L'arrivée de Flynn : la rencontre
Oct. 26th, 2015 10:57 pmVoilà enfin le récit relatant les origines de Flynn et sa rencontre avec Yuri ! N’oubliez cependant pas qu’il est arrivé à Brave Vesperia avant Estelle donc cette dernière sera absente de ce récit.
Rating : M à cause de la fin du récit
L’arrivée de Flynn : la rencontre
« Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, notre représentation est désormais terminée. La troupe de Brave Vesperia espère cependant que vous avez passé un agréable moment en notre compagnie et souhaite vous revoir au plus vite pour de nouveaux numéros. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, ainsi s’achève notre soirée. Nous vous prions de regagner la sortie dans le calme et la bonne humeur et… »
Dix-neuvième siècle, époque Victorienne. Installé dans une des tribunes réservées à la haute société anglaise, un jeune homme aux courts cheveux blond d’or qui devait avoir dans la vingtaine, applaudissait poliment pendant que les artistes défilaient une dernière fois sur la piste. Une magicienne, une lanceuse de couteaux, un dompteur… Cela avait été un prodigieux et remarquable spectacle, un de ceux qui restait mémorable. Cependant, était-ce à cause de ses dons d’observation mêlés d’un excellent sens de perspicacité ou de ses yeux si longuement désabusés des illusions du monde mais toujours était-il qu’il éprouvait une étrange impression sur ce cirque, presque comme un malaise ou un arrière-goût désagréable…
Son regard céruléen croisa alors fugacement deux prunelles grises avant qu’elles se détournent vers d’autres spectateurs…
« Mon cher Flynn, ne serait-il pas temps d’y aller au lieu de nous attarder dans cet endroit ? » demanda une voix féminine aux tonalités riches et bien timbrées.
Ruth Kettering, fille unique du puissant comte Kettering. Elle était sa fiancée et tout le monde reconnaissait qu’elle était une jeune femme d’une extraordinaire beauté. De longs cheveux d’un blond vénitien encadrant des yeux bleu cobalt et un visage aux traits nobles et d’une rare finesse. Des lèvres bien dessinées, rouges et pulpeuses, une voix envoûtante et mélodieuse, des manières parfaites pour une femme de sa condition, sans compter sa riche dot… Elle avait été le plus beau parti à marier. Et désormais, elle lui avait accordé sa main et tous les garçons de la haute aristocratie enviaient Flynn et sa famille d’avoir contracté de si heureuses fiançailles. Flynn savait qu’il aurait dû se sentir chanceux, béni par la fortune d’avoir une belle et riche femme que tout homme aurait désiré. De plus, Ruth ne semblait pas d’un caractère difficile à vivre, toujours aimable et polie avec lui. Il aurait dû se sentir comblé…
Le problème, c’était qu’il avait beau faire tous les efforts inimaginables, s’efforcer d’en appeler à toute sa volonté et se dire qu’avec le temps, il apprendrait à l’aimer, il n’éprouvait pas le moindre sentiment amoureux pour Ruth Kettering bien qu’il la traitât avec tous les égards. Et il se morigénait intérieurement contre lui, se traitant d’infâme et d’ingrat, car Ruth était irréprochable et n’avait, aux yeux des autres et des siens, aucun défaut qu’on aurait pu lui reprocher. Et pourtant, il ne parvenait pas à l’aimer…
Peut-être était-ce parce que ce futur mariage était une union arrangée entre les familles Kettering et Scifo… Il avait toujours détesté l’attitude de la famille Scifo envers lui et leur manière de régenter sa vie… Pour être exact, il détestait d’une manière générale le comportement de la haute aristocratie, raison pour laquelle il n’aimait guère être contraint d’évoluer dans les hautes sphères. Même si en ce moment, celle-ci le félicitait de bruyantes louanges pour le brillant mariage qu’il préparait avec Ruth bien qu’il percevait quelques notes dissonantes à son égard, au sujet des origines du "bâtard"…
« Vous avez raison Ruth, la nuit est bien avancée et il est inutile de nous attarder ici. » sourit Flynn en lui tendant galamment la main pour aider sa fiancée à se relever. « Allons dehors retrouver George et je vous raccompagnerai chez vos parents. »
George était son majordome. De cinq ans son aîné, il était l’une des rares personnes en qui Flynn avait confiance. Il le connaissait depuis l’enfance, depuis qu’il servait ses parents lorsqu’ils étaient encore en vie. L’un des rares domestiques à lui être fidèle, presque un confident. Flynn avait plus tendance à le considérer en ami plutôt qu’en serviteur. Pour cette soirée, il servait de cocher et de conducteur pour sa calèche.
