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Chapitre 1 : Un étranger sur une terre étrange

Estelle se frotta plusieurs fois les paupières pour se convaincre qu’elle ne rêvait pas. Le jeune homme endormi sur le canapé portait une tenue des plus étranges. Ses habits, à dominance noire, comprenaient un haut qui laissait entrevoir son torse, une veste dont les revers de manche étaient d’un violet sombre, un pantalon, une ceinture avec deux traits dorés qui soulignait la finesse de son tour de taille et une paire de bottes de cuir d’une couleur gris clair. Il avait aussi un bijou, un lourd bracelet d’or serti d’une belle pierre rouge à son poignet gauche. Ses longs cheveux de jais et ses traits de visage réguliers lui donnaient un côté androgyne mais Estelle ne s’y trompait pas : cet inconnu était de sexe masculin vu le torse qu’elle entrevoyait, ce qui la fit rougir par ailleurs.

La jeune étudiante s’était interrogée sur la disparition soudaine du loup noir et l’apparition brutale de ce jeune homme lorsqu’elle aperçut le bandage, encore imbibé de sang, au niveau du ventre de ce dernier. Alors elle comprit : le loup et cet homme ne faisaient en réalité qu’un !

Au moment où ce constat lui vint à l’esprit, l’étranger s’étira et commença à ouvrir les yeux en levant instinctivement son poing gauche.

« Flynn… » murmura-t-il d’une voix faible et encore endormie.

Puis soudain, il aperçut la tête d’une jeune fille inconnue penchée vers lui, ses grands yeux verts le dévisageant et il sursauta brutalement, ce qui lui arracha un grognement de douleur. Il se serait sans doute levé d’un bond s’il n’avait pas eu cette blessure au ventre.

« Qui es-tu ? Et où suis-je ? » questionna-t-il d’une voix un peu brusque en scrutant ce qui l’entourait.

Son visage exprimait clairement sa méfiance. L’inconnue en face de lui était sur le point d’essayer de lui répondre quand un aboiement joyeux retentit et le chien au pelage bleu et blanc sauta vers le jeune homme pour lui lécher le visage.

« Repede, c’est toi ? » s’étonna l’étranger. « Oui, moi aussi je suis content de te voir. »

Une fois revenu de sa surprise, il se mit à lui gratter doucement la tête avant de reporter son attention vers la jeune femme qui lui faisait face. Celle-ci ne semblait pas très à l’aise. Visiblement, elle cherchait un moyen d’aborder  une conversation sans que cela paraisse impoli.

« Hum… Il s’appelle Repede ? » demanda-t-elle d’une mine timide.

« Oui. »

Un bref silence s’installa. Le jeune homme aux longs cheveux bruns se mit à jauger cette inconnue aux yeux verts de son regard onyx, à la fois intrigué et sur ses gardes. Il contemplait son visage, son étrange style vestimentaire avec ce T-shirt blanc aux motifs floraux agrémentés de paillettes roses et dorées, cette veste de laine rouge où il y avait un curieux emblème, cette longue jupe beige plissée ou ce ruban à carreaux – d’un goût douteux selon lui – qui retenait ses cheveux blonds. Elle portait également des souliers vernis qui lui semblait d’une qualité supérieure à tout ce qu’il avait pu voir et surtout un bracelet avec un papillon dont les ailes translucides paraissaient capturer la lumière.

« Joli bijou… » ne put-il s’empêcher de dire en désignant d’un geste le bracelet qu’elle portait à son poignet. « Ça doit être rare et précieux. Ça vaut cher ? »

« Euh… non, pas vraiment… » répondit l’inconnue d’un ton gêné. « On peut trouver ce genre d’objet dans n’importe quelle boutique d’accessoires pour trois fois rien. »

L’étranger aux yeux gris fronça les sourcils.

« Pas cher ? Ce papillon qui orne ton bracelet a été fabriqué à partir de quoi ? De nacre non ? »

« De nacre ? Oh, bien sûr que non, je n’en aurai jamais eu les moyens ! » s’exclama la jeune femme. « Ça doit être fait à partir de plastique qu’on a façonné de manière à ce qu’il imite la nacre, c’est tout. »

« Quoi, du plastique ? Qu’est-ce que c’est que ce truc ? »

En entendant ses mots, son interlocutrice écarquilla les yeux avant de le dévisager avec une complète stupéfaction.

