Nov. 15th, 2015

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Note : Les aventures de Flynn continuent…

Note de dernière minute : Publication plus tôt que prévu car j’avais besoin de me changer les idées et si ça peut aider d’autres à en changer…


L’arrivée de Flynn : le pari

Après les événements mouvementés qu’il avait vécu la veille, Flynn Scifo, second fils de Lord Finath Scifo, n’aurait pas été contre pour rester plus longtemps dans son confortable lit à baldaquins. Mais une journée chargée pour lui se profilait à l’horizon : rassurer Ruth, rendre visite à ses parents le comte et la comtesse Kettering, vérifier qu’il n’avait pas de nouvelles affaires à traiter pour son travail d’avocat et enfin réunion familiale dont il se serait bien passé mais obligatoire vu qu’on débattrait de certains sujets dont très certainement son futur mariage.

Trois petits coups furent frappés à la porte de sa chambre avant que celle-ci s’ouvre pour faire entrer George, le majordome. Comme d’habitude, le domestique lui souhaita le bonjour avant de s’incliner et de se diriger vers la grande fenêtre afin de repousser les rideaux et l’entrouvrit pour laisser pénétrer l’air frais. Puis il aida son jeune maître à s’habiller.

Le domaine d’Ebony Alder, propriété de Neirein Scifo par son père Lord Crownwell disposait d’un magnifique manoir et d’un grand parc. Il était également bien situé, à vingt minutes de Londres en calèche mais assez éloigné de l’agitation de la capitale pour pouvoir profiter d’un lieu où régnaient la sérénité et la tranquillité. La demeure était peut-être d’une taille plus modeste que les autres habitations du même genre et sa décoration plus épurée au lieu d’exhiber une surenchère d’effets luxueux mais elle convenait parfaitement à Flynn qui en avait fait sa résidence principale dès qu’il fut en âge de quitter le reste de la famille Scifo. Autre élément qui distinguait Ebony Alder des autres domaines était le nombre réduit de domestiques employés. Au lieu d’en avoir une ribambelle, chose qu’il ne supportait plus depuis son enfance difficile au manoir Scifo à cause de ces multiples regards qui l’épiaient sans arrêt, Flynn n’avait que George qui lui servait à la fois de majordome, jardinier et chauffeur, Anna, la bonne et Suzu, le cuisinier. Parce que ses domestiques avaient autrefois travaillé pour ses parents lorsqu’ils étaient vivants – à l’exception d’Anna qui était la fille de l’ancienne femme de chambre de sa mère –, le jeune aristocrate avait plus tendance à les considérer comme ses amis que comme ses subordonnés, comportement qui scandalisait le clan Scifo mais il n’en avait cure. Il avait justement choisi de s’éloigner des membres de sa famille pour ne plus subir leurs jugements sur son mode de vie.

« Monsieur, je dois vous annoncer une nouvelle et je m’excuse de vous en aviser si tard. » dit George en aidant Flynn à arranger le col de sa chemise.

« Qu’il y a-t-il ? » demanda le jeune homme en fronçant les sourcils.

« Un serviteur de votre frère est venu et a laissé un message à votre intention hier soir pendant votre sortie avec Lady Kettering mais vous êtes rentré si bouleversé et fatigué que j’ai préféré que vous vous reposiez en priorité. Vous devez néanmoins savoir que votre frère Lord Elliot Scifo vous rend visite ce matin à neuf heures. »

Le ton du majordome était resté très professionnel, égal à lui-même mais parce que Flynn l’avait côtoyé depuis son enfance, il remarqua l’imperceptible changement de l’expression de George qui lui indiquait que la visite un peu impromptue de son frère aîné n’était pas de son goût.

« Elliot arrive ? Quelle heure est-il ? » s’inquiéta le jeune noble.

« Il n’est que sept heures et demie, jeune maître Flynn. » répondit le majordome avec un léger sourire. « Ne vous tracassez pas. Votre petit-déjeuner est prêt et Anna vous l’apportera à table dès que vous serez installé à votre place habituelle. »

« Merci beaucoup George ! » dit le jeune homme en lui rendant son sourire pendant que son domestique. « Je me demande ce que je ferai sans vous. »

« Oh, je suppose que vous aurez su vous débrouiller à votre manière maître Flynn. Vous auriez simplement mis un peu plus de temps. »

Le propriétaire des lieux hocha la tête avant de se diriger vers la porte mais dès qu’il posa la main sur la poignée…

« George, prévenez Suzu de préparer une collation pour mon frère. Et surtout, il faut qu’il y ait un thé à l’anglaise avec du lait, de la crème, de la confiture et des scones. Vous savez à quel point il attache de l’importance au moment du thé. »

« Bien monsieur. Je lui passerai le message. » répondit le majordome en s’inclinant.

--§--

Il était bientôt neuf heures et Flynn espérait que tout était prêt. Il savait que son demi-frère était exigeant et il se devait d’accueillir le chef de la famille Scifo dans les meilleures conditions. Il ne couperait sans doute pas aux critiques sur la décoration et l’ameublement qui paraitraient toujours trop pauvres aux yeux de son aîné mais il espérait néanmoins que la visite se passerait bien. Il regarda d’un air nerveux les bouquets de fleurs disposés dans des vases que George et Anna venaient d’installer et jetait sans arrêt un coup d’œil vers la cuisine : Suzu devait être en train de donner le meilleur de lui pour offrir une collation digne du chef de clan Scifo. Lui-même portait un habit simple mais élégant avec une chemise blanche et une veste de velours couleur daim avec un pantalon assorti à la veste mais d’une nuance plus claire pour faire bon accueil.

A neuf heures moins cinq, il entendit les chevaux et la calèche de son frère remonter la grande allée qui menait au manoir. Quelques instants plus tard, on annonça l’arrivée de Lord Elliot Scifo qui désirait rendre visite à son jeune frère.

Elliot Scifo, premier fils de Lord Finath Scifo et de sa première épouse Lady Abigail. C’était un jeune homme que la nature avait gâté avec des yeux mordorés et des cheveux d’un blond cuivré, aux traits anguleux et raffinés. Il était fier, sûr de lui et chacun de ses gestes exhibait l’assurance des vainqueurs qui lui conférait du charisme et de l’autorité, deux dons dignes du chef actuel du clan Scifo. De l’avis général, il était talentueux, doué, plus intelligent que la plupart de ses pairs et il était l’un des meilleurs bretteurs de sa génération.

Seulement… derrière le dos, certains murmuraient tout bas des rumeurs, que le cadet, le fils de la seconde épouse, se révélait sur tous les points encore plus brillant que son aîné… et cela Flynn en avait connaissance. Il savait que sans le vouloir, sans en avoir eu l’intention, il faisait ombrage à son demi-frère et que celui-ci le tolérait très mal, ce qui était accentué par leur apparence physique, très dissemblables pour deux frères. Elliot avait plus hérité du physique de sa mère tandis que tout le monde admettait que Flynn était comme l’image vivante de leur père en plus jeune. Finath lui-même était considéré comme exceptionnel et instinctivement, les gens accordaient à l’enfant qui lui ressemblait le plus les mêmes qualités qu’au père alors qu’à l’inverse, ils paraissaient douter de celles du fils qui lui était si différent physiquement. Il avait toutefois semblé à Flynn que depuis que le titre de chef du clan était officiellement revenu à Elliot, ce dernier était d’humeur un peu plus agréable car cela lui avait permis d’asseoir définitivement son existence.

« Bienvenue en ma demeure Elliot. J’espère que tu te sentiras comme chez toi. » dit Flynn en accueillant son aîné avec un sourire de circonstance.

