? Hmm… Tu m’as dit que Judith, Karol et un "vieil homme" étaient tes compagnons mais tu sembles te préoccuper davantage pour ce Flynn depuis que tu as rencontré cet assassin à l’église. » constata Estelle.
Remarque fine et perspicace, Yuri devait l’admettre. Il est vrai qu’il partageait un lien privilégié avec le blond mais il ne trouvait pas le moment franchement approprié pour en parler.
« Je connais cet idiot depuis mon enfance contrairement aux autres. C’est tout. »
« C’est donc ton plus ancien compagnon… » commenta son interlocutrice sans vouloir s’étendre davantage sur ses pensées.
Chacun avait ses problèmes en tête. Ils continuèrent donc leur chemin en gardant le silence entre eux. De temps à autre, Yuri jetait un coup d’œil au ciel et à Estelle : il s’inquiétait à la fois des minutes qui passaient et de l’état psychologique de la jeune femme. Le ciel s’assombrissait. Et il savait qu’il devait prendre son temps pour réconforter au plus vite son ancienne guide mais il était pressé par ce même temps qui s’écoulait inexorablement. Une ambiance morose s’installait progressivement entre les deux compagnons de voyage jusqu’à ce que Repede relève la tête pour humer l’air avant d’aboyer brièvement à trois reprises. Puis son pas s’accéléra brutalement.
« Tu as trouvé quelque chose Repede ? » demanda son propriétaire.
L’animal confirma en jappant. Il se mit ensuite à courir sur un sentier en terre, coupant à travers les arbres, les vieilles souches, les branches et les brindilles, forçant les deux humains qui l’accompagnaient à en faire de même pour éviter qu’ils perdent sa trace.
Cette petite échappée ne fut pas vaine. Dix minutes à peine, Yuri comprit ce qu’avait découvert l’odorat développé de son compagnon canin. Il devait admettre qu’il ne s’attendait certainement pas à trouver une espèce de cabane délabrée dans cette espèce de trou perdu que constituait cette forêt à la sinistre réputation.
La construction de ce bâtiment semblait assez bancale aux yeux de Yuri. La porte lui semblait un peu de travers, les volets pas droits et même le toit de paille donnait une vilaine impression de s’affaisser sur sa base. La cabane était apparemment habitée car le brun apercevait une épaisse fumée sortir d’une cheminée mais l’entretien laissait quelque peu à désirer. Les petites vitres à carreaux étaient couvertes d’une épaisse poussière, les murs en bois donnaient l’impression qu’ils allaient se disloquer d’un instant à l’autre et sous le toit, Yuri avait découvert de grosses toiles d’araignées. De plus, la poulie du puits qui se trouvait juste devant la cabane était complètement rouillée et la corde pour remonter le seau d’eau en mauvais état. Sans compter l’apparence globale de l’habitation qui n’était absolument pas engageante du tout. S’il n’y avait pas eu la fumée de cheminée, Yuri l’aurait facilement qualifié de cabane abandonnée.
Accompagné d’Estelle, le brun fit le tour du bâtiment pendant que Repede reniflait quelque chose mais il ne vit rien d’anormal. Il tenta de frapper trois coups pour interpeller l’occupant des lieux mais personne ne répondit, ce qui contraria Yuri. Dans le pire des cas, il avait envisagé d’installer Estelle en haut des arbres pour la nuit. Au moins, elle aurait été en sécurité des animaux sauvages et de la plupart des monstres mais cela ne l’aurait pas protégé du froid. Cette cabane, si miteuse soit-elle, était une alternative plus intéressante à la première solution. Estelle aurait été à peu près correctement installée et au chaud pour sa première nuit à Akadia. Après avoir jeté un dernier coup d’œil aux alentours, tambouriné à plusieurs reprises d’un air impatienté à la porte, Yuri se décida pour une action plus radicale. A l’aide de la dague généreusement fournie par son loyal compagnon canin, il s’apprêtait à forcer la porte quand…
« Non mais ne te gêne surtout pas ! Dégage de la porte de ma maison, toi ! » hurla soudain une voix derrière lui.
Yuri eut à peine le temps de se retourner qu’il esquiva de justesse une boule de feu qui s’écrasa contre le battant de la porte. Lorsqu’il put reprendre son souffle, il put enfin faire face à la personne qui l’avait attaqué.
Devant lui, portant derrière son dos un gros sac de toile grossière contenant des herbes qu’elle avait vraisemblablement cueillies, se tenait une jeune fille aux cheveux châtain, d’environ quatorze ou quinze ans tout au plus. Ses yeux verts fixaient l’intrus avec une colère compréhensible. Pour ce qui était de ses habits, de ce qu’il apercevait, ils étaient couverts de boue et étaient assez miteux, à l’image de sa cabane et de sa longue tunique brune surmontée d’une capuche ou de ses bottes dépareillées. Sa main droite laissait entrevoir une mitaine noire jusqu’à sa paume se concentre à nouveau pour créer une seconde boule de feu.
« Tu m’expliques ce que tu essayais de faire en t’introduisant chez moi par effraction ou tu as besoin d’arguments plus persuasifs ? » gronda la propriétaire de la cabane.
Décidément, Yuri n’avait jamais de chance. La cabane aurait pu être une vieille cabane de bûcheron mais non : il fallait qu’elle appartienne à une jeune fille au caractère explosif, manipulatrice de mana et ayant une fâcheuse ressemblance à l’illustration typique de la sorcière telle qu’on la décrivait dans les livres pour enfants.
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Prenant son temps pour admirer les lieux de l’Ordre emplis de leur puissance majestueuse, le haut magistrat Ragou s’avançait vers le Hall d’audience. Les gardes avaient annoncé sa venue et il n’avait plus qu’à patienter jusqu’à ce qu’il puisse rencontrer le Hiérophante. Il pouvait ainsi observer les immenses fenêtres en hauteur qui inondaient de lumière l’intérieur du Hall, les élégantes colonnes de marbre blanc, bref toute cette architecture qui inspirait le recueillement et la spiritualité.
Soudain, dans un coin isolé de la pièce, il entendit une sorte de grattement. Intrigué, il s’approcha de l’origine du bruit pour découvrir un surprenant spectacle. Enfermé dans une immense cage argentée – délicatement forgée et ornementée par le meilleur des orfèvres au vu de sa qualité –, un magnifique faucon pèlerin était en train d’étirer ses ailes vers le soleil. Parce qu’il s’intéressait à l’art de la fauconnerie, plus particulièrement aux prédateurs, Ragou pouvait affirmer que cet animal était exceptionnel dans son genre. Certes, le faucon pèlerin n’était pas aussi grand que le gerfaut, considéré comme le plus noble des rapaces après l’aigle mais ce faucon était véritablement remarquable. Il avait des yeux dorés au regard féroce, comme tous les oiseaux de proie mais c’était surtout par son plumage qu’il se distinguait des autres : son ventre était d’un blanc crème mêlé de gris pâle, ponctué par des petites stries noires tandis que son dos et ses ailes étaient d’un gris ardoisé qui tirait vers l’or, conférant à ce faucon un plumage unique et resplendissant car avec les rayons du soleil, ses plumes donnaient l’impression de scintiller d’une multitude de paillettes dorées.
Oui vraiment, ce faucon possédait une beauté exceptionnelle. Et il avait l’air intelligent, fin et racé, bref tout pour plaire pour le haut magistrat Ragou.
« Un très bel animal, n’est-ce pas ? » commenta soudain une voix derrière lui.
L’homme se retourna pour voir apparaître le Cardinal Garista qui redressait d’une main ses lunettes avec un petit sourire sur ses lèvres.
« Oui, je dois bien l’admettre. » répondit le magistrat d’un air pincé, quelque peu mécontent d’être interrompu dans son observation. « Il a un plumage extraordinaire qui est, par ailleurs, bien mis en valeur par cette immense cage en argent. Un habitacle approprié. »
« Il semble beaucoup vous intéresser. » remarqua le Cardinal.
Pendant que les deux hommes discutaient, le faucon les fixait d’un air mauvais tout en s’occupant avec la toilette de ses belles plumes mais il semblait hautain et indifférent à ce qu’ils disaient.
« Je me demandais s’il était possible de l’acquérir pour ma collection. Je suis prêt à y mettre un bon prix. L’Ordre pourrait voir cela comme… une généreuse donation de ma part. »
Garista eut un sourire amusé.
« L’Ordre est touché par votre sollicitude mais hélas, je crains de devoir décliner votre offre si alléchante soit-elle. » répondit-il en s’inclinant respectueusement devant le haut magistrat. « Il s’agit du faucon préféré de notre Hiérophante et je crains qu’il ne veuille s’en séparer. Cet animal lui est très précieux et c’est très certainement l’une des acquisitions dont il est le plus fier. Il l’a d’ailleurs fait amener dans le Hall pour s’en occuper personnellement mais d’autres tâches ont dû appeler son attention. »
Ragou comprit alors que peu importe le prix qu’il y mettrait, le Hiérophante refuserait de lui céder son rapace favori. Il abandonna donc l’idée de l’obtenir.
« C’est vraiment regrettable mais je comprends pourquoi son Excellence soit si attaché à ce faucon. Ses plumes sont extraordinaires. »
« N’approchez pas votre main de cette cage ! » s’écria brusquement le Cardinal en voyant le geste du haut magistrat.
L’avertissement fut entendu juste à temps. Ragou avait glissé ses doigts à travers les interstices de la cage pour caresser la tête du rapace mais au même moment, celui-ci tenta de l’attaquer d’un violent coup de bec. Le magistrat retira in extremis sa main de la cage avant que le faucon pèlerin puisse l’atteindre. Ce dernier, frustré par son échec, se mit à huir bruyamment.
« Il… Il semble encore sauvage. » dit l’invité de l’Ordre en se remettant de son choc initial.
« Oui, il est plutôt du genre récalcitrant. Son éducation est encore en cours. Je vais appeler quelqu’un pour le ramener. »
Le Cardinal fit signe à l’un des gardes présent dans le Hall qui appela alors un de ses camarades et tous deux commencèrent à se concentrer sur leur nouvelle tâche.
« Veuillez maintenant me suivre, haut magistrat Ragou. » s’inclina Garista. « Son Excellence m’a chargé de vous trouver et de vous emmener à son bureau où il vous recevra pour discuter des détails de sa prochaine visite. Comme il est tard et que les derniers rayons du soleil nous quitteront bientôt, son Excellence vous invite à son dîner et a fait préparer une chambre à votre attention pour cette nuit. »
« Son Excellence me fait déjà trop d’honneur en accordant à ma ville de Noridhim l’immense privilège de sa présence pour le festival. Je ne peux abuser de sa gentillesse. J’accepte le dîner avec plaisir mais je ne puis rester plus que nécessaire. Des devoirs urgents m’appellent dès les premières heures du jour pour demain. »
« Oh, c’est regrettable mais notre Hiérophante comprendra, soyez sans crainte. »
C’est ainsi que le haut magistrat Ragou, précédé de son guide, quitta le Hall d’audience pendant que des gardes soulevaient l’immense cage en argent retenant un faucon pèlerin qui toisait ses deux admirateurs d’un œil torve.
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« Je cherche un abri pour la nuit pour quelqu’un. Ça te va comme explication ? » rétorqua Yuri à son interlocutrice.
Il observa la propriétaire de la cabane faire une drôle de moue plutôt dubitative. Elle était encore sur ses gardes, n’ayant pas dématérialisé sa boule de feu.
« Quelqu’un ? Ce n’est donc pas pour toi ? C’est pour qui ? » interrogea-t-elle.
Yuri ne put répondre car au même instant, Repede surgit devant lui accompagné d’Estelle qui accourait en trottinant.
« Pour elle, si c’est possible. » présenta-t-il en la désignant du menton.
Avec un regard suspicieux, la jeune fille aux cheveux châtain se tourna vers l’étudiante en littérature. Au vu de son expression, le rebelle de Brave Vesperia comprit rapidement que ça n’allait pas. Un simple coup d’œil était plus suffisant pour constater qu’Estelle détonnait avec ses vêtements trop différents de ceux d’Akadia, sans compter ses cheveux roses. Lentement, il rapprocha sa main gauche de la garde de son sabre. Peut-être qu’un affrontement risquait d’être inévitable.
Ce qui effectivement ne tarda guère quand deux boules de feu foncèrent droit sur lui, explosant près de lui. Sans aucune hésitation, Yuri tira son sabre et s’interposa entre elle et Estelle pour protéger cette dernière de cette soupe-au-lait de manipulatrice de mana.
« Reste en arrière Estelle ! » ordonna-t-il. « Non mais ça ne va pas d’attaquer sans raison ! » ajouta-t-il à l’adresse de la propriétaire de la cabane.
« Je ne sais ni comment ni pourquoi mais tu es forcément lié à l’Ordre pour avoir ramené une habitante de l’autre monde ! » cria la fille aux cheveux châtain. « Je ne veux pas avoir affaire aux chiens de l’Ordre alors du balai ! »
Si Yuri fut dans un premier temps surpris par cette rage soudaine, il réalisa aussi rapidement quelque chose en entendant cette déclaration.
« Une minute ! Comment sais-tu pour l’existence de l’autre monde ? Seul l’Ordre est au courant de ça et même au sein de l’Ordre, il y en a qu’une poignée qui le sait. »
A ses paroles, son interlocutrice se mordit les lèvres, consciente d’avoir commis une erreur à cet instant précis.
« Ça, ce ne sont pas tes affaires ! » répliqua-t-elle.
Yuri n’eut besoin de la contempler que pendant une dizaine de secondes pour deviner la vérité.
« Tu étais autrefois un membre de l’Ordre, peut-être même un mage n’est-ce pas ? » questionna-t-il.