« Vous… Vous ignorez ce qu’est le plastique ? »

« Euh… Je suppose que oui. » admit l’étranger avec une expression de doute.

Il examina les environs. Il put ainsi constater deux adultes endormis affalés sur des chaises ainsi que la pièce où il se trouvait, composée d’objets curieux, de meubles décorés de façon étrange fabriqués avec des matériaux qui lui étaient inconnus. Cette lampe suspendue au plafond par exemple avait une forme bizarre… Et ce truc carré, noir et plat posé sur une table basse, à quoi pouvait-il servir ? Les deux jeunes gens restèrent muets pendant quelques secondes jusqu’à ce que la demoiselle s’efforce de sourire avec bienveillance en tendant une main amicale.

« Au fait, je ne me suis pas présentée. Je suis Estelle Swan. Ravie de faire votre connaissance. »

« Yuri. Yuri Lowell. » répondit le jeune homme en serrant sa main après une courte hésitation. « Et lui, c’est Repede. »

Elle ne semblait pas dangereuse… Toutefois, se rappelant de sa situation, Yuri resta sur ses gardes. Il toucha son bandage au ventre, retint une grimace et examina sa blessure.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? Où je me suis pris ça ? » dit-il en fronçant les sourcils.

« Vous… vous ne souvenez pas ? » interrogea Estelle avec une mine étonnée.

« Non. J’avoue être un peu perdu dans ce… » commença Yuri avant d’être interrompu par son fidèle compagnon canin qui aboya pour attirer son attention avant de lui lécher une main. Il se mit à rire.

« Tu dois vraiment être inquiet si tu te comportes ainsi. » dit-il avant de reporter son regard gris vers sa jeune hôte. « C’est Estelle ton nom, c’est ça ? C’est toi qui m’as soigné ? » s’enquit-il en désignant d’un geste nonchalant son bandage à l’abdomen.

Elle secoua la tête.

« Non, c’est mon père. » répondit-il en pointant les deux adultes endormis sur des chaises derrière elle avant d’ajouter d’une voix plus hésitante. « Il a réussi à bander et à stopper votre plaie quand… quand vous étiez un… »

« Quand j’étais un loup ? C’est ce que tu voulais dire ? »

La jeune fille hocha lentement la tête, assez embarrassée d’évoquer ce sujet apparemment. Elle devait se demander ce qu’il était pour se changer en loup, vu son expression.

« Pas la peine de te sentir gênée ! » répondit le jeune homme en fronçant les sourcils. « D’ailleurs, tu me peux me tutoyer, tu sais ! Avec ton vouvoiement, j’ai l’impression d’avoir vieilli de trente ans ! »

« Oh, je suis désolée ! » s’excusa Estelle.

Il y eut un instant de silence. Puis, en dévisageant longuement les yeux verts interrogateurs de son interlocutrice, Yuri reprit la parole :

« Tu cherches à savoir comment je peux te parler maintenant alors que la veille, j’étais un loup, c’est ça ? »

Il marqua un moment d’hésitation, réfléchissant à ce qu’il allait dire. Flynn lui avait recommandé d’être prudent après avoir traversé le Portail car lui-même ignorait ce qu’il y avait derrière. Ce ne serait pas la première, ni la dernière fois qu’il négligerait une de ses recommandations. Toutefois, vu sa situation et le fait qu’il se trouvait dans un endroit totalement inconnu dont il ne connaissait rien, si différent du dernier endroit où il se remémorait être avant son passage par le Portail, il décida de garder dans un coin de son esprit le conseil de son ami aux cheveux blonds.

Par ailleurs, il venait de se souvenir que d’après Flynn, les habitants qui vivaient de l’autre côté du Portail ignorait l’existence du mana… Dans ces conditions, ça allait être dur de lui expliquer son cas. Mais impossible de nier : Estelle avait vu sa blessure sous sa forme de loup et sa forme humaine et avait dû donc faire le rapprochement. En l’observant attentivement, il lut dans son regard vert de la curiosité mêlée d’une légère inquiétude mais nulle hostilité ou dégoût. Le jeune homme décida donc de lui faire confiance.