« Bien le bonjour à toi, mon cher frère. » répondit son demi-frère d’un ton jovial. « Cela fait quelques temps qu’on ne s’est pas vu, n’est-ce pas ? Comment vas-tu ? »

« Très bien, je te remercie. Veux-tu peut-être te reposer ? Manger quelque chose ? Tu as dû faire une longue route non ? »

« Quarante-cinq minutes de route. Je profite de ton invitation pour te quémander du thé si tu le permets. »

« Bien sûr. Assieds-toi. » invita Flynn en lui désignant le plus confortable des fauteuils dont il disposait. « Anna, pouvez-vous ramenez du thé à mon frère, je vous prie ? »

Après que chacun ait pris place autour d’une petite table sous la véranda qui donnait une jolie vue sur le jardin commençant à offrir ses premières floraisons, Anna, jeune fille rousse de dix-neuf ans aux joues parsemées de taches de rousseur, apporta un plateau d’argent avec deux tasses, une théière fumante, du lait, du sucre, de la crème et des scones. Flynn la remercia chaleureusement avec un sourire avant de rapidement la congédier. Il se tourna alors nerveusement vers Georges qui s’avança alors pour remplir la tasse du frère de son maître.

« Thé de la Compagnie des Indes. Ton préféré, si je me souviens bien. » commenta le cadet des Scifo. « N’hésite pas à prendre des scones tant qu’ils sont encore chauds. »

« Hum… tu as une bonne mémoire Flynn. » dit Elliot en humant délicatement l’arôme de sa tasse, paupières fermés. « Ce thé me semble plutôt bien préparé… »

Aux propos de son aîné, le jeune avocat aperçut alors la mâchoire de son majordome se contracter légèrement mais son expression demeura impénétrable.

« Les scones m’ont l’air assez réussi et je dois admettre que tu as fait un effort dans la décoration. Ta… demeure fait moins vide depuis la dernière fois que je suis venu. » poursuivit Elliot en promenant son regard aux alentours. « Enfin, mettons cela de côté. Je ne suis pas venu critiquer tes goûts en matière de décoration. George, quittez cette pièce. J’ai à parler à mon cher frère. »

« Avec tout le respect que je vous dois monsieur, je suis au service de votre jeune frère et non du vôtre. » répliqua le domestique d’un ton froid et poli comme s’il constatait une évidence. « Par conséquent, je ne peux obéir qu’aux ordres de monsieur votre frère. »

Elliot dévisagea un instant le majordome de son demi-frère avant de laisser échapper un éclat de rire.

« Habile réponse que vous me faites, George. » félicita-t-il. « Vous avez toujours eu de l’esprit, je vous reconnais ce talent. C’est pourquoi je m’arrêterai là pour aujourd’hui. Faites néanmoins attention : une prochaine fois, je pourrai être moins… conciliant. »

Flynn vit son majordome se raidir et resserrer ses lèvres sous cette menace voilée. Voulant éviter une scène pénible pour tous, il décida d’intervenir :

« George, pouvez-vous sortir pour préparer les chevaux et la calèche ? Que ce soit prêt au plus vite. »

« Bien monsieur. » s’inclina le majordome.

Dès que le domestique fut sorti, Elliot se tourna vers son frère.

« Tu sors aujourd’hui ? A cette heure ? Où donc ? » interrogea-t-il.

« Je voulais rendre visite à Ruth et à ses parents aujourd’hui. » répondit Flynn d’une voix sourde.

« Ah c’est vrai, tu es sorti hier soir au cirque avec Ruth. Comment va-t-elle ? »

« Elle est en forme. Elle est très enthousiaste à l’idée du… mariage. »

Flynn s’était efforcé de prononcer ses derniers mots avec le ton le plus neutre qui soit mais il ne put s’empêcher de grimacer intérieurement. Il ne se sentait pas prêt pour ce mariage décidé contre sa volonté. Il avait quitté le manoir familial pour se libérer de la férule du clan Scifo mais au final, même ici, même à Ebony Alder, sa maison, son domaine, terre de sa mère et des Crownwell et non celle des Scifo, il avait l’impression d’être encore enchaîné au clan, d’être encore une marionnette contraint d’obéir, privé de la liberté tant désirée. Et s’il voulait être honnête avec lui-même, il détestait cordialement cette situation. Mais que pouvait-il y faire ? S’il avait émis la moindre protestation, le moindre signe d’une véritable rébellion contre les règles tacites de la haute aristocratie, nul doute que cette dernière lui aurait fait payer chèrement cette révolte et en aurait profité pour sévèrement médire sur son ascendance maternelle. Il ne pouvait pas laisser la noblesse anglaise salir la réputation de sa mère et de sa grand-mère, ce qui le forçait à suivre les règles et à maintenir l’apparence des choses.

« Je vois. Cela m’a l’air de bien se passer. Tant mieux alors. » dit Elliot en fixant son demi-frère de ses yeux mordorés. « Bien. Comme tu es pressé, j’irai à l’essentiel. Tu es intelligent Flynn et tu dois bien te douter que je ne suis pas venu ici pour une visite de courtoisie. Je voulais vérifier que tout allait bien entre Ruth et toi. J’espère que tu es bien conscient que ce mariage sera le ciment de l’alliance du clan Scifo avec celui des Kettering. »

Flynn hocha la tête d’un air amer, ses yeux se concentrant sur son thé fumant pour dissimuler à la fois ses pensées et son expression. Elliot et lui se connaissaient depuis leur enfance et son aîné était doué pour percevoir et deviner les sentiments de ses interlocuteurs, un talent qui l’avait toujours bien servi lors des négociations avec le comte Kettering. Il aurait été dangereux pour lui de laisser Elliot en savoir trop sur ce qu’il ressentait devant cette situation.

« Je le sais bien. J’ai constamment toi ou le reste de notre famille pour me le rappeler. » répliqua-t-il d’un ton morne.

« J’apprécie le fait que tu sois bien conscient des enjeux. Ce qui m’amène à l’autre raison de ma visite. »

Le blond leva alors un regard interrogateur vers son frère. Ce dernier le contemplait avec le plus aimable et le plus agréable des sourires, un scone tartiné d’un peu de crème à la main, mais il y avait dans ses yeux mordorés une sorte de joie à la fois amusée et cruelle, la même lueur qu’il voyait autrefois quand il subissait une punition durant son enfance dans le manoir Scifo. Flynn ne put s’empêcher de frissonner : il savait, par expérience, qu’Elliot n’était que plus dangereux que lorsqu’il abordait son plus charmant sourire à ses lèvres.

« Tu sais Flynn, tu es mon précieux petit frère. Nous savons tous les deux que notre enfance commune au manoir ne s’est pas faite sous les meilleurs auspices mais nous sommes tous les deux des adultes désormais et il est temps qu’on se comporte comme tels. En tant que mon frère, j’attends de ta part un comportement irréprochable, ma réputation est en jeu après tout, tout comme celle de notre clan. Certes, je peux tolérer tes quelques écarts de conduite, cela permet ainsi à quelques crédules à ne pas confondre le chef de la famille Scifo avec son jeune frère mais je te conseillerai, en toute amitié bien sûr, de ne pas abuser de la liberté que je t’ai généreusement accordée en te laissant partir du manoir. »

« J’ai quitté le manoir de mon propre gré ! » protesta Flynn en fronçant les sourcils.

« Bien évidemment. Légalement, rien ne te l’empêchait. » répondit Elliot. « Mais crois-tu réellement que tu aurais aisément quitté le manoir si je n’avais pas donné mon accord sur la question ? Bon nombre des membres de la famille, notamment ma mère, refusaient de te laisser partir aussi facilement mais j’ai tranché en ta faveur. Après tout, je sais les raisons pour lesquelles tu désirais si ardemment quitter le manoir familial. Tu voulais nous fuir, n’est-ce pas mon cher frère ? Tu voulais que nous cessions de contrôler ta vie comme nous l’avions toujours fait depuis la mort de notre père et de ta mère et enfin prendre ton destin en main. »

Cette fois, Flynn ne chercha pas à dissimuler son aversion. Il jeta brièvement un regard noir à son frère dont le sourire ne fit que s’accentuer, son ton demeurant badin et égal comme s’il parlait de choses triviales.