Il vit la mâchoire de celle aux cheveux châtain se crisper, ce qui lui fit penser que son affirmation devait être exacte. Elle paraissait de plus en plus mécontente ce qui se matérialisa quand des éclairs commencèrent à jaillir du bout de ses doigts. Au début, elle ne cherchait qu’à faire fuir des intrus mais le brun sentit que sa résolution avait changé. Cette fois, elle voulait sérieusement se battre.
« Là, tu commences vraiment à m’agacer ! Tu aboies trop pour un chien de l’Ordre ! » s’écria-t-elle en lui lançant un éclair.
Le brun réussit à esquiver l’attaque en se baissant et fit tournoyer sa lame. Il n’était jamais contre une bagarre mais son intuition lui disait qu’il réglerait plus rapidement ce gros malentendu en gardant son sang-froid.
« Moi, un chien de l’Ordre ? Je te mets au défi de trouver quelqu’un qui déteste plus cette organisation que moi ! » riposta-t-il. « Et je me trompe peut-être mais j’ai l’impression que je ne suis pas le seul à éprouver des griefs contre l’Ordre. »
En écoutant ses mots, son adversaire écarquilla brièvement ses yeux verts avant de stopper ses éclairs, cessant ainsi l’utilisation de magie. Toutefois, son regard demeurait méfiant et elle n’avait pas baissé sa garde. Elle avait gardé sa paume ouverte devant elle, le bras levé, prête à attaquer de nouveau si cela s’avérait nécessaire.
« Toi… tu n’es pas un membre de l’Ordre… » réalisa-t-elle.
« Bien sûr que non. Je ne fais pas partie de ces abrutis. J’appartiens à une organisation de rebelles. »
La mage parut réfléchir quelques minutes avant de dévisager longuement Estelle qui parut gêner sous le poids de son regard puisqu’elle baissa ses yeux. Yuri constata néanmoins que celle aux cheveux châtain semblait très intéressée par les cheveux roses de sa camarade d’infortune. Elle aussi devait avoir entendu les rumeurs et les légendes sur les êtres aux cheveux roses…
« C’est quoi ton nom ? » demanda-t-elle en reportant son attention sur Yuri.
« Yuri, Yuri Lowell. Mon compagnon à quatre pattes se nomme Repede. »
« Et je suis Estelle Swan. » dit l’étudiante en littérature d’une voix timide, intervenant ainsi pour la première fois dans la conversation.
« Tu viens bien de l’autre monde ? » interrogea la mage dont le ton trahissait une certaine curiosité propre aux personnes de science.
« Avant de poser les questions, le minimum serait que tu te présentes pour qu’elle sache à qui elle a affaire. » coupa Yuri, ce qui énerva la propriétaire de la cabane au vu de la moue qu’elle tirait.
« Rita Mordio. » répondit-elle de mauvaise grâce.
« J’étais en train de me demander ce que faisait un ancien mage de l’Ordre dans un tel coin paumé, isolé du monde. » poursuivit le brun. « Et au vu de ton précédent accueil, j’en conclus que tu n’as pas quitté l’Ordre dans les meilleurs termes. Tu t’es terrée dans cette cabane située dans une forêt redoutée pour te cacher de l’Ordre. Je me trompe ? »
« En partie. C’était aussi le seul lieu où je pouvais continuer mes recherches sans attirer l’attention des autres. » admit Rita en laissant pointer sa mauvaise humeur.
Un silence s’installa pendant quelques secondes. Repede s’était approché et humait prudemment la nouvelle venue mais l’attention de cette dernière se portait sur Yuri qu’elle observa plus attentivement que lors de son premier examen. Un éclair de compréhension apparut dans ses yeux verts.
« Attends un peu toi ! Tu es sous l’emprise de quelque chose ! Un puissant sort ou une malédiction ! » déclara-t-elle.
Cette fois, ce fut au tour de Yuri d’être surpris. La malédiction qui l’emprisonnait était effectivement puissante mais très peu parmi tous les utilisateurs de mana auraient pu la détecter d’un simple coup d’œil comme Rita venait de le faire. Pour s’en être aperçu aussi rapidement, cette fille devait avoir un niveau à peu près équivalent à celui de Garista, estimait le rebelle. Et le Cardinal était sans doute l’un des meilleurs manipulateurs de mana au sein de l’Ordre !
« Tu n’es pas n’importe qui… » commença Yuri mais soudain, il ressentit une vive douleur si intense qu’elle lui plia le dos.
Au même moment, Repede s’écarta de Rita et se mit à aboyer d’un ton pressant.
« Hé mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? » s’écria la mage aux cheveux châtain, détestant ne pas comprendre ce qui était en train de se passer.
« Tout le monde dans la cabane ! Ou je ne réponds plus de rien ! » hurla Yuri dont la voix trahissait une réelle panique.
Quelle erreur ! A cause de sa rencontre avec Rita, il avait oublié le temps qui s’écoulait et bien que les arbres dissimulaient l’horizon, il devina aisément que le soleil était en train de disparaître et que la nuit arrivait inexorablement…
« Oh non, Yuri est en train de se changer en loup ! » comprit Estelle. « Vite Rita, nous devons entrer dans ta maison ! »
Elle se dirigeait déjà vers la porte mais celle aux cheveux châtain fut plus lente à réagir, perdant de précieuses secondes.
« C’est un peu me forcer la main ! » râla la mage en fouillant à la hâte ses poches à la recherche de la clef de sa maison. « Dans d’autres circonstances… »
Un hurlement sauvage l’interrompit brutalement. Les deux jeunes filles étaient juste devant l’entrée de la maison mais la porte était encore close. Rita prit le risque de jeter un coup d’œil derrière elle et elle manqua de sursauter lorsqu’elle découvrit ce qui était advenu de Yuri.
A la place du brun, elle aperçut un énorme loup noir qui la toisait d’un air féroce, oreilles et queue dressées, gueule ouverte et crocs prêts à mordre. Ce qui était plutôt mauvais signe. Pour avoir vécu suffisamment de temps dans la forêt de Verdel, Rita savait que l’animal présentait toutes les caractéristiques d’un prédateur prêt à attaquer une proie. En l’occurrence, Estelle et elle… Pas bon du tout…
Heureusement, elle venait de mettre la main sur la lourde clef de sa porte. Mais il fallait maintenant gagner du temps pour pouvoir la tourner dans la serrure. Normalement, une mage hautement qualifiée comme Rita n’aurait jamais eu peur d’un simple loup mais elle devait reconnaître qu’avec sa fourrure d’un noir ténébreux, ses yeux dorés lui donnant une expression cruelle et sa taille inhabituelle, Yuri était vraiment effrayant dans sa forme animale. Toutefois, la mage ne céda pas à la panique. Elle remonta ses manches et donna la clef à Estelle.
« Ouvre vite la porte. Je me charge de lui pendant que tu t’en occupes ! Viens par ici sale bête ! » cria-t-elle.
Au moment où le loup s’apprêta à s’élancer et à bondir, Rita décocha une boule de feu qui atterrit pile devant les pattes du loup, stoppant ainsi net sa course, avant qu’il se mette à gronder de fureur. Ce fut le temps nécessaire pour qu’Estelle ouvre la porte et que les deux jeunes filles et Repede se précipitent à l’intérieur de la cabane avant de refermer l’entrée juste à temps, claquant le battant au nez de Yuri qui s’y cogna lourdement, l’assommant partiellement. Il tenta par la suite de pousser et de gratter avec ses griffes le bois de la porte mais celle-ci était trop épaisse pour être forcée ainsi. Il fut contraint de renoncer et après plusieurs minutes où chacune à l’intérieur de la cabane retenait sa respiration, elles furent soulagées d’entendre le loup s’éloigner de l’habitation.
Enfin en sécurité…
--§--
« Tu peux prendre un peu d’eau chaude si tu en as besoin. » dit Rita d’un ton bourru. « Prends une de mes tasses et sers-toi. Par contre, évite de toucher à mes livres. Je vais rallumer le feu pour que tu puisses te réchauffer. »
Pendant que la mage jetait quelques bûches dans sa cheminée, Estelle contemplait l’intérieur de la maison. Plutôt désordonnée, un vrai fouillis indescriptible : une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Sans aucun ordre apparent se mêlaient des piles de grimoires à la couverture de cuir éparpillés dans toute la cabane, des dizaines de pots en terre cuite contenant des poudres ou des plantes séchées, divers récipients de formes étranges tels des alambics, des ballons, des éprouvettes ou des tuyaux en forme de spirale, des pilons et des mortiers en vrac, des tuniques ou des chaussettes jetées un peu partout sur les livres, les tabourets et les tables entre autres. Dans un coin, Rita avait entreposé du bois, non loin de la cheminée dont les alentours immédiats étaient envahis par divers objets hétéroclites en équilibre précaire qui menaçaient de tomber dans l’âtre. Estelle apercevait également une sorte de hamac qui devait servir de lit, une armoire en bois massif qui aurait dû contenir ses vêtements – mais la mage avait détourné son usage en y entreposant des feuilles et de longs parchemins roulés contenant ses notes écrites – et un petit placard près d’une bassine d’eau sale vaguement couverte par une plaque de grill, qui devait plus ou moins correspondre au coin cuisine. La cabane avait un espace réduit et il était impossible de se déplacer sans marcher sur quelque chose. Ce qui ne semblait pas déranger outre mesure Rita qui était en train de se débarrasser de sa longue tunique élimée.
La mage portait un ensemble assez hétéroclite comprenant une tunique courte rouge avec de larges manches noires et des poches, une longue chaussette blanche qui lui couvrait la jambe et une autre plus courte en noir ainsi que deux chaussures d’aspect disparate : une botte courte sombre et une autre rouge rayée de jaune. Elle avait divers accessoires comme cette ceinture qui lui serrait la taille, ce ruban safran noué à son bras ou sa paire de lunettes ressemblant à celles des premiers aviateurs accrochée sur sa tête. Et puis elle portait sur elle de nombreux objets tels une loupe, un carnet, des crayons ou une petite plume blanche cassée. L’habillement original de Rita reflétait assez le désordre ambiant de sa maison…
Estelle était en train de servir de l’eau chaude dans deux tasses ébréchées lorsqu’elle aperçut la mage à quatre pattes devant son placard, qu’elle fouillait frénétiquement à la recherche de quelque chose.
« Rita, tu veux que je t’aide ? » proposa-t-elle.
« Humph ! Je regardais si on avait de quoi manger pour ce soir. Avec l’autre énergumène changé en loup qui rôde près de ma maison, je pense qu’on restera coincées un bon moment. Elles durent longtemps ses transformations ? »
« De ce que j’ai observé, Yuri reprend toujours sa forme humaine à l’aube. » répondit l’étudiante.
« Bon, je suppose que tout reviendra à la normale demain matin. »
Rita réussit à extirper de son fouillis une poêle, de la viande séchée, quelques œufs et un bocal contenant des baies sauvages. Estelle devina que la jeune fille était loin d’être un cordon bleu au vu de la façon dont elle jetait les aliments sur la poêle sans se soucier si les goûts étaient compatibles.
« Attends, je vais t’aider pour le repas. » intervint-elle.
L’étudiante avait souvent aidé ses parents adoptifs à faire la cuisine. Elle réussit à dénicher un couteau et l’aiguisa du mieux qu’elle le put avant de découper la viande en tranches. Puis ayant repéré quelques navets sauvages dans le garde-manger de Rita, elle les éplucha soigneusement, les coupa en dés avant de les jeter à la poêle. Cela aurait été mieux si elle avait eu de l’huile ou du beurre pour les faire sauter mais manger ne semblait pas la préoccupation majeure de la mage. Avec le grill et le feu de cheminée, Estelle réussit à préparer un repas correct. Certes, les œufs et la viande n’étaient pas cuits à la perfection – tantôt trop crus, tantôt carbonisés par endroits – et les navets manquaient de saveur mais lorsque Rita prit son assiette et avala sa première bouchée, elle décréta qu’il s’agissait sans aucun doute de son meilleur repas depuis plusieurs mois et elle ne put s’empêcher de prendre plusieurs bouchées successives.
« C’est vraiment bon. » félicita Rita la bouche pleine. « Tu n’es pas mauvaise du tout… Estelle. C’est bien ça ton prénom ? »
« Oui mais ce n’est rien. C’est tout ce que je pouvais faire pour te remercier de m’abriter pour cette nuit. »
En mangeant, Estelle ne pouvait s’empêcher de songer à tout ce qui lui était arrivée depuis sa rencontre avec Yuri, en particulier cette journée. Tout s’était passé si vite ! Il y avait eu tellement d’événements qu’elle avait du mal à faire la part des choses. Elle avait peine à réaliser que ses pieds foulaient un autre monde, une autre Terre. Elle se trouvait à Akadia, le monde de Yuri si différent du sien et elle se sentait dépaysée. Elle chercha Repede du regard. L’animal était couché aux pieds de Rita, mordillant sa pipe en fermant son œil valide. Apparemment, en dépit de ce que disait Yuri, Repede semblait avoir certaines préférences dans les personnes qu’il rencontrait…
Puis elle se remémora l’événement le plus tragique de la journée : la mort de son père adoptif. Oh pourquoi Seigneur, pourquoi la Faucheuse l’avait donc frappé ? Lui qui était si bon et généreux. Elle n’avait même pas eu le temps de lui faire ses adieux, de faire son deuil pour passer à autre chose. Et sa mère ? Comment allait-elle ? Comment allait-elle réagir avec sa disparition quand elle reprendrait conscience ?
Pourquoi s’était-elle retrouvée embarquée dans une telle histoire qui la dépassait ?
Rita dut sentir que quelque chose la tracassait car elle demanda avec une expression neutre :
« Comment t’es-tu retrouvée dans ce monde ? »
« Après qu’un assassin a tué mon père, j’y ai été traînée de force. On ne peut pas dire que j’ai vraiment eu le choix… C’est mon premier jour et je n’ai pas commencé mon séjour sous les meilleurs auspices. » murmura Estelle.