« Je ne me change en loup que la nuit. Le jour, je peux reprendre ma forme humaine. » expliqua-t-il.

« Est-ce qu’il y en a d’autres qui peuvent… » commença Estelle mais il l’interrompit.

« Non. A ma connaissance, je suis le seul qui me change en loup la nuit et ce, à cause d’une malédiction qu’on m’a lancée et qui me condamne à ces métamorphoses non voulues. »

Là, il avait simplifié l’affaire car en réalité, c’était un peu plus compliqué que cela… Et il n’avait pas très envie de s’étendre davantage. Cela lui était suffisamment douloureux…

« Je vois. » murmura son interlocutrice. « Vous… Je veux dire… Tu n’es donc pas un loup-garou ? »

« Qu’est-ce que c’est ça ? » demanda Yuri en fronçant les sourcils.

« C’est dans les livres que je lis. Les loups-garous désignent les êtres humains se transformant en loups les nuits de pleine lune. » récita Estelle en joignant ses mains. « Appelés également lycanthropes, leurs métamorphoses ont souvent pour origine une malédiction selon les traditions les plus courantes. L’être humain changé en loup acquiert durant le temps de sa transformation la force, la férocité sauvage et… »

« Eh bien, quelle érudition, Estelle ! » fit Yuri avec un sourire moqueur à ses lèvres. « Mais je pense que l’explication est suffisante. Non, je ne suis pas un loup-garou. Toutes les nuits, sans exception, je me change en loup. Et pas que les nuits de pleine lune. »

« Ah, navrée si je t’ai offensé, Yuri. » répondit Estelle d’une voix contrite.

« Non, ce n’est rien. On m’avait raconté que les personnes de l’autre côté du Portail ne croyaient pas en l’existence du mana mais pour croire à ce genre de chose comme les loups-garous… »

« Le mana ? Qu’est-ce que c’est ? » répéta l’étudiante en littérature sans comprendre.

« Pour faire simple, c’est une source d’énergie qui nous facilite la vie. »

« Mais d’où viens-tu Yuri ? » s’étonna la jeune femme. « Je ne connais aucun pays dont la principale source d’énergie est le mana. Les centrales nucléaires, l’électricité, le pétrole, ça je le sais mais le mana ? »

Ah, c’était peut-être une erreur d’avoir parlé de ça. Il n’était pas un manipulateur de mana comme Flynn ou le vieil homme, ce serait donc difficile de lui expliquer sans faire une démonstration. Il pouvait cependant répondre à son autre question même si elle risquait de le prendre pour un fou. Mais plus il passait du temps avec Estelle, plus il se rendait compte de son ignorance totale du lieu où il se trouvait. Comment réussirait-il sa mission dans ces conditions ? Il avait besoin d’une personne de confiance, un allié, un guide pour l’aider même si l’idée lui répugnait. Estelle et ses connaissances pourraient s’avérer utiles dans un avenir proche.

« Tu risques de ne pas me croire mais… je viens pas d’ici. Je viens d’un autre monde. »

Comme Yuri l’avait prévu, les yeux verts de son interlocutrice s’écarquillèrent de stupéfaction devant cette révélation. Elle le fixa longuement avec une expression incrédule sans dire un mot. Puis elle se tourna vers Repede avec son pelage bleu et blanc, sa ceinture en cuir qui enserrait son corps et sa pipe.

« Ça pourrait expliquer certaines choses… » marmonna-t-elle pour elle-même.

« Désolé de t’ébranler princesse mais sache-le : je ne suis pas un fou et j’ai besoin que tu te décides rapidement à me croire ou non car – et je déteste l’admettre – j’ai besoin d’aide. La situation dans mon monde est dans un équilibre précaire et on m’a envoyé dans le tien pour un but précis. Je n’ai pas de temps à perdre ! Il faut que je me hâte de revenir vers les miens ! »

Ses yeux gris étincelaient de détermination. Ses traits s’étaient durcis et il avait serré son poing gauche. Il y avait une telle urgence dans le ton employé, si empreint de désespoir qu’Estelle finit par le croire, peut-être un peu malgré elle. Elle hocha lentement la tête.