Le jeune aristocrate aida sa compagne à revêtir son manteau car les nuits restaient fraîches en dépit de l’arrivée du printemps. Tous deux se dirigeaient sans encombre vers la sortie malgré l’immense foule, l’homme tenant le bras de la femme.
« Flynn, je vous remercie de m’avoir accompagnée pour cette représentation. Je craignais qu’avec votre travail d’avocat, vous ne trouveriez pas le temps. » dit sa fiancée en inclinant légèrement la tête.
« J’espère que le spectacle vous a plu Ruth. » répondit son compagnon. « Je ne m’y connais guère en ce domaine mais je dois vous avouer que je l’ai trouvé… fascinant… Leurs numéros sortent vraiment de l’ordinaire. »
« Vous savez toujours trouver le bon mot, mon ami. » sourit aimablement Ruth. « Fascinant est le juste mot. J’ai vu des choses vraiment… magiques ! Et cette pluie colorée de sucreries ! Je n’ai pu m’empêcher d’en avaler quelques-unes. Leur goût est exquis. En avez-vous goûté, mon ami ? »
« Habituellement, je n’aime guère ce qui est sucré mais vu leurs formes et leurs couleurs originales, j’en ai croqué une. A ma grande surprise, j’ai apprécié le goût. »
« C’est signe que ce cirque est exceptionnel. Je me demande combien de temps il restera ici. »
Flynn s’approchait de la sortie lorsque soudain, un visage singulier parmi les spectateurs attira ses yeux saphir. Il était encore assis dans les gradins, plutôt isolé dans l’ombre comme s’il cherchait à se dissimuler. Cette figure usée avant l’âge qui paraissait être taillée au couteau, large front, pommettes saillantes, menton en pointe avec les mâchoires en avant, ces yeux de fouine rusés, cette large balafre sur la joue droite… Aucun doute, il s’agissait de Joe Hitch, recherché pour une série de vols et meurtres depuis plusieurs mois dans la région. Flynn avait plusieurs fois contemplé des reproductions réussies de son portrait, produites à partir des témoignages des rares victimes qui avaient réussi à survivre à sa rencontre alors il n’avait aucun doute sur l’identité de l’homme qu’il observait. Ce dernier avait longtemps été introuvable malgré les efforts de Scotland Yard. Et voilà maintenant que le jeune avocat le retrouvait brusquement dans un lieu des plus incongrues pour un fugitif !
Une flamme sembla s’allumer dans les yeux saphir de Flynn, ordinairement si désabusés des illusions de la vie, faible et ténue mais qui paraissait avoir ranimé une étincelle longtemps perdue. Ruth et lui venaient de quitter le chapiteau quand il prit sa décision.
« Ruth, je voudrais que vous rentrez seule avec George. Je ne vous raccompagnerai pas. » déclara-t-il.
« Flynn ! Que vont penser mes parents ? » protesta sa fiancée inquiète. « Pourquoi ? Expliquez-moi au moins ! »
Le cirque de Brave Vesperia s’était installé dans une vaste prairie dont une large partie était bordée par un bois qui l’isolait des villes et villages environnants. Il existait deux moyens pour accéder au cirque. Soit on pouvait y aller par la grande route à condition de disposer de chevaux ou d’une calèche, soit on traversait le bois d’Oakhill pendant environ quinze à vingt minutes pour gagner le petit village de Little Huntington. Flynn repéra rapidement sa calèche et son majordome George sur la grande route. C’était un homme aux courts cheveux châtain coupés au niveau de l’oreille et aux yeux marron. Celui-ci, qui avait guetté l’arrivée de son maître, fouetta ses chevaux pour les amener près de ses passagers tout en évitant habilement les autres calèches qui en faisaient de même pour raccompagner leurs nobles respectifs.
