La lanceuse de couteaux
Jun. 18th, 2014 04:28 pmNote : Dès le prochain chapitre, le rating de cette fic passera de T à M, par mesure de précaution.
Note 2 : Le nom d’un des personnages de ce chapitre m’a été suggéré par ma très chère collègue Kaleiya, dont je devine très facilement la source d’inspiration…
Playlist :
Moi Dix Mois - Front et Baiser
Epica - Chasing the Dragon
Hans Zimmer – He’s a Pirate (Pirates des Caraïbes)
La lanceuse de couteaux
Elle était à peine plus grande que le clown blanc, avec ses cheveux blonds noués en deux tresses à l’aide de rubans d’un rouge sombre où pendaient deux petits crânes en métal ouvragé et qui étaient si bien assortis à sa tenue or et noire de pirate. Elle portait également un large tricorne noir décoré de trois plumes blanches avec, en son centre, de nouveau un crâne et, autour de son cou, un foulard bordeaux. Sa veste d’un jais luisant, dont les revers de manche étaient enjolivés de délicates rayures dorées, laissait entrevoir une chemise de coton immaculée ainsi qu’une très courte jupe ornée de dentelles. Pour compléter l’ensemble, il y avait, à ses pieds, une paire de bottes en daim qui lui montait jusqu’aux genoux et, autour de sa taille, une ceinture de cuir marron où reposait une belle série de dagues finement ciselées ainsi qu’un pistolet.
Elle ressemblait tellement à une petite fille parée du plus beau costume de pirate, si frêle, mignonne et inoffensive avec ses grands yeux bleus innocents ! C’était oublier un élément essentiel… Contrairement à monsieur Loyal, l’écuyère, le clown blanc et l’Auguste qui, malgré leurs opinions divergentes sur les activités du cirque, partageaient le point commun d’avoir éprouvé une existence humaine, la lanceuse de couteaux n’avait jamais connu un tel état… Tout simplement parce qu’elle n’avait jamais été humaine pour commencer, même s’il fallait le prétendre lors de la représentation… Mais cela, le public l’ignorait et n’avait pas besoin de le savoir…
Sous le masque de la lanceuse de couteux, se dissimulait celle qu’on nommait Patty Fleur. Et comme son rôle ne l’indiquait pas, la lanceuse de couteaux était également une excellente tireuse au revolver.
Sur la piste du cirque, elle s’avançait, souriante, devant les spectateurs. Sa main levée s’agita pour les saluer pendant que ses divers accessoires émergeaient des coulisses. Le premier et le plus remarquable de ses outils était une immense planche en bois rouge où étaient dessinées des cibles multicolores. Les peintures de celle-ci, aux tons volontairement joyeux et burlesques, contrastaient drastiquement avec son état qui témoignait de son utilisation intensive : la planche était criblée de nombreux accrocs, certainement dus aux dagues de Patty, ainsi que de petits trous circulaires, traces des tirs au pistolet de la blonde demoiselle. En y regardant de plus près, on pouvait constater que des lanières de cuir noir y étaient fixées à l’aide de gros clous métalliques, servant à attacher solidement la proie désignée de la lanceuse de couteaux. De plus, contrairement à la planche qui semblait être soigneusement nettoyée après chaque représentation, les lanières de cuir étaient maculées de taches d’un rouge sombre qui avait noirci en séchant… Peu parmi le public remarquèrent ce détail car ces taches s’occultaient avec la couleur des lanières mais les plus fins observateurs ne purent retenir un frisson… avant de se dire qu’il s’agissait peut-être d’une mise en scène ou que leur imagination leur jouait des tours…
Le second accessoire à sortir était une grosse caisse aux nuances très vives et criardes, de forme carrée, qui ressemblait à une version géante d’un diable en boîte, ce jouet avec une manivelle sur le côté qu’on tournait pour écouter une petite musique jusqu’à ce qu’un diable jaillisse pour effrayer la personne se trouvant devant. Sous les yeux des spectateurs et pendant que l’orchestre imitait une mélodie aux tonalités enfantines, la lanceuse de couteaux actionna la manivelle jusqu’à ce que giclèrent, non pas un diable, mais une multitude d’objets hétéroclites : des ballons, des pommes rouges, des cartes à jouer, une poêle, des confettis, des maillets, des peluches représentant des cochons, des mouettes, des pieuvres ou des lapins, des pompons, des chapeaux coniques, des bouquets de chrysanthèmes blancs… Attrapant en plein vol quelques pommes, un ballon, deux ou trois peluches, la lanceuse de couteaux les projeta vers la planche avant de leur balancer, dans un même mouvement, une lame bien ajustée qui transperçait à la fois l’objet et une des cibles peintes en plein dans le mille !