« J’admets que j’ai encore certains doutes mais… j’ai envie de te croire. J’ai envie de t’aider. » déclara l’étudiante.

« Merci. Je n’en demande pas davantage. » dit Yuri.

Soudain, une voix s’éleva :

« Estelle ? Tu es réveillée ? Attendez, vous, qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous faites dans ma maison ? »

Monsieur Swan venait de sortir de son sommeil. Et visiblement, il n’était pas ravi de découvrir un étranger sous son toit…

--§--

Yuri avait passé une matinée éprouvante. Il avait été plus difficile d’expliquer sa situation aux parents d’Estelle et ils mirent plus de temps à le croire. Madame Swan s’était mise à paniquer en constatant sa présence et monsieur Swan, furieux, l’avait clairement menacé en affirmant téléphoner à la police – le brun n’avait rien compris à ce truc. Tout comme leur fille cependant, ils virent son bandage au ventre et firent le rapprochement entre lui et le loup. A partir de ce moment, ils se calmèrent et furent plus enclins à écouter ce qu’il avait à dire quand ils comprirent qu’il ne représentait pas un danger et un lien de confiance, certes ténu, commença à s’établir entre eux. Fort heureusement, ils étaient assez ouverts d’esprit. Ce qui lui évita d’être considéré comme une bête curieuse.

La discussion fut néanmoins écourtée rapidement quand chacun se remémora leur train-train quotidien. Le père devait aller à son bureau, la mère, dont c’était le jour de repos, faire ses courses et Estelle se rendre à l’université pour ses cours. Avant de partir, cette dernière renouvela sa promesse de l’aider et lui indiqua qu’elle reviendrait vers seize heures, ne travaillant pas à la librairie ce jour-là.

Pendant ce temps, Yuri avait proposé à la mère d’Estelle de l’accompagner pour ses courses. Découvrir l’autre monde et sortir de cette construction bizarre avec Repede aurait été un bon commencement avant de chercher à accomplir ce pour quoi il était venu. Mais madame Swan refusa d’un ton embarrassé, lui annonçant qu’avec son habillement, il passait difficilement inaperçu et qu’on risquait de remarquer qu’il venait d’ailleurs. Le brun, qui ne connaissait pas les règles de société de ce monde, comprit néanmoins qu’il y avait un problème et n’insista pas. Il n’avait aucune envie de poser des soucis à des gens qui l’avaient sauvé. Observant son ennui et dans l’espoir de le distraire un peu, madame Swan lui expliqua patiemment, avant de partir, le fonctionnement de l’espèce d’objet carré et plat se nommant "télévision" – drôle de choses de voir un homme de face déclarant sans sourciller les pires horreurs comme une guerre ou de voir les étranges gâteaux qu’on pouvait confectionner avec des appareils très sophistiqués mais au moins, ça faisait passer le temps – et l’autorisa s’il avait faim de se servir dans un "réfrigérateur", une sorte de grande boîte rectangulaire où il y avait de la lumière et une température plutôt froide – Yuri était incapable de dire ce qu’il contenait mais il réussit néanmoins à y trouver un morceau de pain. Madame Swan sortit ensuite faire son marché.

Ni lui, ni Repede n’étaient enchantés de cet enfermement forcé et ils prenaient difficilement leur mal en patience. Yuri en profita toutefois pour mieux observer la maison de la famille Swan et décréta que vraiment, ce monde était bizarre et que ses codes de société devaient être plus tordus dans le sien. Déjà qu’il avait des difficultés à les respecter…  Ce qu’il voyait à la télévision n’avait fait que confirmer ses pensées.