« Oh, ne me regarde pas ainsi Flynn, c’était évident et tout le monde s’en doutait dans la famille. Je te connais trop bien ! Et je comprends tout à fait cette sorte de réaction naturelle, c’est pourquoi je l’ai autorisée. Trop te restreindre aurait été dangereux : tu aurais fini par exploser. Mais ne te crois pas libre de tout, ce serait une erreur ! »

Il se pencha en avant pour mieux se rapprocher de son cadet.

« Que tu le veuilles ou non, je suis le chef de famille et par conséquent, rien ne se passe chez les Scifo sans que je l’y autorise. Je t’ai laissé partir et vivre ici. J’ai décidé de ton mariage avec Ruth Kettering. Je t’ai même laissé jouer à l’avocat si ça te chante bien que je trouve cela ridicule pour quelqu’un qui peut vivre avec les rentes de la fortune des Crownwell. Tout ce que tu crois avoir gagné depuis ton départ du manoir Flynn, je l’ai autorisé. Rien n’a changé. Tu restes sous le contrôle de notre famille. Rien de plus, rien de moins. »

Finalement, après prononcé ces mots, Elliot se leva de son fauteuil en déposant sa tasse sur sa table.

« Le thé et les scones étaient excellents. Toutes mes félicitations les plus sincères à ton cuisinier et à ton majordome. »

Il se tourna ensuite vers son demi-frère.

« Simple petit avertissement. Tu es intelligent alors je sais que tu en tiendras compte à l’avenir avant d’envisager certaines actions… inconsidérées… Sur ce, bonne journée mon cher frère. Je te retrouve ce soir à notre réunion familiale, n’est-ce pas ? »

Sans attendre de réponse à cette question rhétorique, il ajusta son chapeau et s’apprêtait à partir quand son cadet l’interpella :

« Elliot ! »

Le chef de famille des Scifo marqua un temps d’arrêt, ce qui permit au propriétaire d’Ebony Alder de poursuivre :

« Elliot, je sais que tu ne m’apprécies pas à cause de tout ce qui s’est passé avec notre père et nos mères respectives. Je sais aussi à quel point tu apprécies Ruth. Tu la connais depuis bien plus longtemps que moi. Alors pourquoi n’as-tu pas demandé la main de Ruth pour toi ? »

Elliot resta silencieux un moment comme s’il réfléchissait à la réponse à donner.

« C’était bien mon intention au départ. » finit-il par dire. « Ruth est le plus beau parti de la région, belle, élégante et intelligente, et son père était prêt à m’accorder sa main. Seulement, Ruth avait son mot à dire et contre toute attente, elle a préféré devenir ta femme. Comme elle est la fille unique du comte Kettering, son père tend à lui donner tout ce qu’elle souhaite et c’est ce qui s’est passé. Après d’âpres discussions, il a cédé et j’ai donc été contraint de céder à mon tour. L’alliance entre nos deux familles primait avant mes envies personnelles. »

« Je… je suis désolé… » fit son interlocuteur en baissant la tête. « J’aurais préféré que les choses soient différentes… Elliot, il n’est pas trop tard pour prendre un nouveau départ. J’aimerais vraiment qu’on laisse nos différends du passé derrière nous et que nos rapports… ne soient pas si compliqués… »

Son visiteur aux cheveux cuivrés le toisa avec circonspection.

« Tu sais Flynn, j’avoue avoir mieux appris à t’apprécier depuis que tu t’es éloigné du manoir. »

Si le blond avait eu de l’espoir, celui-ci fut vite anéanti lorsque son demi-frère enchaîna sur ses paroles :

« Oui, j’avoue que j’ai beaucoup de plaisir à être plus ou moins celui qui contrôle ton avenir. Et je trouve que tu t’es calmé depuis que tu habites ici. Tu es devenu plus… docile, je dirais, et plus enclin à rentrer dans le rang comme si tu t’étais résigné. J’ai même l’impression que tu en es devenu quelque peu apathique, que tu en as perdu ton mordant. Je dois l’admettre, j’ai hâte de voir ce que le futur nous réserve. »

Cela fut suffisant pour démoraliser Flynn. Il comprit alors que son frère se vengeait de l’humiliation de sa mère Abigail lors du divorce avec leur père, de l’humiliation et de la souffrance qu’il avait lui-même subi en étant un enfant sans père présent à son foyer tandis qu’il baignait dans le bonheur avec ses parents et que toute tentative de véritable réconciliation était inutile. Elliot ne se satisferait que d’une relation de dominant-dominé, en résumé une situation où il exerçait son pouvoir sur les autres et surtout sur lui. Cela ne faisait qu’assurer sa soif de puissance et d’influence, son désir de dominer et de contrôler les gens. Elliot aimait le pouvoir. C’était l’une des raisons pour laquelle il avait recherché une alliance avec les Kettering et à obtenir la main de Ruth.

« Je pense avoir suffisamment abusé de ton hospitalité. Je te souhaite une bonne journée Flynn. Et à ce soir. »

Dès qu’Elliot quitta le perron et que le trot des chevaux résonna de l’extérieur, George accourut immédiatement auprès de son jeune maître.

« Oh monsieur ! Je le lis sur votre visage : votre entrevue avec votre frère s’est mal passée. » s’exclama-t-il.

« Quoi que je fasse, je n’arriverai jamais à le satisfaire pour qu’il me pardonne. » murmura le blond. « Je ne peux pas lui en vouloir de me détester ainsi. C’est à cause de moi que notre père n’était pas avec… »

« Monsieur, je vous interdis de dire de cela ! » intervint le majordome avec sévérité. « Certes, monsieur votre père n’est pas resté avec Lady Abigail Winchester mais il a respecté jusqu’au bout ses responsabilités envers son fils aîné et il l’aimait, quoi que celui-ci peut penser. Elliot Scifo peut se montrer rancunier et vous en vouloir mais n’importe qui avec une âme plus compatissante que la sienne aurait fini avec le temps par comprendre et par pardonner pour une faute dans laquelle vous n’y êtes pour rien. Il aurait dû s’apercevoir de votre générosité, de votre bonté et de votre noblesse d’âme. Etes-vous en train, monsieur, de vous reprocher votre naissance et faire injure au fruit de l’amour de vos parents ? »

Flynn contempla son ami pendant quelques secondes puis un pâle sourire passa sur ses lèvres.

« Heureusement que vous êtes toujours à mes côtés pour me soutenir George. Sans vous, je me demande ce que je deviendrai. »

« Certainement en train de broyer du noir monsieur. Cela étant dit, j’aimerais changer de sujet et vous avertir que votre calèche est prête. »

Flynn déposa alors sa tasse sur la table.

« Parfait. Dites à Anna de débarrasser la table puis que Suzu et elle prennent leur journée s’ils le désirent vu que je rentrerai tard aujourd’hui. »

« Bien monsieur, à vos ordres. »

--§--

La visite chez les Kettering fut une rapide formalité. Il put rassurer Ruth bien que le comte se montra assez courroucé qu’il n’ait pas raccompagné sa fille adorée jusque chez elle. Heureusement, sa fiancée avait pu inventer un mensonge assez crédible pour excuser son absence : il avait soutenu et aidé une spectatrice qui avait fait un malaise à cause de la chaleur ambiante. Cela lui permit de recevoir rapidement le pardon du comte et le reste de la visite se déroula sans heurts.

Après avoir prévenu les Kettering de la réunion familiale des Scifo où ils étaient invités, Flynn prit son congé et partit pour Londres.

C’était dans un quartier assez populaire que Flynn tenait son cabinet d’avocat. Oh, à vrai dire, c’était un minuscule bureau coincé parmi d’autres locaux plus spacieux. Le blond avait les moyens de s’offrir un bureau plus vaste dans un quartier plus attractif et plus riche mais il aimait ce petit coin tranquille, ce petit immeuble en briques rouges se trouvant à l’intersection des quartiers ouvriers et ceux de la classe moyenne. En temps normal, il gérait surtout de l’administratif ou des gens venaient pour lui demander des conseils juridiques, moyennant une modique somme.