Extraordinaire prouesse pour une jeune fille qui devait avoir tout au plus quatorze ans ! Le public, impressionné, se mit à l’applaudir avec ferveur. Cependant, il ignorait tout de l‘âge réel de la lanceuse de couteaux… Si on devait comparer, elle était plus bien plus âgée que l’Auguste qui donnait pourtant l’impression d’avoir dans les trente-cinq ans… Tournant la tête à droite puis à gauche avant de saisir son pistolet pour tirer en l’air afin d’obtenir l’entière attention des spectateurs, Patty annonça alors :
« Après cette petite démonstration, laissons le hasard désigner qui m’accompagnera pour les prochains tours, nanoja ! »
Le troisième accessoire était une petite roue du hasard vers laquelle s’avança la blonde demoiselle. A l’intérieur de chaque section était dessiné sur un fond blanc ou noir un symbole ésotérique dont la représentation était claire mais la signification incompréhensible aux yeux de la foule : une abeille, un bébé, une pièce de monnaie, un creuset, un ballon, un dauphin, une paire de dés etc… La lanceuse de couteaux fit tournoyer sa roue, encourageant les gens à taper dans leurs mains en attendant que le hasard montre son choix. La roue finit par s’arrêter en désignant une carte à jouer sur fond noir.
« Aujourd’hui, la personne qui m’accompagnera pour mon numéro sera donc issu non du public mais de notre fameuse Galerie des Monstres ! » annonça Patty. « Et ce sera donc une personne qui ne joue pas au jeu et qui ne respecte pas les règles, nanoja ! »
Dès la fin de ses paroles, l’étrange orchestre aux silhouettes filiformes entonna un air plus vif, plus épique, plus audacieux. A présent, il était bientôt temps de commencer l’une des fonctions de son vrai rôle…
A la lanceuse de couteaux, le Maître du cirque lui avait attribué comme fonction principale la navigation, monsieur Loyal ayant déjà de nombreuses tâches qui l’occupaient et lui-même ayant ses propres affaires. Lors des déplacements de la troupe, charge à Patty de diriger ce mystérieux cirque pas comme les autres pour qu’il puisse s’orienter vers sa prochaine destination, ce qui n’était pas toujours une mince affaire vu les personnalités très fortes des membres de la troupe. Entre l’explosive magicienne qui menaçait à tout va, l’Auguste débauché aux tendances libidineuses ou la très sensuelle funambule-trapéziste, faire bouger tout ce petit monde dans un semblant d’ordre n’était pas un boulot des plus faciles. Au sein de la troupe, la lanceuse de couteaux, par son caractère joyeux et fantasque mais qui pouvait faire preuve d’une perspicace maturité, s’entendait bien avec les autres membres. Elle était proche de l’Auguste et de Repede avec qui elle s’amusait énormément mais elle était également une confidente de choix pour monsieur Loyal. Toutefois, il ne fallait pas s’y tromper : malgré sa gaieté et son innocence apparentes, la lanceuse de couteaux pouvait se révéler d’une cruelle et impitoyable détermination. Ce trait de caractère était également dicté par la nécessité de sa deuxième fonction que le public n’allait pas tarder à découvrir…
Des coulisses, un homme échevelé de taille moyenne et aux habits dépenaillés fut poussé vers le centre de la piste, solidement ligoté et bâillonné. Ses yeux effarés avait un regard de fou et il ne cessait d’émettre des sons étouffés et inaudibles. Il aurait visiblement hurlé s’il n’avait pas ce bâillon pour l’en empêcher.
« Voici donc en exclusivité l’un des spécimens de notre Galerie des Monstres ! » déclara la lanceuse de couteaux. « Vous vous attendiez à un nain, une femme à barbe ou à ce genre de choses ? Non, au cirque de Brave Vesperia, nous avons des genres de monstres très particuliers, nanoja ! »
Avec une force étonnante pour une fillette, elle traîna son partenaire improvisé pour mieux le montrer au public.