« Je vois… » dit Rita qui parut sympathiser à sa cause en apprenant le décès de son parent. « C’est cet idiot de maudit qui t’a traîné ici ? J’aurais deux mots à lui dire demain lorsqu’il aura repris sa forme humaine ! »
Estelle ne répondit pas. Rita semblait vouloir ajouter quelque chose d’autre avant de se raviser et de baisser le regard en direction de son assiette, une mine morose sur le visage. Estelle reprit néanmoins la conversation : elle voulait en savoir plus sur l’ancienne mage de l’Ordre. Le silence l’enfermait dans des souvenirs pénibles et au moins, quand elle parlait, elle ne remuait pas de sombres pensées au sujet de son père.
« Dis-moi Rita, cela fait longtemps que tu vis seule dans cette maison ? »
« Depuis que j’ai quitté l’Ordre. Je me suis réfugiée ici car je savais qu’on ne me trouverait pas. Au moins ici, je n’ai pas à subir son sourire plein d’autosatisfaction. » répondit-elle en faisant une grimace.
Elle parlait visiblement de l’une de ses connaissances qui ne lui évoquait pas de bons souvenirs mais Estelle ne voyait pas de qui il s’agissait.
« Mais tu ne te sens pas seule ? N’as-tu pas de famille ou d’amis ? » interrogea l’étudiante.
« Je n’ai jamais connu mes parents. Quant aux amis… on ne peut pas vraiment dire que j’en ai. Mes collègues mages n’appréciaient pas mes idées "hérétiques" comme ils disaient. Personne d’ailleurs et tout le monde me le faisait bien comprendre d’une manière que je n’ai pas appréciée. Quoique… peut-être que… mais je doute de le revoir… C’était le seul type un minimum décent pourtant… »
Une nouvelle fois, Estelle ne voyait pas de qui elle parlait mais soudain, un bâillement échappa de ses lèvres. Rita l’examina d’un œil circonspect.
« Toi, tu m’as l’air fatiguée. Tu ferais mieux de dormir. Tu n’as qu’à prendre mon hamac. J’ai des recherches à faire de toute façon alors je préfère que tu ne sois pas entre mes pattes. Mais faudra pas te plaindre du bruit ! »
Après avoir ramassé, lavé et essuyé la vaisselle puis remercié la mage pour son hospitalité, Estelle s’allongea, se calfeutra dans le hamac et ferma ses paupières pendant que Rita était en train de fouiller ses étagères à la recherche de certains volumes…
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« Que dis-tu ? Il a failli s’évader ? »
« Les chevaliers qui s’occupaient de lui se sont relâchés et se sont montrés négligents. Je vous promets que des sanctions seront prises contre eux. Il a également profité du fait que nous recevions le haut magistrat Ragou. Tout le monde avait plus son attention sur notre invité que sur d’éventuels dysfonctionnements qui sortaient de l’ordinaire. Nous avons eu de la chance qu’une jeune recrue l’ait aperçu et qu’elle se soit doutée de quelque chose avant de donner rapidement l’alerte. Nous l’avons rattrapé à temps. »
« Tant mieux. Où est-il à présent ? »
« J’ai ordonné qu’il soit conduit à votre antichambre. J’ai pensé que vous voudriez le voir en personne après sa tentative d’évasion. »
« Il est vrai que j’ai hâte de retrouver ce garçon après toutes ces années. Plus de deux ans, n’est-ce pas ? Amène-le dans ma chambre Garista. Je pense qu’il est grand temps de lui offrir un bon accueil pour fêter son retour… »
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Non ! Comment avait-il pu échouer si près du but ? Comment avait-il pu rater une chance pareille ? Si ce jeune chevalier n’avait pas donné l’alerte, la garde rapprochée du Hiérophante ne lui aurait pas mis la main dessus. Il aurait réussi à s’enfuir ! Mais désormais, tous ses espoirs étaient réduits à néant. On allait redoubler de vigilance dans sa surveillance. Une telle occasion ne se représenterait jamais deux fois.
Trois chevaliers le traînaient de force à présent vers une destination qu’eux seuls connaissaient en dépit de sa résistance. Il eut toutefois un haut-le-cœur quand il reconnut l’endroit où on l’emmenait : l’antichambre du Hiérophante. Ce qui signifiait qu’une chose : il allait le revoir…
Il frémit intérieurement. Il n’était pas un lâche mais c’était un face-à-face qu’il redoutait après toutes ces années…
Lorsqu’il pénétra dans l’antichambre, il ne fut guère surpris d’apercevoir le Cardinal Garista qui arborait un sourire satisfait en le voyant poings liés et maîtrisé par les hommes armés de l’Ordre. Il ne put s’empêcher de lui jeter un regard haineux.
« Manifestement, il semble que vous n’ayez pas profité du temps que l’on vous a accordé pour réfléchir à votre trahison. Dommage. Il aurait tellement été plus préférable que vous commenciez à vous repentir de vos récentes actions. » commenta Garista en le toisant du regard.
Il dédaigna répondre mais les geôliers, mécontents de son comportement, le forcèrent à s’agenouiller et à baisser la tête devant le Cardinal. Comme il opposait de la résistance, on lui donna un violent coup de pied derrière, le contraignant à obéir.
« Cela suffit. » commanda Garista. « Détachez-le et restez ici. Son Excellence souhaite le voir seul. »
Il se tourna ensuite vers lui.
« J’espère que vous comprenez ce que cela signifie Flynn. Toute tentative de votre part serait inconsidérée. Oubliez toute envie de fuir, c’est inutile. Vous ne parviendrez pas à vous échapper. Entrez sans faire d’histoire à présent. Le Hiérophante vous attend. »
Le blond obtempéra. Il n’avait vraiment pas le choix. Et puis comme le disait Garista, il fallait être stupide, fou ou inconsidéré pour essayer quoi que ce soit en présence du Hiérophante de l’Ordre. Ou s’appeler Zagi mais ceci était une autre histoire…
Il pénétra dans la chambre. Celle-ci n’avait guère changé depuis sa dernière visite avec ses murs immaculés drapés de rideaux rouges et or pour donner une impression de chaleur ou cet immense tapis aux motifs floraux de forme circulaire qui évitait de marcher sur un sol froid. Flynn reconnut le petit bureau personnel en bois de cerisier du Hiérophante quand il voulait travailler sur une tâche de longue haleine, un minuscule placard contenant divers préparations médicinales et quelques bons vins, le lit en chêne massif, la bibliothèque refermant sa collection privée, la cheminée où il entrevoyait les divers symboles de spiritualité religieuse en bas-reliefs ainsi que l’autel encadré par deux cierges blancs et un encensoir près duquel le Hiérophante était en train d’offrir ses prières.
« Gloire à toi Seigneur Zehaal, maître de la Lumière. Permets à ton humble serviteur d’offrir sa dévotion et de te remercier pour ce jour. »
Alors le voilà. Il n’avait pas beaucoup changé depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Ses cheveux gris, ce visage marqué à l’expression sévère toujours aussi charismatique, ses gestes qui pouvaient se montrer tantôt maniérés, tantôt brusques et décidés. Il portait toujours sa longue tunique blanche où se mêlaient le rouge et l’or, habit simple qui semblait pourtant luxueux tant les couleurs étaient chatoyantes et fraîches. Sans doute sentit-il le poids de son regard céruléen car soudain, il se tourna vers lui, le fixant avec une expression dure. Flynn se figea. A l’inverse de Yuri qui ne dissimulait pas sa haine, ses sentiments à lui étaient beaucoup plus contrastés et incertains envers le chef suprême de l’Ordre. De l’amertume entremêlée de restes d’affection et d’admiration, voilà ce qui pouvait décrire le mieux ce qu’il ressentait.
Car l’homme qui se tenait devant lui, le chef de l’organisation contre laquelle il luttait depuis qu’il avait déserté les rangs de l’Ordre… était aussi l’homme qui l’avait plus ou moins élevé, qui lui avait appris tout ce qu’il savait et dont il était autrefois l’élève favori…
Après plus de deux ans d’absence, il se retrouvait de nouveau face à Alexei Dinoia, l’actuel Hiérophante de l’Ordre…
« Bonsoir Flynn, cela faisait longtemps. Je suis content de te revoir après toutes ces années. Comment te portes-tu ? Je me suis souvent inquiété pour toi. » demanda le Hiérophante d’une voix affable.
Mais le blond garda le silence.
« Tu m’as néanmoins l’air en bonne santé après cette longue errance dans le monde avec ce cher Yuri. » poursuivit Alexei. « Je suis heureux que tu aies enfin décidé de rentrer. »
Puis sa voix se fit plus dure.
« Par contre, je ne sais si je dois te complimenter ou te punir pour cette stupide tentative de fuite que tu viens de faire quelques heures plus tôt même si je dois reconnaître que tu as su tirer parti des circonstances et de ton ingéniosité ! A croire que l’obstination de Yuri Lowell a déteint sur toi ! »
« Ne parlez pas ainsi de lui ! » répliqua Flynn avec colère.
Il y eut un moment de silence. Puis le Hiérophante reprit la conversation.
« Je te l’avouerai Flynn que j’ai été très déçu et affecté par ta trahison quand tu as quitté l’Ordre comme un vulgaire déserteur. Tu as été mon meilleur élève et en terme de talent, il n’y a quasiment personne qui ne t’égale parmi nos plus récentes recrues. Cet imbécile de Cumore a beau dire mais il ne t’arrive pas à la cheville ! Comment as-tu trahir l’Ordre qui était comme ta famille, tes camarades qui étaient comme des frères ? Comment as-tu pu trahir leur confiance, comment as-tu pu me trahir ? »
« Non, vous m’avez trahi le premier en me cachant vos véritables intentions ! Je vous vouais une immense admiration et vous m’avez trahi quand vous avez fait semblant d’accepter ma décision de ne pas prononcer mes vœux ! » répliqua Flynn. « Et après, Yuri… » ajouta-t-il avant de changer le cours de ses paroles. « Peu m’importe ce que vous m’infligez, je l’ai sans doute mérité. Mais Yuri n’était pas obligé de subir tout ça ! »
« Il t’a détourné de la voie de l’Ordre ! N’est-ce pas un grave péché de sa part qu’il doit expier ? » tonna Alexei avant de reprendre d’un ton plus calme. « Cela étant dit, comment se porte-t-il, ce cher Yuri ? Bien, je l’espère. Quoique d’après les dernières nouvelles que j’ai obtenues, il aurait reçu une vilaine blessure au ventre… »
Flynn pâlit lorsqu’il entendit les mots du Hiérophante avant de s’effondrer par terre. Ô Zehaal, pourvu que Yuri…
« Oh ? Ai-je touché un point sensible ? » remarqua faussement son ancien mentor avant de se rapprocher de lui. « Tes sentiments pour lui étaient donc si forts ? Si tu l’aimais vraiment, tu aurais toi-même mis fin à ses souffrances Flynn. Tu sais ce que tu aurais dû faire, ce que tu peux encore faire. »
Mais le blond se montra incapable de répondre ou de réagir. Alexei se baissa alors et en profita pour l’envelopper dans ses bras comme auparavant pendant son enfance, lorsqu’il était encore un petit garçon.
« Flynn, mon pauvre enfant égaré… » murmura le Hiérophante à son oreille. « Ne t’inquiète pas, je te sauverai de ses griffes ensorcelantes. Tu sais que je t’accueillerai toujours à bras ouverts, si lourds soient tes péchés. Une fois tes fautes expiées, tu pourras reprendre ta vie au sein de l’Ordre, prier et dédier ta vie à Zehaal en restant auprès de moi comme tu l’as toujours souhaité. Et alors, tu redeviendras un gentil garçon obéissant comme tu l’as toujours été avant que tu ne croises le chemin de ce Yuri Lowell. »
Lorsqu’il entendit les derniers mots d’Alexei, Flynn se senti envahi par une immense lassitude et une forte envie de dormir avant qu’il réalise trop tard que son ancien mentor avait profité de leur contact rapproché pour lui jeter un sort. Au moment même où il songea à réagir, ses paupières se refermèrent brutalement et il perdit aussitôt conscience…
--§--
« Je vous l’avais dit qu’il ne reviendrait jamais de son plein gré dans l’Ordre. Ce n’était pourtant pas une mauvaise idée d’essayer de réveiller les vieux souvenirs heureux mais j’aurais été surpris s’il était revenu aussi promptement à cause de ça. »
« Oui, tu avais raison. Il est vraiment trop obstiné. J’aurais préféré qu’il se joigne de lui-même à nos idéaux mais c’était vraiment une utopie que d’espérer cela. Ramène-le dans sa prison et cette fois, qu’il ne s’échappe pas ! Après tout, tu sais très bien que ce garçon est essentiel à nos plans… »
The Curse of Twilight - Chapitre 3
Apr. 11th, 2015 05:29 pmNote : Oui, il a tardé… Voilà enfin le chapitre 3 !
Chapitre 3 : Départ précipité
Le croassement matinal d’un corbeau fut la cause de l’éveil précoce d’Estelle. Ouvrant à grand-peine ses yeux engourdis par le sommeil, la jeune femme put constater de sa fenêtre que l’aube pointait à l’horizon. Recroquevillé dans un coin, Repede continuait à dormir comme un bienheureux, se préoccupant nullement de son intrusion dans la chambre de l’étudiante. Cette dernière s’étira puis se leva, s’efforçant de se remémorer pourquoi elle s’était endormie toute habillée.
Les événements commençaient progressivement à lui revenir en mémoire. L’attaque de cet assassin psychopathe aux cheveux bicolores – son nom était Zagi si elle se souvenait bien –, le combat entre lui et Yuri, la fuite précipitée, le début de la métamorphose en loup et… la séquestration de Yuri dans la cave ! A cette heure, il devait avoir récupéré sa forme humaine.
Soudainement plus réveillée, elle se recoiffa à la hâte en passant sa main dans ses cheveux et se hâta vers la cave où elle prit néanmoins la précaution de tapoter doucement contre la porte avant de l’ouvrir :
« Yuri ! Yuri, tu es réveillé ? C’est moi, Estelle. » dit l’étudiante à voix basse.