« Ruth, je pense… non, je suis certain d’avoir reconnu un criminel parmi les spectateurs du cirque. » dit l’avocat d’une voix dissimulant avec succès son manque d’assurance. « Vous souvenez-vous de l’affaire Joe Hitch ? »
« Ce criminel qui a ravagé la région avec une série de vols et d’horribles meurtres ? »
« Précisément. Je suis certain de l’avoir vu. Il n’est pas encore sorti de sous le chapiteau mais je dois m’assurer que… »
« Oh Flynn, pourquoi ne pas plutôt prévenir la police ? » interrogea Ruth d’une mine angoissée. « C’est totalement imprudent d’agir de cette façon ! Si jamais il vous arrivait quelque chose ? S’il s’agit bien de Joe Hitch, cet homme n’est plus à un meurtre près. Il pourrait vous arriver malheur… »
C’était un conseil plein bon sens, ce que la prudence lui aurait recommandé, Flynn devait l’admettre. Le jeune aristocrate hésita un instant avant de finalement prendre son parti et d’embrasser la main de la jeune femme.
« Non. Je l’ai vu brièvement, je suis presque certain qu’il s’agissait de lui mais… je dois être sûr de mon fait. Je ne veux pas déranger la police pour rien. Rentrez chez vous Ruth, je me sentirai moins inquiet si vous êtes dans un lieu où vous serez en sécurité. Je vous rendrai visite dès demain matin pour vous rassurer. George, raccompagnez Lady Kettering chez ses parents. » ajouta-t-il à l’adresse de son domestique. « Puis revenez tout de suite ici me chercher. »
Si le majordome fut surpris par de tels ordres, il n’en laissa rien paraître sur son visage.
« Bien monsieur. » dit-il.
Après s’être assuré que la calèche emportait sa fiancée chez ses parents dans un nuage de poussière, Flynn Scifo regagna discrètement la direction du chapiteau de Brave Vesperia. Personne ne remarqua sa manœuvre, trop occupés qu’ils étaient chacun à embarquer sur leurs moyens de locomotion et de regagner leur domaine.
Lorsqu’il se retrouva devant le chapiteau, l’entrée était déserte, vide de la foule présente quelques instants plus tôt, et les pans de la tente géante avaient été tirés. Tous les spectateurs avaient déjà quitté le cirque ? Joe Hitch s’était enfui ? D’un air résolu tout en remettant sa veste, son chapeau et ses gants blancs, Flynn entreprit de faire le tour du chapiteau pour vérifier s’il n’y avait pas une autre issue. Accessoirement, il espérait rencontrer un membre de la troupe pour lui demander s’il n’avait pas aperçu le criminel.
Toutefois, il n’avait pas parcouru la moitié du périmètre du chapiteau que soudain, il entendit plusieurs cris d’effroi s’élever, cris qui semblaient provenir du chapiteau !
Pendant une fraction de seconde, le blond resta sans réaction. Puis, il se mit à courir prestement, faisant tomber son chapeau, évitant les caisses, les cordes tendues, les divers obstacles, à la recherche d’un moyen pour pénétrer dans le chapiteau. Il songeait aux coulisses, l’entrée des artistes pendant que de nouveaux hurlements résonnaient lugubrement dans cette sinistre nuit.
Enfin, il atteignit l’entrée des coulisses. Sa première impulsion fut de se précipiter à l’intérieur mais ce qu’il vit le figea sur place.