« Je vous présente Orda Kalomet. » prononça Patty en exhibant fièrement sa… proie. « Monsieur aime jouer et parier mais il n’aime guère suivre les règles, les abordant d’une façon qui l’arrange. Cela n’aurait pas eu de conséquences si les enjeux n’étaient pas des vies humaines nanoja. Oui car notre ami Orda Kalomet se livrait autrefois à des trafics clandestins d’esclaves. Quel horrible péché de marchander ses semblables et de les parier comme des trésors inestimables ! Mais au cirque de Brave Vesperia, nous effaçons les crimes nanoja ! »
Sans plus attendre, elle se saisit des lanières en cuir noir et attacha solidement le malheureux ligoté à la planche. Puis, elle l’enveloppa entièrement d’un drap noir avant de prendre place, la lame d’une dague coincée entre ses doigts. Jetant un regard à monsieur Loyal qui opina la tête d’un air sombre, la lanceuse de couteaux s’apprêtait à faire démonstration de la seconde fonction de son vrai rôle : elle était la seconde exécutrice des injustes de la Galerie des Monstres une fois qu’on estimait que la peine purgée était suffisante pour expier leurs crimes…
Faisant tournoyer son arme avec dextérité, la lanceuse de couteaux envoya sa lame. Mais, contrairement au numéro traditionnel où l’objectif était d’éviter la personne attachée à la planche, les spectateurs virent avec une stupéfaction indignée qu’elle avait visé délibérément le bras droit de sa victime avant d’enchaîner avec le bras gauche, les deux jambes, l’abdomen et la poitrine. A chaque lame qui transperçait la silhouette d’Orda Kalomet, la foule put constater que celle-ci émettait un soubresaut plus ou moins prononcé en s’agitant vainement sans entendre le moindre cri vu que le « partenaire » était bâillonné. Patty se saisit ensuite de son pistolet avant de tendre impitoyablement son bras vers sa cible :
« La troupe de Brave Vesperia déteste ce genre de monstres ! » dit-elle, implacable. « Vous avez été avertis plus tôt, nanoja ! »
A peine avait-elle fini de prononcer ses mots que son doigt appuya sur la détente. La balle partit dans une détonation sonore et sous le choc, la silhouette d’Orda Kalomet serait partie en arrière si le corps n’avait été pas attaché à la planche. Il y eu un ultime soubresaut avant que les spectateurs puissent observer un petit trou circulaire vers ce qui devait correspondre au milieu du front sur une tête inerte qui retombait sur le côté. Devant les murmures du public, la lanceuse de couteaux retira le drap noir recouvrant sa proie. Ainsi, les yeux totalement étonnés des gens purent découvrir, non un cadavre ensanglanté mais une sorte de poupée de son et de toile géante qu’on avait façonné pour qu’elle ressemble à Orda Kalomet et qui portait ses vêtements, sur laquelle était plantés les couteaux avec un trou de balle au niveau du front. Quant au véritable corps, nul parmi les spectateurs ne sut jamais ce qu’il était devenu… Si on leur avait demandé leur avis, les membres du cirque auraient répliqué qu’il était inutile de rechercher un cadavre…
Pendant un bref instant, la foule fut prise par surprise par ce dénouement inattendu. Puis s’éleva une ovation pour féliciter la lanceuse de couteaux et saluer son numéro si peu conventionnel comprenant cet étrange tour de passe-passe entre un être humain et une grossière poupée de son et de toile. Les plus curieux s’interrogeaient sur le « truc » de cette magie : quand et comment l’être humain et la poupée avaient été interchangés ? Si seulement ils savaient…
La lanceuse de couteaux salua la foule, déambulant autour de la piste tout en poussant ses instruments vers les coulisses et ramassant les divers objets épars qu’elle avait fait apparaître comme les cartes à jouer, les chapeaux coniques ou les peluches qu’elle envoya vers les enfants. En revanche, un œil exercé aurait remarqué que les bouquets de chrysanthèmes blancs n’allaient qu’en direction des adultes, tels un mauvais présage…
Après une dernière révérence, la lanceuse de couteaux rentra dans les coulisses au moment même où monsieur Loyal revint sur la piste. Tiens, encore une fois, il avait changé de costume… Du gris clair, ses habits étaient passés au gris foncé…
« Après la démonstration de notre lanceuse de couteaux, le cirque de Brave Vesperia est fier de vous présenter l’un des membres essentiels de sa troupe. Je vous demande d’accueillir sur cette piste Rita Mordio, notre brillante et éminente magicienne ! »