Sa blessure posait souci et l’empêchait de se mouvoir comme il le désirait mais le jeune homme avait un corps en bonne santé et vigoureux après ces nombreux combats contre l’Ordre. Il commençait déjà à s’en remettre progressivement. Tant mieux. Il ne pouvait pas traîner trop longtemps dans ce monde. Il voulait vite exécuter la tâche qu’on lui avait confiée et retrouver les autres membres de Brave Vesperia : Karol, Judith et même le vieil homme même s’il semblait ne pas foutre grand-chose, mais surtout Flynn. Il était inquiet pour ce dernier d’ailleurs. Non pas que Flynn ne savait pas se débrouiller seul mais…

Les réflexions de Yuri furent interrompues quand Repede émit un aboiement bref et qu’il entendit une clef tournée à l’intérieur de la serrure de l’entrée. Il fut surpris de voir Estelle alors que ce n’était que le début de l’après-midi, la jeune femme lui ayant déclaré auparavant qu’elle ne rentrerait que vers seize heures. Celle-ci dut le comprendre à son regard car elle expliqua :

« Un de mes cours à l’université a été reporté. J’ai pu donc rentrer plus tôt. J’espère que tu ne t’es pas senti trop seul, Yuri. » dit-elle d’une voix inquiète.

Le brun ne put s’empêcher d’afficher une mine sarcastique.

« Bien sûr que non ! J’ai apprécié seul mon séjour dans une maison contenant des objets plus ou moins étranges avec interdiction de sortir par ta mère. C’était vraiment fascinant ! »

Manifestement, Estelle n’avait pas senti l’ironie de son propos bien qu’elle comprit que quelque chose ennuyait son invité car elle le fixa attentivement d’un air soucieux avant de lui murmurer qu’elle était désolée. Yuri culpabilisa un peu – ce n’était pas de la faute de l’étudiante si elle se retrouvait avec un inconnu d’un autre monde sous son toit – mais quelques instants plus tard, madame Swan revint de ses courses, rapportant pour lui de surprenants présents : elle lui avait acheté des vêtements.

L’essayage fut une étape assez délicate. Yuri s’isola dans une chambre pour vérifier ce qu’on lui avait donné et fut horrifié par la mode de ce monde. Au moins, la mère d’Estelle ne s’était pas trompée dans ses estimations mais le pantalon était une chose de couleur bleue rigide où il ne se sentait pas à l’aise du tout – ça se nommait "jean"  et c’était à la mode d’après les femmes – et il avait une impression de gêne dans ses mouvements. Le T-shirt noir était plus confortable et lui convenait plutôt bien, couvrant avantageusement son bandage. En revanche, lorsqu’on prétendit lui faire porter une paire de chaussures de sport, il refusa net, s’obstinant à garder à ses bottes. Après tout, pourquoi pas… D’après Estelle, les siennes n’étaient pas trop différentes de ce monde bizarre.

Lorsqu’il sortit de la chambre, les femmes affirmèrent que son habillement lui allait bien mais il en doutait fortement. Si Flynn le voyait dans un tel accoutrement, il aurait sans doute explosé de rire… Heureusement que le ridicule ne tuait pas…

Estelle l’attendait patiemment dans le vestibule de l’entrée pendant qu’il arrangeait les derniers détails. Yuri lui demanda :

« Où comptes-tu m’emmener ? »

« Hum, je ne sais pas trop… Je pensais te faire visiter la ville. Cela aurait été un bon début. » répondit Estelle d’une voix songeuse.

« Il faut d’abord que je retrouve mes affaires. Mon sabre surtout. Repede m’a dit qu’il avait réussi à les cacher avant que tu me trouves. »

« Repede… t’a dit ? Il sait parler ? » s’étonna la jeune femme.

Quand on savait qu’un homme pouvait se changer en loup toutes les nuits, on pouvait accepter ce genre d’étrangeté…

« Bien sûr, il a sa propre façon de parler si on sait le comprendre. »

--§--

Ils quittèrent finalement la maison d’Estelle. Malgré qu’elle soit ouverte d’esprit et d’une nature plutôt bienveillante, madame Swan n’était pas trop emballée de laisser sortir sa fille avec un parfait inconnu venant d’un autre monde qui plus est. Toutefois, comme Estelle, peut-être aperçut-elle cette lueur désespérée dans ses yeux gris. Yuri savait qu’il n’avait pas le droit d’échouer. Son monde dépendait de la réalisation de cette Prophétie. Du moins, Flynn y croyait, lui étant tout de même plus réservé à ce sujet.