De là où il était, caché par des caisses en bois et des tonneaux, il apercevait progressivement les artistes du cirque sortir et traîner des gens vers l’intérieur d’une immense tente noire. Il contemplait avec stupéfaction et incrédulité la funambule-trapéziste armée d’une lance, monsieur Loyal d’un arc ou le jeune jongleur d’une lourde masse, poussant, tirant leurs prisonniers ligotés ou non, homme ou femme, pleurant ou criant avec des traits tordus par la douleur et la souffrance. Certains étaient blessés, du sang coulait sur leur bras, leur jambe ou leur poitrine, d’autres émettaient de vigoureuses protestations et tentaient de se débattre mais leurs opposants paraissaient doués d’une force herculéenne, même la magicienne, la lanceuse de couteaux et le jongleur qui étaient pourtant des enfants. Et en tendant l’oreille, Flynn avait l’impression que les hurlements redoublaient d’intensité quand les captifs pénétraient à l’intérieur de la tente noire…
Le blond se demandait qui étaient ces individus prisonniers –probablement des spectateurs ayant assisté à la même représentation que lui, devina-t-il – quand la mascotte du cirque, un chien au pelage blanc et bleu tirait sur une lourde corde entraînant un corps vociférant mille injures. La cicatrice caractéristique de l’homme permit à Flynn de facilement l’identifier comme étant Joe Hitch, le criminel recherché par la police. Un meurtrier tellement dangereux qu’il aurait fallu une dizaine d’hommes pour le maîtriser et pourtant saucissonné, rendu impuissant par des saltimbanques d’un cirque des plus étranges… Mais que se passait-il ici ?
Et soudain, le jeune aristocrate anglais s’aperçut qu’il avait commis une grave erreur. Il avait distingué la funambule-trapéziste, la magicienne, la lanceuse de couteaux, monsieur Loyal, le jongleur et même le chien savant mener leurs prisonniers vers cette espèce de grande tente noire mais il manquait un membre ! Il n’avait vu nulle part le dompteur…
Il eut toutefois la réponse à sa muette interrogation lorsqu’il entendit une voix emplie de sarcasmes résonner derrière son dos :
« Tiens donc… un visiteur qui s’attarde au cirque ! Comme c’est charmant… A moins qu’il s’agisse d’un intrus qui espionne nos petits secrets de fabrication ! »
Flynn s’efforça de conserver son sang-froid mais il ne put s’empêcher de sursauter sur place quand le nouveau venu se manifesta. Il se retourna néanmoins pour faire face à ce mystérieux inconnu.
Heureusement que la lumière argentée de la lune et l’éclairage du chapiteau permettait au jeune aristocrate anglais de discerner celui qui l’avait surpris car ses yeux avaient du mal à le voir dans la nuit. De longs cheveux d’un noir ténébreux que perçaient deux orbes gris qui semblaient luire dans l’obscurité, laissant entrevoir un visage aux traits attrayants et fins où se dessinaient une expression narquoise et des lèvres moqueuses, tête penchée en avant. Le dompteur portait toujours son beau costume sombre qui dévoilait une partie de son torse, son pantalon moulant, ses bottes en cuir et son fouet mais le blond fut surpris de scruter un sabre à sa main gauche dont la lame était couverte de sang…
« Eh bien, voyez-vous ça… De tous les visiteurs qui auraient pu nous faire grâce de leur présence, il a fallu qu’on tombe sur toi… » commenta l’homme aux longs cheveux noirs d’un ton amusé.
Il avait lâché son fouet et planté son arme dans le sol, s’avançant avec grâce vers Flynn sans aucune hésitation, comme s’il n’éprouvait pas la moindre peur, avec cet éternel sourire sarcastique qui dansait sur ses lèvres. Le blond, quant à lui, l’examinait avec méfiance et hostilité sans cesser de jeter un coup d’œil à cette lame couverte de sang.
« Tu ne manques pas d’audace pour t’être attardé en ces lieux à une heure où règnent les ténèbres et l’obscurité, Flynn Scifo ! »
Les yeux céruléens du jeune avocat s’écarquillèrent de stupéfaction. Sa bouche s’entrouvrit légèrement tandis que son visage se contracta sous l’agacement et la colère.
« Comment connaissez-vous mon nom ? Et que se passe-t-il ici ? » questionna-t-il avec force.
Il en avait plus qu’assez de ne rien comprendre. Ces cris, ces prisonniers blessés, le criminel Joe Hitch ligoté, cette tente noire où s’échappaient des hurlements sinistres et lugubres… Flynn pressentait quelque chose de sombre et d’atroce mais n’osa pas le formuler à haute voix.