Pendant un court instant, il n’y eut aucune réaction. Puis brusquement, la jeune femme entendit et vit qu’on tambourinait vivement la porte de l’intérieur. Dans le même temps, la voix de Yuri s’élevait :
« Estelle ? Fais-moi vite sortir d’ici ! »
La jeune Swan ne put s’empêcher de constater une sorte d’impatience désespérée dans le ton de cet étranger d’un autre monde. Sans doute les événements de la veille y étaient pour quelque chose. Elle se dépêcha donc d’ouvrir la porte de la cave.
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A peine Yuri avait-il repris sa conscience humaine puis s’être remémoré les derniers incidents avec Zagi qu’il se redressa en vitesse avant de lâcher une grimace de douleur. Le sol de la cave était dur – ce qui avait rendu son sommeil peu confortable et agréable –, encombré par un ensemble d’objets hétéroclites de tailles diverses que le brun ne cessait de heurter sans le vouloir car la lumière était absente dans cette pièce et il était comme aveugle dans cette obscurité. Mais il ne s’attarda guère sur son sort. Non, il avait plus urgent à faire désormais. C’était décidé : il retournerait au plus vite dans son monde, aujourd’hui même dans l’idéal et il prendrait la première personne capable d’utiliser le mana qu’elle soit consentante ou non, quitte à la traîner de force ou à l’assommer avec la garde de son katana ou un bon coup de poing si besoin pour qu’elle réalise cette maudite Prophétie. Car non seulement il avait l’Ordre et ce cinglé de Zagi collés à ses trousses mais le pire, c’était que Flynn avait été fait prisonnier par cette fichue organisation. Ce qui signifiait qu’il subissait toutes les punitions qu’on lui infligeait, supporter la présence venimeuse et nauséabonde de Garista ou de Cumore et être entre les mains de cet homme, celui que Yuri ne pouvait s’empêcher de haïr par-dessus tout. Lui, le responsable de tout ce chaos, qu’allait-il faire maintenant qu’il avait Flynn en son pouvoir ? Hors de question de lui laisser le blond ! Il allait le lui reprendre, dusse-t-il être contraint de démolir le quartier général de l’Ordre jusqu’à la dernière pierre s’il le fallait ! Jamais il n’aurait dû quitter Flynn ou même être d’accord avec ce plan. Il eut un pincement au cœur en songeant au sort actuel de celui aux yeux azur. Souffrait-il, était-il malmené par ses tortionnaires ? Il était également inquiet pour Judith, Karol et les autres rebelles de Brave Vesperia : que leur était-il arrivé après son départ pour le monde d’Estelle ?
Il entendit alors la voix de la jeune femme, ce qui l’autorisa à se frayer un chemin jusqu’au petit escalier – dans le noir, il trébucha assez violemment contre les marches –, le monta à quatre pattes avant de tambouriner contre la porte. Estelle ne tarda pas à lui ouvrir la porte mais à peine ses yeux gris commencèrent-ils à s’acclimater aux lueurs de l’aurore qu’il eut un violent choc en constatant un changement physique frappant chez sa jeune guide de ce monde étrange : ses cheveux, auparavant blonds, étaient devenus roses… Yuri ne put cacher sa stupeur.
« Estelle ! Tes cheveux ! Ils… »
« Qu’il y a-t-il ? Qu’est-ce qu’il y a avec mes cheveux ? » s’affola un peu trop vite l’étudiante.
Elle devait avoir un peu les nerfs à vif avec tout ce qui s’était passé récemment dans sa vie mais l’épéiste ne pouvait pas lui en vouloir. Son irruption dans sa maison, sa métamorphose en loup et surtout ce taré de Zagi… Pas étonnant qu’elle réagisse ainsi.
« Calme-toi, c’est juste que leur couleur ont changé par rapport à la dernière fois que je t’ai vu. Ils sont… roses maintenant. »
« Quoi ? » s’exclama-t-elle, surprise.
« Il semble que tu n’étais pas au courant. Tu devrais te regarder dans un miroir pour voir. »
L’étudiante se hâta alors vers sa chambre, Yuri la suivant plus calmement. Il jetait un coup d’œil aux alentours dans l’espoir de repérer Repede mais ne l’aperçut pas.
Quand il pénétra dans la chambre d’Estelle, il retrouva son fidèle compagnon canin qui se redressa d’un bond avant de se précipiter vers lui pour l’accueillir ainsi que sa guide, occupée à contempler sous tous les angles ses cheveux dont la couleur avait changé. Ses yeux verts écarquillés exprimaient clairement sa stupéfaction.
« Incroyable, de la pointe jusqu’à la racine… » murmurait-elle. « Je n’en aurais jamais cru mes yeux si ce n’était pas toi qui me l’avais dit. Ils ont changé… comme par magie ! »
« Repede peut aussi te dire que tes cheveux sont bien devenus roses si tu as besoin d’un autre témoin. »
L’animal confirma par un bref aboiement sonore. Son propriétaire fronça les sourcils.
« Visiblement, ce n’est pas toi qui as modifié la teinte de tes cheveux vu ta réaction. Alors comment… » interrogea-t-il avant d’apercevoir brusquement sur le lit d’Estelle la toile dépliée de son baluchon.
« Où est passé mon gant ? »
« Hmm, désolée… J’ai fouillé dans tes affaires… » fit l’étudiante en littérature d’une voix contrite tout en se mordillant les lèvres. « Il y avait une étrange lumière et… »
Yuri, plutôt préoccupé par la disparition de son gant, mit un certain temps avant de bien saisir les paroles d’Estelle.
« Il ne doit pas être bien loin. » marmonna-t-il en s’approchant du lit. « Repede, tu ne l’aurais pas… Attends, tu as parlé d’une lumière ? » réalisa-t-il brutalement.
« Oui. Ton baluchon émettait une lumière intense et je n’ai pu m’empêcher de l’ouvrir pour savoir ce que c’était. » répondit la jeune femme aux cheveux roses sur un ton d’excuse. « Et j’ai découvert le bracelet et le gant. Pardonne-moi ma curiosité mais… »
Il eut un geste nonchalant avec sa main et haussa les épaules.
« Ce n’est pas grave. A vrai dire, je pense que j’aurai fait la même chose à ta place. Mais j’aimerais retrouver mon gant. J’y tiens beaucoup. » répondit-il pendant qu’il examinait le sol.
« Il a peut-être glissé sous le lit. » suggéra Estelle et Yuri réagit aussitôt en allongeant son bras pour palper sous le meuble. « Je croyais pourtant que le bracelet serait plus important. » ajouta-t-elle en examinant son poignet d’un air perplexe. « Je n’y connais rien mais il semble plutôt de grande valeur. »
« Une babiole, rien de plus. » répliqua le brun. « Je l’ai emmené juste pour m’aider dans ma mission, pour détecter un manipulateur de mana. Il est peut-être précieux pour la plupart des gens mais le gant a bien plus de valeur pour moi. Ah, je crois que je l’ai… » fit-il soudain.
Il sortit une main couverte de moutons de poussière mais il avait ce qu’il cherchait c’est-à-dire son gant en cuir dont la surface était éraflée. Instinctivement, il le serra brièvement contre sa poitrine avant de reprendre son morceau de toile pour l’envelopper.
« Yuri, pour ce qui est du bracelet… Je voulais juste l’essayer et… »
« C’est pour ça qu’il est à ton poignet ? » demanda l’intéressé en haussant un sourcil.
« Oui. Rassure-toi, je ne voulais pas te voler. Mais après l’avoir essayé, une lumière intense a jailli du bracelet puis après… plus rien. Je ne me souviens pas de ce qui s’est passé… »
« Attends, une lumière dis-tu ? Raconte-moi ce qui s’est passé après ma transformation en loup. »
Une fois qu’Estelle avait terminé son récit, Yuri la scrutait d’un œil songeur. Flûte ! Si le bracelet avait réagi en sa présence et surtout avec une telle intensité, cela signifiait non seulement qu’elle était une manipulatrice de mana mais qu’en plus, elle disposait d’un excellent potentiel en la matière. Le changement de la couleur de ses cheveux restait néanmoins un mystère pour lui mais il pensait que le bracelet et l’afflux de mana qu’elle avait dû subir pouvait être une des causes. Si Flynn, Judith ou Raven avaient été là, peut-être auraient-ils pu les éclairer sur le sujet. Toutefois, il avait comme une intuition, un pressentiment… Car dans son monde, il avait vaguement entendu parler d’êtres aux cheveux naturellement roses – et dans le même temps, il ne voulait pas y croire car ce cinglé de Zagi entrait également dans cette catégorie – mais… comment cela pouvait-il être possible pour une fille qui n’était pas de son monde ? Cependant, malgré les mésaventures d’Estelle, il n’avait pas perdu son objectif principal soit de ramener une personne de ce monde mais que ce soit Estelle, celle qui l’avait sauvé et guidé… Le hasard, le destin – peu importe– était bien ironique et bien qu’il était pressé de regagner son monde pour sauver Flynn, Yuri était bien conscient qu’entraîner cette jeune fille chez lui et la couper de sa famille et ses amis, loin des siens, ressemblait à de l’ingratitude ou à de la trahison.
Que faire à présent ? Sans le savoir, en essayant ce bracelet en toute innocence, mademoiselle Swan s’était fourrée dans le pire des pétrins. Zagi et l’Ordre ne tarderaient pas à savoir qu’elle pouvait convenir à la Prophétie, surtout si ce qu’on racontait sur les êtres aux cheveux roses était vrai, et elle serait traquée et pourchassée, elle, ses parents et ses amis si elle en avait. L’Ordre ne prendrait jamais le risque que la Prophétie se réalise et surtout de laisser en vie une menace potentielle. De plus, Zagi l’avait vue avec lui et ce fou furieux l’associerait désormais comme "moyen" pour retrouver sa trace. Il se souvenait que trop bien de ce qui s’était passé lors de l’une de ses fuites lorsque pour échapper à une patrouille de chevaliers de l’Ordre, un couple de pauvres mais courageux paysans l’avaient caché pendant une heure chez eux avant qu’il ne trouve l’occasion de quitter la ville. Quelques jours plus tard, le danger étant écarté, Yuri était revenu pour les remercier proprement mais il ne retrouva dans la demeure que deux corps ensanglantés gisants sur le sol, cadavres froids depuis au moins cinq jours. Vu le désordre, l’état des corps et les blessures dont il reconnut aisément celui qui les avaient infligées, le brun n’avait eu aucune peine à reconstituer la scène : Zagi avait réussi à retrouver sa piste jusqu’à cette maison puis avait torturé les propriétaires pour en tirer la moindre information qui aurait pu lui permettre de poursuivre sa traque avant de les tuer cruellement une fois que ces malheureux gens ne lui étaient plus utiles. Et maintenant, voilà qu’Estelle mais aussi ses parents adoptifs se retrouvaient dans une situation similaire…
Pourtant, il lui fallait agir et vite ! Il avait certes laissé une blessure importante à l’assassin de l’Ordre mais le connaissant, il reviendrait rapidement à la charge. Cela n’allait être qu’une question de temps avant qu’il ne le retrouve. Yuri devait au moins admettre ceci : Zagi avait un véritable talent quand il s’agissait de le trouver. Maintenant, il allait devoir trouver les bons mots pour expliquer tous les ennuis nombreux et variés qui n’allaient pas tarder à arriver, sans compter qu’avec Flynn capturé, tous ses plans en étaient chamboulés.
Finalement, il prit son parti. Il décida de se donner un peu de temps de réflexion, le temps qu’il lui faudrait pour trouver un Portail pour le ramener dans son monde car de toute manière, impossible de ramener quelqu’un sans le chemin du retour ouvert.
Il se leva du lit de la jeune étudiante et lui rappela, sans la regarder, pendant que son visage était tourné vers la sortie :
« Tu sais, je devais ramener une personne de ton monde, un manipulateur de mana. Si le bracelet a réagi ainsi, c’est parce que tu réponds à toutes les conditions. »
Il s’interrompit quelques secondes avant de baisser légèrement la tête, le regard sombre.
« Je dois admettre que je m’attendais pas à ce que ce soit toi. Je suis reconnaissant pour tout ce que tu as fait mais… je n’ai vraiment plus le choix. L’Ordre a Flynn. Je dois impérativement ramener une personne de ce monde… même si ça doit être toi… »
En entendant cela, Estelle ouvrit de grands yeux et s’apprêta à protester mais Yuri ne lui laissa pas le temps.
« Je le sais… les problèmes de mon monde ne sont pas les tiens et t’emmener de force serait la pire des ingratitudes mais sache une chose : l’Ordre connaît l’existence de ce monde. J’ignore si l’inverse est vrai mais une fois qu’ils en auront fini avec Akadia, ce sera au tour du tien de subir leur domination. Le dire ainsi peut donner l’impression que je te force la main mais c’est la vérité. »
« Akadia ? » demanda la jeune femme en levant des yeux interrogateurs.
« C’est ainsi qu’on nomme mon monde. »
Il poussa un soupir puis reprit la parole :
« Rends-moi le bracelet. Peut-être qu’en chemin, j’en trouverai un autre qui fera l’affaire. Repede ! »
L’animal se dressa aussitôt sur ses pattes avant de suivre son propriétaire. Lorsque Yuri franchit la porte, il s’arrêta une dernière pour prononcer ces mots :
« Je déteste cette situation mais si je ne trouve personne d’autre, c’est toi que j’emmène à Akadia pour sauver Flynn. »
Sur ses dernières paroles, le brun claqua la porte de la chambre d’Estelle.