D’ailleurs en songeant à Flynn, il ne pouvait qu’espérer que tout allait bien pour lui. Il se demandait aussi comment il aurait réagi en découvrant ce monde. Des bâtiments immenses qui semblaient toucher le ciel, des véhicules roulants sans chevaux émettant des fumées puantes et irritantes désagréables pour l’odorat, cette foule de gens nombreuses qui allaient et venaient d’un air pressé tenant un drôle d’appareil dans leur main près de leur oreille… Cette ville devait être plus bruyante que toutes les villes réunies qu’il avait visitées !

« Alors qu’est-ce que tu penses de ce monde ? » interrogea Estelle.

« Qu’il y a trop de brouhaha mais que certaines choses semblent impressionnantes. »

« Repede n’a pas l’air très content. » dit la jeune femme d’une voix déçue.

Effectivement, le compagnon canin de Yuri était tout sauf content. Estelle expliquait qu’il allait se faire remarquer avec sa pipe et sa ceinture – elle avait pu alors constater qu’une dague y était accrochée – et qu’aucun chien n’était ainsi. En entendant ces mots, Repede en fut visiblement offensé. Certes, il avait fini par abandonner son attirail mais dès que Estelle essayait de le caresser, il se détournait aussitôt d’elle, se montrant hautement indifférent envers la jeune femme, à son grand désespoir. Pour la consoler, Yuri lui révéla que Repede était toujours ainsi avec les étrangers et qu’il ne fallait pas qu’elle prenne ça sur elle.

« Mais sinon Yuri, comment et pourquoi es-tu venu ici ? » questionna l’étudiante en littérature.

« A travers un Portail. Une sorte de porte qui relie nos deux mondes. Ne m’en demande pas davantage, je ne sais même pas comment j’ai traversé ce truc ! »

« Hein ? » s’exclama son interlocutrice.

« J’ai dû le traverser sous ma forme de loup et… je ne garde pas en mémoire ce que je fais quand je suis transformé. D’ailleurs, je ne sais toujours pas ce qui a réussi à me blesser et Repede n’est pas d’humeur à m’en dire plus. »

« Pourquoi venir ici alors que tu es maudit ? »

« Pas le choix. J’étais le seul qui le pouvait au vu des circonstances. Le vieil homme n’était pas disponible, Karol trop jeune, Judith se serait trop fait remarquer et Flynn était le seul qui connaissait les incantations pour ouvrir ce fichu Portail. Ce sont mes… compagnons. » ajouta-t-il en voyant les yeux interrogateurs d’Estelle.

Ils continuèrent à marcher pendant quelques instants avant que Yuri reprenne son récit :

« Pour le reste, je suis venu à la recherche d’une personne. »

« Une personne ? »

Le brun haussa les épaules.

« Flynn m’a dit de ramener une personne de ce monde. Alors je vais essayer d’en convaincre une de me suivre. J’espère que ça sera rapide. »

Mais visiblement, il sentait comme une grosse difficulté. Les gens de ce monde semblaient fuyants et toujours pressés des quelques mots qu’il saisissait au vol. Ils parlaient de travail à finir dans la journée, de vacances où ils pouvaient se relaxer, de la dernière moto ou de la dernière console de jeux à acheter et… Yuri n’arrivait pas à comprendre de quoi ils parlaient, à croire qu’ils utilisaient un langage inconnu.

« Une personne ? Ça peut être n’importe qui ? »

Si seulement c’était le cas ! Yuri aurait menti s’il avait affirmé n’avoir pas songé à entraîner quelqu’un de force dans son monde. Même s’il agissait d’Estelle dont la candeur et la gentillesse le touchaient. Les enjeux étaient trop importants. S’il fallait mentir, enlever ou assommer pour obtenir une personne de ce monde, il était prêt à le faire. Si tel devait être le cas, Flynn risquait fort de lui en vouloir ainsi que Karol. Mais ce ne serait pas la première fois.