Cependant, aujourd’hui était un jour qui sortait de l’ordinaire quand un homme habillé comme un ouvrier se présenta à son bureau. Il portait un béret, une chemise blanche déchirée par endroits, un pantalon noir et des chaussures usées. Son visage, comme tous ses semblables, était usé avant l’âge. Cela devait être un trentenaire mais il donnait l’impression d’approcher de la cinquantaine.

« Vous êtes monsieur Scifo ? » demanda-t-il.

« En personne. Que puis-je pour vous ? »

« Je m’appelle John, John Penn monsieur. J’ai entendu parler de vous. On m’a dit que vous acceptez des faibles paiements. »

« Pour être exact monsieur, j’adapte mes tarifs en fonction des moyens de mes clients. J’estime que tout le monde devrait pouvoir s’offrir les services d’un avocat. Pas que les plus favorisés. »

« C’est ce que je voulais dire. » s’empressa de dire le dénommé John Penn. « Voilà, j’ai une affaire assez compliquée et je ne sais pas si vous pourriez m’aider. »

« Et si vous me la présentez monsieur Penn ? » dit Flynn en souriant avec bienveillance.

L’homme sembla hésiter quelques minutes, faisant tournoyer son béret entre ses mains tout en fixant le jeune aristocrate avec espoir et doute à la fois. Il parut finalement se décider :

« Voilà, mon paternel est mort il y a un mois et j’ai hérité de lui un p’tit bout de terrain. Oh rien de faramineux mais il est toujours bon d’avoir son p’tit lopin de terre pour soi. V’là que la semaine dernière, je voulais m’y rendre pour voir à quoi ce bout de terrain pouvait ressembler. Et je me retrouve nez à nez avec le châtelain du coin Lord McCoy qui prétend que ça lui appartient et il ne veut pas en démordre. »

« Avez-vous une preuve que le terrain vous appartient monsieur Penn ? » interrogea Flynn.

« Oui, j’ai le testament de mon vieux père. » répondit John en sortant de sa poche un morceau de papier froissé à l’origine douteuse. « Mais McCoy a refusé d’en reconnaître l’authenticité. Il a une autre feuille, dit-il, qui prouverait que ce terrain a toujours appartenu à ses aïeux et m’a ri au nez en disant que je n’avais pas assez de cran pour porter l’affaire aux tribunaux. Je veux récupérer mon p’tit bout de terre monsieur Scifo. Mais voilà, un avocat coûte cher, très cher, sans compter que McCoy a certainement les moyens de s’offrir les meilleurs avocats pour défendre ses intérêts. C’est une tâche difficile monsieur Scifo mais je vous le demanderai franchement : accepterez-vous d’être mon avocat ? »

Le jeune aristocrate contempla longuement son client comme pour mieux le jauger.

« J’ai, dans ce cas, une question à vous poser avant de pouvoir répondre à la vôtre monsieur Penn : jusqu’où êtes-vous prêt à aller ? »

L’ouvrier se gratta la tête avec une expression presque comique mais ses yeux paraissaient déterminés.

« Jusqu’au procès monsieur Scifo. Comme je l’ai dit ce p’tit lopin n’est pas grand-chose mais il me vient de mon paternel. Il n’a peut-être pas une grande valeur mais je tiens à le récupérer. Seulement, les frais pour un procès sont énormes et… »

« N’en dites pas plus, monsieur Penn. » intervint Flynn. « Je suis convaincu et j’accepte de vous aider et de vous représenter dans cette affaire, même devant un juge s’il le faut. Pour l’argent, ne vous inquiétez pas, j’en fais mon affaire. »

« Mais pour vous payer monsieur Scifo, comment… » demanda son client d’une voix hésitante avant qu’il l’interrompe de nouveau.

« Nous verrons quand nous réussirons à récupérer votre terrain monsieur Penn. Pour le moment, je vous interdis de vous préoccuper de questions financières sur mes services. Je vais bien sûr faire tout mon possible pour que Lord McCoy vous rende votre terrain mais je ne peux pas vous en garantir le succès. Vous comprenez ? »

« Pour sûr monsieur Scifo. Je vous fais confiance. »

« Bien. Ce testament est précieux mais cela ne suffira pas pour prouver votre bonne foi devant les tribunaux. » expliqua l’avocat. « Pourriez-vous me le confier ? Il me faudrait aussi l’adresse du notaire qui a dressé le testament de votre père. Savez-vous comment ce terrain est devenu possession de votre famille. »

« Euh… Je crois qu’il appartient à la famille depuis cinq générations voire plus. » répondit John Penn.

« Je ferai donc des recherches. J’aimerais connaître vos disponibilités pour que nous puissions fixer des rendez-vous afin de faire le point sur l’évolution de l’affaire et vous communiquer le résultat de mes recherches. Nous allons d’abord tenter une conciliation à l’amiable mais si jamais Lord McCoy ne peut vous donner satisfaction, il faudra se préparer à aller au procès. »

Après quelques échanges d’informations et de coordonnées, John Penn salua amicalement le jeune avocat et prit rapidement congé. Suite à son départ, Flynn poussa un léger soupir. Il était anxieux quant au déroulement de l’affaire, il n’avait jamais plaidé devant un tribunal. La journée était néanmoins passée vite et il n’avait pas vu le temps défiler. Il était temps pour lui de se rendre à la réunion familiale des Scifo.

Il avait déjà hâte que la soirée se termine…

--§--

« Flynn, je vous remercie de m’avoir invitée au manoir de votre famille. » dit Ruth d’un air joyeux. « Mes parents en sont très satisfaits. »

« Il faudrait plutôt remercier mon frère Ruth car il a énormément insisté pour que vous soyez présente. Je n’ai fait que transmettre l’invitation. » répondit son fiancé.

Le manoir des Scifo était une belle et immense demeure où les mots "élégance" et "luxe" prenaient tous leurs sens. Comme il s’agissait de la demeure principale d’Elliot, ce dernier l’avait décorée selon ses goûts dans le pur style de l’époque : riche, harmonieux et certainement pas minimaliste. Le salon était somptueux avec son parquet bien ciré et son tapis aux motifs orientaux, le mobilier ornementé comme le magnifique canapé blanc crème aux bords dorés, les lustres étincelants ou les bas-reliefs représentant des portraits en profil de Lady Abigail Winchester, mère d’Elliot. Cheminée blanche bien entretenue, paravents aux décorations exotiques… c’était au final, une belle pièce qui reflétait assez bien la magnificence du manoir des Scifo. Peut-être un peu trop surchargée au goût de Flynn, mais ce n’était pas sa maison.

Il se sentait mal à l’aise d’ailleurs. Il détestait cet endroit et avait tout fait pour le quitter. Il y avait passé le reste de son enfance après l’accident de son père et le suicide de sa mère. Il avait toujours l’impression d’être un étranger, que la demeure lui était ouvertement hostile. Sans George et les autres, sans doute il aurait fini par craquer avant d’atteindre l’âge suffisant pour pouvoir la quitter mais même encore, il ne portait pas le manoir et ses habitants dans son cœur.

Contrairement à lui, Ruth était heureuse et elle brillait de joie. Ce n’était pas la première fois qu’elle se rendait au manoir mais c’était sans doute la première fois qu’elle rencontrait toute la famille réunie. Elle aimait les ambiances festives, les soirées de galas, les bals… Ruth était une fille aimable, respirant la joie de vivre, parfaite aux yeux de beaucoup mais elle aimait admirer les choses et surtout qu’on lui accorde un peu d’attention. C’était tout à fait normal : ce n’était pas vraiment par égocentrisme ou par caprice mais étant fille unique, sans doute avait-elle toujours craint de ne pas exister dans une société dominée par les hommes.