--§--
Il ne savait pas vraiment comment il s’était trouvé à marcher sur les trottoirs, dans les rues de la ville, accompagné seulement du loyal Repede. Sans la compagnie d’Estelle pour le guider, il avait l’impression d’évoluer dans un univers froid et hostile. Parfois, il avait l’impression d’être devenu invisible comme les gens de ce monde passaient sans lui prêter attention, malgré le katana qu’il tenait dans sa main mais qu’il avait pris soin d’envelopper dans un vieux morceau de tissu. Il marchait, parfois se rappelant qu’il devait trouver un Portail, parfois avec l’idée de retrouver un autre manipulateur de mana lorsqu’il glissait de temps à autre sa main dans sa poche pour vérifier la présence du bracelet ou parfois même sans aucun objectif précis en tête.
Il pensait aux derniers événements de la veille, surtout à Flynn, et son cœur se serrait douloureusement pendant qu’il sombrait dans le doute et l’angoisse. Capturé par l’Ordre… Comment quelqu’un de si prudent et méthodique pouvait-il se faire prendre ainsi par ceux qui voulaient le plus lui mettre la main dessus ? Son instinct lui soufflait que pour une raison ou une autre, Flynn avait dû agir inconsidérément et très stupidement pour se retrouver dans cette situation. Enfin, il verrait ça avec lui quand il le retrouverait. Car évidemment, il allait le retrouver !
Après plusieurs heures d’errance – le soleil avait entamé une bonne partie de sa course céleste et on devait s’approcher du début de l’après-midi –, Repede aboya soudain pour le tirer de ses pensées. Sursautant mentalement, il plongea la main dans sa poche pour jeter un coup d’œil à son bracelet. Il fut surpris de constater que le bijou s’était illuminé, signe qu’il réagissait à quelque chose.
« Il se passe quelque chose… » murmura le brun pour lui-même. « Voyons où cela nous mène Repede. »
Son pas s’accéléra pour marcher beaucoup plus vite mais les rues qu’il traversait lui paraissaient étrangement familières. Il en comprit la raison quand son chemin le mena juste devant l’église et son parc, l’endroit où il avait affronté ce taré de Zagi.
Yuri n’aperçut personne aux alentours et vérifia bien qu’il n’y avait aucune présence sur les toits. Puis il examina de nouveau son bracelet. L’artefact le guidait vers l’arrière de l’église, dans une sorte d’abri-jardin où, dans une vieille cabane, on entreposait divers outils pour le jardinage. On y allait à travers un passage étroit formé entre l’église et le mur du parc, passage plutôt sombre et humide d’ailleurs car peu exposé à la lumière du soleil.
Le brun demeura quelque peu perplexe, ne comprenant pas où le bracelet voulait l’emmener car ce coin était désert. Puis, observant négligemment le sol du passage mal entretenu où les dalles commençaient à se déloger pour laisser pousser de la mauvaise herbe, il remarqua soudain un éclat lumineux qui l’intrigua. Repede se mit alors à aboyer puis se précipita vers l’endroit qui avait attisé son attention.
« Toi aussi, tu l’as vu ? » demanda Yuri à son fidèle compagnon canin.
Il sortit à nouveau son bracelet pour constater que le joyau de l’artefact était devenu iridescent avant d’émettre un fin rai de lumière qui s’orientait droit devant lui. Au même moment, l’éclat qu’il avait auparavant entrevu se remit à briller et Yuri aperçut alors comme une sorte de fissure qui déchirait l’air, étincelant de plus en plus au fur et à mesure qu’il approchait le bracelet. Mais dès qu’il éloignait l’objet de cette fissure, elle perdait de son éclat et redevenait invisible comme si elle n’avait jamais été là. C’était un étrange phénomène que cette brisure suspendue en l’air, immobile, qui donnait l’impression d’une déchirure du tissu de ce monde et qui aurait intrigué et affolé tous les scientifiques du monde tant il était un fait non rationnel. Mais pour Yuri venant du monde d’Akadia, il inspira un sentiment d’espoir et d’excitation. Il avait trouvé ce qu’il cherchait : un Portail pour le ramener à son monde. Et peut-être celui que Zagi avait emprunté pour le traquer, ce qui pouvait expliquer sa présence sur les lieux au moment de son attaque.
Faisant demi-tour, il passa devant l’entrée de l’église à l’instant même où sa cloche se mit en branle pour faire résonner son puissant carillon. Surpris, Yuri s’arrêta brusquement avant de contempler le parvis de l’église. Quelque chose lui revenait en mémoire.
C’est là qu’on m’a trouvée…
Estelle s’était affirmée abandonnée devant cette église qui se trouvait curieusement à proximité d’un Portail menant à Akadia. Et sous l’influence du mana, ses cheveux étaient devenus roses, ce qui lui avait rappelé une légende de son monde à propos de créatures possédant cette même caractéristique… Drôle de coïncidence… Sauf s’il n’en s’agissait pas d’une…
Et si en réalité, Estelle était…
Yuri stoppa brutalement le cours de sa réflexion avant de faire volte-face et de se précipiter en direction de la maison d’Estelle. Depuis le début de cette journée, pour la première fois, il avait écarté ses soucis à propos de Flynn. Le soleil était encore haut dans le ciel pour ne pas risquer une soudaine métamorphose en loup. Une idée un peu folle lui était venu à l’esprit mais il devait absolument retrouver Estelle et ses parents pour la confirmer. Il en courait presque à perdre haleine, Repede sur ses talons suivant son rythme effréné.
Il parvint enfin à sa destination et au lieu de frapper, il ouvrit à la porte avant d’appeler :
« Estelle ? »
Mais ce fut un cri perçant, totalement terrorisé, qui vint à ses oreilles. Yuri se figea une fraction avant de déballer puis de dégainer son sabre avant d’entendre résonner un rire de fou hystérique qui lui était beaucoup trop familier…
La voix paniquée d’Estelle – distincte mais tremblante – s’éleva du salon. L’étudiante avait entendu son appel.
« Yu… Yuri ! L’assassin… l’assassin est… »
Il n’en fallait pas plus pour que le brun comprenne que ce cinglé de Zagi avait retrouvé sa trace et, profitant de son absence, attaqué la famille Swan et ce, en plein jour. Ce type était totalement aliéné ! Même pas la plus élémentaire notion de prudence ! Non mais comment pouvait-il attaquer un foyer en toute impunité à un moment pareil ? Il n’y avait que des incapables parmi les représentants de la loi dans ce monde ?
Un nouveau hurlement à glacer le sang résonna lugubrement dans la maison. Repede grogna, tira sa dague pour courir au salon tandis que son propriétaire le suivit.
Les yeux gris de Yuri s’agrandirent d’effroi quand il découvrit le triste spectacle qui se trouvait devant lui…
Au sol, sur le tapis immaculé de larges taches rouges, reposait monsieur Swan, avec une expression d’horreur figée dans la mort. Au niveau du cou, une large coupure où s’était écoulé un flot de sang. C’était l’homme qui l’avait pansé sous sa forme de loup, celui qui lui avait ainsi sauvé la vie lorsqu’il était arrivé, complètement désorienté, dans ce monde. Mais sa poitrine ne se soulevait plus en fonction de sa respiration et jamais Yuri pourrait lui repayer la dette qu’il lui devait.
Près de la table à manger, madame Swan s’était recroquevillée dans un coin, protégeant Estelle de son corps du mieux qu’elle pouvait en dépit de la peur visible qui se lisait sur son visage. Elle avait quelques petites plaies sur le visage mais aucune blessure dangereuse pour le moment. A ses côtés, sa fille adoptive semblait terriblement secouée mais indemne.
Et bien sûr, couronnant toute la scène ensanglantée de sa présence, Zagi. Ce dernier qui menaçait madame Swan et Estelle de ses deux lames en leur bloquant toute possibilité de fuite et qui s’apprêtait à récidiver un nouveau meurtre se retourna, fut plus que ravi de retrouver sa proie préférée. Un sourire dément éclairait même son visage de psychopathe.
« Yuri Lowell ! Quelle joie de te revoir pour que je puisse enfin t’assassiner ! »
« Désolé si le plaisir n’est pas partagé ! » répliqua sarcastiquement son interlocuteur.
Il leva son sabre, prêt à combattre. Zagi en fit de même, délaissant totalement madame Swan et Estelle pour se concentrer uniquement sur celui qui l’obsédait tant.
« Repede, protège les autres. » ordonna Yuri.
L’intelligent animal aboya pour donner son accord et se plaça rapidement près d’Estelle et de sa mère adoptive. Le salon était surchargé de meubles et d’objets décoratifs, ce qui ne constituait pas l’endroit idéal pour un duel contre un assassin. Toutefois, il fallait faire avec et Yuri comprit vite comment il pourrait exploiter cet inconvénient pour le transformer en avantage.
Zagi débuta tout de suite le combat en s’élançant vers Yuri, cherchant visiblement à le décapiter. Son adversaire le contra immédiatement avant de riposter en visant le torse. L’assassin était cependant trop agile et trop expérimenté pour se faire avoir facilement et esquiva donc aisément le coup en roulant sur la table du salon mais pendant une fraction de seconde, il perdit sa cible de son champ de vision. Le brun en profita pour saisir le premier objet qui lui passa sous la main – en l’occurrence, un pot de fleur d’anthurium plutôt de belle taille – pour le jeter vers celui aux cheveux bicolores. Le projectile improvisé atteignit l’arrière du crâne de l’assassin de l’Ordre, ce qui le fit légèrement vaciller pendant quelques secondes avec une expression quasi imbécile qui aurait pu être comique si les circonstances n’étaient pas aussi graves. Mais Zagi se reprit, tapota brièvement vers l’endroit douloureux de sa tête avant d’adresser un regard furieux vers son ennemi.
« Ça, c’était vraiment un coup bas Yuri Lowell ! » cracha-t-il. « Ce n’est pas digne de toi ! »
« Moi j’appelle cela être pratique et pragmatique ! Question de point de vue, je suppose. » railla l’homme traqué par l’Ordre.
Zagi serrait les dents d’un air rageur et Yuri profita de cette brève perte de concentration pour l’atteindre au niveau de l’abdomen. Le sang gicla, maculant le katana de Yuri d’une belle couleur rouge sur le tranchant de la lame. Une goutte atterrit sur la joue de l’assassin psychopathe qui se mit aussitôt à la lécher d’un air appréciateur.
« Ah ! Tu es vraiment le seul capable de me faire goûter mon propre sang Yuri ! » se délecta-t-il.
« De plus en plus cinglé… » commenta l’intéressé en hochant la tête. « Vraiment, je me demande comment l’Ordre peut employer des types dans ton genre. »
Zagi s’apprêtait à répliquer quand soudain, un bruit strident se fit entendre de l’extérieur comme… une sirène d’alarme, perçant les oreilles de toutes les personnes présentes dans la maison. Yuri perçut des claquements de porte, des pas précipités puis une voix forte et autoritaire s’éleva :
« Police, rendez-vous ! La maison est cernée ! »
Le visage de celui aux cheveux bicolores se crispa de colère quand il entendit cela.
« Encore interrompus ! Décidément, je vais finir par éliminer tous les gens qui sont autour de toi pour être sûr que je puisse enfin finir mon combat avec Yuri ! »
Mais, en jetant un coup d’œil rapide à la fenêtre, il ne put que constater qu’ils étaient trop nombreux pour qu’il puisse y faire face seul, surtout qu’ils étaient armés avec des objets ressemblants à des pistolets en format miniature. De son côté, madame Swan laissa échapper un soupir de soulagement.
« La police ! Enfin, ils sont venus ! »
Malheureusement, ses paroles n’avaient pas échappés à Zagi qui se tourna immédiatement vers elle avec son visage de fou furieux.
« Alors tout ça, c’est de ta faute ? C’était ce que tu essayais de faire quand tu parlais dans ton drôle d’appareil ? » éructa-t-il d’une voix rageuse.
Déchaîné et frustré, et avant que Yuri puisse intervenir, Zagi fonça sur la mère adoptive d’Estelle et la frappa violemment à la tête. Par chance, seule la poignée de son arme atteignit sa cible mais le coup porté fut suffisant pour assommer madame Swan qui s’écroula instantanément par terre en perdant connaissance. En voyant cela, Estelle s’affola et poussa un hurlement déchirant.
« Maman ! Maman, tout va bien ? »
Au même moment, Yuri entendit la porte d’entrée se fracasser et de lourds pas bottés se précipiter à l’intérieur de la maison avant que quatre personnes firent irruption dans le salon, brandissant leur arme et les mettant en joue.
« Police ! Restez où vous êtes ! »
Zagi ne masqua pas sa rage d’être interrompu en plein combat. Cependant, il avait beau être un psychopathe, il était du genre à sentir intuitivement quelle action ou non l’amènerait le plus vers son objectif, à savoir découper Yuri Lowell en morceaux. C’était peut-être un crétin mais il comprit que s’opposer à ces hommes ne constituait pas une bonne solution. Il sortit alors une espèce de petite sphère d’une de ses multiples poches.
« Tss, des gêneurs. » râla-t-il avant d’échanger un dernier regard vers sa Némésis. « Ne crois pas pouvoir m’échapper Yuri ! Nous nous retrouverons ! »
Sur ce, il jeta sa sphère sur le sol qui se mit aussitôt à émettre une fumée aveuglante et suffocante pour toutes les personnes présentes : Yuri, Estelle et les quatre policiers. Cela ne dura que quelques secondes mais lorsque le tout se dissipa, Zagi avait disparu.
« Il s’est barré. » commenta le brun avec une moue dégoûtée. « Bon, au moins, les choses devraient pouvoir s’arranger maintenant qu’il n’est plus là. »
Toutefois, à peine s’avança-t-il d’un pas que les quatre policiers pointèrent immédiatement leurs armes sur lui.
« Halte, ne bougez pas ! »
Dans le même temps, l’un des nouveaux venus remarqua le cadavre de monsieur Swan étendu sur le tapis.
« Officier Palton ! Nous avons un mort ! Monsieur Swan a été égorgé ! »
« Quoi ? Bon sang, qui a pu faire ça ? » répondit un autre, très certainement le dénommé Palton.