« Pourquoi répondrai-je à tes questions ? Rien ne m’y oblige mais peut-être que je répondrai à quelques-unes de tes interrogations… si l’envie m’y prend. » se moqua le dompteur.
Il pouffa de rire mais fut brutalement interrompu quand Flynn s’empara habilement de son propre sabre et plaqua la lame contre son cou afin de le menacer. Le blond remarqua néanmoins que le brun n’éprouvait pas la moindre crainte, ni même de la nervosité. Pire, le brun se contentait de sourire narquoisement pendant que lui, visiteur égaré dans le monde du cirque, s’efforçait de reprendre contenance.
« On dirait que tu sais jouer avec ça. » constata le dompteur en désignant du menton le sabre. « Et je dirais même que tu excelles à ce jeu au vu de tes mouvements. Mais tu sais, pour moi, tu es aussi inoffensif qu’un chat crachant d’impuissance sa rage. »
La comparaison ne fut absolument pas du goût de Flynn. Il s’apprêtait à répliquer vertement mais son interlocuteur continua de parler.
« Cela n’enlève toutefois en rien ton indéniable talent de bretteur et tes autres excellentes prédispositions. Oh, et pour répondre à ta question sur ce qui se passe ici, je crois que tu te doutes déjà de la réponse, Flynn Scifo. » ajouta-t-il en voyant le blond ouvrir la bouche pour le questionner.
Ce dernier fronça légèrement les sourcils, cherchant à comprendre le sens des paroles du membre de Brave Vesperia. Puis fouillant dans ses souvenirs, il se mit soudain à blêmir. La représentation, les numéros du cirque, les tours des différents artistes… Cette sensation de malaise qu’il avait ressentie, bien qu’il fut étonné de constater qu’il avait du mal à se remémorer la cause ou les origines, lui revenait à l’esprit, au prix d’un effort surhumain, dantesque… Le jeune avocat fut brutalement assailli par de brefs fragments de la représentation : le couteau de la lanceuse de couteau dégoulinant de sang, l’immolation d’une personne par la magicienne, les fauves du dompteur dévorant deux victimes en ne laissant que…
« Des exécutions… » murmura-t-il d’une voix tremblante. « Sous l’apparence d’une représentation de cirque, vous avez… »
« Ce n’était que des criminels, mon cher Flynn et leurs disparitions rendront ce monde meilleur. Même les lois de ton pays les auraient condamnés à mort. Surtout ce Joe Hitch qui est spectaculaire dans son genre et qui mériterait un châtiment plus approprié qu’une simple exécution. Je dois reconnaître néanmoins que je suis impressionné que tu aies réussi à te remémorer ce genre de détails désagréables même si cet effort semble t’avoir beaucoup coûté. »
En effet, de la sueur perlait aux tempes du jeune noble anglais et il haletait comme s’il souffrait d’un profond épuisement. Il éprouvait d’ailleurs des difficultés à maintenir son arme en main. Cependant, il s’efforça de conserver son sang-froid devant son interlocuteur.
« Ce n’est pas en exécutant froidement les criminels que vous contribuerez à rendre ce monde meilleur ! » protesta-t-il avec véhémence. « La place de Joe Hitch était dans les geôles de Scotland Yard, pas sous une espèce de tente noire où on commet je-ne-sais quelle nouvelle atrocité ! »
« Crois-tu vraiment à tes propres paroles, toi dont les yeux semblent si jeunes et pourtant désabusés de la vie, Flynn Scifo ? »
Le blond marqua un silence dans leur conversation et son interlocuteur en profita pour enchaîner :
« Flynn Scifo. Fils unique de Lord Finath Scifo, chef du clan Scifo et de sa seconde épouse Lady Neirein Crownwell, elle-même fille unique de Lord Crownwell et de sa femme japonaise Yuki Toko, connue pour être une remarquable danseuse. Deux mariages désapprouvés par la bonne société anglaise qui n’aime ni les étrangères, ni les femmes qui mêlent du sang étranger. Le divorce de Lord Scifo prononcé à peine un an après son mariage avec Lady Abigail Winchester a provoqué un énorme scandale, amplifié par son rapide remariage avec Lady Crownwell. »
Le dompteur s’interrompit brièvement pour observer la réaction de Flynn puis reprit le fil de son histoire.