« Je dois donc le remercier. » dit-elle. « Cela fait d’ailleurs longtemps que je n’ai pas vu… Oh, quand on parle du loup… Par ici Elliot, je suis contente de vous voir ! »

« Ma chère Ruth, heureuse rencontre ! La dernière commençait à dater, n’est-ce pas ? » dit Elliot en embrassant galamment la main de la belle femme. « Ah Flynn, je suis content de te voir ! Cela faisait longtemps que tu n’étais pas venu ici. J’espère que tu profites bien de ton séjour. »

« Je te remercie de me faire un si bon accueil, Elliot. » fit Flynn en affichant un sourire de circonstance.

« C’est une belle réception Elliot. Je vous remercie pour votre invitation. Mes parents en sont ravis. » ajouta Ruth.

« Bien, tant mieux alors car cette réception est à votre honneur Ruth. A vous et à mon cher frère ! » dit-il en se saisissant d’un verre de vin rouge qu’il leva en l’honneur des deux fiancés. « J’ai d’ailleurs hâte que le mariage ait lieu. Je pense qu’il serait temps d’annoncer une date, non ? »

« Quelle excellente idée ! » s’exclama Ruth. « Cela fait maintenant un certain temps que nous sommes fiancés Flynn. Peut-être serait-il vraiment temps de préparer sérieusement le mariage. Mon ami, quel bonheur ce sera quand nous unirons enfin nos vies pour le reste de nos jours. »

« Je… Je dois d’abord en parler à votre père Ruth. Serait-il d’accord pour vous autoriser à vivre enfin sous mon toit ? La dernière fois, il semblait assez récalcitrant sur un mariage un peu trop précipité à son goût. » répondit Flynn qui dissimulait ce qu’il ressentait vraiment.

La vérité, c’était que le comte Kettering aimait tellement sa fille unique qu’il avait du mal à se faire à l’idée que sa Ruth adorée allait quitter le foyer familial pour vivre avec un homme, raison pour laquelle il montrait une certaine réticence à marier son enfant si tôt. Cette situation arrangeait plutôt bien Flynn. Il avait espéré qu’avec le temps, il finirait par éprouver des sentiments amoureux pour Ruth mais tel n’avait pas été le cas. Il se demandait d’ailleurs s’il n’avait pas encore besoin d’un peu de temps pour vaincre définitivement ses répugnances au sujet de cette union décidée contre sa volonté.

« Ruth, Flynn, rassurez-vous, je viens juste de parler au comte. » déclara Elliot avec un sourire aux lèvres. « Il pense comme moi que le moment est venu et qu’il serait préférable de commencer les préparatifs du mariage. Il faudra bien sûr qu’on se mette d’accord sur la date du mariage mais pour le reste, je pense que ce ne sera qu’une simple formalité, longs préparatifs exceptés bien évidemment. »

« Quelle bonne nouvelle ! » dit Ruth en joignant les mains, ses yeux cobalt étincelants de joie. « Nous allons enfin pouvoir vivre ensemble Flynn. »

« C’est… un honneur que d’accepter votre main, Ruth. » répondit Flynn d’une voix sourde.

« Oh, Flynn. Ma mère voudrait te féliciter pour ton mariage. Le bruit la fatiguant, elle est en train de se reposer dans le boudoir. Pourrais-tu la voir ? » demanda Elliot.

Le cadet comprit l’ordre implicite de son demi-frère. Il ne broncha donc pas et garda un visage impassible et quelque peu morose.

« Bien sûr. Puis-je te laisser avec Ruth ? »

« Je serai ravi d’accorder un peu de mon temps à ma future belle-sœur. »

« A bientôt, Flynn. N’oubliez pas de venir ensuite prendre un verre avec moi. » rappela sa fiancée.

« Je n’y manquerai pas. » répondit Flynn en inclinant la tête.

Connaissant les lieux, le blond fila vers le boudoir mais en son for intérieur, il espérait que quelque chose ou quelqu’un l’en empêche pour une quelconque raison. Rien de notable ne se déroula toutefois et il arriva sans heurts devant le boudoir dont la porte était close.

Poussant un soupir, Flynn toqua doucement à la porte, attendit quelques secondes puis une voix féminine lui signifia d’entrer. Ce qu’il fit.

Le boudoir était une jolie pièce avec son papier peint fleuri et son mobilier en bois exotique. Un petit piano droit blanc y avait été installé et servait essentiellement à l’entraînement des musiciens de la maisonnée. Un petit placard contenait d’ailleurs de nombreuses partitions dont les bords légèrement jaunis montraient qu’elles avaient longuement été utilisées. Au centre, une table basse et un large fauteuil occupé en ce moment par Lady Abigail Winchester, mère d’Elliot Scifo.

« Bonsoir Flynn. » dit-elle d’une voix grave. « Je vois avec plaisir que vous me semblez bien portant. Veuillez prendre place, je vous prie. » ajouta-t-elle en lui désignant un autre fauteuil.

Le jeune homme obéit avant de contempler son interlocutrice. Même si elle n’était plus de la première jeunesse, Lady Winchester demeurait belle malgré son âge. Jadis, elle avait été d’une beauté éblouissante et, si Flynn voulait être objectif, bien plus belle que sa mère Neirein Crownwell. Une longue chevelure bouclée aux tons cuivrés qui fut l’objet d’admiration de tant de ses prétendants et des yeux noisette dorés qui lui conféraient un regard remarquable, perçant et inquisiteur, deux caractéristiques dont Elliot avait héritées. Sa robe aux couleurs sobres et sombres, ses gants en dentelle noire à la française évoquaient plutôt une veuve comme si elle portait à jamais le deuil de son mari… sauf qu’ils avaient divorcé bien avant sa mort… Après l’accident qui avait coûté la vie à Lord Finath Scifo, Abigail et Neirein avaient toutes deux porté le deuil. Cela Flynn pouvait le concevoir puisque chacune avait perdu le père de leur enfant. Cependant, au fil du temps et surtout après le suicide de sa mère, il put constater qu’Abigail s’acharnait à garder des vêtements sombres. Il comprit plus tard que c’était une façon pour cette femme d’affirmer qu’elle était la seule épouse légitime de Finath, bafouant ainsi complètement les droits de Neirein. Elle n’avait jamais accepté son divorce avec Finath. Bien qu’elle avait repris son nom de jeune fille pour rappeler à quel point elle était issue d’une lignée irréprochable, elle avait ordonné à ses propres domestiques de l’appeler Lady Scifo comme pour toujours remémorer son mariage avec Finath.

« Un brandy peut-être ? » demanda-t-elle en désignant la bouteille.

« J’en serais honoré madame. » répondit Flynn en hochant la tête.

Le glouglou d’une bouteille, quelques tintements de verre puis Abigail posa ses yeux inquisiteurs vers son beau-fils avant de lui dire :

« Elliot m’a appris que la date de ton mariage avec Ruth Kettering sera bientôt avancée. Toutes mes félicitations et mes vœux de bonheur. »

« Je vous remercie madame. » répondit Flynn d’un ton neutre.

« J’aurais préféré qu’Elliot se marie le premier mais cette demoiselle a porté son choix sur vous. J’espère que vous saurez néanmoins faire honneur à votre future épouse et que vous saurez être digne d’elle. N’oubliez pas que ce mariage revêt une importance capitale pour l’alliance entre les Scifo et les Kettering. » déclara Abigail d’une voix acerbe. « Sachez la combler, veillez sur elle. Elle attend un homme qui la couve de soins. »

« Je saurais me montrer un époux attentionné et je promets de veiller à ce qu’elle ne manque de rien. » annonça le jeune homme avec une expression apathique.

Abigail émit alors un bref éclat de rire quelque peu moqueur et insultant à la fois.

« Ah, un époux attentionné ! Cela, je veux bien le croire ! C’est exactement ce que ton père m’a dit avant notre mariage… et avant qu’il me délaisse pour cette roturière japonaise ! »

Neirein Crownwell était la fille de Lord Crownwell et n’était qu’à moitié japonaise. Lady Abigail le savait parfaitement mais elle faisait mine de l’ignorer. Depuis son enfance au manoir, Flynn savait qu’il était inutile de convaincre ses habitants que sa mère avait des origines nobles par son père. Pour eux, sa mère n’était qu’une parvenue.