Soudain, observant les personnes à l’intérieur de la maison, il vit madame Swan évanouie sur le sol, sa fille Estelle et surtout cet inconnu avec un sabre dont le tranchant était maculé de sang frais.
« Messieurs, arrêtez cet homme ! Je pense que nous avons notre principal suspect dans ce meurtre ! Regardez ce qu’il tient dans sa main. Très probablement l’arme du crime ! » ordonna-t-il.
« Quoi ?! » protesta Yuri complètement abasourdi par cette accusation qu’il jugeait grotesque. « C’est ridicule ! Le vrai assassin est ce cinglé de… »
« Rendez-vous sans faire d’histoire monsieur. Vous pouvez garder le silence. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous. » dit un des policiers en le mettant en joue.
« Attendez ! » intervint timidement Estelle. « Je crois qu’il y a comme un horrible malen… »
Yuri dévisageait les quatre hommes qui lui faisaient face. Des policiers, les représentants de la loi et de la justice selon l’étudiante en littérature. Et ils l’accusaient d’avoir tué monsieur Swan. Quelque part, bien qu’il venait dans ce monde pour la première fois, il avait comme une sensation de déjà-vu, comme quand la milice l’avait accusé d’avoir volé une poule dans une ferme, une erreur judiciaire, erreur assez compréhensible car il était connu des autorités pour des délits mineurs mais cette poule, ce n’était pas lui pour une fois. Il avait dû subir un interrogatoire des plus absurdes et un séjour injustifié en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis.
Sauf que là, on l’accusait d’un meurtre.
« C’est totalement ridicule ! Si je n’avais pas été là, toute la famille aurait été… »
« Veuillez ne pas résister et nous donner votre nom pour que nous puissions procéder à votre arrestation. » commanda l’officier Palton.
« Estelle, qu’est-ce qui se passe après une arrestation ? » demanda Yuri.
« Eh bien, on est emmené au commissariat où on est placé en garde à vue qui peut durer plusieurs jours et… »
« Plusieurs jours ? » s’exclama le brun « Je dois perdre plusieurs jours dans ce monde alors que je suis innocent ? Désolé les gars mais j’ai bien d’autres obligations plus importantes à remplir comme sauver mon monde de l’Ordre. »
Et puis, il risquait une métamorphose en loup devant eux. Rien de mieux pour démontrer sa non culpabilité dans cette affaire, n’est-ce pas ? Puis se tournant vers son loyal compagnon canin, il annonça :
« Repede, on s’en va ! »
Personne parmi les policiers n’avait fait attention au chien. Celui-ci en profita aussitôt pour bondir vers la fenêtre la plus proche, brisant la vitre dans un fracas assourdissant avant de s’enfuir. Yuri ne perdit pas son temps pour suivre la voie qu’il avait ouverte et en chemin, il empoigna le bras d’Estelle.
« Suis-moi ! »
« Mais attends ! Je ne peux pas partir comme… »
« Crois-moi, tu n’es plus en sécurité ici maintenant que Zagi sait que tu habites ici. » répliqua à la hâte Yuri.
« Ordre à la patrouille, un dangereux suspect tente de s’enfuir avec une otage… »
Yuri n’entendit jamais la suite. Il avait bondi à l’extérieur avec Estelle en passant à travers la fenêtre. Des hurlements, des beuglements rugissaient des commandements. Il sentit plus qu’il ne vit des armes dirigés contre lui mais personne n’en fit usage, ayant sans doute trop peur de toucher à l’"otage". Il tira immédiatement parti de son avantage en sautant par-dessus le capot d’un de ces engins dénommés voitures pendant que des policiers estomaqués se montrèrent incapables de réagir devant sa rapidité et son agilité, puis fila dans une rue animée en direction de l’église, Repede le guidant de sa course rapide.
Les sirènes retentirent derrière leur dos mais ils étaient presque arrivés à l’église. Yuri entendait ses poursuivants se rapprocher, des gens effrayés s’écarter de lui mais il se dirigeait maintenant vers le Portail et il sortit en vitesse le bracelet.
« Allez vite, ouvre-toi et mène-moi à Akadia ! » dit-il précipitamment lorsqu’il se retrouva devant la fissure.
Réagissant au bracelet et à son appel, la fissure lumineuse s’agrandit, se déchira, créant désormais une ouverture suffisante pour laisser passer un être humain. Repede s’y engouffra le premier. Yuri s’apprêta à le suivre avec Estelle quand il aperçut des policiers accourir.
« Halte, plus un geste ! »
« Décidément, je commence à en avoir assez de ce monde. » commenta Yuri en franchissant à son tour le Portail avec Estelle qui se referma aussitôt derrière eux mais au même moment, il entendit une violente détonation.
Puis ce fut le noir total…
--§--
Lorsqu’Estelle s’éveilla, elle constata qu’elle était à la lisière d’une forêt, allongée sur de l’herbe fraîche. A ses côtés, déjà debout, Yuri contemplait les alentours pendant que Repede faisait le guet.
« Je pensais qu’on atterrirait près du sanctuaire abandonné de l’Ordre mais visiblement quand cet imbécile a fait usage de son arme, il a créé une perturbation qui nous fait atterrir ailleurs. Mais au moins, nous sommes de retour à Akadia Repede. »
L’animal émit un bref jappement pour montrer son accord et Yuri remarqua alors qu’Estelle s’était réveillée. Il l’aida à se lever en lui tendant une main.
« Désolé de t’avoir entraînée ici mais je n’avais plus vraiment le choix au vu des circonstances. Nous n’avons pas beaucoup de temps : le soleil se couchera dans deux heures. On va essayer de te trouver un coin où te reposer. »
« Mes parents… » murmura la jeune femme en état de choc.
Yuri s’arrêta et retourna vers l’étudiante pour la regarder droit dans les yeux, exprimant une condoléance sincère.
« Je suis navré pour ton père. Ta mère… Je pense qu’elle a juste perdue connaissance mais elle s’angoissera de ta disparition. Je suis vraiment désolé. Je n’ai vraiment amené du chaos et du malheur tandis que toi et tes parents m’avaient sauvé. »
--§--
Voilà que se réalisait l’un des pires scénarios qu’il avait envisagé : revenir à Akadia avec Estelle. C’était une ingratitude, surtout que par sa faute, monsieur Swan était mort et il avait séparé madame Swan de sa fille adoptive. Il lui fallait cependant retrouver les autres membres de Brave Vesperia, arracher Flynn des griffes de l’Ordre mais aussi, quand Estelle se serait remise de sa situation, lui parler de l’hypothèse qu’il avait commencé à former depuis qu’il avait découvert que l’église où l’étudiante avait été abandonnée était juste à côté d’un Portail menant à son monde.
Et si en réalité… Estelle était originaire d’Akadia ? Alors cela pourrait expliquer nombre de choses, comme ses cheveux devenus roses et son énorme potentiel en mana. En tout cas, Yuri trouvait la théorie plausible.
Et peut-être même que ses parents biologiques étaient encore vivants, ici, à Akadia…
Fluri Week 2015 - Jour 5
Feb. 12th, 2015 01:44 pmTitre : Sacrifice
Thème Fluri Week 2015 : Viraag : the emotional pain of being separated from a loved one
Disclaimer : Les personnages ne m’appartiennent toujours pas. Crossover avec l’univers d’Hakuoki. L’idée m’est venue en regardant le deuxième film d’Hakuoki où certains événements diffèrent du dessin animé, rendant certains incidents plus riches en émotion.
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Shisengumi… Autrefois l’organisation de samurais la plus grande et redoutée… Maintenant sur son déclin… En examinant l’immense domaine des Aizus, Yuri ne pouvait s’empêcher d’éprouver de l’amertume. Les sabres, fierté des guerriers étaient progressivement remplacés par des armes à feu, nécessitant qu’un minimum de talents pour les manier.
« Yuri, est-ce que tout va bien ? » demanda Karol.
Au moins, le capitaine de la 8e division était pour ce combat, combat qu’il jugeait absurde mais il n’avait guère le choix. C’était l’unique moyen de faire gagner du temps à Estelle et à Ioder, pour qu’ils puissent tous les deux s’éloigner des horreurs de la guerre. Puis Yuri contempla le jeune garçon qui se tenait à ses côtés. Parfois, il oubliait que depuis cette blessure qui aurait dû être mortelle, celui-ci était devenu un Rasetsu en buvant l’Ochimizu, un breuvage que le shogunat avait ordonné au Shisengumi de développer secrètement à l’aide d’un médecin formé aux pratiques occidentales. Et souvent, il sentait que Karol regrettait la perte de son humanité au prix de sa survie…
L’Ochimizu… Celui qui en buvait développait des capacités surhumaines et pouvait instantanément guérir de blessures récentes mais ses effets secondaires étaient terribles. Il changeait un être humain en Rasetsu, créature avec des cheveux blancs et des yeux rouge sang mais la personne pouvait toujours reprendre son apparence initiale tant qu’elle n’utilisait pas ses capacités de Rasetsu. Le pire était surtout que boire l’Ochimizu revenait à se faire lentement ronger l’esprit avant de sombrer dans une folie meurtrière où la seule vue ou odeur du sang suffisait à transformer l’ancien être humain en bête sans conscience, seulement attiré par le liquide vital. L’autre effet secondaire des Rasetsu était qu’ils ne supportaient guère le soleil. Et surtout, l’organisation avait découvert récemment que la force, la vitesse, la régénération… toutes les capacités des Rasetsu se faisaient aux dépens de leur force vitale et donc de leur espérance de vie qu’ils abrégeaient à chaque fois qu’ils utilisaient leurs talents surnaturels …
Karol n’était pas le seul à avoir bu l’Ochimizu. Avec le déclin progressif du Shisengumi, le vice-commandant Alexei avait confié les dernières fioles de Rasetsu à chaque capitaine de division. Libre à eux de le boire ou non. Comme Flynn…
Flynn, son meilleur ami et le capitaine de la 1ere division. Il avait contracté la tuberculose et avait vu sa condition se dégrader progressivement au fil des mois. Au point de ne plus pouvoir patrouiller dans les rues de Kyoto. Au point de ne plus pouvoir porter une arme et se battre. Alors en désespoir de cause et en maudissant le fait d’être devenu un fardeau, il avait bu l’Ochimizu dans l’espoir de pouvoir se battre à nouveau aux côtés de Yuri. Pendant quelque temps, il alla effectivement mieux mais en réalité, l’Ochimizu n’avait pas comme propriété de guérir les maladies : il avait donc encore la tuberculose. Une nouvelle fois, il s’affaiblit en crachant du sang. Don Whitehouse, chef du Shisengumi, l’avait alors envoyé à Edo pour l’écarter des combats mais son absence pesait sur Yuri.
« Yuri, il faut qu’on y aille. » rappela Karol.
Oui, il était temps de partir au combat. Gagner du temps et payer leur dette aux Aizu. Sans eux, le Shisengumi n’aurait pas été ce qu’il était.
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La guerre faisait rage… Combien de soldats avait-il tué ? Plus d’une vingtaine, peut-être même une cinquantaine. Mais il devait continuer à se battre quoi il arrive malgré l’épuisement. Mais soudain, pendant qu’il abattait un ennemi, un autre sur un toit à proximité allait se jeter sur lui quand un sabre lancé sur lui le transperça à la poitrine, le tuant net. Yuri aperçut alors que c’était Karol qui lui avait sauvé la vie mais le jeune garçon s’effondra brusquement par terre.
« Pourquoi ? Pourquoi as-tu fait cela Karol ? » s’écria Yuri.
Karol releva la tête avec un sourire avant d’émettre un petit rire.
« Héhé ! On dirait que je suis à court de vie. Mes blessures ne se soignent plus… »
C’était vrai. Les blessures d’un Rasetsu se refermaient normalement instantanément mais Yuri pouvait constater que celles de son jeune camarade étaient encore présentes, plaies béantes qui saignaient abondamment. A bout de force, Karol s’affalait par terre et son aîné fut contraint de le retenir dans ses bras pour l’empêcher de tomber. Le jeune garçon murmura d’une voix à peine distincte :
« Ai-je servi à quelque chose Yuri ? Ai-je été utile dans cette bataille ? »
Le brun lui adressa un sourire triste, le serrant dans ses bras.
« Tu as été d’une grande aide Karol. »
A peine prononça-t-il ses paroles qu’il sentit le corps de Karol s’effriter et sous ses yeux horrifiés, bien qu’il y ait déjà assisté à plusieurs reprises à ce genre de phénomène, il se transforma en cendres et en poussière. Pas même un cadavre, des ossements laissés par le défunt pour le pleurer ou lui donner les honneurs funèbres. Karol avait été réduit à néant en instant…
Pendant quelques secondes, Yuri fut incapable de réagir et un soldat ennemi particulièrement audacieux en profita pour tenter de le transpercer de son katana. Le jeune capitaine réagit en une fraction pour éviter le coup mortel et contrattaquer en brandissant son katana mais fort heureusement pour lui, son ennemi arrêta brutalement son mouvement avant de s’effondrer par terre, le ventre transpercé par la pointe d’un sabre. Une voix qui lui était fortement familière s’éleva alors, à la fois sérieuse et sarcastique.
« Yuri, tourner le dos à un ennemi et te faire surprendre ainsi est l’une des choses les plus stupides que je t’aurais vu faire ! »
Evidemment, Yuri reconnut immédiatement la personne qui tenait à présent devant elle. Il n’en crut pas ses yeux.
« Flynn ! Mais qu’est-ce que tu fiches ici ? Je te croyais à Edo ! »
Oui, c’était bien Flynn, la personne la plus proche de lui qu’il croyait être en train de se reposer de sa maladie à Edo, qui se trouvait là, dans le domaine des Aizu, dans ce combat perdu d’avance, ne servant qu’à gagner du temps pour qu’Estelle et Ioder puissent s’enfuir. Son ami avait revêtu son apparence de Rasetsu avec ses cheveux blancs et ses yeux rouge sang, le fixant avec des yeux inquiets, ce qui rassura Yuri. Au moins, il n’avait pas encore cédé à la folie meurtrière, effet secondaire de ceux qui avaient bu à l’Ochimizu. Il avait conservé son humanité.