« Tu as eu une enfance heureuse jusqu’au jour où une calèche a renversé ton père, provoquant sa mort. Les autres membres de la famille Scifo ainsi que la haute aristocratie anglaise ont ensuite mis une pression énorme sur ta mère, au point que celle-ci en est devenue névrosée et hystérique. Ne pouvant supporter une société qui était incapable d’accepter son existence, Neirein Scifo a mis fin à ses jours en se jetant de sa fenêtre. A la mort de tes parents, on aurait pu penser que le titre de Lord et celui de chef de famille te serait revenu mais tel n’a pas été le cas. »
Si Flynn n’avait pas été si épuisé, sans doute serait-il intervenu plus tôt. Mais pour une raison incompréhensible, il ne pouvait s’empêcher d’écouter ce mystérieux inconnu aux longs cheveux noirs débiter le récit de sa propre histoire. Certes, il détestait cela, le toisant d’un œil noir, ne pouvant supporter qu’il déballe aussi facilement ses problèmes, ses secrets, son passé, se demandant comment il avait fait pour tout découvrir mais il était incapable de l’arrêter.
« Malheureusement, bien que Finath Scifo avait souhaité que le fils de la femme qu’il aime hérite du titre et de sa fortune pour le mettre à l’abri du besoin, c’est finalement le fils qu’il a eu avec sa première femme qui a hérité de tout : ton demi-frère, Elliot Scifo, l’actuel chef de famille des Scifo, d’un an ton aîné, si je ne me trompe pas. Et après la disparition de feue Lady Neirein, je pense que toute la famille Scifo, plus particulièrement ta belle-mère Lady Abigail, aurait été ravie de se débarrasser de toi si tu n’avais pas été l’unique héritier de la fortune des Crownwell. C’est sans doute ce qui t’a à la fois sauvé et perdu. »
Le dompteur marqua une nouvelle pause pour observer le ciel nocturne puis poursuivit son récit.
« Tu as donc grandi sous l’indifférence des Scifo et avec le mépris à peine dissimulé de Lady Winchester et de ton demi-frère. Puis voilà que les Kettering et les Scifo veulent une alliance. Marier la fille unique du comte avec le chef actuel des Scifo aurait été l’accord normalement conclu en ce genre de circonstances. Mais Ruth Kettering semblait bien plus intéressée par la perspective d’être ta femme que celle d’Elliot Scifo. J’imagine bien ton demi-frère grincer des dents mais les enjeux étaient trop importants et il a dû consentir au fait que ce serait son cher petit frère et non lui qui épouserait Ruth Kettering. A sa grande déception… »
« Assez ! » asséna soudain Flynn.
Il avait serré sa main sur le garde du sabre, prêt à attaquer mais le dompteur réagit le premier. D’un mouvement tellement rapide que ses yeux eurent peine à le suivre, l’artiste du cirque bloqua la lame entre son index et son majeur avant de sourire et de donner une pichenette sur le front du blond. Pendant une fraction de seconde, ce dernier perdit sa concentration mais ce fut suffisant pour que le brun pousse son adversaire pour ensuite le désarmer et le plaquer contre le chapiteau. Flynn voulut se débattre mais une main posée contre sa poitrine et ses orbes gris le fixant comme s’ils essayaient de lire en lui, l’incitèrent à garder son calme et à obtempérer… pour le moment.
« Bien bien bien, qu’est-ce que Brave Vesperia va bien pouvoir faire de toi à présent Flynn Scifo ? » dit le dompteur en soupirant d’un air faussement agacé. « Tu es devenu un problème à nos yeux, le comprends-tu ? Tu en sais désormais un peu trop pour qu’on te laisse filer facilement. »
« Qui que vous êtes, lâchez-moi ! Vous ne pouvez pas me retenir contre mon gré ! »
« Bien au contraire, nous le pourrions. » fit son interlocuteur en se penchant un peu plus en avant. « Mais… tu es beaucoup trop intéressant pour être enfermé dans une cage contre ta volonté. »
Puis il se saisit du menton du blond pour l’obliger à le regarder dans les yeux.