« N’importe qui à condition qu’elle remplisse un critère bien précis. Elle doit avoir l’aptitude à manipuler le mana et si possible, posséder une grande force physique et mentale. Vu où je vais l’embarquer, il y a plutôt intérêt… »

« Mais comment peux-tu savoir si la personne peut manipuler le mana ? »

Bonne question. Judith ou Flynn auraient pu lui répondre mais pas lui évidemment. Pourquoi les personnes dont on avait le plus besoin étaient celles qui étaient indisponibles ? Bon, au moins, on ne l’avait pas laissé sans moyens.

« J’ai ramené quelque chose pour m’aider. Mais le plus important pour moi est de récupérer mon sabre. »

Ils avaient atteint l’enfilement de ruelles où Estelle l’avait découvert sous sa forme de loup noir. Le brun fut surpris par l’odeur désagréable et nauséabonde qui y régnait, des sacs qui traînaient par terre et des poubelles renversés. Devoir retrouver ses affaires dans ce foutoir… Heureusement, Repede, le plus incommodé en ces lieux à cause de son odorat plus développé que celui des humains, les guida très rapidement vers l’endroit où il avait laissé les affaires de Yuri, sous deux énormes sacs poubelles.

Les possessions de Yuri étaient plutôt maigres : un long katana et un petit baluchon de toile grossière.

« Ah, le voilà ! » s’exclama le visiteur de l’autre monde en s’emparant de son arme. « Bravo Repede ! Je n’ose imaginer la réaction de Flynn si je lui avais raconté avoir égaré mon sabre dans l’autre monde. »

« Hum… On risque d’avoir quelques ennuis… » murmura Estelle d’une mine soucieuse en fronçant les sourcils. « Si les policiers te voient avec ton sabre, tu risques d’être interpellé et de subir un interrogatoire si tu ne prouves pas l’origine de cette arme. »

« Les policiers ? Qu’est-ce que c’est ? »

« Des représentants de l’ordre. »

En entendant ces mots, la mine de Yuri s’assombrit.

« Ils sont même ici ? Leur mainmise sur notre monde ne leur suffit plus ? Il faut aussi qu’il s’empare du tien ? Bon sang, je n’ai vraiment plus de temps à perdre ! » fit Yuri dont le visage était marqué par la fureur.

Yuri comprit ensuite que quelque chose n’allait pas quand Estelle le regarda avec une expression trahissant son incompréhension.

« Euh… Dans notre monde, les policiers sont chargés du maintien de l’ordre et du respect des lois. Ils appréhendent ceux qui ne les respectent pas mais je ne vois pas une tentative d’invasion dans leur travail. » murmura Estelle d’un ton confus.

« Oh, ce n’était que… A ta description, les policiers ressemblent plutôt aux miliciens de mon monde. »

Il était rassuré. Ce monde était encore libre de l’influence de l’Ordre. Il prit alors son petit baluchon de toile et en examina rapidement le contenu. Ouf, il était encore là…

Constatant le regard intrigué de sa guide, il ajouta :

« Je te le montrerai plus tard si ça t’intéresse. »

Ils quittèrent les ruelles. Puis voulant profiter de ce bel après-midi, Estelle voulut l’emmener dans un lieu particulier.

Ils marchèrent pendant un quart d’heure, sans croiser de policiers, ce qui représentait une chance pour eux. Sa guide lui expliqua que le port d’armes était interdit en général sauf dans certains métiers comme dans la police ou l’armée. Yuri lui demanda alors comment ils faisaient sans armes pour se défendre en cas d’attaques de monstres mais l’étudiante lui révéla qu’il n’y avait rien de tel dans son monde et qu’il était plutôt en paix d’une manière générale à l’exception de quelques conflits localisés. Elle tenta également de lui inculper le respect du code de la route, le brun ne comprenant pas pourquoi il fallait attendre qu’un petit bonhomme vert s’allume pour pouvoir traverser une route alors qu’il n’y avait personne.