Les canons ennemis tiraient autour d’eux, ravageant les bâtiments aux alentours mais les deux capitaines se tenaient face à face pendant que résonnaient les coups des armes à feu.
« J’ai entendu parler de cette offensive et je savais que je t’y trouverai. Tu t’es toujours senti en dette envers les Aizu alors j’étais certain de t’y trouver. » répondit Flynn.
« C’est tout ? Juste pour ça ? Tu as la tuberculose Flynn ! Ton corps est malade et tu es à peine capable de porter ton sabre ! Si tu crois que je n’ai pas remarqué ton subterfuge… »
Les yeux perçants de Yuri avaient remarqué que pour maintenir son sabre, il avait accroché la garde de sa lame à l’aide de bandages autour de son poignet. Le visage de Flynn s’assombrit et sa voix s’éleva, en colère :
« Tais-toi ! Ne me considère pas comme un fardeau à cause de ma maladie ! Je peux encore me battre et t’aider dans cette bataille alors cesse de… »
Il soudain interrompu quand il entendit une nouvelle troupe s’approcher d’eux, prêt visiblement à en découdre, fort de leur supériorité numérique. Ils étaient au moins une trentaine.
Ils n’eurent même pas besoin de concerter pour commencer à combattre ensemble. Comme au bon vieux temps, quand le Shisengumi commençait à s’élever vers son apogée. Dos à dos, ils toisaient leurs ennemis, leur faisant bravement face, avant de s’élancer pour l’affrontement. Ils ne se gênaient pas, leur combinaison était parfaite comme s’ils exécutaient une danse mortelle avec leurs lames, tellement été répétée maintes fois qu’elle leur devenait naturelle, la réalisant sans réfléchir, les mouvements mémorisés dans leurs corps. Leur coordination était totale, chacun tirant profit des atouts de l’autre tout en se protégeant mutuellement, sans même se parler ou se regarder tellement ils se connaissaient par cœur. Au final, tous leurs adversaires furent décimés.
Toutefois, à peine son dernier soldat ennemi vaincu, Flynn s’arrêta soudain et se mit à cracher du sang. Les yeux gris de Yuri s’écarquillèrent :
« Flynn, est-ce que tout va bien ? » s’écria-t-il en accourant vers son ami.
Le Rasetsu lui adressa alors un sourire qui se voulait rassurant.
« Ne t’inquiète pas. Ce n’est rien. Je ne peux pas me permettre de m’allonger. »
Une seconde quinte de toux sanglante se manifesta avant que le capitaine de la 1ère division du Shisengumi essuie le sang avec le revers de sa main.
« Yuri… Quoi qu’il arrive, maintiens ta garde et évite tes habituelles imprudences. Ce n’est pas digne du capitaine de la 3e division du Shisengumi. »
« Pff ! Et voilà, je m’en doutais. Toujours à me faire la morale. Même maintenant, tu ne changes pas Flynn. » répliqua son ami.
Son interlocuteur se mit à rire.
« Cela indique à quel point je tiens à une personne aussi indisciplinée, impertinente, obstinée, si peu à cheval avec les règlements et qui ne cesse de provoquer chaos et dégâts alors qu’il est censé faire régner l’ordre. Dans tout le Shisengumi, tu es mon ami le plus précieux Yuri. Et puis… »
Il se tut pendant une fraction de secondes avant de secouer tristement la tête. Peut-être allait-il ajouter autre chose mais des pas retentirent et dans une large rue, de nouveaux soldats ennemis déboulèrent.
Yuri se planta devant leurs adversaires et se mit en garde avec un sourire moqueur.
« Flynn, il y a de nouveaux ennemis qui se montrent ! »
Il s’attendait à une réplique cinglante de la part de son meilleur ami mais seul le silence se fit entendre. Interloqué par cette absence de réponse, Yuri se retourna.
« Flynn ? »
Mais lorsqu’il découvrit le spectacle qui se présentait devant lui, les yeux gris de Yuri s’écarquillèrent avec effarement…
Il n’y plus aucune trace de Flynn à l’endroit où il se tenait encore quelques secondes plus tôt… A sa place, se tenait son sabre dont la garde était recouverte de bandages blancs. L’arme était plantée dans le sol, recouvert de cendres et de poussière…
Alors Yuri comprit. Tout comme Karol, Flynn avait épuisé son espérance de vie et avait disparu en ne laissant aucun corps…
Sans le vouloir, des larmes coulèrent sans discontinuer sur les joues du capitaine de la 3e division du Shisengumi pendant qu’il sentait son âme et son cœur se déchirer. Pourquoi ? Pourquoi éprouvait-il de tels regrets ? Pourquoi n’avait-il pas avoué à Flynn que les sentiments qu’il ressentait pour lui étaient devenus plus profonds que leur complice amitié ? Le brun songeait douloureusement à toutes ces occasions manquées où ils étaient tous les deux seuls et où il aurait pu lui dire toute la vérité. Mais maintenant, c’était trop tard. Plus jamais il ne pourrait admettre à Flynn à quel point il l’aimait…
Cependant, en face, l’ennemi continuait son avancée sans se laisser émouvoir. Une véritable légion. Au moins cinquante personnes, sans compter les autres troupes autour et les artilleurs. Et Yuri était seul. Si certains de ses hommes avaient survécu, il ne les aperçut pas autour de lui.
Alors il sortit de l’intérieur de son manteau l’arme secrète du Shisengumi confié à chaque capitaine du Shisengumi : l’Ochimizu, ce breuvage qui, en échange d’une attaque, d’une vitesse et d’une régénération surnaturelle, transformait celui qui en buvait en Rasetsu, c’est-à-dire en une créature qui n’était plus humaine…
Mais à quoi vivre en tant qu’être humain maintenant que Flynn n’était plus ? Que Karol et tant d’autres de leurs camarades avaient perdu leur vie dans cette absurde guerre ?
Sans plus d’hésitation, il déboucha sa fiole et but d’une traite l’Ochimizu… Il ne tarda pas à en ressentir les effets et vit ses longs cheveux noirs devenirs blancs pendant ses yeux gris devaient désormais prendre une couleur rouge sang. Il jeta un dernier regard au sabre de Flynn avant de le saisir dans sa main droite et de brandir fièrement ses deux lames vers l’ennemi, la sienne et celle de l’être qu’il avait tant aimé. C’était une bataille perdue d’avance, il le savait bien, mais il devait accomplir son devoir jusqu’au bout. Pour Flynn, Karol et tous les autres qui étaient morts.
« Capitaine de la 3e division du Shisengumi, Yuri Lowell. Ramenez-vous qu’on en finisse une fois pour toute ! » hurla-t-il.
Puis il s’élança seul contre toute une armée… Il était conscient qu’il ne s’en sortirait pas vivant…
Le pari à perdre
Jan. 21st, 2015 10:55 pmTitre : Brave Vesperia Circus : les coulisses
Auteur : Eliandre
Beta : Kaleiya Hitsumei
Rating : Variant entre K+ et M selon les récits
Disclaimer : Les personnages de Tales of Vesperia ne m’appartiennent pas sauf si on excepte mes petites figurines de Yuri et Flynn. Et il y aura du yaoi et du yuri donc homophobes s’abstenir.
Le pari à perdre
« Raven, je ne suis pas sûr d’apprécier là où tu comptes m’emmener. » dit Flynn d’un air dubitatif tandis que son compagnon et lui traversaient une série de ruelles tortueuses, sombres et désertes où le blond n’entendait que l’écho de leurs pas.
Pour une fois, malgré tout le travail qu’il avait habituellement au cirque, il avait eu du temps libre. Il avait pensé faire un tour en ville pour prendre l’air mais à peine avait-il quitté sa roulotte qu’il croisa Raven. Ce dernier l’ayant invité soi-disant pour renforcer les liens entre les membres tout en lui promettant de lui montrer un lieu très convivial pour ce genre de choses, Flynn trouva donc difficile de lui refuser cette proposition. Après tout, pourquoi pas ? Mais vu les chemins douteux où son aîné l’entraînait, il commençait à regretter son choix.
« Allons mon cher Flynn, tu es encore jeune et vigoureux et pourtant, tu ne profites pas des plaisirs de la jeunesse ! Vraiment, quel gâchis ! » s’exclama joyeusement son compagnon. « Au moins pour ce moment libre, le vieux Raven s’assurera que tu passeras un après-midi digne de ce nom. Et ce n’est pas négociable ! »
Ils venaient d’arriver devant un petit bâtiment d’aspect plutôt morne, de trois étages avec des volets en bois rabattus. Une lourde et épaisse porte métallique devait servir d’entrée. Elle était munie d’une sorte de petit grillage et d’une trappe qui permettait au propriétaire de jeter un coup d’œil à ses visiteurs. Sur le mur gauche, fixé à un crochet, on avait allumé une lanterne rouge qui luisait doucement dans l’obscurité de la ruelle. Pas gêné le moins du monde, Raven frappa trois coups à la porte. Après deux minutes d’attente, la petite trappe de la porte s’ouvrit pour laisser entrevoir des yeux inquisiteurs entre les mailles étroites du grillage qui dévisageaient les deux nouveaux venus.
« C’est moi très chère. Je suis venu en compagnie de mon jeune ami que j’espère décoincer un peu. » dit Raven en faisant un petit salut de la main.
« Pour une passe de jour, ce sera le double du prix habituel. » exigea l’inconnue à voix basse dont on reconnaissait néanmoins le timbre féminin.
« Ne vous en faites pas. Vous serez payées comme convenu. »
Suite à cette conversation, la petite trappe se referma avec un bruit sec. Puis les deux hommes entendirent des verrous être tirés avant que la lourde porte en métal s’ouvre avec effort. Ils entrèrent rapidement avant que la personne qui les avait faits entrer referme vite la porte et se présente devant eux.
C’était une femme qui avait dépassé la quarantaine. On n’aurait jamais pu la qualifier de belle avec son embonpoint, ses doigts boudinés d’une multitude de bagues et son faciès gras. Elle avait d’ailleurs une allure surchargée avec ses ornements aux cheveux, ses colliers, ses bracelets, son étole en renard et cette robe à volants noirs et rouges. Même son maquillage était à la limite du vulgaire. Toutefois, il y avait dans ses yeux bleus une sorte de morgue, d’arrogance qui lui donnait de l’assurance ainsi qu’un certain charme indéfinissable. Elle avait une expression sévère mais elle sourit gracieusement quand elle reconnut Raven.
« Bienvenue au Rosier Fleuri messieurs. J’espère que notre séjour parmi nous vous sera des plus agréables. Monsieur Oltorain, je dois avouer que je suis surprise mais néanmoins ravie de vous voir à cette heure. »
La femme avait une voix grave, cassée, rocailleuse mais ses intonations étaient mélodieuses.
« Chère madame Rose, je vous ai déjà dit de m’appeler Raven bien que je ne peux cacher ma joie de vous revoir, vous et vos très admirables charmes. Permettez-moi de vous rendre un hommage. » fit Raven en ajoutant un baisemain à la fin de sa phrase.
L’intéressée éclata de rire.
« Allons, vous me faites trop d’honneur quand je sais que c’est pour mes filles que vous êtes là. Alors, que voulez-vous pour aujourd’hui ? Je n’ai d’ailleurs jamais su que vous avez un ami… aussi intéressant. »
« Oh, j’ai oublié de le présenter. Il se nomme Flynn mais hélas très chère madame Rose, je crains qu’il ne soit déjà pris. » dit Raven d’un ton faussement dramatique.
« Quel dommage. Je connais certaines de mes filles qui l’auraient trouvé à leur goût. Je me demande donc pourquoi vous êtes venus tous les deux. » interrogea madame Rose.
« J’aimerais passer un après-midi dans le grand salon avec quelques bons verres de vin et une délicieuse compagnie si vous voyez ce que je veux dire. Sept à huit de vos magnifiques demoiselles seraient la bienvenue. » expliqua Raven.
« Les filles habituelles ? Bien mais j’espère que vous avez de quoi payer. Et il vous faudra patienter un peu le temps que mes filles se préparent. Je ne pensais pas que vous viendrez à l’improviste. »
« Je suis même prêt à vous payer d’avance si cela peut vous rassurer. »
La femme hocha la tête d’un air convenu puis quitta ses visiteurs pour monter vivement à l’étage. Profitant de son absence, Flynn toisa l’Auguste d’un œil noir avant qu’il ne laisse échapper des paroles véhémentes :
« Raven ! Dis-moi qu’est-ce que nous faisons tous les deux dans une maison close ! C’est… amoral et indécent ! »
« Tu peux dire un lupanar, tu sais… Et je ne vois pas en quoi notre visite ici est plus amorale que nos activités au cirque ou plus indécente que tes activités nocturnes avec Yuri. » répliqua le clown de Brave Vesperia.
Le bras droit du Maître du cirque se mit à rougir mais se tut, ne voyant pas quoi répliquer aux propos de son aîné.
« Et puis tu as toi-même voulu en savoir un peu plus sur mes méthodes d’information, gamin. Sache-le : un tel lieu peut fourmiller d’une multitude d’informations sur nos… clients potentiels quand on sait s’y prendre. »
La discussion s’interrompit toutefois lorsqu’ils entendirent le pas de madame Rose dans l’escalier. Elle les fit monter au premier étage et ouvrit une porte tout au fond d’un couloir mal éclairé avant de les laisser pénétrer dans la pièce.