« Oui, je dois l’admettre, il a respecté tous ses devoirs d’époux avant qu’il me jette pour ta mère, cette femme qui n’est même pas une pure Anglaise ! »

Puis après cet accès de colère, Abigail prit une profonde inspiration pour se calmer avant de faire brutalement volte-face tel un fauve sauvage et de se saisir de la tête de Flynn comme le ferait un tigre, sous les yeux médusés de son beau-fils qui la laissa faire sans oser réagir de peur de provoquer un nouveau conflit. Il sentait néanmoins sous les gants en dentelle noires les ongles de sa belle-mère tels des griffes acérées.

« C’est fou à quel point tu lui ressembles. J’aurais tant aimé qu’Elliot ait hérité physiquement de certains des traits de son père mais toi, tu es vraiment son portrait craché quand il avait ton âge. Oui, tu es vraiment l’image vivante de Finath. » murmura-t-elle d’une voix dangereusement veloutée tout en enfonçant ses ongles dans le visage de Flynn. « Mais… ce que je ne supporte absolument pas, c’est qu’avec ce visage si semblable à l’homme que j’ai aimé, tu tiens les mêmes propos que cette femme que je hais. »

Un sourire à la fois dédaigneux et victorieux apparut alors sur ses lèvres.

« Bah… Après tout, peu importe ! Au final, cette maudite femme a perdu. Toutes les possessions de Finath sont revenues à mon Elliot. J’avoue que cela a été un grand moment de la voir contrainte de plier bagage quand elle a quitté la demeure de ton père. Elle a ensuite mis fin à ses jours en abandonnant son propre fils. A croire qu’elle ne t’aimait pas assez mon pauvre Flynn ! »

A l’époque, il n’avait pas vu venir le suicide de sa mère. Personne ne l’avait vu venir dans son entourage, ni lui, ni les domestiques. Pourtant, quand il fouillait dans ses souvenirs, Flynn se disait qu’il aurait dû voir venir le geste et il en ressentait de la culpabilité. Avec la pression qu’elle subissait de la part de la haute société anglaise, sans le soutien de son mari ou de son père tous deux décédés, elle était devenue de plus en plus agitée, plus névrosée, plus hystérique au point de se sentir persécutée, bien qu’elle le dissimulait devant son fils, jusqu’au jour elle commit le geste irréparable. La seule chose que lui avait laissé Neirein après sa mort était une touchante lettre d’adieu où elle lui disait combien elle l’aimait et elle lui suppliait de lui pardonner son acte désespéré.

Flynn garda son sang-froid devant les médisances d’Abigail et ses yeux azur auraient jeté des éclairs s’il n’avait pas su garder contenance. Sa mère l’avait aimé et certains des meilleurs moments de sa vie furent ceux partagés avec elle. De cela, il en était sûr. Peu importe ce que lui disait Abigail, elle ne pourrait jamais lui faire changer d’avis.

« Quant à son fils, on peut dire qu’il est devenu ma propriété, n’est-ce pas ? » continua Lady Winchester tout en plongeant une de ses mains sous la chemise de Flynn. « Il est contraint de faire tout ce que je demande et ne peut pas élever la moindre protestation sous peine d’être accusé de me manquer de respect et que l’origine de son incivilité soit soupçonnée de provenir de sa sang-mêlée de mère, cette femme issue de ce pays barbare qu’est le Japon ! »

« S’il vous plait madame, je vous demanderai de ne pas insulter la mémoire de ma mère. » dit Flynn d’une voix devenue soudainement dure.

« Sa mémoire ? » se moqua Abigail. « On ne peut dire qu’il y ait beaucoup de gens à qui elle ait manqué si on excepte toi. »

Faux, elle avait manqué à tous les domestiques de son père mais il aurait été mal avisé de le dire devant sa belle-mère. Ce n’était pas vraiment de véritables personnes pour elle.

Puis soudain, aussi brutalement qu’elle avait commencé, Abigail retira sa main et relâcha la tête de son beau-fils.

« Ce fut une bonne conversation. Je suis heureuse que tu saches te tenir à ta place et que tu sois conscient des enjeux. Je pense que nous devrons revenir au salon et profiter de la fête Flynn. Une absence trop longue risquerait d’inquiéter inutilement nos invités, surtout ta fiancée. Pourrais-tu m’ouvrir la porte ? »

« Bien évidemment madame. »

A peine Flynn revint au salon que le père de Ruth, le comte Kettering se dirigea aussitôt vers lui pour l’aborder. C’était plutôt un grand homme d’allure distinguée qui portait un monocle à son œil gauche.

« Ah Flynn, vous voilà ! J’ai besoin de vous pour un petit service. »

« Lequel monsieur ? » interrogea poliment Flynn.

« Vous et votre frère Elliot êtes considérés comme les meilleurs bretteurs de votre génération. Un de mes vieux amis a parié que vous étiez le numéro un devant votre frère. J’ai soutenu le contraire car pour avoir vu Elliot à l’œuvre quand il était plus jeune, je doute que vous puissiez le battre. Pas que je doute de votre talent Flynn. Vous êtes après tout mon futur gendre et l’époux que prendra ma Ruth adorée se doit de posséder des qualités exceptionnelles mais j’ai du mal à imaginer comment vous pourriez battre Elliot. »

« J’ai pris la liberté d’accepter en nos deux noms Flynn. » ajouta son demi-frère. « J’espère que tu ne m’en voudras pas pour ça. Cela fait d’ailleurs longtemps que nous ne nous sommes pas mesurés l’un à l’autre.

« J’avoue que je ne vous ai jamais vu combattre. Ce sera donc pour moi l’occasion de voir ce que vous valez avec épée à la main. Ruth, une préférence pour le vainqueur ? »

« Oh… Elliot est un ami très cher mais Flynn sera bientôt mon époux… » murmura-t-elle assez embarrassée. « En tant que fiancée de Flynn, je dois le soutenir mais j’aurais aimé rester neutre. »

« Rassurez-vous Ruth, je vous comprends. » commenta Elliot. « Après tout, mon cher frère aura bien besoin de vos encouragements s’il espère gagner. »

« Allons, dirigeons-nous vers un endroit plus propice pour ce petit exercice. » déclara Lady Abigail tout en faisant signe à son majordome. « Thomas, veuillez apporter des épées pour mon fils et son frère. »

« Bien madame. »

« Lady Winchester, cela ne vous gêne pas si je me propose de jouer les arbitres entre ces deux garçons ? » questionna le comte Kettering.

« Bien volontiers comte, bien volontiers. Je n’y vois pas d’inconvénients. » répondit-elle.

Ils se dirigèrent tous vers la salle de bal qui offrait un espace suffisant pour un duel. Thomas, le majordome d’Elliot apporta à chacun des combattants une épée. Pendant que l’aîné commençait à s’échauffer, le cadet examina avec minutie sa lame, la faisant tournoyer dans l’air pour soupeser son poids et vérifier sa maniabilité avant de s’échauffer à son tour. Lorsque les deux jeunes hommes eurent terminé leurs préparatifs, le comte Kettering s’avança.

« On arrête le combat au premier sang versé, le gagnant étant bien sûr celui qui aura touché son adversaire. » annonça-t-il. « Messieurs, faites preuve de fair-play. Que le meilleur l’emporte ! »

Chacun salua le public et son adversaire avant d’entamer le duel. Elliot avait ses yeux fixés sur son frère mais ce dernier avait l’esprit ailleurs, avec une expression proche de l’apathie. Il n’était pas en état de combattre après sa dernière entrevue avec sa belle-mère qui avait été assez houleuse. Heureusement que le blond possédait d’excellents réflexes car il fut presque surpris quand son aîné débuta son attaque par un rapide assaut, lame en avant. Il put néanmoins parer le coup in extremis mais Elliot continua ses attaques fulgurantes, obligeant Flynn à rester sur la défensive et à reculer. Pendant quelques instants ce fut ainsi jusqu’à ce que, profitant d’un dégagement trop long de son demi-frère, il put enfin placer une prompte contre-attaque qu’Elliot évita d’extrême justesse.