« Ces yeux si mornes qui avaient perdu goût à la vie il y a encore une heure… les voilà qu’ils semblent s’être illuminés un peu. Je me demande ce qui va en résulter… » s’interrogea le dompteur avec une mine songeuse.
« Lâchez-moi ! » répéta l’aristocrate. « De toute façon, la police sera prévenue de vos faits et gestes ! »
Cette fois, l’homme aux longs cheveux de jais éclata de rire.
« La police ! » articula-t-il en essayant de reprendre son souffle. « Tu crois vraiment que cela nous arrêtera ? Qu’on te croira ? Le temps que tu réussisses à convaincre ne serait-ce qu’un membre des forces de l’ordre d’écouter ton récit, Brave Vesperia aura réuni une cinquantaine de témoins qui seront prêts à jurer que le cirque n’est qu’un simple lieu d’amusement. »
Il marqua une courte pause avant d’annoncer :
« N’essaie pas de raconter ce qui se passe au sein du cirque, mon cher Flynn. Personne ne te croira. »
Le blond le crut. Cet inconnu semblait tellement sûr de lui qu’il ne douta pas de la véracité de ses dires. Pendant de longues minutes, il se contenta de dévisager le dompteur avant que celui-ci approche ses lèvres de son oreille pour murmurer :
« Yuri Lowell. »
« Quoi ? » répliqua l’avocat avec surprise.
« C’est le nom qu’on me donne. Je ne crois pas m’être présenté jusqu’à maintenant. Enchanté de faire ta connaissance, Flynn Scifo. »
Le dénommé Yuri avait encore ce sourire ironique sur son visage, ce qui exaspéra son visiteur.
Soudain, le bruit d’une calèche se fit entendre dans le lointain. A cet instant, le dompteur libéra Flynn qui le toisait d’un regard furibond. Il ne savait pas qui était vraiment cet homme à la longue chevelure brune et aux yeux gris mais il était sûr d’une chose : il le détestait cordialement ! Il ne pouvait absolument pas le supporter ! Comment osait-il... se montrer aussi familier avec lui et…
« On dirait que ton carrosse est avancé. » commenta Yuri. « Tu peux partir. Fais vite avant que quelqu’un d’autre te voit. Ou pire le Maître du cirque… Tu pourrais ne plus jamais quitter notre domaine… »
Flynn lui jeta un dernier regard empli de nombreuses interrogations. Il ne comprenait pas les paroles du dompteur mais il sentait une menace… Il ne se le fit donc pas répéter une deuxième fois : il tourna le dos au brun et courut, cherchant à fuir le cirque et à rejoindre George…
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Yuri Lowell regardait le jeune Scifo quitter son domaine. Ce fut une intéressante rencontre, il devait le reconnaître. Il ne s’était jamais douté que le second fils de feu Lord Finath Scifo pouvait être aussi digne d’intérêt à sa manière… D’habitude, il ne portait guère d’attention à ce genre de personne mais pour une fois, il était en train de faire une exception…
Quelqu’un arriva derrière son dos. Le dompteur devina sans peine le pas de Raven qui émit une sorte de sifflement amusé.
« C’était qui ? » demanda-t-il.
« Le jeune Scifo. Pas l’aîné mais le demi-frère. Le cadet. Une rencontre intéressante. Je peine à croire que ces deux-là partagent le même sang dans leurs veines. » répondit Yuri.
« Et tu le laisses partir ? » s’étonna son compagnon. « Il en sait trop. Il pourrait menacer notre secret et notre existence. »
« Ne t’inquiète pas vieil homme. » répondit Yuri avec un sourire. « J’ai l’intuition que ce cher Flynn Scifo reviendra plus tôt qu’il ne le pense dans notre domaine… »