C’était une belle pièce qui possédait les dimensions d’un petit salon. Il ressemblait à un petit cocon de tissu, éclairé par diverses lampes à huile aux lueurs diffuses. Les murs matelassés étaient recouvert d’un tissu vert olive, lui-même drapé de pans de tissus bordeaux et noirs. Le sol était couvert d’une moquette bleu roi et d’un tapis de laine aux motifs orientaux. Au centre, une table basse en acajou sculpté et un large canapé carmin rayé de fines rayures dorées où s’étaient allongées trois femmes aguicheuses et bien pomponnées, si peu couvertes qu’elles auraient pu rivaliser avec Judith. Quatre autres étaient derrière le canapé et une dernière tenait un plateau en argent où deux verres et une bouteille de vin blanc étaient posés.
« Mes chers invités, je vous laisse en compagnie de mes filles qui sauront prendre soin de vous. Passez un agréable après-midi. Descendez à l’entrée une fois que vous aurez fini. » déclara madame Rose.
Une fois que la gérante quitta les lieux, Raven dévoila rapidement qu’il était un habitué. Il prit un verre, se versa du vin blanc et s’écria en levant sa main comme s’il portait un toast :
« A mes délicieuses Deborah, Lili, Amanda, Katrina, à mes superbes Messaline, Daphnée, Opale, Cassandre, je bois à nos retrouvailles ! »
Les filles présentes se mirent à pouffer de rire. Elles étaient d’âges divers, fleurs de l’âge qui goûtaient au printemps de leurs vingt ans ou au contraire s’approchant du crépuscule de la fin de la quarantaine. Mais toutes étaient enjouées et avaient ses charmes particuliers : jeunesse, audace, humour, sensualité, grâce, intelligence etc…
« Ah, c’est ce cher Raven ! Quel flatteur ! Tu nous fais trop d’honneur comme toujours ! Présente-nous plutôt ton jeune ami. » pépiaient-elles.
Le "jeune ami" en question commençait sérieusement à regretter d’avoir suivi son compagnon dans un tel lieu de débauche. Une veine commençait dangereusement à palpiter ses tempes et il se demandait pourquoi il n’avait pas quitté tout de suite l’endroit dès qu’il avait compris où il se trouvait pendant que les demoiselles le firent asseoir sur le canapé où il prit place vers le centre.
« Je vous présente mon ami Flynn, mes très chères. Il est un peu timide et coincé mais je compte sur vous pour le distraire et l’amuser. Oh, ne soyez pas trop entreprenante car son cœur est déjà pris. » présenta l’Auguste de Brave Vesperia.
« Dire qu’il est mignon comme tout ! Dommage ! » s’exclamèrent certaines filles en riant.
Pendant qu’une des demoiselles s’empressa de mettre en marche un vieux dictaphone avec une musique douce pour l’ambiance feutrée de cette pièce et que les autres dansaient, conversaient ou leur offraient des amuse-gueules ou des verres de vins, Flynn, après avoir patienté pendant plus d’une heure, estima qu’il en avait plus qu’assez et commença à discrètement tancer son camarade :
« Raven, je désapprouve cet endroit ! Je veux partir immédiatement ou sinon… » menaça-t-il.
« Ou sinon quoi ? Tu es vraiment vieux jeu mon garçon. Contrairement à toi, Yuri n’est pas du genre difficile quand je le traîne dans ce genre d’endroit. » se moqua Raven.
« Quoi ?! »
« Nous aimons même nous lancer quelques petits défis avec des gages appropriés bien sûr. Comme qui attirera le plus de filles ou obtiendra le plus de faveurs. Mais peut-être que tu es trop pusillanime comparé à Yuri… »
Le clown marqua une pause pour constater les résultats de sa tirade. Il savait qu’il allait obtenir l’effet qu’il recherchait. Bien que Flynn le dissimulait très bien en temps normal, affectant une mine complètement neutre, il était en réalité presque aussi jaloux que Yuri. Alors évoquer que quelques filles aient pu tourner autour du dompteur ne pouvait que titiller celui qui possédait le rôle de monsieur Loyal, sans compter un sens de la rivalité et de la compétition qui existait entre les deux amants… Tout cela ne pouvait aboutir qu’à une seule réaction chez Flynn qui fut celle attendue par Raven. Ce dernier ne fut pas déçu du résultat…
« Très bien. Dans ce cas, nous n’avons qu’à concourir entre nous Raven ! Que proposes-tu ? »
L’Auguste fut contraint de réprimer un sourire quand il réalisa que son plan fonctionnait au-delà de ses espérances.
« Eh bien, voyons qui de nous deux aura la préférence de ces charmantes princesses. Le perdant devra exécuter un gage donné par le gagnant. »
Il se leva alors du canapé puis éleva sa voix avec un air théâtral :
« Mesdames, je désire que vous procédez à une petite élection. Choisissez l’invité que vous préférez. Aimez-vous les bruns ou les blonds ? Un homme mûr ou un jeune inexpérimenté ? Votez, votez en votre âme et conscience, concertez-vous si nécessaire puis indiquez votre élu. »
Les filles de joie se mirent à rire, se réunirent dans un coin du petit salon puis chuchotèrent entre elles tout en jetant de temps à autre un clin d’œil complice et enjôleur vers le duo masculin assis sur le canapé. Tout cela dura un quart d’heure avant que les demoiselles se lèvent puis accoururent près des deux hommes et se jetèrent toutes dans les bras de Raven.
« Nous avons toutes choisies à l’unanimité Raven ! Les hommes mûrs ont leurs charmes. Ils ont plus d’assurance, connaissent mieux les paroles qui nous touchent. » s’écrièrent-elles joyeusement.
Une fois que les filles reprirent leurs activités, Flynn hocha la tête d’une mine contrariée – il détestait perdre même quand il s’agissait d’un enjeu futile quand il y avait Yuri dans l’équation – mais il avait accepté la défaite.
« Bien joué Raven, je suis battu à plate couture. Je ne peux qu’accepter ma défaite. Que sera donc mon gage ? »
« Je suis en train d’y réfléchir. Oh, attends quelques instants, je vais en profiter pour demander une bouteille de vin rouge. » dit-il quand il aperçut Messaline et Katrina quitter le salon.
Il rejoignit donc les deux filles de joie dans le salon après avoir pris la précaution de bien refermer la porte derrière lui. Une fois qu’il s’assura que son compagnon ne pouvait ni l’entendre ou le voir, il murmura :
« Bien joué les filles pour ce petit tour. Il n’y a vu que du feu ! »
« Heureusement que tu nous avais payées à l’avance. Quel dommage ! Il était vraiment plus mignon et attrayant que toi. »
« Hé, je ne suis pas un ingrat ! » protesta l’homme en sortant une bourse boursoufflée. « Tenez, un supplément à partager entre vous mes chères pour m’avoir fait gagner. »
Sur ce, il revint au salon avec un air pensif. Il commençait peut-être à avoir une idée pour le gage. Il était de corvée aujourd’hui et c’était d’un tel ennui de s’en charger ! Il pouvait bien la refiler à Flynn qui avait du temps libre pour une fois. Et il ne se souvenait plus exactement de ce qu’il devait faire mais ce serait le blond qui le ferait à sa place !
« Flynn-chan, je pense que j’ai une petite idée pour ton gage… »
--§--
Plus tard, dans la soirée…
« Tu sais Raven, je peux comprendre que ton ego avait besoin d’une victoire sur Flynn pour être satisfait. Ça, je peux l’accepter. » dit Yuri pendant qu’il toisait l’Auguste de ses yeux sombres.
Près de lui, Rita était en train de fulminer de rage et si Estelle n’était pas à ses côtés, nul doute qu’elle lui aurait balancé l’une de ses célèbres boules de feu.
« Tu as très certainement triché avec ce pari en payant grassement les filles à l’avance. Que tu aies triché pour assurer ta victoire, ça aussi je peux l’accepter. » poursuivit le dompteur.
Patty et Karol avaient des mines abattues comme s’ils assistaient à un enterrement pendant que Judith jeta un regard de reproche au vieil homme…
« Je peux comprendre aussi que tu en aies profité pour refiler ta corvée à Flynn, tu n’as jamais apprécié d’en faire de toute façon. Et je peux admettre que tu aies oublié en quoi consistait ta corvée du jour. Jusqu’ici nous sommes d’accord. »
Un gémissement plaintif s’échappa des lèvres de Karol pendant que son collègue de clown n’en menait pas large…
« Par contre Raven, ce que je n’accepte pas, c’est que de toutes les corvées que tu pouvais oublier… pourquoi diable a-t-il fallu que ce soit celle de CUISINE ?! » explosa le Maître du cirque en enfonçant son visage dans sa main.
Tous les regards de la troupe, y compris celui de Repede, fixaient le vieil homme comme s’ils étaient sur le point de l’étrangler sur place avant que tous laissent échapper leurs ressentiments.
« Je n’ai rien fait de mal dans cette affaire ! Pourquoi devrais-je subir la cuisine de Flynn comme punition ? C’est le pire des châtiments ! » gémit Karol.
« La cuisine ne devrait pas être une aventure si hautement risquée. » proclama Patty d’une voix sombre en fixant son assiette et ses couverts.
« Yuri, tu ne pouvais vraiment pas dire à Flynn que sa cuisine est en général… immangeable ? Parfois, vu comment il assaisonne ses plats, je me demande s’il était vraiment humain avant… Personne n’a un palais aussi unique que le sien… » commenta Judith d’un air désabusé.
« Tu es le Maître et tu couches avec lui ! » asséna Rita en lâchant ses paroles toutes crues. « Ne me dis pas que tu n’as pas l’autorité et les moyens pour l’empêcher de cuisiner ! »
Yuri parut encore plus désespéré lorsqu’il enfouit davantage son visage dans sa main, ses longs cheveux de jais couvrant ses joues et son menton, masquant ainsi presque complètement sa figure.
« Crois-moi ou non mais à chaque fois qu’il me présente son plat, il a l’air si heureux avec son sourire plein d’espoir que je n'ai pas le courage de lui avouer. » grogna le brun.
« En gros, tu es faible devant Flynn. »
« Rita ! » protesta Estelle.
Un pas empressé coupa court à la discussion et Flynn jaillit de la cuisine. Comme l’avait décrit son amant, il semblait rayonner d’une telle aura de bonheur d’avoir fait la cuisine que personne n’osa émettre un avis sur la qualité douteuse de son plat, en dépit de la très belle présentation digne d’un chef gastronomique. Cependant, tous connaissaient le talent culinaire du blond qui variait entre le meilleur et le pire…
« Yuri, j’espère que tu vas aimer mon plat ! Comme cela fait longtemps que je n’ai pas eu l’occasion de te préparer quoi que ce soit, je t’ai fait un curry de ma création. » s’exclama Flynn avec enthousiasme.
« Un curry… de ta création ? » répéta le dompteur.
Traduction : son amant n’avait pas suivi la recette à la lettre et avait donc cuisiné à partir de son sens du goût. Résultat : ce plat était tout simplement immangeable…
« Oui. Il faut d’ailleurs que je remercie Raven pour m’avoir offert une telle occasion de faire la cuisine. S’il n’avait pas fait ce pari avec moi… »
« Oh, sois tranquille. Je suis sûr que le vieil homme sera absolument ravi de goûter à ta cuisine pour te remercier. N’est-ce pas Raven ? » interrogea le Maître du cirque en le fixant d’un œil torve pendant que les autres foudroyaient l’Auguste de leur rancœur.
« Bien… bien sûr. Je suis certain que le goût sera à tomber à la renverse. » affirma le responsable de ce désastre.
Flynn fut très enchanté en entendant cette réponse.
« Bien, je vous laisse déguster. Je dois surveiller la cuisson de mon gâteau au four. S’il en reste, on pourra en garder pour le manger ensemble cette nuit Yuri ? »
« Ou… oui. C’est une excellente idée Flynn. Cela fera un super encas si nous avons un petit creux. » assura Yuri en s’efforçant de sourire.
Dès que le cuisinier quitta la pièce, celui qui possédait le rôle de dompteur contempla le reste de ses compagnons qui s’efforçaient de retenir en vain de retenir leurs rires avant de les menacer :
« Le premier qui émet un commentaire ou qui laisse échapper d’une quelconque manière qu’il est en train de se moquer de moi au sujet de ce qu’il vient de se passer, mangera l’intégralité de la cuisine de Flynn pendant une semaine. »
Tous les sourires disparurent immédiatement.
« Et on va vraiment devoir manger ça ? » demanda Patty avec une expression désespérée en contemplant le superbe dressage du curry.
Yuri poussa un soupir.
« Donnez tous vos parts à Repede. On va les distribuer à ceux de la Galerie. » dit-il.
« Les pauvres. Même eux ne méritent pas ça. » commenta Karol.
« C’est vraiment cruel de leur infliger un tel supplice culinaire. » renchérit la lanceuse de couteaux.
« Sauf toi vieil homme. » ordonna le Maître du cirque. « Tu mangeras ce curry et le gâteau qui viendra jusqu’à la dernière miette ! Et n’oublie surtout pas de complimenter Flynn à la fin ! »
« Tu ne peux pas me faire ça ! » s’écria-t-il horrifié.
« Oh que si. » ajouta Yuri avec un mauvais sourire sur ses lèvres. « Et pour finir, tu es de corvée à plein temps avec interdiction d’aller draguer de la minette pendant deux semaines. »
« C’est quand même cruel Yuri. » commenta la funambule-trapéziste.
« Détrompe-toi. J’estime avoir été suffisamment clément en ne le forçant qu’à manger sa part. Au moins, il n’a pas le plat entier de curry ou l’intégralité du gâteau à manger ! »
A la fin de la journée, tout le monde passa une excellente soirée : Flynn était heureux d’avoir cuisiné et d’avoir été félicité, Yuri de s’exercer à une activité nocturne des plus intenses avec son favori et tous les autres membres de la troupe d’avoir évité l’apocalypse culinaire du repas du soir… sauf pour Raven et les prisonniers de la Galerie qui furent soudain pris de terribles maux d’estomacs insupportables persistants pendant plusieurs jours et dont l’origine resta un grand mystère pour le maître de cérémonie de Brave Vesperia…