« Eh bien, j’ai bien failli croire que je m’ennuierai. Content de voir que tu t’es enfin réveillé. » commenta Elliot.

A son tour, il subit les assauts de son cadet car même s’il essayait de l’attaquer, ses coups étaient bloqués par l’extraordinaire technique de Flynn. Le talent de celui-ci avait toujours été naturellement incroyable et en s’entraînant et en acquérant de l’expérience au fil des combats, il avait poli ses remarquables prédispositions.

Le combat tourna à l’avantage de Flynn et Elliot semblait éprouver des difficultés. Pourtant, jamais le fils de Neirein n’avait semblé si… désintéressé par le duel. Il réussit néanmoins une nouvelle fois à contrer le coup d’Elliot et là, il aperçut la faille dans sa garde. Un mouvement vers le cou d’Elliot et la victoire serait à lui.

« Cette roturière japonaise… Cette femme qui n’est même pas une pure Anglaise…Elle ne t’aimait pas assez pour t’avoir abandonné… Avec un visage si semblable à l’homme que j’ai tant aimé, tu tiens les mêmes propos que cette femme que je hais… que je hais… »

Perdu dans ses pensées, il attendit une seconde de trop et cela fut suffisant pour rater l’occasion. Elliot profita de sa distraction pour attaquer puis il sentit soudain une légère douleur à la joue.

« Fin du duel messieurs. » conclut le comte Kettering. « Toutes mes félicitations pour ce magnifique duel Elliot. Vous êtes toujours aussi talentueux décidément. Flynn, je dois admettre que vous m’avez surpris. Vous êtes bon mais c’est le meilleur qui l’emporte, n’est-ce pas ? »

« C’est dommage Flynn. Cela s’est joué à pas grand-chose. » dit Ruth d’une voix navrée.

« J’espère que vous avez parié gros sur ma victoire, comte Kettering. Votre ami va regretter d’avoir parié sur mon frère. » ajouta Elliot d’une voix narquoise.

Flynn toucha alors sa joue : son aîné avait réussi à atteindre sa joue. Une petite égratignure de rien du tout, il n’en garderait pas de cicatrice. Compatissante, Ruth appliqua avec amour son mouchoir sur sa blessure. Il la remercia pendant que les autres convives analysaient le duel. Toute la famille évoquait les brillants talents d’escrime d’Elliot et sa victoire en les termes les plus élogieux, à quel point il était incomparable par rapport à son demi-frère. Il se sentait dépité. Ce n’était pas qu’il était jaloux, mauvais joueur ou qu’il se cherchait des excuses mais il savait qu’il aurait pu facilement l’emporter. Et surtout, s’il avait gagné, on ne l’aurait jamais aussi chaudement félicité comme les autres membres de la famille le faisaient actuellement avec Elliot : on aurait trouvé une explication pour excuser la défaite d’Elliot et on aurait trouvé une critique sur son jeu d’épée. Le fait qu’Elliot était le chef de la famille y était aussi pour quelque chose : tout le monde voulait être dans ses petits papiers.

Dès le début, il avait voulu que cette soirée se finisse au plus vite. Cette fois, il en eu réellement plus qu’assez de cette mascarade.

Heureusement, la soirée touchait à sa fin pour certains. Ceux qui avaient des activités le lendemain émirent le désir de se retirer, montant soit dans des chambres prévues à cet effet, soit en demandant leur voiture. Profitant de cette occasion, il demanda sa calèche.

« Déjà Flynn ? Tu nous quittes si tôt ? » demanda Elliot.

« J’ai des affaires à régler pour demain. Une personne m’a demandé des conseils. » répondit sèchement le blond. « Ruth, je suis désolé de vous quitter de si bonne heure mais mon travail m’appelle. » ajouta-t-il en embrassant la main de sa fiancée.

« N’oubliez pas de passer chez moi dans les prochains jours. » intervint le comte Kettering. « Il faut que nous commençons les préparatifs du mariage. »

« Je n’y manquerai pas. Au revoir à vous tous. »

Il voulait fuir cette habitation, fuir tout le clan et rentrer chez lui dans un lieu où ni Elliot, ni Abigail avaient de l’influence. Chez lui ? Non ! Même ici il était sous l’influence de son demi-frère puisqu’il l’avait laissé vivre à Ebony Alder. Londres où se situait son cabinet d’avocat ? Même chose. Il réfléchit à la hâte à un endroit où aucune aristocratie du monde ne pourrait l’atteindre. Ni Elliot, ni Abigail, Ni les Scifo, ni les Kettering, ni personne de la haute société. Et il n’en vit qu’un seul… aussi dangereux soit-il… mais de toute façon, qu’avait-il à perdre à part cette vie qui lui paraissait chaque jour de plus en plus insupportable ?

Sa décision était prise…

« George, détachez un cheval et équipez-le de rênes. Maintenant. » ordonna-t-il.

« Monsieur ? » fit son majordome avec un air effaré et surpris. « Permettez-moi de vous demander où allez-vous à une heure si avancée ? »

« Là où je n’aurai plus à supporter l’influence d’Elliot ou de sa mère. » répliqua Flynn.

Pendant cette conversation, George avait obéi à son ordre en détachant l’un des chevaux de son maître. Il voulut sortir une selle du coffre de la calèche mais Flynn se saisit des rênes avec impatience.

« Cela ira comme ça. » dit-il en grimpant sur le cheval. « Je peux monter à cru pour une fois. »

« Jeune maître ! » protesta George, inquiet. « Je vous en prie. Ne commettez pas de folie ! Je sais vous avez besoin de vous sentir libre mais je ne peux m’empêcher de craindre pour vous. »

« Rentre à la maison George. Tu peux encore conduire la calèche avec un cheval. » dit Flynn d’une voix douce à son ami. « Ne t’angoisse pas à mon sujet. »

Sur ce, il partit au galop vers le seul endroit qui était libre du pouvoir d’Elliot ou de sa mère.

Au cirque de Brave Vesperia…

--§--

La représentation devait être finie depuis un bon moment car lorsque Flynn arriva, le silence régnait à part quelques hurlements à glacer le sang qui s’élevaient sporadiquement. Pendant une brève seconde, il se demanda pourquoi il s’était enfui vers cet endroit étrange, sordide d’où émanait une ambiance sombre et malveillante car il fallait être fou ou désespéré pour venir dans un endroit où la mort, le sang et la souffrance étaient présentes. Sa monture ne s’y trompa pas en tout cas car à peine posa-t-elle un sabot dans le domaine du cirque qu’elle commença à trembler et à s’agiter. Flynn réussit néanmoins à la calmer et à l’attacher près d’une barrière.

Dans le même temps, à l’image du dompteur, les gens de ce cirque étaient… étranges et particuliers. Pas le genre d’individus qu’Elliot ou sa mère contrôlaient… Alors s’il y avait un lieu libre de leurs influences, qui n’avait obéi ou subi le pouvoir et la domination de sa famille, c’était bien celui-ci…

Cela étant dit, Flynn éprouvait cependant une certaine appréhension pour être venu dans le domaine des saltimbanques. Il n’avait aucun droit d’être ici comme la représentation était terminée et il n’était pas un invité. Alors, que faisait-il ici ?

Pourquoi était-il donc venu au cirque, se répétait-il mentalement.

Il fut alors surpris quand un aboiement se fit entendre et, surgissant des ombres, un chien apparut devant lui. A son pelage blanc et bleu, son œil borgne et sa posture altière et fière, Flynn reconnut Repede, le chien savant et mascotte du cirque. Ce dernier avait la queue et les oreilles dressées, le contemplant avec une évidente méfiance.