Ils pénétrèrent dans un parc, arrivant enfin à leur destination. A une vingtaine de mètres de l’entrée, un chemin de sable menait vers une construction plutôt différente de ce qu’avait vu Yuri dans ce monde jusqu’à présent. Elle était plutôt imposante, solide, avec d’immenses fenêtres colorées et  une atmosphère sereine et paisible semblait rayonner autour d’elle. Sur les murs étaient représentés en bas-reliefs de drôles de personnages ailés ou non avec un disque au-dessus de leur tête. Il y avait également des monstres avec une figure affreuse et des ailes de chauve-souris – Yuri trouva même une certaine ressemblance avec des créatures de son monde. Sur le toit, s’élevait notamment une tour surmontée d’une croix, brillante et étincelante à la lumière du jour. Le parc, avec ses jolis parterres de fleurs mauves et des arbres et arbustes régulièrement entretenus, ne faisait que rehausser l’ensemble qui offrait une jolie vue.

Pourtant, quand il observa cela, Yuri ne put s’empêcher de faire la grimace et même Repede se mit à grogner.

« C’est magnifique, n’est-ce pas ? » commenta Estelle sans s’apercevoir des réactions mitigées de ses compagnons.

« Hum, oui… enfin chacun ses goûts, j’imagine. » répondit Yuri en s’efforçant de dissimuler son ressenti. « Qu’est-ce que c’est ? »

« Une église. Mais pas n’importe quelle église. C’est là où on m’a trouvée. » dit Estelle avec un sourire.

« Trouvée ? »

« Oh, c’est vrai. Tu n’es pas au courant. Tu vois, mes parents ne sont pas mes parents biologiques. Ils m’ont adoptée à l’orphelinat. Hier, c’était l’anniversaire de mon jour d’adoption alors je voulais revenir ici, où on m’a abandonnée aux portes de cette église. »

Une lueur de compassion apparut dans le regard de Yuri.

« Je… Je comprends. J’ai aussi grandi dans un orphelinat. Je suis désolé d’avoir gâché ce jour important pour toi en débarquant à l’improviste. » dit le brun d’une voix sincère.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? »

L’étranger de l’autre monde haussa les épaules.

« J’ai perdu mes parents quand j’étais jeune. Ne sois pas désolée. » ajouta-t-il en voyant la mine consternée de l’étudiante. « Je n’avais qu’un an quand ils sont partis alors je n’ai aucun souvenir d’eux. »

Il y eu un silence gêné pendant quelques minutes. Puis Yuri demanda, rompant la glace :

« Hum, c’est donc une église… A quoi ça sert ? »

« C’est un peu difficile à t’expliquer. Connais-tu le concept de religion ? »

En entendant ces paroles, le visage de Yuri se renfrogna davantage. Maintenant, il comprenait mieux d’où venait ce sentiment de malaise quand il avait aperçu l’édifice…

« Oh que oui… » murmura-t-il d’une voix sombre. « Je le connais que trop bien… »

Estelle, inconsciente du changement de l’humeur de Yuri, continua dans ses explications : 

« L’église est un lieu de recueillement et de prière. Elle est considérée comme la maison de Dieu, un endroit saint et sacré. On y récite des psaumes, des chants et… »

Pendant qu’elle parlait, ni elle, ni Yuri, ni même Repede ne remarquèrent une curieuse silhouette perchée sur le toit de l’Eglise, dissimulée par l’ombre du clocher, les scrutant depuis un petit moment déjà. Silhouette qui sembla se pencher davantage quand il perçut une certaine voix…

Soudain, Repede se mit à grogner.

« Repede ? Qu’il y a-t-il ? » interrogea son maître lorsqu’à son tour, il sentit le danger.

Yuri n’eut qu’une fraction de seconde pour dégainer son katana et pousser Estelle en arrière, l’interrompant au passage dans son récit et la faisant chuter par terre, quand un homme bondissant du toit où il se trouvait quelques instants plus tôt, tenta de l’attaquer avec deux lames en main. Le brun para de justesse le coup mortel. Un rire dément résonna devant l’église et une voix qu’il reconnut aisément s’exclama d’un air plus que ravi :

« Yuri Lowell ! Je t’ai enfin retrouvé ! Merci d’être resté en vie jusqu’à présent pour que je puisse te découper ! »

« C’est pas vrai ! » pesta Yuri, enragé. « De toutes les personnes que l’Ordre pouvait m’envoyer pour m’éliminer, pourquoi il a fallu que ce soit Zagi ? »

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Eliandre

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