« Tu es Repede, je crois non ? Moi, je m’appelle Flynn, Flynn Scifo. » murmura le blond pendant que l’animal tournoyait autour de lui comme pour le humer.

Pendant une fraction de seconde, il crut que le manège du chien n’allait jamais se terminer mais soudain, il s’arrêta et il lui sauta à la figure, renversant le jeune Anglais par terre, pour lui lécher amicalement le visage. Comprenant que le canidé ne lui ferait plus aucun mal, Flynn se mit à le caresser.

« Eh bien, c’est la première fois que je vois Repede accorder ses faveurs aussi rapidement à un étranger du cirque. Tu es vraiment quelqu’un, Flynn Scifo. » dit brusquement une voix d’un ton sarcastique.

Flynn se releva immédiatement. Il identifia aisément le propriétaire de cette voix teintée d’ironie.

« Toi ! » reconnut-il quand il aperçut le dompteur Yuri Lowell, dos nonchalamment adossé à une des roulottes du cirque.

« Content de te revoir Flynn. Je dois avouer que j’attendais ta prochaine visite avec impatience. »

« Comment… Tu savais que j’allais revenir ? » s’écria le blond.

« J’ai plutôt bonne intuition en général. » répondit le dompteur. « Cela étant dit, je suis surpris que tu aies gagné aussi facilement les faveurs de Repede. Il ne se laisse pas toucher par n’importe qui. Tu devrais te sentir flatté. Il n’a sans doute jamais porté un tel intérêt à quelqu’un depuis… bien longtemps. Il a toujours eu un excellent jugement sur les personnes. Quelque chose en toi a dû attiser son intérêt. »

Il s’approcha alors de Flynn pour le contempler, s’attardant particulièrement sur les yeux céruléens du jeune aristocrate. Comme lors de leur dernière rencontre, il ne se gêna pas pour se saisir de son menton et le forcer à le regarder.

« Que s’est-il donc passé pour que cette étincelle que j’avais vu hier se meurt aussi rapidement ? Quelque chose avec les contraintes que te font subir les soi-disant membres de ta famille ? » demanda-t-il.

« Cela ne vous regarde pas ! » répliqua Flynn.

Yuri l’observa un instant en silence de ses prunelles grises.

« Peut-être que oui, peut-être que non. » rétorqua-t-il. « Pourtant, si tu es revenu de ton plein gré dans ce lieu en sachant que l’ombre et les ténèbres y règnent, que la mort et la souffrance sont présentes, c’est que tu as abandonné l’idée même de vivre Flynn. Depuis combien de temps trompes-tu ton monde avec ces yeux si emplis d’apathie ? »

« C’est faux ! » cria Flynn.

Sa voix mourut dans sa gorge quand, sans qu’il s’en rende compte, le dompteur s’était approché au point de le toucher avant qu’il referme ses bras sur lui et plaque sa tête contre sa poitrine. Surpris, le blond voulut se débattre mais Yuri était beaucoup plus fort que lui.

« Tes yeux semblent s’être ranimés un peu sous la colère. » commenta le brun. « Peut-être qu’il y a un peu d’espoir pour toi. Peut-être es-tu venu pour rechercher quelque chose ? »

« Lâchez-moi ! Je ne permets pas ce genre de familiarités ! »

« Bien dommage car j’avais autre chose en tête. Voyons voir… comment tu réagis… à ça ! »

Avant que Flynn se remette de sa stupéfaction, joignant le geste à la parole, Yuri avait approché son visage de Flynn et… avait apposé ses lèvres contre les siennes pour l’embrasser.

« Ta fiancée rate quelque chose. » conclut le brun en s’écartant après le baiser. « Pour un ignorant de la vie, tu embrasses fabuleusement bien Flynn et je suis persuadé que c’était ton premier. »

Les joues de Flynn avaient rougi d’embarras, de honte et de fureur.

« Allons, ne réagis pas ainsi. Tu as apprécié, n’est-ce pas ? »

« Certainement pas ! Mais qu’est-ce qui vous prend de vous comporter comme… un sauvage et de faire… ce geste inapproprié ? » invectiva Flynn d’un air rageur. « Vous infligez des châtiments à des criminels qui devraient être remis à la police, vous leur infligez je-ne-sais quelles nouvelles horreurs sous cette tente noire et vous vous comportez comme un… goujat ! Je ne sais pas qui vous êtes mais ce n’est pas ainsi que vous rendrez le monde plus juste et plus équitable ! Vous ne devez… Vous ne devez… pas… être humain… pour… penser… ainsi… » acheva-t-il dans un murmure.

Ce fut à cet instant précis que la révélation le frappa de plein fouet, qu’il prit conscience du caractère effroyable de cette vérité qu’il allait proférer et il eut l’impression de sentir ses pieds se dérober sous le sol : l’homme qu’il avait devant lui n’était pas humain… Mais alors qu’était-il donc ?

« Oh, tu es vraiment perspicace Flynn. Félicitations bien que j’avoue n’avoir guère fait l’effort pour le cacher. Décidément, je pense que… je vais te garder dans le cirque ! De telles compétences et un tel talent… Ce serait un gâchis de ne pas les utiliser ! »

« Quoi ? » s’exclama Flynn avec une mine stupéfaite.

« D’un autre côté, je n’aime pas ce que tu penses de nos méthodes… » réfléchit Yuri. « Tu affirmes toujours que tu as détesté ce moment…intime entre nous ? »

Le regard noir que lui jeta Flynn fut une réponse plus qu’éloquente pour le dompteur.

« Très bien, alors faisons un pari. » proposa le brun. « Je sais que tu es devenu l’avocat de John Penn… »

« Mais comment… » s’étonna le blond avant que les yeux gris du dompteur l’obligent au silence.

« Je sais également qu’il est en lutte pour récupérer son terrain contre plus puissant que lui. Dans ce genre d’affaires, le puissant l’emporte toujours contre le faible. Prouve-moi que tu peux changer cela. Prouve-moi que tu peux inverser le sort de cet homme et je t’offrirai un pouvoir si grand qu’il pourra te mener à ce que tu as toujours aspiré : une société plus juste et plus équitable pour tous. »

« Où est le piège dans tout cela ? » se méfia le blond, sceptique. « Je ne crois pas à ce genre de choses. Le pouvoir finit toujours par corrompre, j’aurais trop peur de finir par devenir comme mon demi-frère. »

« Oh, tu recules à la moindre difficulté ? » railla Yuri.

« Non ! » répliqua Flynn, furieux contre lui-même et son interlocuteur.

« Bien, je n’en attendais pas moins de toi. »

« Que m’arrivera-t-il si j’échouais ? »

« Tu te contenteras de reprendre ta vie normale. » répondit Yuri.

« C’est tout ? » demanda Flynn avec stupéfaction.

« Non. Tu peux aussi venir autant de fois que tu le voudras dans le cirque et rencontrer tous les autres membres. Je les tiendrai au courant de cette histoire. Tu devras aussi me raconter comment se déroule l’affaire. Je saurai ainsi si tu es honnête ou non avec moi. »

« Cela me paraît correct. » dit Flynn.

« Tu prétends ne pas m’apprécier alors voilà l’autre enjeu : si tu admets une fois, une seule fois que tu m’apprécies d’une manière ou d’une autre, ta vie m’appartient tout comme tout ce qui fait ta personne. Sache que je profiterais de chacune de tes visites pour te le faire reconnaître. J’avoue que cela offrira du piquant à mon quotidien. Voilà bien longtemps que la routine m’ennuyait un peu… »

Il darda ses orbes gris sur Flynn, souriant d’un air félin.

« Recules-tu devant le défi, Flynn Scifo ? Acceptes-tu ce pari ? »

Jetant un regard courroucé vers le dompteur, agacé par son attitude qui avait exacerbé son sens de la compétition, Flynn suivit imprudemment son impulsion et répondit un peu hâtivement :

« J’accepte ! »

« Alors bonne nuit Flynn Scifo. Et que le meilleur gagne ! »

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